Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at|http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adressefhttp: //book s .google . coïrïl
HISTOIRE
UE
L'ÉGLISE DE CORÉE
T. I-
TYPOGRAPHIE
KDMOND MONNOYER
AU MANS (SARTHK
HISTOIRE
DE
L'ÉGLISE DE COREE
PRÉCÉDÉE D'ONE
INTRODUCTION
Sur l'blstolre, les Institutions, la langue, les mœurs
et coutumes coréennes
AVEC CARTE ET PLANCHES
PAR CH. nA.I^L.ET
Missionnaire apostolique
DE LA SOCIÉTÉ DES VISSIONS- ÉTHAnGËnES
TOME PREMIER
FïAiBlE VICTOR PALME, Editeui
Rue de Grenelle-Ssiiit-tiiiruiaiii, £>
Sainte Vierge Marie, reine des apôtres, reine des
martyrs , reine des confesseurs , permettez-moi de
déposer humblement à vos pieds cette histoire
i'apôtres , de confesseurs et de martyrs.
Vous avez droit à cet hommage, parce que vous
^tes la patronne spéciale de TÉglise de Corée ; parce
cjue tous les martyrs dont je raconte le triomphe,
tous, missionnaires et néophytes , se glorifiaient du
titre de vos enfants. Ces pages, teintes de leur sang,
sont une nouvelle et éclatante démonstration de cette
vérité : que l'on ne peut aimer le Dieu fait homme
sans aimer la Mère de Dieu. Oui , ils aimaieni
Jésus-Christ, puisqu'ils ont voulu être pour lui
flagellés, étranglés, décapités, coupés en morceaux;
et par une conséquence naturelle et nécessaire, ils
vous aimaient aussi, et ils sont allés au supplice, le
scapulaire sur les épaules et le chapelet à la main.
Vierge bénie! protégez cette pauvre mission de
Corée ; protégez toutes les missions de la sainte Eglise
catholique. Obtenez de votre Fils la conversion des
infidèles. Pressez l'accomplissement des prophéties qui
annoncent que toutes les nations se ressouviendront
du Seigneur , que les îles lointaines connaîtront la
gloire de son nom. Et, quand luira ce grand jour,
quand ces centaines de millions d'idolâtres sortiront
de leurs ténèbres et viendront à l'admirable lumière de
Jésus-Christ crucifié, ils vous aimeront, ils chanteront
votre gloire, ils crieront d'une grande voix: Salut,
Vierge souverainement belle ! c'est de vous qu'est née
la lumière du monde.
Vale! 0 valde décora...
Ex qud mundo Lux est or ta.
Protestation. >
Conrormémcnl au décret d'Urbain VIII. je déclare qu*en employant, dans
cette histoire, les qualifications de Sainl^ de Martyr ^ de Confesseur y etc.,
je n'ai fait que suivre la manière de parler ordinaire, reçue parmi les
fidèles, et que je n*ai entendu préjuger en rien la décision oflicielle de
TEglise, à qui seule il appartient de décerner ces titres dans leur sens
véritable et complet.
Gh. D.
PRÉFACE
L'Église de Dieu ne connaît ni défaillance ni déclin. Établie
pour rendre témoignage à la vérité, pour enseigner toutes les
nations, elle remplit toujours et partout ce double devoir, mal-
gré tous les obstacles, en face de toutes les tyrannies, et il
n existe pas de pays si soigneusement fermé qu'elle n'y ait péné-
tré, pas de peuple si isolé, si séquestré de tous rapports avec les
autres peuples, qu'elle n'y ait porté l'Évangile et conquis des
fidèles. A l'extrémité de l'Asie, entre la Chine et le Japon, se trouve
le royaume de Corée. Tout le monde a entendu parler de la
Chine et du Japon : tout le monde a lu des livres, des relations
de voyage, qui en donnent des notions plus ou moins exactes.
Mais la Corée, qui la connaît? Les géographes eux-mêmes n*en
savent guère que le nom, nul savant ne s'en est occupé, nul
voyageur n'a pu la parcourir ; les expéditions tentées dans ces
derniers temps pour faire respecter par son gouvernement les
lois deThumanité ont misérablement échoué, et aujourd'hui elle
demeure plus obstinée que jamais dans son isolement. Et cepen-
dant, dans ce pays ignoré, Jésus-Christ a de nombreux et fer-
vents adorateurs ; son Église, depuis quatre-vingts ans, n'a cessé
d'y grandir à travers une persécution incessante, qui dure encore
et qui a fait déjà des milliers de victimes.
Raconter l'histoire de l'Église de Corée, son origine providen-
tielle, ses rapides développements ; faire connaître les mission-
naires qui l'ont évangélisée, le pays qui a été le théâtre de leurs
travaux et de leur martyre, le caractère du peuple auquel ils ont
prêché, les difficultés de tout genre qu'ils ont eu à vaincre ; rap-
peler les souffrances des chrétiens persécutés, la cruauté de leurs
bourreaux ; décrire les péripéties, les angoisses de cette lutte
acharnée entre Jésus-Christ et l'Enfer ; publier les actes des
martyrs et sauver de l'oubli quelques-uns des exemples de vertu
héroïque qui ont illustré le nom chrétien, tel est l'objet de ce
• • •
VIIJ
livre. Il servira, je l'espère, à glorifier Notre Seigneur Jésus-
Chrisl, Tailleur et le consommateur de notre foi, en montrant
que son bras n'est point raccourci, et que sa grâce opère aujour-
d'hui les mêmes prodiges de conversion que dans les premiers
siècles .
Peut-être aussi cette lecture contribuera-t-elle à dissiper quel-
ques préventions, à redresser quelques idées fausses au sujet
des missions et des missionnaires. Je ne parle pas des préven-
tions et des erreurs des impies. L'homme qui a eu le malheur
de renier son baptême, qui ne croit plus au Fils de Dieu fait
homme pour nous, et à la rédemption par les mérites de son
sang, cet homme-là, bien évidemment, ne comprendra jamais
pourquoi nous allons prêcher Jésus-Christ, et travailler au salut
des âmes. Mais, même parmi les croyants, il n'est pas rare de
rencontrer des préjugés fâcheux et des notions inexactes. Les
uns s'étonnent qu'il faille un temps si long pour convertir des
peuples : ils trouvent mesquins les résultats obtenus quand les
baptêmes ne se comptent pas par millions. D'autres, subissant li
leur insu l'influence de cette théorie matérialiste qui prétend
tout expliquer dans l'histoire des peuples par des différences de
race et de climat, affectent de craindre que les conversions
opérées ne soient pas solides, que ces nouveaux chrétiens no
soient, pour ainsi dire, d'une espèce inférieure aux chrétiens
d'Europe.
Sans doute, ce qui s'est fait jusqu'à présent est peu de chose
en comparaison de ce qui reste à faire ; sans doute il est doulou-
reux de voir qu'aujourd'hui, dix-neuf siècles après la Pentecôte,
les trois quarts du genre humain restent à convertir. Mais il ne
faut pas oublier quel est devant Dieu le prix d'une seule âme ; il
ne faut pas surtout que l'impatience de contempler le triomphe
final et universel promis à TEglise, nous rende injustes envers les
œuvres actuelles. La conversion des nations chrétiennes, dans
des conditions beaucoup plus favorables, n'a été l'ouvrage ni
d'un jour ni même d'un siècle.
Quant à la solidité des conversions, la foi nous apprend que
Jésui^Christ est venu sauver tous les hommes, et qu'il a ordonné
de prêcher TÉvangile de son règne à tous les peuples, d'où il suit
nécessairement que tous les hommes sont aptes à recevoir et à
garder la foi, que toutes les nations sont appelées à l'Évangile. Et
en fait, le nombre et le courage des martyrs parmi les néophytes,
en Corée comme au Tong-king et ailleurs, prouve bien que les
chrétientés nouvelles ne sont inférieures à aucune des anciennes.
et que le même Saint-Esprit sait animer de la même grâce toute-
jMiissaDte, les hommes de toute race, de toute langue et de toute
coulear. La plus grande preuve de foi, le plus grand acte de
ckarilé, c'est le martyre. Or, là où il y a eu des martyrs, TÊglise
est solidement fondée, car le sang des martyrs est, en Asie aussi
bien qu'en Europe, une semence de chrétiens. On objectait le
JapoD, illustré jadis par la mort de tant et de si glorieux témoins
éeJésus-Christ. La foi chrétienne, en effet, y semblait anéantie.
Les idolâtres l'avaient noyée dans le sang; les hérétiques, plus
ibjects, avaient pendant deux cents ans scellé son sépulcre, en
fealant aux pieds la croix. Voyez aujourd'hui les descendants
te martyrs confessant, par milliers, dans les prisons ou dans
rail, la foi qu'ils ont su conserver, sans prêtres, sans autels,
SUIS sacrements, à travers une persécution de trois siècles. La
rèorrection du catholicisme en Angleterre a-t-elle rien de plus
InppaDt, de plus surnaturel que sa résurrection au Japon ? et
l'histoire de l'Église universelle offre-t-elle beaucoup d'exemples
(Tone aussi inébranlable fidélité dans la foi ?
Plus d'un lecteur peut-être, en parcourant l'histoire de
l'Église de Corée, s'étonnera, non pas qu'on ait fait si peu, mais
qu'on ait pu faire autant, en quelques années, et malgré de si
poissants obstacles. Plus d'un peut-être, loin démettre en ques-
tion la foi des néophytes, se frappera humblement la poitrine, et
demandera à Dieu la grâce d'imiter leur courage, la grâce de se
trouver comme eux au jour de l'épreuve, aussi fort, aussi persé-
vérant, aussi véritablement chrétien.
L'histoire proprement dite est précédée d'une introduction sur
les institutions, le gouvernement, les mœurs et coutumes de la
Corée. J'y ai réuni et classé un grand nombre de renseignements
é|)ars, çà et là, dans les lettres des missionnaires, et qui n'au-
niient pu facilement se placer dans !e texte; un chapitre spécial
est consacré à l'exposé de notions grammaticales élémentaires
sur la langue coréenne, langue à peu près inconnue, jusqu'au-
jourd'hui, aux orientalistes ; et dans un autre j'ai donné, tout au
long, le tableau officiel des divisions administratives du royaume.
Ce travail préliminaire, qui complète le récit des faits et qui est
à son tour complété par lui, présente néanmoins des lacunes
inévitables. Mais, tel qu'il est, il a une valeur unique en son
genre, puisque les missionnaires sont les seuls Européens qui
aient jamais séjourné dans le pays, qui en aient parlé la langue,
qui aient pu, en vivant de longues années avec les indigènes,
X
connaitre sérieusement leurs lois, leur caractère, leurs préjugés
et leurs habitudes.
Quant h l'exactitude de ces renseignements, elle est anaa
grande que possible. Cependant il ne faut pas oublier que b
position des missionnaires, toujours cachés, presque toujoan
poursuivis, ne leur a pas permis, en certains cas, de vérifier pir
eux-mêmes ce qu'ils entendaient dire, et de comparer entre elles
les mœurs des différentes provinces. Bien souvent, ce qui eA
absolument vrai dans une partie du pays, ne Test que relative-
ment dans une autre. Aussi Tillustre martyr, Mgr Daveluy, était
rinterprète de tous ses confrères, lorsque, donnant dans uoe de
ses lettres d'assez longs détails de mœurs, il ajoutait : « Ce que
je vous envoie est peu de chose; c'est incomplet, embrouillé.
Peut-être, contre ma volonté, il s'y sera glissé quelque erreur;
mais j'ai fait de mon mieux. » Cette timidité consciencieuse dans
un témoin, n'est-elle pas, pour les lecteurs sérieux, la meilleure
garantie de la sincérité de ses paroles ?
L'histoire de l'Église de Corée est faite avec les lettres des
missionnaires et les relations coréennes dont ils ont envoyé la
traduction ; il n'y a pas d'autres matériaux possibles. Pour les
temps qui ont précédé l'arrivée des prêtres européens, le plus
grand nombre des documents ont été recueillis par Mgr Daveluy.
Avant lui, ou n'avait, sur les premières persécutions, que des
fragments de lettres ou des récits isolés. En 1857, il fut chargé
par un autre martyr, Mgr Berneux , de rechercher tous les
documents chinois ou coréens existants, de les traduire en fran-
çais, et de les compléter autant que possible, en interrogeant
lui-même, sous la foi du serment, les témoins oculaires. Il était
déjà bien tard, car ces témoins restaient en petit nombre pour
les martyrs de la première époque, et la plupart des relations
écrites avaient disparu dans les diverses persécutions. On verra
dans le cours de cette histoire, au prix de quelles peines
Mgr Daveluy parvint à accomplir sa tâche.
Je dois faire remarquer qu'il y a quelquefois des différences
pour l'orthographe des noms propres de lieux ou de personnes,
dans les lettres de diverses époques ou de divers missionnaires.
Certaines lettres coréennes n'ont pas d^équivalent dans notre
alphabet, et, en Corée comme ailleurs, la prononciation varie
suivant les provinces; chacun a reproduit de son mieux les sons
tels qu'il les entendait. J'ai cru devoir respecter ces différences
d'orthographe, jusqu'à ce qu'une règle générale de transcription
ail été arrèiée par les missionnaires. Au reste, ce petit incon-
vénient est commun, on le sait, à tous les livres d'histoire et de
géographie qui parlent de Textrême Orient. Il est même moindre
id qae dans d'autres livres, parce que tous les missionnaires
étaient français, habitués, par conséquent, k donner une valeur
identique aux mêmes lettres de Talphabet.
Une objection que Ton fera peut-être, et que je me suis
&ite moi-même plus d'une fois, c'est la monotonie de certains
récits de persécution : toujours les mêmes interrogatoires, les
mêmes questions, les mêmes réponses, les mêmes supplices:
toojonrs d'un côté la même lâcheté dans la force et le mensonge,
et, CD face, le même courage dans la faiblesse et la vérité. Mais
cet inconvénient, si c'en est un, est inévitable dans une histoire
comme celle-ci. Les pages d'un martyrologe sont nécessaire-
ment monotones comme des bulletins de victoire, et bien des
chapitres de ce livre ne sont qu'un martyrologe. Puisque ni les
bourreaux ne se sont lassés de torturer, ni les chrétiens de mou-
rir, ni Dieu de donner à ses martyrs la force et la persévérance,
pourquoi me serais-je lassé de raconter leurs triomphes? Pour-
quoi laisser dans un oubli volontaire parmi les hommes, ceux
qui sont maintenant les élus de Dieu, et dont un grand nombre
seront un jour, il faut l'espérer, placés sur nos autels?
D'ailleurs, une raison toute spéciale et d'une importance sou-
veraine me défendait de supprimer ou de trop abréger les actes
des martyrs. Il n'y aura pas d'autre histoire de ces témoins de
Jésus-Christ , puisqu'il n'y a pas d'autres documents. Or les
originaux chinois et coréens recueillis par Mgr Daveluy ont péri
dans un incendie, en 1863 ; les copies de ces relations qui se
trouvaient dans diverses chrétientés indigènes ont été détruites
pendant la dernière persécution ; les traductions envoyées en
Europe, ainsi que la correspondance des missionnaires, n'exis-
tent que dans les archives du séminaire des Missions-Étrangères,
et, si un accident les faisait disparaître, l'histoire des origines
de l'Église de Corée serait irrémédiablement perdue. 11 fallait
donc assurer la connaissance de ces faits qui appartiennent à
l'histoire générale de l'Église catholique ; il fallait surtout con-
server, pour les chrétiens de Corée, ces glorieux récils de la foi
et des souffrances de leurs pères, indiquer autant que possible
le nom, la famille, l'histoire particulière de chacun des martyrs,
afin que ces noms, ces faits, ces détails puissent être connus un
jour de leurs descendants, dont ils seront le plus beau titre de
noblesse.
Dans le cours de Touvrage, j'ai, le plus souvent, cité les lettr^^
des missionnaires au lieu de les analyser. Il en résulte quelque"
fois des longueurs, des répétitions, mais ces légers inconvénieo i'^
m'ont semblé plus que contrebalancés par l'intérêt qui s'attacha
à ces lettres elles-mêmes. La plupart de ceux qui les ont écrite^
ont, quelque temps après, scellé la foi de leur sang, et les lecteur^
chrétiens aimeront à entendre les martyrs raconter leur propre
histoire, ou celle d'autres martyrs.
Je ne me fais pas illusion sur les nombreuses fautes de style«
d'arrangement, etc., qui se rencontrent dans ce livre. Il est
impossible qu'un missionnaire passe sa vie à catéchiser des idolâ-
tres, sans oublier plus ou moins sa langue maternelle, et je prie
le lecteur de ne pas se montrer trop sévère pour les incorrections
inévitables en pareil cas. Forcément éloigné de ma mission par
une longue et terrible maladie, j'ai fait de mon mieux pour
remplir la tâche que l'obéissance m'a imposée : tâche trop lourde
pour mes facultés affaiblies, mais tâche bien agréable, puisqu'elle
m'a fait vivre plusieurs années dans la société intime des martyrs
et des confesseurs dont j'écrivais l'histoire.
Puissent ces pages contribuer à l'exaltation de la Sainte Église
catholique, en faisant connaître quelques>uns des prodiges de
grâce que Dieu se plait à opérer, en elle et par elle, aux extré-
mités du monde !
Puissent-elles inspirer aux fidèles le désir de prier avec plus
de persévérance et de ferveur pour la conversion de tous les
peuples, et spécialement pour la mission de Corée, afin que Dieu
daigne abréger ses longues épreuves !
Puissent-elles surtout susciter quelques vocations à l'apostolat
des infidèles! Puissent les paroles et les exemples de ces glorieux
confesseurs de Jésus-Christ remuer le cœur des jeunes élèves du
sanctuaire, afin qu'animés d'une sainte émulation, quelques-uns
au moins s'écrient : « Et moi aussi, je serai missionnaire! c'est
pour moi un devoir, c'est une nécessité ; malheur à moi si je ne
vais prêcher l'Évangile! » Nécessitas enim mihi incumbit^ vœ
enim mihi est si non evangelizavero ! ( I Cor. ix, 16.)
fflSTOIRE DE L'ÉGLISE DE CORÉE ,
^1 A Xolre cher Fils Charles Dallet^ missionnaire apostolique de
la Société des Missions-Étrangères , Paris.
PIE IX, PAPE.
Cher Fils, Salut et BénédictioD Apostolique.
Combien les missionnaires catholiques ont mérité, non-scule-
oeotde la religion, mais aussi de la géographie, de Thistoire,
de la science, est chose connue de tous ceux qui ont parcouru
leurs écrits. Vous avez dignement marché sur leurs traces. Cher
Fils, par cette histoire jusqu'à présent ignorée de la Péninsule
coréenne que vous venez de rédiger en deux volumes. Tout ce
qaeles monuments des nations voisines ont pu faire connaître
surce peuple qui n'a pas d*histoire propre, tout ce que de longues
recherches et dlntelligentes observations ont pu révéler au sujet
de son pays, de ses mœurs, de sa religion, de sa langue, de son
commerce, vous Tavez recueilli et mis en ordre, faisant ainsi à
h science un présent d'autant plus précieux qu'il s'agit d'une
contrée impénétrable aux étrangers.
Évidemment, la charité de Jésus-Christ a seule pu acquérir et
répandre la connaissance de tant de choses ignorées, puisque
seule elle a pu allumer dans le cœur des missionnaires ce zèle
brûlani du salut des âmes qui les a poussés h affronter joyeuse-
ment toutes les fatigues, au péril certain de leur vie, afin de
porter la lumière de TËvangilc aux nations assises h l'ombre de
la mort. Et cette œuvre d'évangélisation, avec quel zèle, quelle
constance, quel succès ils Font accomplie ! On le voit par toute
la série des faits que vous avez racontés ; on le voit par celte
persécution atroce dont les chrétiens sont depuis un siècle les
Tictiraes, et dont les écrits publics ont souvent dépVovè Y^se^çlfe's»-,
,0D le voit surtout par ces légions de martyrs qui, avec un
admirable courage, ont confessé, dans les épreuves et les tortures,
la foi qu'on leur avait inspirée, et Tout enfin scellée de leur
sang.
C'est pourquoi Nous vous félicitons d*avoir rédigé cette
histoire, si glorieuse pour rÉglise, si propre à encourager au
milieu de tant de périls les chrétiens du monde entier, si utile à
la science elle-même. Nous en acceptons les volumes avec
reconnaissance, et Nous augurons que ce livre excitera enfin
les cœurs ennemis de notre très-sainte religion à admirer tant
de force et tant de vertu.
Recevez, Cher Fils, en témoignage de Notre paternelle bien-
veillance, et comme gage de la faveur divine, la Bénédiction
Apostolique, que Nous vous accordons bien affectueusement.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le vingt-septième jour de
septembre de Tan 1875, trentième année de Notre pontificat.
PIE IX, Pape.
Dilecto FUio Carolo Ballet^ missionario apostolico e Societate
Missionum Exterarum^ Lutetiam Parisiorum,
Plus PP. IX.
Dilecte Fili,SalutemetÂpostolicam Benedictionem. Quam bene
meruerint Hissionarii catholici non de religione tantum, sed et
de geographia, de historia, de scientia compertum est omnibus,
qui scripta eorum evolverint. Eorum vestigia tu egregie calcasti,
Dilecte Fili, per incomperlam hactenus historiam Ghoreanaa pc-
ninsulae, quam duobus voluminibus es complexus. Quidquid
enim crui potuit e monumentis proximarum nationum quoad
populum propria carentem bistoria, quidquid diligentes diutur-
nœque disauisitiories et observationes regionis, morum, reli-
gionis, linguae, commercii suppeditare potuerunt, digesta exhi-
buisti scientiae, eo pretiosiore ipsius lucro, quod de populo agatur
;)lienigenis incrustabili.
Profecto sola Ghristi caritas tôt îgnotarum rerum notitiam
comparare potuit et vulgare, cum îpsa dumtaxat ingerere po-
taerit Hissionariis incensum illud salutis animarum studium,
qno compulsi subirent alacriter labores omnes certumque vitae
discrimen, ut evangelii lucem afferrent sedentibus in umbra
mortis. Id autem qua industria, qua constantia, quo fructu illi
perfecerint testatur universa a te descripta factorum séries,
testatur saecularis et acerbissima christianorum insectatio sœpe
pablicis deplorata scriptis, testantur agmina martyrum, qui fidem
sibi inditam fortissima aerumnarum et tormentorum passione,
suoque demum sanguine propugnarunt et conGrmarunt.
Historiam banc igitur adeo gloriosam Ecclesiae, adeo accom-
modatam erigendis ubique tôt inter pericula fidelibus, adeo nti-
lem ipsi scientias te contexuisse gratulamur; et dum grato exci-
pimus anime ejus volumina, iis ominamur, ut animos religioni
oostrae sanctissimae infensos tandem excitent ad tantae virtutis et
fortitudinis admirationem. Intérim excipe, Dilecte Fili , paternae
benevolentias Nostrs pignus Âpostolicam Benedictionem, quam
diWni favoris auspicem tibi peramanter impertimus*
Datam Romae apud Sanctum Petrum die 27* Septembris Ânno
ms.
Pontxficatus Nostri Anno Tricesimo.
Plus PP. IX.
/
r"^ ■
INTRODUCTION
SUR
lliiftoire, les instttntions, la langrae, les mœurs
et ooQtnmes coréennes.
Géographie physique de la Corée. — Sol. — Climat. — Productions. —
Population.
Le royaume de Corée, au nord-est de TAsie, se compose d'une
N^ttqi'lle de forme oblongue, el d'un nombre d'îles très-consi-
léraMe, surtout le long de la côte ouest. L'ensemble est compris
«tue 83*» 15' et 4î*> 25' de latitude nord ; 122<> 15' et 128« 30'
le loDgitude est de Paris. Les habitants de la presqu'île lui assi-
(Deat une longueur approximative de 3,000 lys (1) , environ
kOOHeues, et une largeur de 1,300 lys, ou 130 lieues; mais ces
Aiffires sont évidemment exagérés. La Corée est bornée au nord
(MUT la chaîne des montagnes Chan-yan-alin, que domine le Paik-
tOQ-san (montagne à la tête blanche), et par les deux grands
leuves qui prennent leur source dans les flancs opposés de cette
diaÎDe. Le Ya-lou-kiang (en coréen Am-no-kang, fleuve du ca-
ttrd vert) coule vert l'ouest et se jette dans la mer Jaune ; il
ferme la frontière naturelle entre la Corée et les pays chinois du
léao-tong et de la Mandchou rie. Le Mi-kiang (en coréen Tou-
man-kang) qui va se jeter à l'est dans la mer du Japon, sépare
h Corée de la Mandchourie et des nouveaux territoires russes.
(1) Le ly est de 360 pas géométriques, — 587 mètres. Dix lys équivalent à
^ lieue marine ou géographique de vingt au degré.
T. I. — L'ÉGLISC de CORÉE. a
II INTRODUCTION.
cédés par la Chine en novembre 1860. — Les autres limites
sont : k Touest et au sud-ouest, la mer Jaune; à Test, la mer du
Japon ; et au sud-est, le détroit de Corée, d'une largeur moyenne
de vingt-<îinq lieues, qui sépare la presqu'île coréenne des Iles
Japonaises.
Le nom de Corée vient du mot chinois Kao-li, que les Coréens
prononcent Kô-rie et les Japonais Kô-raï. C'était le nom du
royaume sous la dynastie précédente; mais la dynastie actuelle,
qui date de Tannée im-sin, 1393 de notre ère, changea ce nom
et adopta la dénomination de Tsio-sien (Tchao-sien), qui est
aujourd'hui le nom officiel du pays. La signification même du
mot Tsio-sien, sérénité du matin, montre que ce nom vient des
Chinois, pour qui la Corée est, en eiïet, le pays du matin. Quel-
quefois aussi, dans les livres chinois, la Corée est désignée par
le mot Tong-koué, royaume de TOrient. Les Tartares Mandchous
la nomment Sol-ho.
Cette contrée, inconnue en Europe avant le xvi** siècle, figure
comme une fie dans les premières cartes hollandaises. Vers la
fin du xvii*" siècle, l'empereur chinois Kang-hi essaya vainement
d'obtenir du roi de Corée les documents géographiques nécessai-
res pour compléter la grande carte de l'empire, h laquelle travail-
laient alors les missionnaires de Péking. Ses ambassadeurs furent
reçus avec la pompe voulue ; on leur prodigua les protestations
et les offres de services, mais ils ne rapportèrent en réalité qu'un
plan très-incomplet qu'ils avaient vu dans le palais du roi, à
Séoul. Ce fut d après celte carte, et les données nécessairement
imparfaites des livres chinois, que le P. Régis et ses collègues
tracèrent la description de la Corée que l'on trouve dans 1 allas
de Duhalde , et que les livres postérieurs se sont contentés
d'abréger ou de reproduire.
En 1845, le vénérable martyr André Kim, prêtre coréen,
copia lui-même une carte, sur les plans otTiciels conservés dans
les archives du gouvernement à Séoul. Celle que nous donnons
en tête de cet ouvrage a été dressée, pour le littoral, d'après les
cartes du dépôt de la marine, et pour l'intérieur du pays, d'après
une carte indigène assez récente, traduite par Mgr Ridel, vicaire
apostolique de Corée.
. La Corée est un pays de montagnes. Une grande chaîne,
partant des Chan-yan-alin dans la Mandchourie, se dirige du
nord au sud, en suivant le rivage de Test dont elle détermine les
contours, et les ramifications de celle chaîne couvrent le pays
presque tout entier. « En quelque lieu que vous posiez le pied.
INTRODUCnON. 111
écrivait an missionnaire, voas ne voyez que des montagnes.
Presque partout, vous semblez être emprisonné entre les rochers,
resserré entre les flancs de collines, tantôt nues, tantôt couvertes
de pins sauvages, tantôt embarrassées de broussailles ou cou-
ronnées de forêts. Tout d'abord, vous n'apercevez aucune issue;
nais cherchez bien, et vous finirez par découvrir les traces de
quelque étroit sentier, qui, après une marche plus ou moins
longoe et toujours pénible, vous conduira sur un sommet d'où
tons découvrirez l'horizon le plus accidenté. Vous avez quelque-
fois, du haut d'un navire, contemplé la mer, alors qu'une forte
brise soulève les flots en une infinité de petits monticules aux
formes variées. C'est en petit le spectacle qui s'offre ici à vos
regards. Vous apercevez dans toutes les directions des milliers
de pics aux pointes aiguës, d'énormes cônes arrondis, des rochers
inaccessibles, et plus loin, aux limites de l'horizon, d'autres
montagnes plus hautes encore, et c'est ainsi dans presque tout
le pays. La seule exception est un district qui s'avance dans la
mer de l'Ouest, et se nomme la plaine du Naî-po. Mais par ce
mol de plaine, n'allez pas entendre une surface unie et étendue
eomme nos belles plaines de France, c'est simplement un endroit
oi les montagnes sont beaucoup moins hautes, et beaucoup plus
espacées que dans le reste du royaume. Les vallées plus larges
laissent un plus grand espace pour la culture du riz. Le sol, d'ail-
lears fertile, y est coupé d'un grand nombre de canaux, et ses
produits sont si abondants que le Naî-po est appelé le grenier
de la capitale. »
Les forêts sont nombreuses en Corée, mais c'est dans les pro-
Tinces septentrionales que l'on trouve les plus belles. Les bois de
coDstruaion de difTérentes espèces y abondent, les pins et sapins
surtout. Ces derniers étant les plus employés, parce qu'ils sont
très-faciles à travailler, le gouvernement veille à leur conserva-
tion, et afin que chaque village ait toujours à sa portée les arbres
nécessaires, les mandarins sont chargés d'en surveiller l'exploi-
tation, et d'empêcher qu'on n'en coupe un trop grand nombre à
la fois.
11 semble certain que les montagnes recèlent des mines abon-
dantes d'or, d'argent et de cuivre. On assure qu'en beaucoup
d'endroits, dans les provinces septentrionales surtout, il suffit de
remuer un peu la terre pour rencontrer l'or, et qu'il se trouve en
paillettes dans le sable de certaines rivières. Mais l'exploitation
des mines est défendue par la loi sous des peines si sévères, que
Ton n'ose pas le ramasser, parce qu'il serait à peu près impos-
IV INTRODUCTION.
sible de le vendre. Quelle est la véritable cause de cette prohibi
lion ? Les uns disent que cela tient au système de tout temp
suivi par le gouvernement coréen, de faire passer le pays pou
aussi petit et aussi pauvre que possible, afin de décourager Tarn
bition de ses puissants voisins. D'autres croient que Ton redout
les soulèvements et les troubles qu'amènerait infailliblement l
concentration d'un grand nombre d'ouvriers dans des pays éloi
gnés de la capitale, et oii Taction de l'autorité est presque nulle
Le complot de 1811 se forma, dit-on , dans une de ces réunions
Quoi qu'il en soit, la loi est strictement observée, et la seul
exception que l'on connaisse est la permission accordée, il y
vingt-cinq ans, d'exploiter pendant quelques mois les mine
d'argent de Sioun-heng-fou, dans la province de Kieng-sang. L
cuivre de Corée est d'une excellente qualité, mais on ne remploi
point, et c'est du Japon que vient celui qui sert dans le pays. L
minerai de fer est si commun, dans certains districts, qu'après le
gi*andes pluies il suffit de se baisser pour le ramasser. Ghacui
en fait provision à son gré.
Les silex (pierres h fusil) ne se trouvent guère que dans I
province dcHoang-baï, et encore sont-ils d'une qualité tout à fai
grossière. On fait venir de Chine ceux dont on se sert habi
tuellement.
Le climat de la Corée n'est point ce que Ton nomme un clima
tempéré. Comme dans tous les pays de l'extrême Orient, il y fai
beaucoup plus froid en hiver, et beaucoup plus chaud en été, qu<
dans les contrées européennes correspondantes. Dans le nord, \
Tou-man-kang est gelé pendant six mois de l'année, et le sud d'
la presqu'île, quoique sous la môme latitude que Malte ou l
Sicile, reste longtemps couvert de neiges épaisses. Par 35° d
latitude, les missionnaires n'ont pas vu descendre le thermomètr
au-dessous de — 15*" centigrades, mais par 37** 30' ou 38% il
ont trouvé souvent — 25°. Le printemps et l'automne sont géné-
ralement fort beaux. L'été, au contraire, est l'époque des pluie:
torrentielles qui souvent interceptent, pendant plusieurs jours
toute espèce de communications.
Dans les vallées, pour peu que le terrain soit favorable, or
plante du riz, et l'immense quantité de ruisseaux ou petites riviè-
res qui descendent des montagnes, donne la facilité de formel
les étangs nécessaires à cette culture. Jamais on ne laisse repo
séries terres ainsi arrosées; elles sont toujours en rapport. Ail
leurs, on sème du blé, du seigle ou du millet. Les instrumenta
aratoires sont aussi simples et aussi primitifs que possible. L(
INTRODUCTION* V
bœuf est seul employé à la charrae; on n'a jamais recours au
cheval, et un jour qu'un missionnaire engageait des chrétiens à
se servir de sa monture , ce fut un éclat de rire général , absolu-
ment comme si en France on proposait de labourer avec des
chiens. Du reste, le cheval ne vivrait pas en travaillant dans les
rizières, parce qu'elles sont constamment inondées. Outre le fumier
et les autres engrais animaux que Ton recueille très-soigneuse-
ment, on emploie, pour la culture, les cendres dont chaque mai-
son coréenne est ricbe, car le bois n'est pas cher, et on en con*
some prodigieusement pendant Thiver. De plus , au printemps,
quand les arbres commencent à se couvrir de feuilles, on coupe
les branches inférieures, et on les répand sur les champs où on
les laisse pourrir. Après les semailles, pour empêcher les oiseaux
démanger les grains, et pour protéger les jeunes tiges contre les
chaleurs excessives qui les dessécheraient sur pied, on recouvre
les champs d'autres branches que l'on enlève plus tard, quand la
plante est assez forte.
Le manque de chemins et de moyens de transport, dans ce
pays montagneux, empêche absolument toute grande culture.
Chacun cultive seulement le terrain qui est autour de sa maison
et à sa pprtée. Aussi les gros villages sont rares, et la population
des campagnes est disséminée en hameaux de trois ou quatre
maisons, dix à douze au plus. La récolte habituelle suffit à peine
aux besoins des habitants, et les famines sont fréquentes en
Corée. Pour la classe la plus pauvre de la population, on peut
dire qu'elles sont périodiques k deux époques de l'année : d'abord
ao printemps, quand on attend la récolte du seigle qui se fait
eo juin ou juillet, puis avant la récolte du millet, en septembre
oo octobre. L'argent ne se prêtant qu'à un taux très-élevé, les
malheureux dont les petites provisions sont épuisées ne peuvent
aller acheter du riz ou d'autres grains, et n'ont pour vivre que
qoelques herbes cuites dans l'eau salée.
Outre le riz, le blé, le seigle et le millet, les principales pro-
doctions du pays sont : des légumes de toute espèce mais très>
bdes, le coton, le tabac, et diverses plantes fibreuses propres h
confectionner de la toile. Le tabac a été introduit en Corée par
les Japonais, vers la fin du xvr siècle. La plante à coton vient
de Chine. 11 y a cinq cents ans, dit-on, elle était inconnue en
Corée, et les Chinois prenaient toutes les précautions possibles
pour empêcher l'exportation des graines, afin de vendre aux
Coréens des tissus de leurs fabriques. Mais un jour, un des mem-
bres de l'ambassade annuelle réussit à se procurer trois graines.
YI INTRODUCTION.
qu'il cacha dans un tuyau de plume, et dota son pays de ce pré-
cieux arbrisseau. La plante à coton périt chaque année, après la
récolte ; on la sème de nouveau au printemps, comme le blé et dans
les mêmes terrains. Quand le germe est sorti de terre, on arra-
che un grand nombre de pieds, afin que ceux qui restent soient
à la distance d'une dizaine dé pouces ; on relève un peu la terre
autour de chaque tige ; on a soin d'enlever constamment les
herbes parasites, et , en septembre, on obtient une assez belle
récolte. La pomme de terre, introduite à une époque récente,
n'est presque pas connue des Coréens. La culture en est inter-
dite par le gouvernement ; on ne sait pourquoi. [Les chrétiens
seuls en font pousser quelques-unes en cachette, afin de pouvoir
offrir des légumes européens aux missionnaires, lorsqu'ils vien-
nent visiter leurs villages.
Ce sont les chrétiens qui, les premiers en Corée, ont cultivé
les montagnes. Repoussés par la persécution dans les coins les
plus écartés, ils ont défriché pQur ne pas mourir de faim, et
Fexpérience de quelques années leur a enseigné le système de
culture le plus convenable à ce genre de terrain. Les païens,
étonnés du succès de leurs tentatives, les ont imités, et aujour-
d'hui beaucoup de montagnes sont cultivées. Le tab^ç est la
principale récolte de ces lieux élevés ; le millet y réussit assez
bien, ainsi que le chanvre et certaines espèces de légumes,
mais le coton n'a pu encore y être acclimaté. Ce genre de cul-
ture qui demande beaucoup plus de travail que celui de la
plaine, offre en échange de grands avantages aux laboureurs
pauvres. Les impôts sont moins élevés ; le bois, l'herbe, les fruits
sauvages, sont en abondance sous la main. Le gros navet, dont
il se fait une consommation considérable, vient très-bien au mi-
lieu des plantations de tabac et fournit une ressource précieuse.
Malheureusement, la terre s'épuise assez vite, et tandis que dans
les vallées on ne voit jamais de champs en jachère, il faut, sur
les montagnes, après quelque temps, laisser reposer le terrain
pendant plusieurs années; encore ne retrouve-t-il presque jamais
la même force productive qu'il avait après le premier défriche-
ment.
Les fruits sont abondants en Corée ; on y retrouve presque
tous ceux de France, mais quelle différence pour le goût ! Sous
l'influence des pluies continuelles de Tété, pommes, poires,
prunes, fraises, mûres, raisins, melons, etc., tout est insipide
et aqueux. Les raisins ont un suc désagréable ; les framboises
ont moins de saveur que les mûres sauvages de nos haies ; les
INTRODUCTION. VII
fraises, très-belles à la vue, sont immangeables ; les péehes ne
sont que des avortons véreux, etc. On mange beaucoup de corni-
chons et de pastèques ou melons d'eau, qui sont peut-être le seul
fruit passable que produise le pays. Quelques missionnaires font
une autre exception en faveur du fruit du loius diospyros^ que
ron désigne en France par son nom Japonais : kaki (le nom
eoréen est kam). Pour la couleur, la forme et la consistance, ce
fruit ressemble assez à une tomate mûre. Le goût rappelle celui
de la nèfle, mais lui est bien supérieur.
Les fleurs sont très-nombreuses. Pendant la saison , les
diamps sont émaillés de primevères de Chine, de lis de diffé-
rentes espèces, de pivoines et d'autres espèces inconnues en
Earope. Mais, à part l'églantine, dont le feuillage est Irès-
élégant, et le muguet qui ressemble à celui d'Europe, toutes ces
leurs sont inodores, ou d'un parfum désagréable.
On cultive aussi le gen-seng, mais il est extrêmement infé-
rieur en qualité au gen-seng sauvage de la Tartarie. Cette
plante fameuse est, au dire des habitants de l'extrême Orient,
le premier tonique de l'univers. Ses effets sont bien supérieurs à
ceux du quinquina. D'après les Chinois, le meilleur gen-seng est
le plus vieux ; il doit être sauvage, et dans ce cas il se vend au
prix exorbitant de 50,000 francs la livre. La racine seule est
eu usage, on la coupe en morceaux que l'on fait infuser dans
du vin blanc pendant un mois au moins. On prend ce vin à très-
petites doses. Il n'est pas rare de voir des malades a l'article
delà mort, qui, au moyen de ce remède, parviennent à prolonger
leur vie de quelques jours. Le gen-seng cultivé abonde dans
les diverses provinces de Corée. On le joint à d'autres drogues
pour fortifier le malade, mais on ne l'emploie presque jamais
!ieul. Depuis quelques années, son prix a doublé, à cause de la
quantité considérable que l'on fait passer en Chine par contre-
Ikande, car les habitants du Céleste-Empire en font encore plus
gmd usage que les Coréens. — Le gen-seng, essayé à diverses
reprises parles Européens, leur a, dit-on, causé le plus souvent
des maladies inflammatoires très-graves ; peut-être en avaient-ils
pris de trop fortes doses; peut-être aussi faut-il attribuer cet
insuccès à la différence des tempéraments et de l'alimentation
habituelle.
Les animaux sauvages, tigres, ours, sangliers, sont très-nom-
breux en Corée, les tigres surtout, qui, chaque année, font beau-
coup de victimes. Ils sont d'une petite espèce. On ti^ouve aussi
foantité de faisans, de poules d'eau et d'autre gibier. Les ani-
VIII INTRODUCTIOIf.
maux domestiques sont géuéralement d*une race inférieure. I
chevaux quoique très-petits, sont assez vigoureux. Les bœufs se
de taille ordinaire. Il y a énormément de porcs et de chiens, m:
ces derniers sont peureux à Texcès, et ne servent guère q
comme viande de boucherie. On assure que la chair du chi
est très-délicate; quoi qu'il en soit, c'est en Corée un mets i
plus distingués. Le gouvernement défend d'élever des moutons
des chèvres ; le roi seul a ce privilège. Les moutons lui serve
pour les sacrifices des ancêtres ; les chèvres sont réservées pc
les sacrifices à Gonfucius.
Il est impossible de parler du règne animal en Corée sa
mentionner les insectes et la vermine de toute espèce, pou
puces, punaises, cancrelats, etc., qui, pendant Tété surtoi
rendent si pénible aux étrangers le séjour dans ce pays. Tous
missionnaires s'accordent à y voir une véritable plaie d'Égypi
En certaines localités, il est physiquement impossible de dorn
à rintérieur des maisons pendant les chaleurs, à cause des ca
crelats, et les habitants préfèrent coucher au grand air, malg
le voisinage des tigres. Le cancrelat ronge la superficie de
peau, et y fait une plaie plus gênante et plus longue à gué
qu'une écorchure ordinaire. Ces animaux, beaucoup plus gi
que les hannetons, se multiplient avec une rapidité prodigieux
et le proverbe coréen dit : Quand une femelle de cancrelat
fait que quatre-vingt-dix-neuf petits en une nuit, elle a per
son temps.
Le climat de la Corée est assez sain, mais Teau, insipide pa
tout, est, dans plusieurs provinces, la cause d'une foule de m
ladies. Le plus généralement, ce sont des fièvres intermittent
qui durent plusieurs années. Quelquefois, comme dans la pi
vince de Kieng-sang, Tune des plus fertiles, Teau cause d
scrofules, des accidents nerveux, Tenflure démesurée d'une d
jambes, rarement des deux à la fois. Dans certains districts
cette même province, elle produit une vieillesse prématurée; 1
dents tombent, les jambes s'affaiblissent, les ongles des doigts
décharnent et arrivent à couvrir presque toute la première ph
lange. Les Coréens nomment cette maladie southo^ c'est-à-di
mal causé par l'eau et le terrain ; en ce sens que l'eau agit do
seulement d'une manière directe comme boisson, mais aussi
rendant malsains et dangereux les fruits et légumes qui aille»
sont utiles ou au moins inoffensifs.
Certaines maladies sont en Corée de véritables fléaux, eol
autres la petite vérole. Il n'y a peut-être pas dans tout le pa
INTRODUCnON. IX
cent iDdmdus qui n'en aient été attaqués. Elle est d*une violence
extrême. Souvent, dans un district, tous les enfants en sont pris
en même temps, et ont le corps couvert de pustules ou de croûtes
dégoûtantes. L'air en est tellement infecté, qu'on ne peut, sans
danger, demeurer dans les maisons. Ceux qui échappent dans le
bas âge sont sûrs d*étre attaqués plus tard, et alors le danger est
bien plus grand. Plus de la moitié des enfants meurent de cette
mabdie, et, en certaines années, presque aucun ne survit. Un
nédedn chrétien racontait un jour à Mgr Daveluy que, quelques
semaines auparavant, sur soixante-douze enfants pour lesquels
il avait donné des remèdes, deux seulement avaient échappé à la
mort. Chaque année, à la capitale, les victimes se comptent par
milliers.
Parmi les maladies qui attaquent plus particulièrement les
adultes, il faut citer une sorte de peste ou typhus, dont les cas
sont fréquents. Si Ton ne peut provoquer la sueur, la mort est
inévitable en trois ou quatre jours. Puis, les indigestions subites
qoi étouffent le malade et causent une mort instantanée, Tépi-
lepsie qui est très-commune, le choléra, etc.
La mortalité, on le voit, est grande en Corée, et si aux causes
éoumérées ci-dessus, on joint Tabominable pratique de l'avorte-
m6nt;siroH considère que les enfants qui perdent leur mère
avant Tàge de deux ou trois ans ne peuvent guère lui survivre,
parce qu'on ne connaît aucun moyen de les nourrir, on comprend
facilement que la population n'augmente pas dans de grandes
proportions. Les missionnaires ont remarqué une fois que le
nombre total des chrétiens était resté à peu près stalionnaire
pendant dix ans, quoiqu'il y eût eu, dans l'intervalle, mille à
douze cents conversions d'adultes, ce qui indiquerait un excé-
dant sensible du nombre des morts sur celui des naissances.
Mais la situation particulière des néophytes, toujours persécutés,
presque tous réduits à la misère, ne permet pas de tirer de ce
fait une conséquence générale. Les Coréens, d*ailleurs, sont con-
vaincus que le chiffre de la population augmente et que leur
pays est de plus en plus peuplé, et certains faits semblent leur
donner raison. Ainsi, depuis quelques années, il y a peu de pro-
vinces où ne s'élèvent de nouveaux villages, peu de villages où
ne se bâtissent quelques nouvelles chaumières. Les champs et les
rizières abandonnés autrefois comme peu fertiles, sont de toutes
parts remis en culture. Sauf dans les deux provinces septentrio-
nales, les montagnes sont presque partout défrichées, et les tigres
refoulés de leurs repaires deviennent beaucoup moins nombreux.
X II^TRODUGTIOII.
Quelle est aujourd'hui la population tolale de la Corée ? il est
difficile de le savoir exactemeot. Les statistiques officielles du
gouvernement comptaient, il y a trente ans, plus de un million
sept cent mille maisons et près de sept millions et demi d'habi-
tants ; mais les listes sont faites avec tant de négligence qu'on
ne peut pas s'y fier. Il semble certain que beaucoup d'individus
ne sont pas comptés. Peut-être ne se tromperait-on guère eu
estimant à dix millions le chiffre total, ce qui donnerait ooe
moyenne de presque six individus par maison. Quelques géogra-
phes modernes supposent à la Corée quinze millions d'habitants,
mais ils ne disent point sur quoi se basent leurs conjectures
évidemment très-exagérées.
Les Coréens se rattachent au type mongol, mais ils res-
semblent beaucoup plus aux Japonais qu'aux Chinois. Ils onl
généralement le teint cuivré, le nez court et un peu épaté, te
pommettes proéminentes, la tète et la figure arrondies, les sour-
cils élevés. Leurs cheveux sont noirs ; il n'est pas rare cependan
de rencontrer des cheveux châtains, et même châtain-clair
Beaucoup d'individus n'ont point de barbe, et ceux qui en on
l'ont peu fournie. Ils sont de taille moyenne, assez vigoureux, e
résistent bien à la fatigue. Les habitants des provinces du Nord
voisines de la Tartarie, sont beaucoup plus robustes et presqui
sauvages.
II
Histoire de la Corée. — Son éiat de vasselage vis-à-vis de la Chine.
Origine des divers partis politiques.
Il est difficile, sinon impossible, de faire une histoire sérieuse
et suivie de la Corée, faute de documents. Les différentes his-
toires coréennes, écrites en langue chinoise, ne sont, au dire de
ceux qui ont pu les parcourir, que des compilations indigestes
de faits plus ou moins imaginaires, servant de texte à des
déclamations emphatiques. Les savants coréens eux-mêmes n'y
ajoutent aucune foi, et n'en font jamais un objet d'étude ; ils
se bornent à lire Thisioire de la Chine. On rencontre, il est
vrai, des abrégés d'histoire en langue coréenne, mais ce ne sont
que des recueils d'anecdotes curieuses, vraies ou fausses, arran-
gées pour l'amusement des dames, et qu'un lettré rougirait
d'ouvrir.
Ces différents recueils, d'ailleurs, n'ont trait qu'à l'histoire
ancienne du pays, car il est sévèrement défendu de faire ou
d'imprimer l'histoire moderne, c'est-à-dire celle des princes de
la dynastie acluelle. Voici comment se conservent les documents.
Certains dignitaires du palais inscrivent secrètement, et comme
ils l'entendent, tout ce qui se passe; puis on dépose ces écrits
cachetés dans quatre coffres conservés dans quatre différentes
provinces. Quand la dynastie sera éteinte, et qu'une autre lui '
aura succédé, on composera l'histoire officielle à l'aide de ces
rédactions diverses. Il est d'usage, néanmoins, dans la plupart
des grandes familles nobles, de noter sur des registres particu-
liers les principaux événements, mais avec la précaution de ne
jamais manifester ni un jugement ni une opinion sur les actes
des ministres ou même des agents subalternes ; autrement l'écri-
vain risquerait sa tète.
C'est donc principalement à l'aide des livres chinois et japo-
nais que l'on a pu réunir quelques notions un peu certaines sur
l'histoire de Corée. Au lieu de fatiguer le lecteur par d'ennuyeuses
citations et dissertations, d'ailleurs parfaitement étrangères à
XII INTRODUCTIOIf.
notre but, nous donnerons en quelques mots une analyse suc-
cincte de ce qu'il importe de savoir (1).
Les premiers missionnaires et voyageurs en Chine croyaient
que la langue coréenne n*était qu'un patois de la langue chi-
noise; ils en concluaieot Tidentité d*origine entre les deux
peuples. On sait aujourd'hui que les deux langues et les deux
peuples diffèrent, et il est certain que les Coréens sont, non pas
Chinois, mais Tartares d'origine.
On ne connaît absolument rien de Thistoire de Corée avant le
premier siècle de Tère chrétienne. Alors seulement on trouve les
traces de trois États distincts qui se partagent la péninsule : au
nord et au nord-est le royaume de Kao-li, à Touest celui de
Pet-si, au sud-est celui de Sin-la. Un chaos de guerres civiles
interminables entre ces États rivaux, des querelles sans cesse
renaissantes entre le royaume de Kao-li et la Chine d'une part,
entre le royaume de Sin-la et le Japon d'autre part, voilà l'his-
toire de Corée pendant plus de dix siècles. Ce qui semble évident,
c'est que vers la fin de cette période le royaume de Sin-la eut
une prépondérance marquée sur les deux autres. En effet, les
histoires de Corée donnent le nom de Sin-la à la dynastie qui
précéda celle de Kao-li ou Korie. Une autre preuve de cette
supériorité, c'est que l'ouest et le nord paraissent avoir presque
toujours été, de gré ou de force, sous la suzeraineté de la Chine,
tandis que le sud ou royaume de Sin-la, soutint, pendant des
siècles, la guerre contre le Japon, avec des alternatives de succès
et de revers. Les annales japonaises mentionnent une cinquan*
taine de traités successifs entre les deux peuples.
Quoi qu'il en soit, c'est vers la fin du onzième siècle, sous
Ouang-kien, c'est-à-dire Ouang le fondateur, que les trois
royaumes coréens furent définitivement réunis en un seul. Le roi
de Kao-li, appuyé par la Chine, conquit les États de Pet-si et de
Sin-la, forma une seule monarchie, et en reconnaissance du se-
cours que lui avait donné la dynastie mongole qui s'établissait
alors à Péking, reconnut officiellement la suzeraineté de l'empe-
reur. Les historiens chinois donnent de celte révolution une ver-
sion un peu différente. D'après eux, Tchéou-ouang, le dernier
empereur de la dynastie des Yn, prince cruel et débauché, avait
disgracié et envoyé en exil son neveu Kei-tsa, dont les remon-
{\) Ceux qui voudraient étudier à fond la question n'ont qu'à consulter,
entre autres ouvrages, ilrc/i/i; zur Beschreibung von /apan, par M. de Siebold.
ihtroduction. xni
traDces lui étaient désagréables. Ou-ouang ayant renversé
Tchéou-ouang et mis fin à la dynastie des Yn, rappela Kei-tsa,
le fit roi de Corée, et lui donna pour armée les débris des troupes
qui avaient servi son oncle.
Les descendants du fondateur de Tunité coréenne régnèrent
pacifiquement pendant plus de trois cents ans. Ce sont ces
princes qui, dans les livres et les traditions du pays, sont dési-
gnés sous le nom de dynastie Kaoli ou Korie.
Au xiv® siècle, la chute de la dynastie mongole en Chine en-
traîna par contre-coup celle de la dynastie vassale en Corée.
Tai-tso, que les histoires chinoises nomment Li-tan, protégé par
la dynastie Ming qui venait de supplanter les Mongols, s'empara
du pouvoir en Corée, Tan 1392, et fonda la dynastie actuelle,
dont le nom officiel est Tsi-tsien. Les nouveaux empereurs de
Chine profitèrent de cette révolution pour étendre leurs droits
de suzeraineté, et c'est alors que fut imposé aux Coréens Tusage
de la chronologie et du calendrier chinois. Tai-tso, affermi sur
le trône, quitta la ville de Siong-to ou Kai-seng, oii avaient résidé
ses prédécesseurs, et établit sa capitale à Han-iang (Séoul). 11
partagea le pays en huit provinces, et organisa tout le système
de gouvernement et d'administration qui se conserve encore
aujourd'hui.
Les premiers successeurs de Taï-tso semblent avoir acquis une
assez grande puissance, car sous le roi Siong-siong qui occupa
le trône de 4506 à 1544, on trouve mentionnée une guerre avec
le Japon, à Toccasion de la révolte de Taïma-to (île de Tsou-
sima ou Tsou-tsima\ et de quelques autres provinces japonaises
qui étaient alors tributaires delà Corée. Mais, quelques années
plus tard, le Japon prit sa revanche, et Taiko-Sama mit la Corée
à deux doigts de sa perte. En 1592, ce prince, aussi grand
guerrier qu'habile politique, envoya une armée de deux cent
mille hommes en Corée. Son plan était de frayer une voie à l'en-
vahissement de la Chine. En vain les Chinois accoururent au
secours des Coréens contre l'ennemi commun, ils furent battus
en plusieurs rencontres ; et les trois quarts de la Corée tombèrent
au pouvoir des Japonais qui, probablement, seraient demeurés
maîtres de tout le pays, si la mort de Taiko-Sama, en 1598,
n'avait forcé ses troupes a retourner au Japon en abandonnant
leur conquête. En 1615, à la chute de la famille de TaïkoSama,
le chef de la dynastie actuelle du Japon signa définitivement la
paix avec les Coréens. Les conditions en étaient très-dures et
irès-humiliantes pour ces derniers, car ils devaient payer chaque
XIV I^iTRODUCnON.
année nn tribut de trente peaux humaines. Après quelques
années, cet impôt barbare fut changé en une redevance annuelh
d'argent, de riz, de toiles, de gen-seng, etc., etc. En outre, lei
Japonais gardèrent la propriété du port de Fousan-kaî, sur U
côte sud-est de la Corée, et ils en sont encore aujourd'hui lei
maîtres. Ce point important est occupé par une colonie de troi^
ou quatre cents soldats et ouvriers, qui n'ont aucune relation ave<
rintérieur du pays, et ne peuvent faire de commerce avec le^
Coréens qu'une ou deux fois par mois, pendant quelques heures.
Fousan-kaî est sous Tautorité du prince de Tsou-tsima (1). Jus-
qu'en 1790, le roi de Corée était obligé d'envoyer une ambassad(
extraordinaire au Japon pour notifier son avènement, et une
autre tous les dix ans pour payer le tribut. Depuis cette époque,
les ambassades ne vont qu'à Tsou-tsima, ce qui demande beau-
coup moins de pompe et de dépenses.
En 1636, quand la dynastie mandchoue qui règne actuelle-
ment en Chine renversa les Ming, le roi de Corée prit part
pour ces derniers. Son pays fut aussitôt envahi par les Mand-
choux, et il ne put opposer de résistance sérieuse à l'ennemi qu
vint lui dicter des lois dans sa propre capitale. U y a encore au-
jourd'hui, près d'une des portes de Han-iang (Séoul), un temph
(1) La possession de Fousan-kaï par les Japonais est un témoignage per-
manent de la défaite des Coréens, et leur orgueil national en est vivemen
blessé. Aussi, leurs histoires ont-elles grand soin de passer sous silence les
faits dont nous venons de parler et de les remplacer par des légendes
ridicules. Voici, par exemple, comment les notes explicatives d'une carU
coréenne rendent compte de la présence des étrangers sur le sol de la Corée
a Séjour des barbares, habitants de Talma-to, à Tsieu-lieng (petite Ile i
deux ou trois lieues sud- est de Fousan-kaï).
a Lorsque Siei-tsong-tsio régnait, plusieurs barbares de Taïma-to quittèren
cette Ile et vinrent s'établir sur les côtes de Corée, dans trois petits ports
appelés ports de Pou-san, dJeum et de Tsiei, et ils ne tardèrent pas à ]
devenir nombreux. U y avait cinq ans que Tsou-tsong était roi, lorsque le
barbares de Pou-san et d'ieum excitèrent des troubles, et pendant une nui
ils détruisirent les murailles de la ville de Pou-san dont ils tuèrent aussi U
mandarin Ni Ou-tsa. Battus par les troupes de l'État, ils ne purent continuel
à vivre dans ces ports, et se retirèrent dans rintérieur du pays. Cependant
peu après, ayant d«^mandé pardon de leur faute, ils obtinrent de venir s']
établir de nouveau. Ce ne fut que pour quelque temps, car, un peu avan
l'année im-lsin (1503), ils retournèrent tous à Talnia-to leur patrie. Ei
Tannée keï-haï (1599), le roi Sieun-tsio eut des communications avec l&
barbares de Taîma-to. Il arriva qu'il les appela aux lieux qu'ils avaien
quittés sur les côtes de Corée, leur bûiit des maisons, les traita avec bien
veillance, établit à cause d'eux un marché qui avait lieu chaque cinq }oun
à partir du troisième jour de chaque mois, et même quand ils avaient une
plus grande quantité de marchandises, il permettait de tenir les marchés
plus souvent encore. »
iRtnODUCtlÔN. XV
bâti alors en Thonneur du général mandchou qui commandait
Texpédition, et le peuple lui rend des honneurs divins. Le traité
conclu en 1637, sans aggraver sérieusement les conditions réelles
da vasselage de la Corée vis-à-vis de la Chine, rendit cette sou-
mission beaucoup plus humiliante dans la forme. Le roi dut
recoDDaltre à Tempereur, non plus seulement le droit d'investi-
tore, mais Tautorité diretle sur sa personne, c'est-à-dire : la rela-
tion de mattre à sujet (koun-sin).
L'un des articles de cette convention, signée le 30 de la troi-
sième lune de tieng-tsiouk (1637-38), règle ainsi qu'il suit le
payement du tribut annuel :
« Chaque année il sera présenté : Cent onces d'or. — Mille
onces d'argent. — Dix mille sacs de riz en grain sans la balle. —
Dcnx mille pièces de soie. — Trois cents pièces de mori (espèce
de lin). — Dix mille pièces de toile ordinaire. — Quatre cents
pièces de toile de chanvre. — Cent pièces de toile de chanvre fin.
- Mille rouleaux de vingt feuilles de grand papier. — Mille rou-
leaux de petit papier. — Deux mille bons couteaux. — Mille
cornes de buffle. — Quarante nattes avec dessins. — Deux cents
lifres de bois de teinture. — Dix boisseaux de poivre. — Cent
peaux de tigres. — Cent peaux de cerfs. — Quatre cents peaux
de castors. — Deux cents peaux de rats bleus, etc., etc. — Cet
envoi commencera à l'automne de l'année kei-mio (1639). »
Le sac de riz dont il est ici question est la charge d'un bœuf,
on peu moins de deux hectolitres. Quelques années après le
traité, en 1650, l'ambassadeur coréen, dont la fille, emmenée
captive par les Mandchoux, était devenue sixième femme de
Fempereur, obtint que le tribut en riz fût diminué de neuf mille
sacs. Les autres articles du traité fixent en détail toutes les rela-
tions entre les deux pays, et sauf quelques modifications insigni-
fantes sur des points de détail, c'est ce traité qui jusqu'à pré-
sent est la loi internationale.
Une ambassade coréenne va chaque année à Péking payer le
tribut et recevoir le calendrier. Cette dernière clause est, dans
ridée de ces peuples, d'une importance capitale. En Chine, la
fixation du calendrier est un droit impérial, exclusivement réservé
i la personne du Fils du Ciel. Différents tribunaux d'astronomes
et de mathématiciens sont chargés de le préparer, et, chaque
année, l'empereur le promulgue par un édit, muni du grand
sceau de l'État, défendant sous peine de mort d'en suivre ou
d'en publier un autre. Les grands dignitaires de l'empire vont le
recevoir solennellement au palais de Péking; les mandarins et
XVI INTRODUCTION.
employés subalternes le reçoivent des gouverneurs ou vice-rois
Recevoir ce calendrier, c'est se déclarer sujet et tributaire di
Tempereur: le refuser, c'est se mettre en insurrection ouverte
Jamais les rois de Corée n'ont osé, depuis le traité, se passer di
calendrier impérial ; mais pour sauvegarder leur autorité vis-à-vi:
de leurs propres sujets, et se donner un certain air d'indépen-
dance, ils affectent d'y faire quelques changements, plaçant les
longues lunaisons (celles de trente jours) à des intervalles diffé-
rents, avançant ou retardant les mois intercalaires, etc., de sorti
que les Coréens, pour connaître les dates civiles et Tépoque dei
fêtes officielles, sont forcés d'attendre la publication de leui
propre calendrier.
De plus, chaque nouveau roi de Corée doit, par une ambas-
sade expresse, demander l'investiture à l'empereur; il doii
rendre compte de tout ce qui concerne sa famille, et des princi-
paux événements qui surviennent dans son royaume. La plupart
des ambassadeurs chinois étant, dans la hiérarchie impériale,
d'un grade supérieur au roi de Corée, celui-ci doit aller hors d(
sa capitale pour les recevoir et leur offrir ses humbles salutations,
et il doit pour cela prendre une autre porte que celle par oi
l'ambassadeur fait son entrée. Celui-ci, pendant son séjour, n(
sort point du palais qui lui est destiné, et tout ce qui paraît
chaque jour sur sa table, vaisselle, argenterie, etc., devient si
propriété, ce qui occasionne au gouvernement coréen d'énormei
dépenses. Il paraît aussi que les ambassadeurs coréens n'ont pas
le droit de passer par la porte de Pienmen, première ville chi-
noise sur la frontière, et qu'ils sont obligés de faire un détour.
La couleur impériale est interdite au roi de Corée ; il ne peutpai
porter une couronne semblable à celle de l'empereur; tous lei
actes civils doivent se dater des années de l'empereur; et quant
quelque chose de grave arrive à Péking, le roi doit envoyer pai
une ambassade extraordinaire, ses félicitations ou ses condo-
léances, selon les cas. Le traité porte aussi que le gouvememen;
coréen n'a pas le droit de battre monnaie, mais cet article n'es
plus observé.
On trouve dans Duhalde un exemple curieux des rapporu
officiels entre les deux cours : c'est le placet présenté à Tempe-
reuç Kang-hi, en 1694, par un des princes de la dynastie Ni
II est conçu en ces termes :
a Le royaume de Tchao-sien présente ce placet, dans la vu(
de mettre l'ordre dans sa famille, et pour faire entendre les désin
du peuple.
INTRODUCTION. XTII
« Moi, votre sujet, je sois un homme dont la destinée est peu
fortunée : j'ai été longtemps sans avoir de successeur ; enfin j'ai
eu on enfant mâle d'une concubine. Sa naissance m'a causé une
joie incroyable : j'ai pris aussitôt pour reine la mère qui l'avait
engendré; mais j'ai fait en cela une faute, qui est la source de
plusieurs soupçons. J'obligeai la reine Min-chi, mon épouse, à
se retirer dans une maison particulière, et je fis ma seconde
femme, Tchang-chi, reine en sa place. J'informai alors en détail
Votre Majesté de cette affaire. Maintenant je fais réflexion que
Min-chi a reçu les patentes de création de Votre Majesté, qu'elle
agOQTemé ma maison, qu'elle m'a aidé aux sacrifices, qu'elle
a servi la reine ma bisaïeule et la reine ma mère ; qu'elle a
porté le deuil de trois ans avec moi. Suivant les lois de la
nature et de l'équité, je devais la traiter avec honneur ; mais je
me sois laissé emporter à mon imprudence. Après que la chose
fat faite, j'en eus un extrême regret. Maintenant pour me confor-
mer aux désirs des peuples de mon royaume, j'ai dessein de
rendre à Min-chi la dignité de reine, et de remettre Tchang-chi
aa rang de concubine. Par ce moyen, le gouvernement de la
famille sera dans l'ordre, et le fondement des bonnes mœurs et
delà conversion de tout un État, sera rectifié.
c Moi, votre sujet, quoique je déshonore par mon ignorance
et ma stupidité le titpe que j'ai hérité de mes ancêtres , il y a
pourtant vingt ans que je sers Votre Majesté suprême, et je dois
tout ce que je suis à ses bienfaits, qui me couvrent et me protè-
gent comme le Ciel. Il n'y a aucune affaire domestique ou
publique, de quelque nature qu'elle soit, que j'ose lui cacher. C'est
ce qui me donne la hardiesse d'importuner deux et trois fois Votre
Majesté sur cette affaire. A la vérité je suis honteux de passer
linsi les bornes du devoir ; mais comme c'est une affaire qui
louche l'ordre qui doit se garder dans la famille, et qu'il
s'agit de faire entendre les désirs du peuple, la raison veut
qne je le fasse savoir avec respect à Votre Majesté. »
L'empereur répondit à ce placet par l'édit suivant :
c Que la cour à qui il appartient, délibère et m'avertisse. »
La cour dont il est question est celle des rites. Elle jugea
qu'on devait accorder au roi sa demande, ce qui fut ratifié par
Tempereur. On envoya des officiers de Sa Majesté pour porter à
ia reine de nouvelles lettres de création, des habits magnifiques,
et tout ce qu'il fallait pour remplir les formalités accoutumées.
L'année suivante le roi envoya un autre placet à Kang-hi. L'em-
pereur l'ayant lu, porta cet édit :
T. I. — L'ÉGUSE DB CORÉE. b
XVIII IHTROUUCTION.
« J*ai vu le compliment du roi : je le sais. Que la cour à qui
il appartient le sache : les termes de ce placet ne sont pas conve-
nables ; on y manque au respect. J'ordonne qu'on examine et
qu'on m'avertisse. »
Sur cet ordre, le li-pou ou cour des rites condamna le roi de
Corée à une amende de dix mille onces chinoises d'argent, et à
être privé pendant trois ans des présents que lui fait l'empereur
en échange du tribut annuel (1).
Les pièces que Ton vient de lire, et d'autres analogues que
l'on verra dans cette histoire, montrent. que la suzeraineté de la
Chine sur la Corée est très-réelle. On comprend que suivant les
circonstances, suivant le caractère respectif des souverains de
chaque pays, les liens de subordination sont plus ou moins res-
serrés ou relâchés, mais ils existent toujours.
Au reste, les empereurs chinois, en habiles politiques, ména-
gent les ressources et les susceptibilités du gouvernement coréen.
Ils reçoivent les tributs mentionnés plus haut, mais ils font en
échange des présents annuels aux ambassadeurs coréens et aux
gens de leur suite ; ils envoient à chaque nouveau roi un man-
teau royal et des ornements de prix. De même, ils ont le droit
de demander à la Corée des subventions en vivres, munitions et
soldats, mais ils n'en usent presque jamais, et surtout, quoiqu'ils
le puissent à la rigueur d'après la lettre des traités, ils ne se
mêlent en rien de l'administration intérieure du royaume. La
dynastie des Ouang (mongole) intervint autrefois à diverses repri-
ses, pour faire ou défaire les rois de Corée, et à cause de cela
son souvenir est exécré dans le pays. Les Ming, plus sages, trai-
tèrent les Coréens en alliés, plutôt qu'en vassaux; ils envoyèrent
une armée au secours du roi de Corée lors de la grande invasion
japonaise, et aujourd'hui encore TafTection et la reconnaissance
du peuple coréen leur est acquise, à ce point que Ton conserve
précieusement divers usages contemporains de cette dynastie,
quoiqu'ils aient été abolis en Chine par les empereurs mand*
choux. Ces derniers ne sont pas aimés en Corée, et sur les regis-
tres des particuliers, on ne date point les événements des années
de leur règne. Néanmoins, leur joug n'est pas très-lourd, et la
pensée de le secouer ne vient à la tête de personne.
On croit généralement en Corée, qu'un des articles du traité
de 1637 prévoit le cas où les Mandchoux, perdant la Chine,
(1) Duhaldo, Description de rem pire de la Chine, i. IIÏ.
INTRODUCnOIf. XIX
seraient forcés de se retirer dans lenr propre pays. La Corée devrait
alors, dit-on, leur fournir trois mille bœufs, trois mille chevaux,
leur payer une somme énorme en argent, et enfin leur envoyer
trois mille jeunes filles de choix. On prétend que, s'il y a tou-
jours en Corée tant de filles esclaves des diverses préfectures,
c'est pour que le gouvernement puisse, au besoin, accomplir cette
clause du traité. Mais les missionnaires n*ont jamais pu découvrir
de document officiel à ce sujet.
Depuis 1636, la Corée n'a eu de guerres ni avec le Japon, ni
avec la Chine. Ce peuple a eu le bon sens de ne point renouveler
des luttes trop inégales, et afin de ne point tenter l'ambition de
ses puissants voisins, il a toujours affecté de se faire aussi
petit que possible, et de mettre toujours en avant sa faiblesse et
h pauvreté du pays et du peuple. De là, la défense d'exploiter les
mines d'or et d'argent, les lois somptuaires fréquemment renou-
velées, qui maintiennent dans d'étroites limites le luxe et le
bste des grands. De là aussi, l'interdiction à peu près absolue de
communiquer avec les étrangers. Par ce moyen la paix s'est
conservée, et l'histoire des derniers siècles ne nous offre d'autres
événements que des intfigues de palais, qui, une ou deux fois,
réassirent à remplacer un roi par quelqu'autre prince de la même
âmille, et le plus souvent n'aboutirent qu'à l'exécution capitale
des conspirateurs et de leurs complices vrais ou supposés. Du
reste, pas un changement, pas une amélioration sérieuse. Ce que
oous appelons vie politique, progrès, révolutions, n'existe pas
eo Cor^. Le peuple n'est rien, ne se mêle de rien. Les nobles,
qui seuls ont en main le pouvoir, ne s'occupent du peuple que
pour le pressurer et en tirer le plus d'argent possible. Ils sont
eax-mèmes divisés en plusieurs partis qui se poursuivent réci-
proquement avec une haine acharnée, mais leurs divisions n'ont
Dollement pour cause ou pour mot d'ordre des principes diffé-
rents de politique et d'administration ; ils ne se disputent que les
dignités, et l'influence dans les affaires. Depuis bientôt trois
siècles l'histoire de Corée n'est que le récit monotone de leurs
lottes sanglantes et stériles.
Voici, d'après quelques documents coréens et les traditions
tniversellement répandues dans le pays, l'origine de ces diffé-
rents partis.
Sous le règne du Sieng-tsong (1567 à 1592), une dispute s'é-
leva entre deux nobles des plus puissants du royaume, à l'occa-
^on d'une grande dignité confiée à l'un d'eux, et à laquelle
Tautre prétendait avoir des droits. Les familles, les amis et
XX INTRODUCTION.
dépendants des deux compétileurs prirent pari à la querelle ; le
roi, par pradence, ménagea les uns et les autres , et ils restèrent
divisés sous les noms de Tong-in (orientaux) et Sié-in (occiden-
taux). Quelques années plus tard, une cause aussi futile amena la
formation de deux autres partis, que Ton appela Nam-in (méri-
dionaux) et Pouk-in (septentrionaux). Bientôt les orientaux se
joignirent aux méridionaux et ne formèrent qu*un seul parti
sous le nom de ces derniers : Nam-in. Les septentrionaux très-
nombreux se divisèrent d'abord entre eux, et formèrent les Tai-
pouk et Sio-pouk, c'est-à-dire grands et petits septentrionaux. Les
Tai-pouk s'étant mêlés à des conspirations contre le roi furent
presque tous mis à mort, et ce qui restait ne tarda pas à se rénoir
auxSio-pouk, de sorte qu'àFavénementde Siouk-tsong, en 1674,
il restait trois partis bien marqués , savoir les Sié-in (occiden-
taux), les Nam-in (méridionaux), et les Sio-pouk (petits septen-
trionaux).
Pendant le règne de Siouk-tsong, un incident ridicule amena
de nouveaux changements. Un jeune noble Sié-in, nommé loun,
avait pour précepteur un lettré de grande réputation appelé
0-nam. Le père de loun étant mort, celui-ci prépara une épitapbe,
mais le précepteur en proposa une autre. On ne put se mettre
d'accord ; chaque rédaction eut ses partisans, et on s'échauffa si
bien que le parti Sié-in fut scindé en deux nouveaux partis,
celui de loun sous le nom de Sio-ron, celui de 0-nam sous celui
de No-ron.
Telle est l'origine des quatre partis qui, de nos jours encore,
existent en Corée. Tous les nobles appartiennent nécessairement
à l'une de ces factions, dont l'unique souci est de s'emparer des
dignités et d'en fermer l'accès à leurs ennemis. De là, des dis-
cordes continuelles, des luttes qui le plus souvent se terminent
par la mort des principaux chefs du parti vaincu ; non point que
l'on ait ordinairement recours aux armes où à l'assassinat, mais
ceux qui parviennent à supplanter leurs rivaux forcent le roi à
les condamner à mort, ou tout au moins à l'exil perpétuel. Dans
les temps de calme, le parti dominant, tout en gardant pour lui-
même avec une précaution jalouse les positions influentes, laisse
partager les charges et emplois ordinaires aux nobles de l'autre
parti, afin d'éviter une opposition trop violente; mais on ne se
rapproche jamais, et le gouvernement tolère que les membres
de factions opposées ne se parlent point, même quand l'accom-
plissement de leurs fonctions administratives semble l'exiger.
Ces haines sont héréditaires ; le père les transmet à son fils, et
INTRODUGTIOIf. XXl
Ton n'a pas d'exemple qu'une famille ou un individu ait changé
de parti, surtout entre les Nam-in et les No-ron, qui ont toujours
été les plus nombreux, les plus puissants et les plus acharnés.
On n'a jamais non plus entendu parler de mariages entre les fa-
milles de camps opposés. Le noble qui par l'intrigue d'un ennemi
perd sa dignité ou sa vie, laisse à ses descendants le soin de sa
vengeance. Souvent il leur en remet un gage extérieur; par
exemple, il donnera à son fils un habit avec ordre de ne point le
dépouiller avant de l'avoir vengé. Celui-ci le portera sans cesse
et, s'il meurt avant d'avoir réussi, le transmettra à son tour à ses
enfants avec la même condition. Il n'est pas rare de voir des
nobles vêtus de ces haillons qui, depuis deux ou trois générations,
lear rappellent nuit et jour qu'une dette de sang leur reste à payer
poar apaiser les âmes de leurs ancêtres.
En Corée, ne pas venger son père, c'est le renier; c'est prou-
ver qu'on est illégitime et qu'on n'a aucun droit de porter son
nom; c'est violer dans son point fondamental la religion du
pays qui ne consiste guère que dans le culte des ancêtres. Si
le père a été mis à mort légalement, il faut que son ennemi ou
le fils de son ennemi ait le même sort ; si le père a été exilé, il
iaat que son ennemi soit exilé; s'il a été assassiné, il faut que son
ennemi soit assassiné, et, en pareil cas, l'impunité à peu près
complète est assurée au coupable, car il a pour lui le sentiment
religieux et national du pays.
Le moyen le plus ordinairement employé par les factions
rivales, c'est de s'accuser de conjuration contre la vie du roi.
On multiplie les pétitions, les faux témoignages ; on corrompt
les ministres à force d'argent. Si, comme il arrive souvent,
les premiers pétitionnaires sont incarcérés, battus, condamnés à
d'énormes amendes ou exilés, on se cotise pour payer les frais, et
Ton fait de nouvelles tentatives qui, grâce à la vénalité des hauts
fonctionnaires et à la faiblesse du roi, finissent par réussir. Alors
ceux du parti vainqueur font curée des places et des dignités ;
ils usent et abusent du pouvoir pour s'enrichir eux-mêmes, ruiner
et persécuter leurs ennemis, jusqu'à ce que ceux-ci trouvent l'oc-
casion favorable de les supplanter à leur tour.
Les différents partis mentionnés plus haut se sont encore sub-
divisés en deux couleurs ou plutôt deux nuances. Voici à quelle
occasion :
Le roi qui occupait le trône de Corée en 1720, n'avait pas de
fils pour lui succéder. La division se mit parmi les grands du
royaume; les uns voulaient faire proclamer immédiatement long-
XXII IRTRODUCTION.
tsoDg, frère du roi, prince habile et cruel ; les autres préféraient
attendre , espérant toujours que le roi ne mourrait pas sans pos-
térité. On nomma les premiers Piek ou Piek-pai, les seconds Si
ou Si-pai. Les Piek envoyèrent secrètement à Péking pour obte-
nir l'investiture en faveur de leng-tsong ; mais les Si, avertis à
temps , poursuivirent les émissaires qui furent rejoints sur le
territoire coréen et décapités. Cependant le vieux roi mourut sans
laisser d'enfant, et leng-tsong monta sur le trône en 1724. La
voix publique Taccusait, non sans raison, de s*ètre frayé un che-
min au pouvoir par un double crime, d'avoir empêché par diverses
médecines que son frère n'eut des descendants, puis de Tavoir
empoisonné. Exaspéré par ces rumeurs et appuyé par les Piek,
le nouveau roi, à peine couronné, fit périr un grand nombre
de Si, qu'il savait être ses ennemis. Quelques années après, son
fils aine étant mort en bas âge, il déclara son second fils nommé
Sa-to héritier du trône, et l'associa au gouvernement. Ce jeune
prince, que tous s'accordent à représenter comme un homme
accompli, engageait souvent son père à oublier ses rancunes pas-
sées contre les Si, à proclamer une amnistie générale, et à tenter
franchement une politique de réconciliation. leng-tsong, irrité de
ces reproches et poussé par les Piek, résolut de mettre son fils à
mort. On fabriqua un grand cofTre en bois, où Sa-to reçut l'or-
dre de se coucher tout vivant, puis on ferma ce cercueil, on le
scella du sceau royal, on le couvrit d'herbes, et après quelques
heures le jeune prince mourut étouffé.
Sa mort augmenta l'exaspération entre les Si, ses partisans,
et les Piek qui l'avaient fait condamner au supplice, et la que-
relle dure encore. Les Si voudraient que Sa-to, ayant été proclamé
prince héritier et associé h l'administration des affaires de l'État,
soit mis au nombre des rois. Les Piek s'y sont toujours opposés,
et jusqu'à présent, ils ont réussi à empêcher cette réhabilitation
posthume. La distinction entre Si et Piek ne se retrouve guère
que parmi les deux partis les plus considérables, les Nam-in et
les No-ron. Chacun s'associe à telle ou telle couleur suivant son
inclination personnelle, et souvent il arrive que le père est Piek
tandis que le fils est Si, ou que deux frères sont de couleur diffé-
rente. Ces nuances politiques n'empêchent nullement les mariages
entre les familles, et c'est en ceci surtout que les Si et les Piek
diffèrent des partis politiques proprement dits, que nous avons
indiqués plus haut. En général, les personnes remuantes et ambi-
tieuses se mettent du parti des Piek, tandis que les Si se sont
toujours montrés plus modérés et plus portés à la conciliation.
INTRODUCTION. XXIII
1 la religion chrétienne fut introduite en Corée à la fin
^ dernier, la plupart des nobles qui se convertirent
étaient des Si, et appartenaient au parti Nam-in ; il n'en
s davantage pour ameuter contre elle les Piek et les
el nous verrons dans cette histoire, que ces haines poli*
irent pour beaucoup dans les premières persécutions. Le
im-in, extrêmement puissant jusqu'en 1801, ne put sou-
choc ; il fut totalement renversé, la plupart de ses chefs
, et aujourd'hui les No-ron, en pleine possession du pou-
int plus à redouter de compétiteurs sérieux. Les Sio-ron,
mbreux mais souple et complaisant, obtiennent un assez
ombre de dignités. On en accorde quelques-unes, mais
erve, aux Nam-in et aux Sio-pouk. Ces derniers, du reste,
petit nombre et n'ont point d'influence dans le pays,
comment une caricature coréenne représente cet état de
Le No-ron richement vêtu est assis à une table somptueu-
servie, et savoure à son aise les meilleurs morceaux. Le
assis à côté, mais un peu en arrière, fait gracieusement
le serviteur, et pour prix de son obséquiosité reçoit une
[es mets. Le Sio-pouk, sachant que le festin n'est pas
, est assis beaucoup plus loin d'un air grave et calme; il
elques restes quand les autres seront rassasiés. Enfin le
, couvert de haillons, se tient debout derrière le No-ron
l'est pas aperçu ; il se dépite, grince des dents, et montre
;, comme un homme qui se promet une vengeance écla-
lette caricature, publiée il y a vingt ou trente ans, donne
ie très-exacte de la position respective des partis à
e actuelle.
III
Rois. — Princes du sang. — Eunuques du palais. — Funérailles royales.
En Corée, comme chez tous les autres peuples de TOrient, la
forme de gouvernement est la monarchie absolue. Le roi a plein
pouvoir d*user et d'abuser de tout ce qu'il y a dans son royaume;
il jouit d'une autorité sans limites sur les hommes, les choses et
les institutions ; il a droit de vie et de mort sur tous ses sujets
sans exception, fussent-ils ministres ou princes du sang royal.
Sa personne est sacrée, on Tentoure de tous les respects imagi-
nables, on lui offre avec une pompe religieuse les prémices de
toutes les récoltes, on lui rend des honneurs presque divins. Bien
qu'il reçoive de l'empereur de Chine un nom propre en même
temps que Tinvestiture, par respect pour sa haute dignité il est
défendu sous des peines sévères de prononcer jamais ce nom, qui
n'est employé que dans les rapports officiels avec la cour de
Péking. Ce n'est qu'après sa mort que son successeur lui donne
un nom, sous lequel l'histoire devra ensuite le désigner.
En présence du roi, nul ne peut porter le voile dont la plupart
des nobles et tous les gens en deuil se couvrent habituellement le
visage ; nul ne peut porter lunettes. Jamais on ne doit le toucher,
jamais surtout le fer ne doit approcher de son corps. Quand le
roi Tieng-tsong-tai-oang mourut, en iSOO, d'une tumeur dans le
dos, il ne vint à l'idée de personne d'employer la lancette qui
probablement l'eût guéri, et il dut trépasser selon les règles de
l'étiquette. On cite le cas d'un autre roi qui souffrait horrible-
ment d'un abcès à la lèvre. Le médecin eut l'heureuse idée d'ap-
peler un bonze pour faire devant Sa Majesté tous les jeux, tous
les tours, toutes les grimaces possibles ; le royal patient se mit à
rire à gorge déployée, et Tabcès creva. Jadis, assure-t-on, un
prince plus sensé que les autres força le médecin k pratiquer sur
son bras une légère incision ; mais il eut ensuite toutes les peines
du monde à sauver la vie de ce pauvre malheureux, devenu ainsi
coupable du crime de lèse-majesté. Nul Coréen ne peut se pré-
senter devant le roi sans être revêtu de l'habit d'étiquette, et
sans des prostrations interminables. Tout homme à cheval est
IIITRODUCnOIf. XXV
teoa de mettre pied à terre en passant devant le palais. Le roi
De peut se familiariser avec aucun de ses sujets. S'il touche
quelqu'un, Tendroit devient sacré, et on doit porter, toute la vie,
an sigue ostensible, généralement un cordon de soie rouge, en
souvenir de cette insigne faveur. Naturellement, la plupart de
ees prohibitions et de ces formalités n'atteignent que les hommes;
les femmes peuvent entrer partout au palais, sans que cela tire à
conséquence.
L'effigie du roi n'est pas frappée sur les monnaies; on y met
seulement quelques caractères chinois. On croirait faire injure
au roi en plaçant ainsi sa face sacrée sur des objets qui passent
dans les mains les plus vulgaires, et souvent roulent à terre, dans
ta poussière ou la boue. Il n'y a de portrait du roi que celui qu'on
lait après sa mort, et qui est gardé au palais même, avec le plus
grand respect, dans un appartement spécial. Quand les navires
français vinrent pour la première fois en Corée, le mandarin qui
fut envoyé à bord pour se mettre en rapport avec eux, fut horri-
blement scandalisé de voir avec quelle légèreté ces barbares d'oc-
cident traitaient la face de leur souverain, reproduite sur les
pièces de monnaie, avec quelle insouciance ils la mettaient entre
les mains du premier venu, sans s'inquiéter le moins du monde
si on lui montrerait ou non le respect voulu. Le commandant
offrit à ce mandarin un portrait de Louis-Philippe, mais il refusa
de le recevoir. Peut-être craignait-il d'être puni par son gouver-
nement pour avoir accepté quelque chose des barbares. Mais il
est plus probable qu'il crut voir un piège dans cet acte de poli-
tesse. Il se fût trouvé très-embarrassé pour emporter ce tableau
avec la pompe convenable, et d'un autre côté, ne pas témoigner
an portrait du souverain la déférence requise, eût été, dans son
esprit, une insulte grave aux étrangers et une provocation à la
guerre.
D'après les livres sacrés de la Chine, le roi s'occupe unique-
ment du bien général. Il veille à la stricte observation des lois,
rend justice à tous ses sujets, protège le peuple contre les exac-
tions des grands fonctionnaires, etc., etc. De tels rois sont rares
en Corée. Le plus souvent on a sur le trône des fainéants, des
êtres corrompus, pourris de débauche, vieillis avant l'âge, abru-
tis et incapables. Et comment en serait-il autrement pour de
malheureux princes appelés au trône dès leur jeunesse ,dont on
adore tous les caprices, à qui personne n'ose donner un avis,
qu'une étiquette ridicule enferme dans leur palais, au milieu
d'un sérail, dès l'âge de douze ou quinze ans ! D'ailleurs, en
Corée, coane eo d'aotres paysdans des circoBStaoces anhgves,
il se rencontre presque toojonrs des ministres ambitieox qui spé*
cillent sur les passions dn maître, a cherchent à l'énerver par
Fabus des plaisirs, afin qoil ne paisse se mêler des affaires do
gooTemement, et les laisse régner eux-mêmes sons son nom.
Il est donc rare qae le roi soit capable d'administrer par loi-
même et de sonreiller les ministres et les grands digniiaires.
Qoand il le fait, le people y gagne, car alors les mandarins sont
obligés d'être sur leurs gardes et de remplir leur devoir avec plus
d'attention. Des émissaires secrets rapportent au roi les cas d'op-
pression, de concussion, de déni de justice, et les coupables
sont punis, au moment ou ils s'y attendent le moins, par la dis-
grâce ou par l'exil. Aussi la masse du peuple, généralement atta-
chée au roi, ne l'accuse pas des actes de tyrannie et d'oppression
dont elle a à souffrir. Toute la responsabilité en retombe sur les
mandarins. Jadis il y avait au palais une boite appelée sin*
moun-ko, établie par le troisième roi de la dynastie actuelle,
vers le commencement du xv^ siècle, pour recevoir toutes les
pétitions adressées directement au roi. Cette botte existe encore,
mais elle est devenue à peu près inutile, car on ne peut y arriver
qu'en payant des sommes énormes. Aujourd'hui, ceux qui veulent
faire au roi une demande ou réclamation s'installent aux portes
du palais et attendent que Sa Majesté sorte. Alors ils frappent du
tam-tam, et à ce signe un valet vient recevoir leur pétition,
laquelle est remise à un des dignitaires de la suite du roi ; mais
cette pièce est presque toujours oubliée si le pétitionnaire n'a
pas le moyen de dépenser Targent voulu pour s'assurer les pro-
tections nécessaires. Un autre moyen, employé quelquefois, est
d'allumer un grand feu sur une montagne qui se trouve près de
la capitale, vis-à-vis du palais. Le roi voit ce feu et s'informe de
ce qu'on demande.
Outre les largesses d'usage dans les grandes circonstances, le
roi, d'après la coutume du pays, est chargé de pourvoir à l'en-
tretien des pauvres. Le recensement de 1845 comptait quatre
cent cinquante vieillards ayant droit à recevoir l'aumône royale.
On donne aux octogénaires chaque année : cinq mesures de riz,
deux de sel et trois de poisson ; aux septuagénaires : quatre
mesures de riz, deux de sel et deux de poisson. La mesure de riz
dont il est ici question suffit à la nourriture d'un homme pendant
dix jours.
L'aristocratie étant très-puissante en Corée, il semble au pre-
mier abord que les princes du sang, les frères, oncles ou neveux
lIITRODUCTIOIf. UVII
des rois, doivent jouir d'on grand pouvoir. G*est tout Topposé. Le
despotisme est, par essence, soupçonneux et jaloux de toute
iofloeoce étrangère, et jamais les princes ne sont appelés à rem-
plir aucune fonction importante, ni à se mêler des affaires. S'ils
De se tiennent pas rigoureusement à j'écart, ils s'exposent à être
accusés, sous le plus frivole prétexte, de tentative de rébellion, et
ces accusations trouvent facilement crédit. Il arrive très-fré-
qaemment que ces princes sont condamnés à mort par suite
d*iotrigues de cour, même quand ils vivent dans la retraite et le
silence. Dans les soixante dernières années, quoique la famille
royale compte très-peu de membres, trois princes ont été ainsi
exécutés.
Au reste, la puissance royale, quoique toujours suprême en
théorie, est maintenant, en fait, bien diminuée. Les grandes
bfflilles aristocratiques, profitant de plusieurs régences succes-
sives et du passage sur le trône de deux ou trois souverains insi-
gnifiants, ont absorbé presque toute l'autorité. Les Coréens com-
ineBcent à répéter que le roi ne voit rien, ne sait rien, ne peut
rieo. Ils représentent l'état actuel des choses sous les traits d'un
knme dont la tête et les jambes sont complètement desséchées,
laodisquela poitrine et le ventre, gonflés outre mesure, menacent
decrever au premier moment. La tête, c'est le roi ; les jambes et
les pieds représentent le peuple; la poitrine et le ventre signi-
fient les grands fonctionnaires et la noblesse qui, en haut, ruinent
le roi et le réduisent à rien, en bas, sucent le sang du peuple. Les
missionnaires ont eu en main cette caricature, et ils disent que
les éléments de rébellion vont chaque jour se multipliant, que le
peuple, de plus en plus pressuré, prêtera facilement Toreille aux
jvemiers révoltés qui l'appelleront au pillage, et que la moindre
étÎDcelle allumera infailliblement un incendie dont il est impos-
sible de calculer les suites.
Ce que Ton appelle en Corée palais royaux sont de misérables
iDaisons qu'un rentier parisien un peu à son aise ne voudrait pas
liabiter. Ces palais sont remplis de femmes et d*eunuques.
Outre les reines et les concubines royales, il y a un grand nombre
de servantes que Ton appelle filles du palais. On les ramasse de
force dans tout le pays, et une fois accaparées pour le service de
la cour, elles doivent, sauf le cas de maladie grave ou inguéris-
sable, y demeurer toute leur vie. Elles ne peuvent pas se marier,
à moins que le roi ne les prenne pour concubines; elles sont
condamnées à une continence perpétuelle, et si l'on prouve
fuselles y ont manqué, leur faute est punie par Texil, quelque-
mni cmuftKcno!!.
lois mime fxt b non. Os smils soot, oo le pease biei, k
théâtre de désordres et de mines isoais, et c est n £ût pobUc
que œ> maliieareaies servent aux {ossiaos des princes, et fie
ksr deaenre est an repaire de toaies ies iofamies.
Les ensaqaes do pilais forment an corps à part; ils siIns-
sent des examens spédanx, et d après lenr sricsoe on lenr
ndre»e« aTaoceot pins oo moios dans les di^ités qni lenr 50nt
pn^wes. On prétend qnlis sont géoéralemeat d'an esprit étroit,
d^nn caractère vioknt et irasdUe. Fiers de lenrs rapports Sud-
tiers et quotidiens avec le souverain, iL^ s'attaquent à tons les
dij:nitaires avec une indolence sans ê|:ale, et ne craignent pas
d'injcrier même le premier m:ci>tre, ce que nul antre ne ferait
impunément. lis n*ODt ^ère de relatioss qu'entre emx, car tous,
nobles et $en> du peuple, les erai^er.t autant qu'ik les mépri-
sent. Gi«><e étrange ! tous ces euaaqies 5»>nt mariés, et bêiu-
coup d'entre eu ont plusieurs femmes. Ce S'^nt de pauvres filles
du peuple qu'ils enlevée i par ruse O'i p^ir violence, on qulk
achètent à un axsez haut prii. Elles s>>Qt enfermées plos stricte-
ment eooDre qae les femmes uoNes. et prdees are^ une telle
jalousie, que souvent leur maison est iQter«!iîe àw\ personnes de
leur sexe, même à leors parentes. Yayan: pi>îat d'enbnts, ces
eunuques t'ont chercher dacs i«>8i le pays, ^sir leurs émissaires,
les eiifants et les jeunes ^ens enouques : iis les adoptent, les
instmiscst. et les mrfUent sar tes raa^s c<'^r les principanx em-
plois de Tiatérieur du pliais. Mais où iroave-î-on ces eunuques?
Tn cenaitt combre le s*>it de caissta.v : •;.- fcsi estime moins
que les autres, et q3elqaeî»?ts. ipKrs evimei. ils s^nt r^jetés.
D 00 autre ^'-lé. il ne pirii: pas {le Tusi^ ixirtiore de la muti-
lation. »ie m lia «rhooish?. -exisre 'iiQs ee fvi>> : les mî>>iosnaires
n'en ont jamais eateaia ciier ug seal e-is. Maisilarrive.de temps
en temps, qie !^ pc:i:s eariars s.:*::; es;r: -.nés par le> chiens.
En 0>r»re. c»mme ii'is jueîî les iiin?s coarrees de fOrlenl, les
chiets sont seals charjr'rs d=r^ nmqs cèceNsiires de propreté
aopr»:s lies e^îiiais à la mamelle, c'esl-i-cire justp à rà|:e de
trois O'i •^ai:re ans. e: les avv:îdeQ;s du p«re dont nous parlons
ne s*>ct pas rar s. Ces enfasN d-?^eaas ^raa^Is irociveat. dans
kur isirm.ié. aa-? ressijaro? et ai Da-r-yec de %tvre, Oielqnefois
métne. slU arriveat i uae potsîùoi 'la peu eievee. îb ^ieaaent en
aide à leurs ramilles-
Oatre les f-alafs hal-tirS par le r:?. il v ea i d'aatres destinés
.:\.:lasivemea; i^\ :ii>l*:îes de ses aiv-écres. On y raie e\jicte-
Œent le même serri^'e que dans les premiers: chaqne jo«r on
IRTBODUCTlOIf. XXIX
silaeces morts comme sMls étaienl vivants, on offre de la nour-
ritare devant les tablettes dans lesquelles leurs âmes sont sup-
posées résider, et il y a pour leur service des eunuques et des
filles du palais en grand nombre, le tout organisé sur le même
pied, et diaprés les mêmes règles que dans les palais ordi-
naires.
En Corée, où la religion ne consiste guère que dans le culte
des ancêtres, tout ce qui concerne les funérailles des rois est
f Qoe importance extraordinaire, et la cérémonie de leur enter-
rement est la plus grandiose qu'il y ait dans le pays. Le roi
étant considéré comme le père du peuple, tout le monde sans
exception doit porter son deuil pendant vingt- sept mois. Ce
temps se partage en deux périodes bien distinctes. La première,
depuis le moment de la mort jusqu'à celui de Tenterrement, dure
cinq mois. C'est l'époque du deuil strict. Alors, tous les sacri-
fices des particuliers doivent cesser dans toute retendue di^
royaume^ les cérémonies des mariages sont interdites, aucun enter-
rement ne peut avoir lieu, il est défendu de tuer des animaux et
de manger de la viande, défendu aussi de fustiger les criminels
oadeles mettre à mort. Ces règles sont, en général, scrupuleu-
sement observées ; cependant il y a quelques exceptions. Ainsi,
les indigents de la dernière classe du peuple ne pouvant con-
server leurs morts dans les maisons pendant un temps aussi
considérable, on tolère qu'ils fassent leurs enterrements sans
bruit et en sedret ; mais Tusage est sacré pour tous les autres. De
même, à la mort du dernier roi, à cause des chaleurs intolérables
de Tété et de la nécessité de vaquer aux travaux des champs, son
successeur donna une dispense générale de Tabstinence.
Outre ces dispositions spéciales à la première période de
deuil, il y en a d'autres qui s'appliquent à la fois et aux cinq
mois qui précèdent Tenterrement et aux vingt-deux qui le
suivent. Un ordre du gouvernement désigne quels habits on doit
porter. Toute couleur voyante, toute étoffe précieuse, est sévè-
rement interdite. Chapeau blanc, ceinture, guêtres, habits,
chemises, etc., en toile de chanvre écrue, tel est, sous peine
d'amende et de prison, le costume de tous, jusqu'à ce qu'une nou-
velle ordonnance ministérielle permette de reprendre les vête-
ments ordinaires. Les femmes cependant ne sont pas soumises à
ces règlements, parce qu'elles ne comptent absolument pour rien
aux yeux de la loi civile et religieuse; d'ailleurs la plupart
restent presque toujours enfermées dans l'intérieur des maisons.
Pendant tout le temps du deuil, les réjouissances publiques, les
XXX llfTRODUCTIOlf.
fêtes, les représentations scéniques, les chants, la mosiqoe, ea
un root toute manifestation extérieure de gaieté est absoloment
défendue. Il y a même, à ce qu*on dit, une ou deux provinces où
la loi de Tabstinence s'observe pendant les vingt-sept mois consé-
cutifs.
Nous avons dit qu'aucun homme n'a le droit de toucher le roi;
cette défense subsiste même après sa mort. Quand il a rendu
le dernier soupir, on prépare le corps, on l'embaume, on le revêt
des habits royaux, par des procédés particuliers, sans qoe la
main de personne ait le moindre contact direct avec lui. Pois on
le dépose dans une espèce de chapelle ardente, et tous les jours,
matin et soir, on lui ofTre des sacrifices avec accompagnement des
lamentations convenables en pareil cas. Fréquemment, à certains
jours marqués, toute la cour et les grands dignitaires du voisi-
nage doivent assister à ces sacrifices. Le roi seul en est dispensé,
parce qu'on le suppose occupé des affaires de l'Etat. Il ne pré-
side aux cérémonies que pendant les premiers jours qui suivent
la mort, puis il délègue un prince de la famille royale pour tenir
sa place. Aux heures des sacrifices, le peuple de la capitale ainsi
que les nobles qui, n'étant point en fonctions, n'ont pas le droit
de pénétrer auprès du cadavre, se rendent en foale autour du
palais et poussent des hurlements, des gémissements affreux
pendant le temps fixé ; puis, chacun fait la génuflexion à l'âme du
défunt et se retire. Dans les provinces, les principaux habitants
de chaque district se réunissent, aux jours marqués, chez le
mandarin et, tournés du côté de la capitale, ils plearent et se
lamentent tous ensemble officiellement pendant quelques heures,
et se séparent après avoir fait la génuflexion à l'âme. Tout le
monde ne pouvant se rendre chez le mandarin, les gens de
chaque village se réunissent ensemble, et, sur une montagne ou
sur le bord d'un chemin, observent de la même manière les
mêmes cérémonies.
Cependant, on fait tous les préparatifs nécessaires pour l'enter-
rement. Les géoscopes les plus renommés sont mis en réquisition
pour indiquer un lieu favorable de sépalture. Ils examinent si la
nature de tel terrain, la pente dételle colline, la direction de telle
forêt ou de telle montagne, doit porter bonheur et faire ren-
contrer la veine du dragon. En effet, selon les Coréens, il y a,
au centre de la terre, un grand dragon qui dispose de tous les
biens et de tous les honneurs du monde, en faveur des familles
qui ont placé les tombeaux de leurs ancêtres dans une position
à sa guise. Trouver cette position, c'est trouver la veine du
INTRODUCTION. XXXI
éragon. Poar la découvrir, les géoscopes se servent d'une bous-
sole entourée de plusieurs cercles concentriques, où sont gravés
les noms des quatre points cardinaux, et des cinq éléments
reconnus par les Chinois : air, feu, eau, bois et terre. Chacun
de ces devins fait ensuite son rapport, et après des délibérations
sans fin, sur un point aussi grave, le roi et ses ministres pren-
nent une décision. On organise toute une armée pour former le
cortège qui portera le corps du défunt. Pour cela, chaque famille
noble de la capitale fournit un ou plusieurs esclaves et les habille
selon Tuniforme voulu. Dans le principe, cet usage Hrès-onéreux
D*était qu'une marque de respect volontairement offerte; aujour-
d'hui, c'est une obligation à laquelle nul ne peut se soustraire.
Certaines corporations de marchands fournissent aussi un nombre
d*hommes déterminé, et on recrute ce qui manque parmi les
?ale(s des divers établissements publics. Tous ceux qui doivent
porter le corps étant ainsi réunis, on les divise en compagnies
ayant chacune leur numéro et leur bannière, et on les fait
exercer, pendant le temps voulu, pour que la cérémonie s'exécute
dans le plus grand ordre.
Le jour de l'enterrement étant enfin arrivé, on place le corps du
défont dans son cercueil sur un énorme brancard magnifiquement
orné, et chaque compagnie se relève pour le porter en pompe,
jusque sur la montagne choisie pour lieu de sépulture. Toutes
les troupes sont convoquées, tous les grands dignitaires en cos-
tame de deuil accompagnent le roi qui, presque toujours, préside
en personne à la cérémonie. On enterre le corps suivant les rites
prescrits, et on offre les sacrifices d'usage, au milieu des cris, des
pleurs, des hurlements d'une foule innombrable.
Quelques mois plus tard, un monument s'élève sur la tombe,
et tout auprès, on bâtit un hôtel pour loger les mandarins chargés
de garder la sépulture, et d'offrir, à certaines époques, les sacri-
fiées moins solennels. Tout le pays environnant, quelquefois
jusqu'à trois ou quatre lieues de distance, dépend désormais
da tombeau royal, et toute autre inhumation y est interdite. On
fait même exhumer les corps qui ont été auparavant enterrés
dans cet espace, ou, si personne ne se présente pour les récla-
mer, on rase le petit tertre qui est sur les tombes afin d'en faire
disparaître la trace et le souvenir.
Chaque roi étant enterré à part, les sépultures royales sont
assez nombreuses dans le pays. Les nobles préposés à leur garde
sont ordinairement de jeunes licenciés qui se destinent aux
fonctions publiques. C'est pour eux le premier pas dans la car-
XXXII INTRODUCTION.
riëre, et après quelques mois, ils obtieDoent de ravancemenl e
passent à d'autres emplois. Ils sont ordinairement deux ou troi
ensemble, avec un établissement de serviteurs et d'employé
subalternes, analogue à celui des mandarins. Outre le soin dWri
les sacrifices, ils sont chargés de faire la police sur tout le terri
toire qui dépend du tombeau, car ce territoire est soustrait à I:
juridiction des mandarins ordinaires des districts. Les gardien
des tombes royales relèvent directement du conseil des ministres
IV
GoavernemenU — Organisation civile et militaire*
Le roi de Corée a trois premiers ministres qui prennent les
titres respectifs de : seug-ei-tsieng, admirable conseiller ; tsoa-
ei-tsieng, conseiller de gauche, — en Corée, la gauche a toujours
le pas sur la droite — , et ou-ei-tsieng, conseiller de droite.
Viennent ensuite six autres ministres que Ton nomme pan-tso
0(1 juges, et qui sont à la tête des six ministères ou tribunaux
sopérieurs. Chaque pan-tso est assisté d'un tsam-pan ou sub-
stitut et d'un tsam-ei ou conseiller. Les pan-tso sont ministres
de second ordre, les tsam-pan de troisième, et les tsam-ei de
quatrième. Ces vingt et un dignitaires portent le nom générique
de tai-sin ou grands ministres, et forment le conseil du roi.
Nais en réalité, toute l'autorité est dans les mains du conseil
SQpréme des trois ministres de premier ordre, les dix-huit autres
oe font jamais qu'approuver et confirmer leurs décisions. Les
ministres de second ordre ou leurs assistants doivent présenter
chaque jour un rapport circonstancié pour tenir le roi au cou-
raut des affaires de leur département. Us s'occupent des détails
de l'administration et règlent par eux-mêmes les choses de peu
d'importance, mais, pour toutes les causes majeures, ils sont
obligés d'en référer au conseil suprême des trois.
La dignité de premier ministre est à vie, mais ceux qui en sont
revêtus n'en exercent pas toujours les fonctions. Sur sept ou huit
;raDds personnages arrivés à ce haut grade, trois seulement sont
ensemble en exercice ; ils sont changés et se relèvent assez fré-
quemment.
Voici les noms, l'ordre, et les attributions de chacun des six
ministères, tels qu'on les trouve dans le code révisé et publié
en 1785 par le roi Tsieng-tsong :
i"^ Ni-tso, ministère ou tribunal des offices et emplois publics.
Ce ministère est chargé de faire choix des hommes les plus
capables parmi les lettrés qui ont passé leurs examens, de nommer
aux emplois, de délivrer des lettres patentes aux mandarins et
autres dignitaires, de surveiller leur conduite, de leur donner
de l'avancement, de les destituer ou de les changer au besoin.
T. I. — l'église de cobèe, c
XXXIV INTRODUCTION.
Il examine et met en ordre les notes semestrielles que chaque
gouverneur de province envoie sur tous ses subordonnés, et dai-
gne au roi les employés qui méritent quelque récompense spé-
ciale. Les promotions et changements de mandarins peuvent se
faire en tout temps, mais elles ont lieu plus habituellement à
deux époques de Tannée, à la sixième et à la douzième lune. Les
nominations aux charges importantes et aux grandes dignités,
telles que celle de gouverneur d*une province, ne rélèvent pas de
ce tribunal, mais sont faites par le roi en conseil des ministres.
2^ Ho-tso, ministère ou tribunal des Knances.
Ce ministère doit faire le dénombrement du peuple, répartir
les impôts ou contributions entre les provinces et districts, veil-
ler aux dépenses et aux recettes, faire tenir en ordre les registres
de chaque province, empêcher les exactions, prendre tes mesures
nécessaires pour les approvisionnements dans les années de di-
sette, etc. .. Il est aussi chargé de la fonte des monnaies ; mais ce
dernier point est passé sous silence dans le code de Tsieng-tsong,
parce que les traités avec la Chine ne reconnaissent pas au gou-
vernement coréen le droit de battre monnaie.
3^ Niei-tso, ministère ou tribunal des rites.
Ce ministère, institué pour la conservation des us et coutumes
du royaume, doit veiller à ce que les sacrifices, les rites et cérémo-
nies se fassent selon les règles, sans innovation ni changement.
De lui relèvent les examens des lettrés, l'instruction publique,
les lois de Téliqueite dans les réceptions, festins et autrc's cir-
constances officielles.
4° Pieng-tso, ministère ou tribunal de la guerre.
Ce ministère choisit les mandarins militaires, les gardes et les
guides du roi. 11 est chargé de tout ce qui concerne les troupes,
le recrutement, les armes et munitions, la garde des portes de
la capitale, et les sentinelles des palais royaux. De lui relève le
service des postes dans tout le royaume.
5" Hieng-lso, ministère ou tribunal des crimes.
Il est chargé de tout ce qui a rapport à Tobservation des lois cri-
minelles, à Torganisation et à la surveillance des tribunaux, etc. ;
6^ Kong-tso, ministère ou tribunal des travaux publics.
Ce ministère est chargé de Tentretien des palais ou édifices
publics, des routes, des fabriques diverses, soit publiques, soit
particulières, du commerce, et de toutes les affaires du roi, telles
que son mariage, son couronnement, etc..
Outre les vingt et un ministres désignés plus haut, on compte
encore parmi les grands dignitaires de la cour les sug-tsi et les
INTRODUCnOIf. XXXV
po4sieng. Les sag-tsi sont les chambellans qui, outre les fonctions
ordinaires attachées à ce titre, sont chargés d'écrire jour par jour
tout ce que le roi dit ou fait. Il y en a trois, le to-sug-tsi ou cham-
bellan en chef, et deux assistants qui prennent le nom de
poa-sug-tsi. Les po-tsieng sont les commandants des satellites,
filets des tribunaux et exécuteurs. Il y en a également trois.
Le po-tsieng en chef et deux lieutenants nommés tsoa-po-tsieng
et ou-po-tsieng, c'est-à-dire de gauche et de droite. Ce sont ces
lieutenants qui prennent le commandement des satellites, quand
il s'agit d'opérer une arrestation importante.
La capitale ou la cour réside toujours se nomme Han-iang. Ce
nom toutefois n'est guère en usage, et on l'appelle communément
Séoul, qui veut dire : la grande ville, la capitale. C'est une ville
considérable située au milieu de montagnes près du fleuve Hang-
kang, enfermée de hautes et épaisses murailles, très peuplée,
mais mal bâtie. A l'exception de quelques rues assez larges, le
reste ne se compose que de ruelles tortueuses, où l'air ne circule
pas, où le pied ne foule que des immondices. Les maisons, géné-
ralement couvertes en tuiles, sont basses et étroites. La capitale
est divisée en cinq arrondissements, lesquels sont subdivisés en
qoarante-neuf quartiers. Le mur d'enceinte fut construit par
Tai-tso, fondateur de la dynastie actuelle. Siei-tsong, quatrième
roi de cette dynastie, y ajouta de nouvelles fortifications. Le mur
a 9,975 pas de circuit, et une hauteur moyenne de 40 pieds
coréens, environ 10 mètres. 11 y a huit portes dont quatre grandes
et quatre petites. Les grandes portes sont assez belles, et sur-
montées de pavillons dans le genre chinois. Cette ville est quel-
quefois désignée dans les anciens documents, sous le nom de
Kin-ki-tao, c'est une inexactitude ; to ou tao signifie province,
Kin-ki-tao ou Kieng-kei-to veut dire, non pas la capitale, mais
la province de la capitale.
Depuis l'avènement de Tai-tso en 1392, la Corée est divisée en
huit provinces dont les noms suivent :
. i Ham-kieng-to, capitale Hara-heng.
Au nord. } „. ,^ ^ n •
( Pieng-an-to, — Pieng-iang.
■ Hoang-haï-to, — Haï-tsiou.
A l'ouest. < Kieng-keï-to, — Han-iang.
( Tsiong-tsieng-to, — Kong-tsiou.
A Test. Kang-ouen-to, — Ouen-tsiou.
L Kieng-sang-to, — Taï-kou.
Au sud. l Tsien-la-to, — Tsien-tsiou.
XXXVl INTRODUCTION.
Les deux provinces du Nord sont couvertes de forêts et très^
habitées. Ce sont les provinces du Sud et de TOuest qui sont
les plus riches et les plus fertiles.
À la tête de chaque province se trouve un gouverneur qui
relève directement du conseil des ministres, et possède des pou-
voirs très-étendus. Un vieux dicton coréen classe ainsi qu'il soit
les places de gouverneurs : La plus élevée en dignité est cdlede
Ham-kieng-to; la plus recherchée pour le luxe et les plaisirs,
celle de Pieng-an-to; la plus lucrative celle de Kieng-sang-to;
et la dernière sous tous les rapports, celle de Kang-ouen-to.
Les huit provinces sont subdivisées en trois cent trente-deoi
districts, et chaque district, suivant son importance respective,
est administré par un mandarin d'un rang plus ou moins élevé.
On prétend que les districts furent d'abord au nombre de trois
cent cinquante-quatre, pour répondre au nombre des jours de
Tannée lunaire, parce que chaque district est censé fournir aa
roi son entretien pour un jour. Quoi qu'il en soit, le nombre actuel
est trois cent trente-deux.
Voici Tordre hiérarchique des dignités entre les divers mâB*
darins des provinces, en commençant par les plus élevées:
kam-sa ou gouverneur, pou-ioun, sé-ioun, tai-pou-sa, mok-sa,
pou-sa, koun-siou, hien-lieng, hien-kam. Le gouverneur réside
dans la métropole de la province, mais il y a sous lui pour adroi-
nistrer cette ville un mandarin qui est son lieutenant ou substitut,
et se nomme pan-koan.
Ici vient se placer naturellement une remarque importante:
c'est qu'il ne faut pas confondre les dignités avec les emploisou
charges publiques. Un emploi suppose toujours une dignité, mais
non réciproquement. Les dignités sont à vie, les emplois sont i
temps, quelquefois même seulement pour quelques semaines ou
quelques jours. Il y a une douzaine de dignités différentes, ayant
chacune des titulaires plus ou moins nombreux, mais ils ne sont
en activité de service que par intervalles.
Le premier degré comprend les principaux ministres, le second,
les ministres ordinaires , et ainsi de suite. Les gouverneurs
de province doivent avoir au moins le quatrième degré; les
préfets ordinaires des villes sont du sixième. Tous les dignitaires,
sans exception, ont le privilège de ne pouvoir être arrêtés par
les sat.;llites des tribunaux ordinaires. Quand ils sont accusés de
({uelque crime, un des mandarins inférieurs du tribunal dont ils
sont justiciables vient en personne leur intimer Tordre de le sui-
vre, mais nul ne peut mettre la main sur eux. D'autres privilèges
IIVTRODUGnON. XXXVII
it particuliers à certaines classes de dignitaires. Ainsi, ceux
s quatre degrés supérieurs ont seuls le droit de se faire porter
Ds des chaises spéciales, chacun selon le rang qu'il occupe.
En dehors de la hiérarchie ordinaire, se trouvent les quatre
ou-siou , ou préfets des quatre grandes forteresses qui sont
DS le voisinage de la capitale, savoir : Kang-hoa, Sou-ouen,
)aDg-tsiou et Siong-to (Kaî-seng). Le titre de niou-siou est très-
své, et les premiers ministres eux-mêmes peuvent remplir cette
ace. Le niou-siou n'est pas le mandarin propre de la ville où
réside ; un mandarin inférieur remplit cette fonction, et il
irte le nom de pan-koan ou de kieng-niek. — Les quelques
Dg ou petits forts établis sur différents points des frontières,
Dt sous la juridiction des autorités militaires locales.
Théoriquement, les dignités dont nous avons parlé jusqu'ici,
cepté les grades supérieurs à celui de mok-sa, sont accessibles
tout Coréen qui a été reçu docteur dans les examens publics;
fait cependant, ces emplois sont toujours occupés, à'très-peu
exceptions près, par des nobles. Mais il y a à la préfecture de
aque district deux charges subalternes qui sont toujours dou-
es à des gens du peuple. Le tsoa-siou et le piel-kam sont les
distants ou secrétaires du mandarin. Ils peuvent même le rem-
icer en cas d'absence, mais seulement pour les affaires insi-
ifiantes ; car s'il se présente un cas d'importance majeure, on
it recourir au mandarin voisin. Les familles des toa-siou et des
.'I-kam obtiennent par le fait une certaine considération locale
jouissent de certains privilèges. Quand une de ces charges a été
ivent remplie par des membres d'une même famille, celle-ci,
rès un certain temps, devient ce que l'on nomme en Corée
blés de province. Au-dessous des assistants il n'y a plus auprès
s mandarins que les prétoriens, satellites et autres valets des
bunaux. Nous en parlerons plus tard.
Dans chaque province se trouvent plusieurs tsal-pangou direc-
irs des postes. Les stations ou relais de chevaux de poste se
mment iek ; ils sont échelonnés, de distance en distance, sur
ites les principales routes. Les chevaux que le gouvernement
entretient ne servent qu'aux fonctionnaires en voyage. Les
1-pang, chargés de surveiller ce service, ont sous leurs ordres
certain nombre d'employés organisés, en petit, sur le modèle
prétoires des mandarins. Les valets qui soignent les chevaux
tendent du gouvernement à peu près comme des esclaves. Ils
sont pas libres de se retirer à volonté, et demeurent enchaînés
ette besogne de génération en génération.
XXXniI LITRODUCnO!!.
Si de l'organisalion civile de la Corée on passe ï un organisa-
tion militaire, ce qui frappe d'abord, c'est le chiffre éDormede
rannée. Les slalistiques officielles coniptent plas de un milliOD
deux cent mille hommes portés sur les ràles. Cela vient de ce
que tout individu valide, non noble, est soldat ; la loi ne reeon-
oait que très-peu d'exceptions. Mais l'immense majorité de en
prétendus soldats n'oot jamais louché un fusil. Leurs noms sont
inscrits sur les registres publics, et ils ont à payer anouellemeat
une cote personnelle. Encore ces registres ne méritent-ils aucsne
confiance. Trës-souveul iU sont remplis de noms fictifs ; on y nùt
figurer des membres de familles éteintes depuis une ou deu
générations, et beaucoup de ceux qui d»'raient être inscrits
échappent à cette obligation en donnant quelque présent au
employés subalternes chargés de la révision des listes.
Les seules troupes à peu près sérieuses du gouTememeit
coréen sont les dix mille soldats répartis dans les quatre graads
établissements militaires do la capitale. Ceux-ci sont un peo
exercés aux niana>uvres militaires. Chose curieuse, quoiqu'il yiit
un ministère de la (rii>-'rre, les généraux qui commandent ces
corps d'élite relèvent direcloment du conseil suprême, qui sea)
a le droit de les nommer ou de les révoquer. Notons aussi, pour
mémoire, quelques compagnies casernécs dans les quatre grandes
forteresses royales, et les gai-des des gouverneurs ou des officiers
supérieui's qui commandent en ])rovince.
Voici, par ordre hiérarchique, les dJiïérenls litres des manda-
rins militaires. Un tai-lsieng est un général. Il y en a de plu-
sieurs degrés, et tous résident à la capitale, l'n pieng-sa est le
commandant d'une province ou d'une demi [irovince. Un sioo-si
est un préfet maritime. L'n ieng-lsiang est une espèce de coIoimI
qui a sous lui les trois grades inférieurs d'oflicicrs : tsioang-
koun, kam-mok-koan et piel-tsiang. titres correspondants, si l'oi
veut, à ceux de capitaine, lieutenant et sous^ieu tenant.
11 est important de noter Ici que lo cumul des charges cirils
et militaires est très-commun en Corée. Souvent c'est le goi
neur de la province qui est en même tcm|>s pieng-sa ou o
dant militaire. Partout les icng-tsiaogsont en même b
criminels, el c'est sous eu dernier titre qu'on les d
toujours. Ce fait, et range au premier coup d'œiL^
paix profonde dont la Corée n'a œss - - - - "
siècles. L'armée étant devenue tai
nisation se réduit pre-^iue k l
tout naturellement celte U
ihtroductiou. xxxix
Les mandarins militaires ne sont choisis que parmi les nobles ;
mais quelque élevée que soit leur dignité, ils sont beaucoup
moins considérés que les mandarins civils. Vis-à-vis de ces
derniers, ils sont presque sur le pied des gens du peuple. Leur
posture et leur langage doivent témoigner du respect le plus pro-
fond, et certains privilèges, tels que le droit de se servir d'une
chaise à roues, ne leur sont jamais concédés, fussent-ils même
généraux. Ils ressentent vivement cette inégalité, et dans les
temps de troubles, quand Tautorilé passe de fait dans leurs mains,
ils se vengent en humiliant et ravalant le plus possible les man-
darins civils. Cet antagonisme fait comprendre pourquoi, en
général, les nobles qui sont dans les emplois civils ne permettent
pas à leurs enfants de rechercher les grades militaires, et pour-
quoi ces grades sont pour ainsi dire de génération en génération
te patrimoine des mêmes familles. 11 y a cependant des excep-
tioDs à cette règle, et plus d'une fois, les descendants des em-
ployés civils font bon marché de la considération et recherchent
tes charges militaires comme plus lucratives.
Tous les emplois civils et militaires sont à temps. Un gouver-
neur ne peut rester en charge que deux ans, mais s'il a du crédit
à 11 cour, il peut obtenir d'être transféré sans délai dans une
autre province. Généralement, on ne peut exercer les fonctions
de mandarin plus de deux ans de suite, au plus trois ans, après
quoi on rentre dans la vie privée, jusqu'à ce qu'on obtienne une
autre charge. Ceux qui ont exercé une fois ces fonctions con-
servent toujours quelques marques extérieures de leur dignité ;
ils ne sortent plus à pied et sans cortège, et l'usage est d'ajouter
àleurnom le titre de la préfecture oii ils ont été, ou de la charge
qu'ils ont remplie .
La paye des divers mandarins civils et militaires, surtout celle
des gouverneurs, est exorbitante, eu égard aux ressources du
pays, et à la valeur considérable de l'argent dans une contrée oii
quelques centimes représentent la nourriture nécessaire d'un
homme chaque jour. Un fonctionnaire qui le voudrait, pourrait
très-facilement mettre de côté, en un ou deux ans, de quoi vivre
alaise le reste de ses jours. Mais il est rare qu'un mandarin ait
Fesprit d'économie. Â peine entré en charge, il se met sur un pied
de prince, affiche un luxe extravagant, et comme, d'après les
OMBurs du pays, il doit entretenir non-seulement sa famille, mais
tOQte sa parenté, il quitte ses fonctions, une fois le terme arrivé,
aussi pauvre qu'auparavant, et souvent avec des dettes de plus.
Les dignitaires du palais ne touchent aucun traitement. On
I INTROC
HpasHiatii Les mandarins militaires nesi
"<-^''-^- Biisqpelque élevée que soil
mis considérés que les m;in(
ferniers, ils soni presque sm- le
ptWureeileur langage (ioivenl i
mLuBi^t bDd, el œruins privilèges, icls
isLimm
k^ mit
ulfu^préM'
in pmim
i roues, ne leur soni iar
fWrur. Ils ressenlenl viven»
tai» de Iroubles, quand l'auloril
• ieragenl en bomilianl el ra
Jii mils. Cel anlagonisme
Ptrii. les nobles qui sont dans
f» ■ leirs enfanls de recbercliei
J«i« grades sont pour ainsi d
»l»lrramne des mfmcs famille
-.-- S'«I,'«;'SK elplosd'nne
:tm$\ W^cmlsfonlbon marché de
Kfiiiiil' "ttariesmiliiaires comme nlu<
«™*' Jo«s les emplois civils et milii
|rt«,f' ""«P""! rester en cbarge que
MSWF '• «"Ml peul obtenir dWc
,,,l,,ld •"province. Généralement, on
»'"* """"'"""Plnsdedeuxansde'
, . ÏIT"'""'»»»'» vie privée,'
«'»•; ?; ''«"»'■ Cens qui „„i „„,
t«r.«WW»ll«iiJours quelque, marque,
L.^«« Ment plus à pied ei sans «
' ,_.'"°'l"ilredelaDréfm,.,.
B«(i^» oui remplie.
' '^rJ"'° '"'' '"™'''' «iMiiarins ci
'«° ''™7. =sl e,orbi,ante.
Ml s la valeur considérable de
Ve« œulimes représentenl 1,-
laci cmcnl meure de cité en i
.,^ff^«le,.sted.sesiours!;.:°'
pt'ineenlriien
'"xe exlravaj
etiireienir n
ses fond il
XL INTRODUCTION.
prétend que leur paye fut supprimée après la guerre du Japon,
lorsque le gouvernement se trouva sans ressources. On ne leur
donne aujourd'hui que quelques mesures de pois, chaque mois,
quand ils sont de service. C'est la ration qui, à rorigioe de h
dynastie actuelle, était assignée à chacun d'eux pour nourrir son
âne ou son cheval. Gomment après cela les empêcher de piller le
peuple, et de commettre toutes les injustices imaginables? Ces
dignités de la cour sont cependant recherchées, parce que ceux
qui les possèdent peuvent toujours, avec un peu d'adresse, obte-
nir en peu de temps quelque riche mandarinat de province.
Le système d'administration civile et militaire que nous venons
d'exposer est complété par une pièce importante, l'institution
des e-sa ou anaik-sa : inspecteurs royaux. Ce sont des envoyés
extraordinaires qui, à des époques indéterminées, et toujours en
secret, visitent les provinces, surveillent la conduite des manda-
rins et des sujets, et examinent de leurs propres yeux la marche
des affaires. Leur autorité est absolue; ils ont droit de vie et de
mort; ils peuvent dégrader et punir tous les employés, sauf les
gouverneurs de province, et c'est presque toujours sur leurs rap-
ports que le gouvernement prend les décisions les plus impor-
tantes.
Il est inutile d'ajouter que toutes les charges et emplois ne
sont plus en faveur du peuple, sinon dans les vieux livres de
morale d'autrefois. Les places se vendent publiquement, et natu-
rellement ceux qui les achètent travaillent à rentrer dans leurs
frais, sans même chercher à sauver les apparences. Chaque man-
darin, depuis le gouverneur jusqu'au plus petit employé subal-
terne, bat monnaie le mieux qu'il peut, avec les taxes, avec les
procès, avec tout. Les inspecteurs royaux eux-mêmes trafiquent
de leur autorité avec la dernière impudence. Un missionnaire
raconte qu'un jour, dans le district où il se trouvait, quelques
individus secrètement renseignés arrêtèrent deux chevaux char-
gés d'argent qu'un de ces fonctionnaires expédiait chez lui, et,
s'installant sur le bord de la route, distribuèrent cette somme à
tous les passants, en publiant bien haut la provenance de cette
bonne aubaine. L'inspecteur compromis n'eut garde de réclamer,
et quitta immédiatement la ville sans dire mot de son aventure.
Les impôts ordinaires sur les propriétés, sur certaines ))rofe5-
sions et certains genres de commerce ne sont pas excessifs, mais
ces impôts légaux ne représentent en réalité qu'une faible partie
des sommes qu'arrache au peuple la rapacité des mandarins et
des employés de tout grade. D'ailleurs, les registres de dénom-
INTRODUCTION. XU
brement, d'après lesquels Timpôt est perçu, ne méritent aucune
confiance. Un fait notoire, dont les missionnaires ont été plu-
sieors fois témoins, c'est que les employés des mandarins, lors-
([ails viennent dans les villages pour dresser les listes officielles,
oflt Fimpudence de fixer publiquement la somme que devra leur
payer quiconque ne veut pas être inscrit. Ordinairement c'est une
lÂiredecent ou cent cinquante sapèques (deux ou trois francs).
S'il s'agit de Tinscription sur les rôles de Farmée, il en coûte
00 peu plus pour y échapper ; mais avec de Targent ou en vient
Cernent à bout.
Les provisions des magasins publics n'existent que sur les
livres de compte. Dans le voisinage immédiat de la capitale, les
arsenaux sont un peu fournis. Un fort, pris par les Américains
lors de leur expédition (juin 1871), renfermait une cinquan-
taine de canons de fabrique chinoise, se chargeant par la culasse,
n y avait aussi des cuirasses et des casques en toile de coton de
quarante épaisseurs, impénétrables aux sabres ou baïonnettes,
el qu'une balle conique seule peut percer. Mais les arsenaux de
province n'ont ni effets d'habillement, ni munitions, ni une arme
ee bon état. Tout a été vendu par les employés des préfectures,
qui ont mis à la place quelques haillons et de vieilles ferrailles
inotiles. Si par hasard un mandarin honnête essaye quelques
efforts pour remédier à ces dilapidations, tous les employés
s ooissent contre lui, son action est paralysée, et il est obligé de
fermer les yeux et de laisser faire, ou bien d'abandonner son
poste ; heureux encore quand il n'est pas sacrifié aux attaques
calomnieuses qui le représentent à la cour comme un révolution-
oaire et un ennemi de la dynastie.
L'anecdote suivante, racontée par M. Pourthié, montre que
cette corruption universelle part de trop haut, pour qu'il soit
possible d*y porter remède. « L'hiver dernier (1860-61), le
flûoistre Rim Piong-ku-i a perdu la principale autorité qui a
passé à son cousin Kim Piong-kouk-i, homme violent et assez
kostile à notre sainte religion. Ce dernier est parvenu au pouvoir
par un crime d'état qui l'a rendu très-impopulaire, et qui tôt ou
tard peut lui coûter cher. Quoique beau-frère du roi, il n'avait
pas assez d'argent pour acheter le poste de premier ministre,
car ici cette dignité se vend comme tous les autres mandarinats.
La .seule différence est que les lettrés achètent les mandarinats
irdinairesau ministre en faveur, tandis que celui-ci achète sa
pbce aux eunuques. Notre petite Majesté coréenne est, comme
«MIS savez, dans le même état qu'étaient jadis nos rois fainéants.
XLll 1?(TR0DUGTI0K.
Le ministre en faveur est le maire du palais de la Corée, mais il
doit, à son tour, compter avec d'autres maires du palais, en ce
sens qu'il ne peut s'élever à cette dignité, ni la consei*ver, que
par la faveur des eunuques de la cour. Ces derniers, hommes
méprisés et méprisables, généralement petits de taille, rachi-
tiques, et d*une intelligence très-bornée, séjournent seuls avec
les nombreuses concubines royales et les servantes du palais,
dans rintérieur de la résidence royale. Les ministres et man-
darins qui ont à parler au roi, entrent dans une salle d'audience
donnant sur une cour extérieure ; les soldats et autres gardes do
palais sont consignés extérieurement. Les eunuques seuls servent
de près le roi, ou plutôt le roi n'a habituellement pour société
que les femmes et les eunuques.
a Mais la cour coréenne est très-pauvre, le trésor de l'Etat
est plus pauvre encore; les eunuques et leurs compagnes les
concubines royales et servantes du palais s'en ressenliraient, s'ils
n'avaient la ressource de se faire payer la place de premier minis-
tre, et même de temps en temps quelques autres dignités. Il faut
donc que le personnage au pouvoir accumule don sur don, et ras-
sasie, chaque jour, toutes ces sangsues avides ; mais surtout lors-
qu'il s'agit de gagner leur faveur non encore obtenue, de grandes,
d'énormes sommes sont nécessaires. Or Kim Piong-kouk-i avait
beau vendre très-cher quelques mandarinats, et revendiquer le
monopole du gen-seng, il ne pouvait acquérir assez d'argent
pour acheter tous les individus que le ministre Kim Piong-ku-i
comblait de richesses. Au milieu de l'hiver dernier, un homme
qui devait tout ce qu'il était et tout ce qu'il avait à ce même
Kim Piong-ku-i, alla trouver Kim Piong-kouk-i et lui demanda
s'il ne voulait pas saisir le pouvoir suprême. « Je ne demande
pas mieux, » répondit le beau-frère du roi, « mais l'argent seul
« peut me le procurer et je n'en ai pas assez. — Si vous me dou-
ce nez la charge de faire rentrer les impôts du midi du royaume, je
« réponds de vous procurer la somme nécessaire. — Volontiers, »
dit le ministre, et aussitôt il prit ses mesures en conséquence.
Les impôts des provinces du Midi consistent surtout en riz,
que Ton transporte par mer à la capitale. Notre homme ayant
ramassé tout ce riz et l'ayant chargé sur des barques, fit voile
vers la Chine, ou il le vendit à un prix quadruple de ce qu'il
aurait valu en Corée. A son retour, il acheta de nouveau la
quantité de riz nécessaire pour payer les impôts. La difîérence
du prix a sufli au beau-frère du roi pour gagner la faveur du
troupeau d'eunuques et de femmes qui remplissent le palais; il a
IlITRODUGTION. XUII
fût destituer son coDCurrent, et s*est emparé de toute I*autorité.
L'exportation quelconque des céréales est un crime qui emporte
la peine capitale ; à plus forte raison, la vente du riz payé en
impôt pour Tentretien du roi est un énorme crime d'Etat ; enfin,
cette fraude a été cause qu'une année de disette est devenue, pour
phsieurs provinces, une année de véritable famine. Mais que lui
importe? Tant qu'il sera puissant et riche, personne n'osera lui
defloander compte de ses actes. »
Le tableau suivant des divisions administratives , civiles et
nulitaires, est extrait du traité de géographie qui a le plus de
TOgue en Corée. Il a été corrigé, vers 1850, d'après les docu-
ments officiels publiés par le gouvernement. Les villes y sont
dassées par rang d'importance, selon le grade du mandarin
qui les gouverne.
« Le royaume a, de l'est à l'ouest, 1,280 lys; du nord au
sud, 3,998. Il est divisé en huit provinces nommées : Kieng-keî,
Tsiong-tsieng, Tsien-la, Kieng-sang, Kang-ouen, Hoang-haï,
Ham-kieng, et Pieng-an.
« La ville directement à l'est de la capitale est Nieng-haï,
à 745 lys, dans la province de Kieng-sang. La ville directement
i l'ouest est Tsiang-ien à 525 lys, dans la province de Hoang-
kal. La ville directement au sud est Haî-nam, à 896 lys, dans la
province de Tsien-la. La ville directement au nord est On-seng,
à 2,10:2 lys, dans la province de Ham-kieng (1).
I. KIENG-KEl-TO.
«
Cette province est bornée à l'est et au nord-est par celle
de Kang-ouen ; au sud et au sud-est par celle de Tsiong-tsieng ;
iQ sud-ouest par la mer (Jaune) ; à l'ouest et au nord-ouest par
la province de Hoang-haï.
(i) On coup d'œil sur la carte montre que celte orientation n*est qu'ap-
proiimalive*
XLIV
IlITRODUGTION.
« Han-iang sa capitale, et capitale de tout le royaume, est
divisée en S arrondissements. Celui du Centre renferme 8 quar-
tiers, celui de TEst 12, celui du Sud 11, celui de TOuestS, et
celui du Nord 10 : en tout 49 quartiers.
« La province de Kieng-keï renferme 36 districts, dont S2
dans la province de gauche (tsoa-to), et 14 dans la province de
droite (ou-to). Son gouverneur ou kam-sa réside à la capitale,
mais en dehors des murs, parce qu'il a peu ou point de juri-
diction à exercer dans la ville royale. Son hôtel est près de la
porte de TOuest.
Province de gauche (tsoa-to).
Chefi-lieux de dUlrlcti.
1. Kang-hoa (tle du môme nom),
V. m. (1). Résidence d*un
niou-siou.
3. KoAicG-TSiou ou San-seng, ▼. m.
Résidence d*un niou-fiitiu.
3. NiE-TSIOU,
4. SOU-OUEN ou HOA-SBNG. ▼. Ht.
Résidence d'un niou-siou.
5. pou-pieno,
6. Nam-iamg.
7. Nl-TSIEN,
8. In-tsien,
9. tsiouk-san,
10. lAIfG-REUN,
11- An-san,
12. Alf-SRNG,
13. KiM-PO.
U. Ma-tien,
15. LiONG-lN,
16. TsiN-oui,
17. Iang-tsien,
18. Kem-tsien ou Si-heung,
19. tsi-pieno,
30. koa-tsien,
21. Iang-seng.
32. Iang-tsi,
DisUoca
de la capitale.
130 lys.
50 —
170 —
80 —
50 —
130 —
130 —
80 —
180 —
120 -
62 -
170 -
60 —
125 —
80 -
123 —
40 -
33 —
150 —
30 -
110 -
120 —
Nombre
de cantoa*.
23
13
52
15
14
14
10
17
9
6
10
8
6
16
11
4
6
6
14
14
10
Province de droite (ou-to).
Chefs-lieux de dislric's.
1. Siong-to ou Kai-seng. ▼. fll.
capitale du royaume sous la
dynastie précédente. Résidence
d'un niou-siou.
2. Pa-tsiou,
3. Iang-tsiou,
4. tsiang-tan.
Distance
de la capltalf.
Nombre
de ciiiiloos.
160 lys.
80 —
60 —
120 —
17
11
33
24
Grade
da maadaria.
17 kieng-niek.
pan-koan.
mok-sa.
pan-koan.
l>ou-sa.
id.
id.
id.
id.
koun-siou.
id.
id.
id.
id.
hien-lieng.
id.
id.
id.
hien-karo.
id.
id.
id.
Grade
du uandatin.
kien-niek.
mok-sa.
id.
pou -sa.
(1) Ces deux lettres : ▼. m. signifient: ville murée.
INTRODUCTION
•
X
Dittanc*
Vcmbrt
Grade
de !• eapllale.
de caotoDi.
da mandarin.
nom)»
170
lys.
(i)
10
siou-sa.
120
—
7
koun-siou.
40
^
8
id.
80
—
7
id.
145
.~
4
id.
145
—
7
id.
100
-«
0
hien-kam.
180
—
7
id.
150
—
5
id.
140
~—
5
id.
OHA-licos da dlitrieti.
1 Kio-TONO. (tle du m6me nom),
▼. m.
6L Sak-likno,
7. KO-IANG,
iKlO-HA,
I. Ka-pieng,
10. Jihg-piuig,
h. po-tsikn,
Il EUII-TSIOUK,
13. TSIKK-6ENG,
14. Nim-TSiKNy
Ed toot : 4 niou-siou, 1 kam-sa, 3 mok-sa, 6 pou-sa, 10 koun-siout
4 hiea-lieng, 8 hien-kam, 1 siou-sa, i pau-koan, 2 kieng-niek.
On compte dans celte province, en dehors de la capitale, 136,000 maisons, (â).
SERVICE DES POSTES.
Il y a dans cette province 6 tsal-pang (directeurs des postes) chargés de
sanreiller les iek (stations ou relais de poste), ils résident à :
iek.
Ici SB,
district de
lang-tsiou.
6
fU-BOA,
—
Koa-tsien»
12
FlKRG-KOU,
—
lang-tsiou.
11
TSIOtNG-LIM,
—
In-tsien,
6
TO-OCBN,
—
Tsiang-tan,
5
KlKNG-AN,
—
Koang-tsiou,
7
1^ nombre des chevaux entretenus est de 449.
ORGANISATION MILITAIRE.
1 pieog-sa. Cest le gouverneur qui en remplit les fonctions.
1 siou-sa, dans nie de Kio-tong (golfe de la capitale) . Il a surveillance de
la marine de trois provinces.
6 ieng-tsiang. Ce sont les mandarins de Koang-tsiou, Nam-iang, lang-
taou, Sou-ouen, Tsiang-tan et Tsiouk-san, qui en font les fonctions.
4 tsioung-koun, dont un près du gouverneur, et un dans chacune des
Tilles de Koang-tsiou, Sou-ouen et Siong-to.
5 kam-mok-koan.
7 piei-t&iang.
Le nombre des soldats est de : 106,573.
II. TSIONG-TSIENG-TO.
« Cette province est bornée au nord-est par celles de Rang-
ooen et de Kieng-sang ; au sud-est par celles de Kieng-sang et
de Tsien-la ; au sud par celle deTsien-la ; à Touest, sud-ouest et
nord-ouest par la mer (Jaune) ; au nord par la province de
lieng-keî.
(1) Dont 130 lys par terre et 50 par mer.
(3) C*est le chiffre inscrit dans les listes officielles. Mais, en Corée même,
loot le monde s*accorde à dire que ces chiffres méritent très-peu de con-
isDce.
xLvin
INTRODUCTION.
Ck«flb-lku et tfistrictf .
6. PO-UNG, ▼. HU
7. Nak-an,
8. soon-tsiamg,
0. TsiAlfG-PIKlfOy
10. NiOlfG-TAM,
11. koang-ung, ▼. :
13. Okhloa,
13. KoD-RiEi, ▼. m.
14. KOK-SENG,
is. ook-pong,
16. Im-sil,
17. TsuiiG-sion,
18. Tsilf-AN,
19. TOIIG-POK,
90. Hoa-soun,
31. Hkung-iang, ▼.
de la calcule.
851 lys.
786 —
636 -
706 —
536 —
821 —
666 —
766 —
676 —
688 —
576 —
651 —
586 —
736 —
756 —
896 —
Province de droite (ou-to).
de cmioOT.
18
6
16
9
13
6
7
8
8
18
7
13
11
3
13
I.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
13.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
30.
31.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
Ckef»-lieux de «ii»uicU.
TsiKif-Tsiou, ▼. m. capitale de
la province et résidence du
kam-sa.
Na-tsiou, ▼. m.
TsiEi-TSiou (gnindelledusud)(l),
▼. m. R^idence d*un mok-sa
qui est gouverneur de file.
KoA!<G-TSion, V. m,
Tsiang-beng,
mod-tsiou,
RlB-SAN,
U-SAlf,
Ko-pou, V. ■§.
LlENG-AM, V. ■§.
LlENG-KOANG, V. ■§.
TsiK-TO, (Ile du même nom), v. m.
Keum-sa!!,
Tsm-SAïf,
KlM-TIEI,
NlM-PI, V. ■§.
Matc-kibicg, V. m.
Keim-kou,
KA^G-TSin, V. ».
NlONG>Al«. V. m.
Ham-iel,
Pou-a:i,
Ham-piexg,
iLO>SA!f,
Tai-ln,
Oi-iou, V . ».
HAM-PIE5G,
Hecg-tee.
Distance ÏCombre
de la capitale. de eaaiotta.
506 lys
740 —
1936
736
880
^0
436
450
aoo
810
710
1036
486
456
536
490
510
530
ntso
436
450
570
770
470
566
560
740
636
— ('*
(3)
36
38
4
40
15
13
11
10
18
9
38
13
13
8
33
13
6
13
31
9
30
4
8
16
8
13
8
Grade
da Bandarln.
koun-siou.
id.
id.
hien-tieng.
id.
bien-kam.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
Grale
da maadafiB.
pan-koan.
mok'Sa.
pan-koan.
mok-sa.
pou-sa.
id.
id.
koun-siou.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
hien-lieng.
id.
id.
hien-kam.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
îd.
(1. Ile de Quelpaerl.
(3; Dont 966 lys par terre et 970 par mer.
llfTRODOCTlON. XLIX
Ctete-UMs d» «btrielf. DIsUbm, ^Nombre ^^^*
d« la capital*. de cantons. da mandarin.
9. TsiiNGHnip, 996 lys. 8 hien-kam.
ai. Ko-TSiANG, T. m. 640 — 8 id.
M. MoiHTSiANG, ▼. m. 770 — 16 id.
aHoc-AK, 796 — 13 id.
SI Hahiam, Y. m. 800 - 12 id.
3L Tai-tsikiig (grande tie du sud),
Y. m. 9076 - 5 id.
S.TsiiffG-Bi (grande tle du sud),
▼.m. 9066 — À id.
En tout : 1 kam-sa, À mok-sa, 7 pou-sa, 11 koun-siou, 5 hien-lieng,
S hien-kam, 2 ]>an-koan.
Nombre de maisons : 290,550.
SBRVICB DBS POSTES.
0 y a 6 tsalpang, résidant à :
Sâmliki, district de Tsien-tsiou, 12 iek.
TsiiMG-AM, — Tsiangseng, 11 —
Pu-SA, — Tsiang-heng, 9 —
Tsin-ouEN, — Keum-san, À —
0-sioo, — Nam-ouen, 11 —
EiBHG-iANG. — Koang-tsiou, 6 —
Nombre de chevaux entretenus : 506.
ORGANISATION MILITAIRE.
ï pieng-sa; l*un est le gouverneur, Tautre réside à Kang-tsin.
3 sioD-sa; l'un est le gouverneur; un autre à Soun-rien, province de
gaoche; le troisième à Haï-nam, province de droite.
3 ieng-tsiang, dont trois dans les villes de Soun-rien, Tsien-tsiou, Na-
biOD, plus les deux mandarins de Oun-pong et Rie-san.
1 tsioang-koun, près du gouverneur.
5 kammok-koan.
6 piei-tsiang.
Nombre de soldats : 206,140.
IV. KIENG-SANG-TO.
t Cette province est bornée au nord par celle de Kang-ouen,
ao nord-est par celle de Kang-ouen et la mer du Japon ; à Test
u sud-est et au sud par la mer ; au sud-ouest par la mer et
b province de Tsien-la; à Touest par la province de Tsien-la;
ao nord-ouest par la province de Tsiong-tsieng.
« Elle comprend 71 districts dont 40 dans la province de
fauche et 31 dans la province de droite. Sa capitale, résidence
da gouverneur, est Taï-kou. »
Province de gauche (tsoa-to).
Cbefi-lieax de districts. Distance Nombre Grtde
de la capitjle. de cantona. du maudarln.
1. Kieng-tsiou, ▼. m. 770 lys. 18 pou-ioun.
1 An-tong, ▼. m. S50 — 24 taï-pou-sa.
3. NiBNG-HAi, "f . a. 74n lys. 1 pou-sa.
t. I. — L*ÉGLI8B DB CORÉE. d
ITIHODOCnON.
CMUIm <• <lftt((*i.
DJRw*
«. Il arluk.
A. Miii-uwo, T. m.
800 \ja.
3. Tsinta-soNo,
830 -
8. T*i-iou.».«.capiUledelapro-
vlncc ei résidence du kun-sa.
680 —
7. OUL-SAH,
H. ToNO-BAi, ¥. m.
930 -
9. In-tono,
800 -
10. SOUN-HWO,
470 -
11. Tmi.-ioi,
670 —
li. Tsiino-TD.
7« —
13. iKirO-TSIiN.
600 -
U. Niu-TSiw..
400 -
lit. lua-TsiBH,
470 -
la. Hkko-bai, *. M.
17. PoUItO-KIT.
440 -
18. KlH<&-!UI(,
710 -
19. KÏ.SWO.
600 -
M. lE!ta-TE(,
800 -
9<. NiAMi-êAN,
880 -
±1. BAM-lAKn.
700 —
i\. KlONO-KORfl,
480 -
SM -
«. Tmk-no-ba, ». m.
830 -
«U Kîi-iASO. ». M.
fl» -
4T. Tain-ra,
S30 —
«t. HiKt-rouKo,
«80 -
». KOVH-OUl.
S80 -
»K Pl>AM.
SSO -
31. EïKse,
830 -
.-li. SlN-llM...
flSO -
M. NisiA!..
5» -
;u. nUN>l-KI, ». ».
83» -
3S. Un-iu ». m.
TW —
.%!. Tsi^NU-i.mi),
7»1 -
:t:. N<tM:~stx,
T» -
.-«. kci tsiam;.
M» -
.V. T>n-iN,
ht liMi<u:n-..
tW —
r!vr:»iY *■ ériiiu oc-n.
X $Km VMM ». «.
4. 1SK*-«««M\, ». ».
s. KMMlkW ». ».
«. MKMMk «. ».
iimtoDucnoi^
f.
DiitaoM
Nomlm
Grade
de la capitale.
decastoot.
do mandarin.
906
lys.
10
koun-siou.
910
—
^
id.
nom),
936
—
7
hien-Iieng.
910
—
U
id.
760
-~
1«
hien-kam.
798
— .
19
id.
780
—
4
id.
850
—
3
id.
390
^
12
id.
4S0
—
6
id.
6S0
—
4
id.
660
—
14
id.
846
—
8
id.
860
'—
8
id.
886
.»
8
id.
870
—
8
id.
760
^
12
id.
860
~—
14
id.
LI
GMMIind« diatrtett.
14. KOH-UlfG, ▼• m.
15. BAF-Tsmr,
16. If AHHiAi (lie du même
▼. m.
17. Ko-MHO, ▼. m.
1& Samhu, ▼. m.
19. Et-iiing, t. m,
%, T8ILK>Ullf, T. m.
M. Tsnr-HAi, ▼• m.
S. MOUR-KUHG,
8. HlH-T8IANGy
14. TSi-RIBl.
& KO-MBIG,
SB. Tan-suig,
n. Kai-ming,
tt. Sa-tsibn, t. m.
9. OnicG-TSiBif, T. m.
90. An-by,
3t. San-tsiekg,
En tout : 1 kam-sa, 1 pou-ionn, 2 tal-pou-sa, 3 mok-sa, 13 pou-sa, 12 koun-
soo, 5 hien-lieng, 34 hien-kam, 1 pan-koan.
Le nombre des maisons est de 421.800.
SERVICE DBS POSTES.
u y a 11 isal-pang, résidant à :
loQ-iOK, district de
Ax-UYy —
TUARG-SOUy —
80KG-Wà, —
tsaikhiae, —
Sa-uun, —
SO-TSOIf, —
lOANG-SAN, —
bOM-TSlBIf, —
SiKG-HIEN, —
TSà-ll, —
Nombre de chevaux entretenus :
Moun-kieng,
An-tong,
Sin-Iieng,
Tsiengha,
Sounheng,
Ham-iang,
Tsin-tsiou,
Nieng'San,
Kim-san,
Tsieng-to,
Tsiang-ouen.
1,700.
18
10
14
7
9
18
18
16
19
13
14
iek.
organisation MILITAIRE.
3pieng-8a; Tun est le gouverneur; un aulre réside prés de ta ville de Out-
^ dans la province de gauche, et le troisième à Tsin-tsiou, province de
*Diie.
Ssioihsa; Tun est dans le district de Ko-seng, province de droite, et
s'ippeUe tong-tsiei-sa. II a autorité sur la marine des trois provinces méri-
dionales. Ce titre a été créé pendant la guerre du Japon, en 1502, pour
^mpenser un général qui battit les Japonais en plusieurs rencontres; il
^li^-élevé et très-grassement rétribué. Un autre siou-sa est À Pou-san, à
99 iys ouest dans le district de Tong-naî ; le gouverneur remplit la fonction
<ta iroisième.
6 ieug-tsiang, dans les villes de : An-tong, Sang-tsiou, Taï-kou, Tsin-tsiou,
1^-tsiou, plus le mandarin de Kim-haï.
1 tsioung-koun, près du gouverneur.
3 luinHiu>k4[oan.
tO piel-tsiang, la plupart dans les Iles ou sur les bords de la mer,
iÛDre de soldats : 310,440.
L utmamccmm.
OUilIllO JhfcfciL
4e teoi
4. Mn-iAVC, ▼. WL,
800
5. TfmG-foiiGy
030
0. TAHU>o,¥.aLei|MtaledeltpfO-
Tinee et rtsideoee dn kan-si.
000
7. (hJI/-SA]^
850
8. Toiic-iiAi, ▼. m.
«0
9. Ik-'toiig,
000
10. SOUV-OIIG,
470
il. TtILHLOS,
670
11. TsniG-TO.
740
13. ISlIO-TffId.
000
14. Hm-niBii,
400
15. Inw-Tfiu^
410
16. HniG-flAi, ▼. m.
800
17. POCHG-UT.
440
18. KiniG-SAii,
710
19. Et-sbig,
a»
90. IniG-TEK,
800
21. NUKG-SAlf,
890
s. Hâh-iakg.
700
23. IflOHG-KOHG,
400
24. PONGHIOA,
30
25. TsiKVG-HA, ▼. m.
830
26. Eif-IA9G, ▼. m.
830
27. Tsw-po,
630
28. Hini-pocniG,
680
29. Kouii-oui,
500
30. Pl-AH,
550
31. Et-iekg,
620
32. Sllf-LIEIIGf
650
33. NiEHÂK,
5»
34. TsiAHG-Ei, ▼. m.
820
35. Inf-iL, ▼. ai.
780
36. TSIAHG-LIECG,
72(1
37. NiuiG-SAïf,
750
38. Kbhtsiakg,
940
30. TSA-IK,
730
40. IclIG-IAlfG,
650
^
Province de draiU (ou-to).
33
il
8
9
13
10
13
23
13
8
8
5
19
5
6
6
10
10
5
6
6
17
10
9
11
7
7
10
8
8
7
7
7
8
ClMf^-lieox de distrirtt.
1. TSUXG-OUEN, ▼. ai.
2. Sang-tsiou, ▼. Bi.
3. SE5G-TS10U, ▼. m.
4. Tsix-TSiou, ▼. m.
5. Km-flAi, ▼. Bi.
6. SlEX-SAN, ▼. ■§.
7. Kb-tsiei (île du même nom),
8. Ha-tofcg,
9. Ke-TSiAifO,
10. HaM-IANG, ▼. WÊ.
11. TSO-KIEl,
12. Ham-an, ▼. Bi.
13. KlM-SAN,
Ditrance
de te rapitele.
810 lys.
490 —
610 —
856 —
880 —
560 —
1020 —
836 -
720 —
746 —
710 —
810 —
570 —
Xoa.bre
de raaioos.
16
14
40
70
18
18
6
12
22
18
11
18
16
id.
puhkoiii.
id.
id.
id.
kooii-sioa
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
hien-km
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
id.
Gndr
da «aiidariB
taî-poo-s;
mok*sa.
id.
id.
pou-sa.
id.
id.
id.
id.
koun-siou
id.
id.
id.
u
Ckdli-ll«in d« dtotrlcu.
14. KOM-IARG, ▼. m.
iS. Hap-tsikn,
IdlfAv-HAi (Ile du même nom),
yr.m.
17. I0-6SRG, ▼. mt,
il Sav-ka, ▼. m.
m. Et-rikng, ▼. m.
V. Tsiix>uiiff ▼. Ml.
il. Tsm-HAïf ▼. Ml.
S. MoUlf-UBIlG,
B. BAH-T8UKGf
U. Tsi-aïKi.
B. KO-RUNG,
X. Tam-suig,
Î7. Kai-ubhg,
fi. Sa-tsikn, ▼. Ml.
9. OUHG-TSIBN, ▼. 1
30. AX-ET,
3t. San-tsibng,
En tout : i kam-sa, 1 pou-ioan, 3 tal-pou-sa, 3 mok-sa, 13 pou-sa, 12 koun-
sioo, 5 bien-Iieng, 34 hien-kam, 1 pan-koan.
Le nombre des maisons est de 431.900.
SERVICB DES POSTES.
INTRODUCnon
f.
DisUnee
Nombre
Grade
de la cfti»iule.
de cutoot.
da mandarin.
906
lys.
10
koun-siou.
910
_
20
id.
nom).
936
—
7
hien-Iieng.
910
—
14
id.
760
— .
12
hien-kam.
795
—
19
id.
780
—
4
id.
850
—
3
id.
390
—
12
id.
480
— .
6
id.
OSO
-~
4
id.
660
—
14
id.
846
—
8
id.
860
...
8
id.
886
.^
8
id.
870
— .
5
id.
760
—
12
id.
860
—
14
id.
n y a H isal-pang, résidant à :
lOQ-KOK, district de
Ak-iey, —
tsiakg-sou, —
SONG-NA, —
tsang-itak, ^
Sa-uun, —
SO-TSON, —
hoang-san, —
Kecm-tsien, —
Sekg-hien, —
TSA-IB, —
Nombre de chevaux entretenus :
Moun-kieng,
An-tong,
Sin-lieng,
Tsieng-ha,
Sounheng,
Ham-iang,
Tsin-tsiou,
Nieng'San,
Kim-san,
Tsieng-to,
Tsiang-ouen.
1,700.
18
10
14
7
9
15
15
16
19
13
14
iek.
ORGANISATION MILITAIRE.
3 pieng-sa; i*un est le gouverneur; un autre réside près de la ville de Oul-
sa, dans la province de gauche, et le troisième à Tsin-tsiou, province de
droite.
3siou-sa; Tun est dans le district de Ko-seng, province de droite, et
s'appelle tong-tsiei-sa. Il a autorité sur la marine des trois provinces méri-
fiouales. Ce titre a été créé pendant la guerre du Japon, en 1592. pour
iteompenser un général qui battit les Japonais en plusieurs rencontres; il
Qt Irès-élevé et très-grassement rétribué. Un autre siou-sa est à Pou-san, à
i lys ouest dans le district de Tong-naï ; le gouverneur remplit la fonction
h troisième.
6 ieng-lsiang, dans les villes de : An-tong, Sang-tsiou, Taï-kou, Tsin-tsiou,
Kieng-tsiou. plus le mandarin de Kim-haï.
1 tsioung-koun, près du gouverneur.
3 kam-mok-4oan.
10 piel-tsiang, la plupart dans les lies ou sur les bords de la mer,
!lombre de soldats : 310,440.
uv
INTRODUGTIOIf.
Cbifs-ileux de diitricU,
Dictaace
de la capitale.
485 lys.
525 —
220 —
405 —
455 —
585 -
4. Ong-tsin, ▼. M.
5. TSIANG-IBIf,
6. Paik-tsien,
7. SONG-HOAt
8. Kang-libng,
9. eun-lioul,
En tout : 1 kam-sa, 2 mok-sa^dont un est le pan-koan de Hai4siou, 7 pou-sa,
7 koun-siou, 2 hien-lieng, 5 hien-kam.
Nombre de maisons : 138,000.
Nombre
de eaniona.
5
11
16
8
5
4
Grade
du mandarin.
pou-aa.
id.
koun-siou.
kien-kan.
id.
id.
SERVICE DES POSTES.
Il y a 3 tsalpang, résidant à :
Keum-kio, district de Keam-tsien,
TsiENG-TAïf, — Hai-tsiou,
Key-rin, — Pieng-san,
Nombre de chevaux entretenus : 396.
ORGANISATION MIUTAIRE.
8 iek.
9 —
11 —
2 pieng-sa; l^in est le gouverneur, l'autre réside à Hoang-tsiou.
2 siou-sa; Tun est le gouverneur, l'autre le mandarin de Ong-tsin.
5 ieng-tsiang ; ce sont les mandarins de Pong-san, Poung-tsien, An-ak,
Kok-san et Pieng-san.
1 tsioung-koun, près du gouverneur.
3 kam-mok-koan.
5 piel-tsiang.
Nombre de soldats : 153,800.
VII. HAM-KIENG-TO.
a Celle province esl bornée an nord-esl el à Test par le
fleuve Tou-man-kang ; au sud-est et au sud par la mer du
Japon ; au sud-ouest par la province de Kang-ouen ; à Touest el
au nord-ouesl par celle de Pieng-an ; au nord par les sauvages.
« Elle comprend 24 dislricls, dont 12 dans la province sud,
(nam-lo); el 12 dans la province nord (pouk-lo). Sa capitale esl
Ham-heng, résidence du gouverneur.
Province sud (nam-to).
Gheft-Iieux de diilrlets.
Diitance
de la capitale.
Nombre
de cantons.
Gnde
du mandarin.
1. Ham-heng, v. mi. capitale de la
province et résidence du kam-sa.
2. Ieng-heng,
3. An-pien,
4. POUE-TSIENG,
820
685
510
1010
lys.
24
12
25
19
pan-koan.
taï-pou-sa.
pou-aa.
id.
5. Tee-ouen,
560
—
20
id.
6. TiENG-PIENG,
770
—
9
id.
7. Kap-san,
1275
—
3
id.
8. Sah-siou, ▼. oi.
1365
—
3
id.
9. Tan-tsien, ▼. m.
1205
— .
9
id.
10. TSIANG-TSIN OU HOU-TSIOU,
1050
.—
5
id.
11. KO-OOBN,
645
—
6
koun-«iou.
12. MOUN-TSISN,
505
—
6
id.
inmODUCTIOIf
•
Province Nord (pouk-to).
Cbefc-li«iiz d« dJttrl«to. DliUnca
Nombre
Grade
de la eapiUto.
de cantoni.
du maDdarin
1. KiL^iOC, ▼. m. 1385
lys.
7
mok-sa.
1 KlBNG-OinUf, ▼. Ml. tt09
^
12
pou-«a.
3. HOI-RIBRG» ▼• s. 1935
mm^
9
id.
4 TSOHO-SBRO, ▼• Ml. 9032
—
5
id.
s. Off^BHG, ▼. ai. 3102
— .
12
id.
1 KiniG-HSUOy ▼• m, 2342
^
7
id.
7. POOHilXIIG, ▼. Ml. 1665
—
9
id.
8. MmiG-TSiEif , ▼. m. 1455
—
7
id.
9. MOU-SAN, T. Ml. 1840
»
9
id.
iO. KlBIG^EIfG, ▼. Ml. 1595
•^
6
pan-koan.
H. HoNG-oUEN, T. m. 920
6
bien-kam.
li Ni-siNG ou Ni-OUEN, ▼. m. 1115
3
id.
LV
En tout : 1 kam-sa, ayant titre de pou-ioun, 1 taï-pou-sa, 1 mok-sa,
16 pou-sa, 2 koun-siou, 2 hien-kam, 2 pan-koan, dont l'un (celui de
Kieng-seng) a titre de pou-sa.
Nombre de maisons : 103,200.
SERVICES DES POSTES.
li y a 3 tsalpang, résidant à :
Ko-SAN, district de An-pien, 12 iek.
Kb^h, — Pouk-tsieng, 24 —
SoihSBifO, — Tsong-seng, 22 —
Nombre de chevaux entretenus : 792.
ORGANISATION MILITAIRE.
3 pieng-sa; i*un est le gouverneur ; un autre réside à Pouk-tsieng, pro-
vince sud, et le troisième à Kieng-seng, province uord.
3 siou-sa ; ce sont les trois pieng-sa qui en font les fonctions.
6 ieDg-tsiang ; ce sont les mandarins de Hong-ouen, Kap-san, leng-heng,
TaiHsieo, Sam-siou et Tek-ouen.
1 tsioung-koun. près du gouverneur.
3 kam-mok-koan.
S pieUtsiang.
Nombre de soldats : 87,170.
VIII. PIENG-AN>TO.
c Cette province est bornée au nord-est et à Test par celle de
Ham-kieng ; au sud-est par celles de Ham-kieng et de Hoang-
hai ; au sud par celle de Hoang-haï ; au sud-ouest et à Touest par
la mer (Jaune) ; au nord-onest par le fleuve Hap-nok-kang ou
Yalu-kiang ; au nord par le pays des sauvages.
c Elle comprend 42 districts, dont 23 dans la province sud
(nam-to), et 19 dans la province nord (pouk-to). Sa capitale est
Pieng-iang, résidence du gouverneur.
1
V
Tribunaux. — Prétoriens et satellites. — Prisons. — Suppliées.
Los mandarins des districts sont les juges ordinaires poar
lotîtes les oatises qtii rossortissent aux tribunaux civik. Quand
une aiïairo n*a pu être réglée à Tamiable par les anciens du vil-
lage, et que les parties s'obstinent à faire un procès, on compa-
rait devant le mandarin qui, dans les cas ordinaires, juge sus
appel. Si Taiïaire est très-ini(>ortante. on peut recourir an goaver-
neur de la pro\inoo. puis au ministre compétent, et enfin au roi.
1.0$ causes oriiuinelles sont jugées par les mandarins mili-
tairos. Quelquoiois les mandarins civils commencent rinstni&
tiiMK afin do bien s assurer du caractère des faits, mais toujours
ils ronxoient r.iiYairo au\ ju^i-s militaires. Les procès com-
monooKt près du iong-isauf . dont le tribunal esc appelé vulgai-
romoGi tribunal dos \olours. et do là, suivant la gravité des cas,
sont rvr.\o\is au piorf-sa ou au gouverneur de la province, pais
à 'x yAv^'.'Sx. .*'.. :r:Vu::i'. ^'-fs criaios. Ce tribunal se compose de
»::\;\ vv,:rs ^v.s: :\:t>. Li :r'e!i:!;rt\ rommée po4seng, est une
o;.;: d^v,:.:;':; :v-- :r.:-:..::v- ;tx terriiis, examiner la cause, cl
jL-riv'r.:'. ,:e ^-t* : ,: s'.:* rVrvW •;.c> i\c-\ i Iiooisê- La seconde
o;-::. v::v:*^,-; .;*:•.;-:>;. ;>: :;-n'er d*> j-ges qui portent la seo-
*.:• N-^^ >^r *;^ svr.;;*>.;rx • : •;.;-:>:-:*. A--i^s5->a> du tribunal des
..•'r>f>. i .Ji :iv :jl'. x .;---;, >■ ;r:-Tir? uto cour infériearei
ex. ,v.-^5cvt,* 1 r:.> -.rriri^v -:^ r»:!::^ corrwûonnelle; on
' irçvl,*; NtA,MJL7f -'.s: ;i l : .-.ra-Lil I^ orLarfs a juridiction
>a:: ^^i'îT^ .U yo- . ; ;: >i.- .--s i:Cti> ;i i-* sxii pas digni-
u.r^rs ra:i\>^ y» i- •;> :rii::< ;■ .mw :5çti«, excepté ceux de
r:'iSfvj;ii :i h: I^^^nj^jl^c l r :"MTt sç«:CoiI, appelé KeiiD-
T^w. ic i:a: "•:> ï^.':K :r\> v- 1 , ■..-..•i rte^ i •^■•:;»*«i par le roii
aMl V; i.*Vi; i,' t:i^' •> \.k-.';.tîj. "*f< :'l':ô:5, « peut seul
* acî.'s }*i "vcc- i.M iù bi i^Sif-iiavsîc^. qwb que
l($ t^Mçoi^ÙL^^ rVij.> ,v ;•.'•-! *ir ri>^ a ûif.1** il condamné
wuc ."X, •:•:*? ;4.r>st :.LL-«iii. m 5» por^tssont
* M fxjifs M TPiTp; iii> 1 v%irr Ltîcr^ ii martyre
Shw^:?^ t>»/^!. • .7^'-s\ 71.1 iirx'*.iss « ses parents.
INTRODUCTION. LVII
SERVICE DES POSTES.
Il y a 2 isalpang, résidant à :
Tai-tomg, district de Pieng-iang, 9 iek.
E-TsiEN, — Nieng-pien, 21 —
Nombre de chevaux entretenus : 31i.
ORGAlflSATION MILITAIRE.
3 pieng-sa; Tun est le gouverneur, l'autre réside à An-tsiou.
i sion-sa; c*est le gouverneur.
9 ieng-tsiang ; ce sont les mandarins de : Souk-tsien, Tek-tsien, Tsioung-
boa, Soun-tsien, Ham-tsong, Niong-tsien, Koui-seng, Ka-san et Nieng-pien.
1 tsioug-koun, près du gouverneur.
I kam-mok-koan.
A piel-tsiang.
Nombre de soldats : i74,5S8.
LX INTRODUCTION.
DoDDons ici quelques détails sur ces agents des tribunaux, qui,
en Corée, exercent une si grande part d'autorité. Il y en a de
deux espèces, ceux qui servent les mandarins civils et ceux qui sont
attachés aux mandarins militaires ou juges criminels. Le nom
des premiers est, dans cette histoire, traduit ordinairement par
le mot : prétorien, parce qu'ils forment la cour ou le prétoire du
mandarin, et sont chargés de l'assister dans Tadmlnistration.
Les seconds, qui exercent l'emploi de nos gendarmes ou agents
de police, et relèvent du ministère des crimes, sont appelés pro-
prement satellites. On les confond quelquefois, parce que leurs
attributions, quoique distinctes, les obligent souvent à agir de
concert, et aussi parce que, dans les districts où il n'y a pas de
juge criminel, le mandarin civil a sous la main un certain nombre
de satellites pour faire la police.
Dans chaque district, les prétoriens sont en assez grand
nombre. Les six ou huit principaux portent des titres analogues
à ceux des ministres du roi, et remplissent en petit des fonctions
de même nature, car chaque mandarinat est organisé sur le
modèle du gouvernement central. Ils ont ainsi beaucoup d'auto-
rité, et souvent plus que le mandarin qui, d'habitude, tout en
les traitant comme des valets, se laisse mener par eux. Les
autres prétoriens sont des commis, huissiers ou domestiques
soumis aux premiers. Tous ces prétoriens forment dans la sociétér
comme une classe à part. Ils se marient presque toujours entre
eux ; leurs enfants suivent la même carrière, et de génération en
génération ils remplissent, dans le tribunal, des charges plus ou
moins élevées, selon leur adresse à les obtenir et à s'y maintenir.
On prétend, et ce semble avec raison, vu les circonstances, que
sans eux il n'y a pas d'administration possible. Rompus à toute
espèce de ruses, d'intrigues, de stratagèmes, ils s'entendent
admirablement à pressurer le peuple et à se protéger eux-mêmes
contre les mandarins. On les casse, on les chasse, on les injurie,
on les roue de coups de rotin, ils savent tout supporter et restent
aux aguets pour saisir l'occasion de rentrer en place, et quelque-
fois même de se débarrasser des mandarins trop sévères.
Bien qu'ils soient divisés en divers partis, cherchant mutuelle-
ment à se supplanter, à peu près comme les grands partis poli-
tiques des No-ron, Nam-in, etc., dont il a été question plus
haut, ils savent oublier momentanément leurs querelles et se
soutenir tous quand les intérêts du corps sont menacés. Un de
leurs axiomes fondamentaux est qu'il faut toujours tromper le
mandarin, et le mettre le moins possible au courant des affaires
imnoDucnoN. lxi
locales. C'est pour eux une question de vie ou de mort, car
ta plupart n'oDt pas de paye régulière, et ceux qui en ont
«ne, ne la peuvent toucher que très-rarement. Forcés d'une
part de satisfaire, aux dépens du peuple, Tavidité insatiable des
mandarins, et d'autre part, obligés de dépenser beaucoup pour
leur entretien et celui de leurs familles, ils ne vivent que des
fraudes et des exactions qu'ils commettent pour leur propre
compte. S^ils laissaient connaître au mandarin les ressources
secrètes qa'ils savent ainsi exploiter, celui-ci s'en emparerait
immédialenient, et il ne leur resterait qu'à mourir de faim. « Si
Ton avait le malheur, disait un jour un prétorien à l'un des
catéchistes de Mgr Daveluy, si l'on avait le malheur de donner
nue fois an mandarin quelque chose de très-bon, il en voudrait
toujours, et comme nous serions dans l'impossibilité de le satis-
faire, il nous ferait assommer. »
L'aventure suivante, arrivée il y a quelques années dans la
province de Kieng-keî, montre bien ce que sont les prétoriens, et
ce qu'ils peuvent. Dans une ville assez importante fut envoyé un
mandarin honnête et capable, qui, non content de maintenir
énergiquement ses subordonnés dans le devoir, manifesta Tin-
tention d'examiner et de punir toutes les malversations dont ils
s'étaient auparavant rendus coupables. La plupart étaient gra-
vement compromis, quelques-uns même risquaient d'être con-
damnés à mort. Leurs ruses ordinaires, leurs intrigues, leurs
bttx témoignages, ne pouvaient parer le coup, et Teffroi était
grand parmi eux, quand ils apprirent que des inspecteurs royaux,
déguisés, parcouraient alors la province. En découvrir un, le
suivre, le surveiller fut chose facile, et ils organisèrent de suite
leur complot. Comme il n'est pas rare que des bandits intelligents
et audacieux se fassent passer pour e-sa ou inspecteurs royaux et
rançonnent des districts entiers, il fallait persuader au mandarin
que l'inspecteur dont on avait découvert la trace était de ce
nombre, et obtenir la permission de l'arrêter. Ceux qui garrot-
teraient l'envoyé royal seraient très-probablement mis à mort ;
mais, en revanche, le mandarin serait certainement dégradé, en
Tertu de ce principe que , s'il gouvernait bien , des désordres
aussi monstrueux que l'arrestation ofKcielle d'un grand dignitaire
seraient impossibles. Le mandarin une fois écarté, les autres
prétoriens n'auraient plus rien k craindre. On tira au sort les
Doms de ceux qui devaient se sacrifier pour le salut commun, et le
soir même la pétition fut présentée au mandarin. Il refusa d'abord
delà recevoir; mais les prétoriens ne cessant de lui répéter
1JL1I INTRODUCnON.
qu'il encourait une terrible responsabilité en laissant iaipiiiii vo i
pareil imposteur, qu'eux-mêmes se garderaient bien de lui fiure i
une telle requête s ils avaient le moindre doute, puisqa'en m
d'erreur il y allait de leur vie, il céda après quelques joui i
d'hésitation, et signa le mandat d'arrêt. Munis de cette pièce, :
les prétoriens désignés par le sort se rendent le soir même dus .
l'endroit où l'inspecteur était descendu, tombent sur lui et le i
lient comme un criminel. Celui-ci décline son nom et sa dignitév -
exhibe sa patente munie du sceau royal, et fait un signal qii i
réunit de suite auprès de lui ses assesseurs et une troupe de \
ses valets. Les prétoriens simulent la surprise et la constemt- :
tion ; les uns s'enfuient, les autres tombent aux pieds du magis- ;
trat et demandent la mort en expiation du crime horrible qu'ib :
viennent de commettre à leur insu. L'inspecteur furieux les
laisse entre les mains de ses gens pour être assommés de coups,
et, en grand cortège, se rend droit à la préfecture, dégrade et
chasse le mandarin. Aucun prétorien, dit-on, ne mourut; plu-
sieurs demeurèrent estropiés, d'autres furent exilés, mais leur
but était atteint, et le nouveau mandarin, effrayé par l'exemple
de son prédécesseur, se garda bien d'imiter son zèle pour li
justice.
Les satellites ne sont pas comme les prétoriens une classe à
part, exerçant les mêmes fonctions comme par droit d'héritage,
de génération en génération. Ce sont des valets que Ton recrute
oii l'on peut, en plus ou moins grand nombre, suivant les occa-
sions et les besoins, et qui souvent ne remplissent cet office que
pendant quelques années ou même quelques mois. 11 n'est pas
rare de rencontrer parmi eux des voleurs ou autres individus
gravement compromis avec la justice, qui se font satellites pour
s'assurer l'impunité. Dans chaque district il y a des satellites
désignés sous différents noms, mais les plus adroits, les plus
insolents et les plus redoutés sont ceux des tribunaux criminels
de la préfecture de chaque province. N'ayant pas de rétribution
fixe, ils ne vivent que de rapines, et se font donner de force, par
les gens du peuple, tout ce qui leur plait. Les uns font le métier
de gendarmes, d'autres servent le mandarin h la maison, d'autres
forment son cortège quand il sort. Ils ont une adresse et une
sagacité incroyables pour reconnaître les voleurs et autres cou-
pables, et il est rare qu'un accusé, sérieusement recherché,
puisse échapper longtemps à leurs perquisitions. Mais ils ne
s'occupent guère des petits voleurs. Les prendre et les punir ne
servirait, d'après eux, qu'à en faire de plus mauvais sujets.
INTRODUCTION. LXIÎI
Quant aax bandits ou voleurs proprement dits, ils sont très-
souvent les affidés des satellites, et ceux-ci ne les livrent au
mandarin que quand ils y sont absolument forcés.
Dans les grandes villes, il y a toujours sous la main des satel-
lites quelques filous responsables, payés par la police pour être
déférés aux tribunaux quand le peuple perd patience, et que les
mandarins menacent plus que d'habitude. Avant de les empoi-
pier on convient d'avance des quelques méfaits, relativement
minimes, qui seront déclarés par les satellites et avoués par les
accusés ; sur tous les faits graves, on garde un silence profond,
et il est rare que les vrais coupables subissent le juste châtiment
de leurs crimes. D'ailleurs le gouvernement tolère beaucoup de
voleurs notoires, afin d'avoir sous la main, en cas de besoin, des
auxiliaires aussi peu scrupuleux que déterminés. A la capitale, il
j a une bande de filous, à peu près reconnue par Tautorité, et dont
les déprédations restent impunies. Si le propriétaire lésé peut
iaire parvenir sa plainte au mandarin, dans les trois jours qui sui-
vent le vol, les objets enlevés lui sont généralement rendus. Mais
les trois jours écoulés, les voleurs deviennent maîtres de tout
ce qui n'est pas réclamé, et le vendent à bas prix h des receleurs.
Dans beaucoup de villages, il y a des voleurs bien connus des
habitants et protégés par eux contre les recherches des agents du
mandarin. Peut-être en agit-on quelquefois ainsi par une com-
misération mal entendue, mais, le plus souvent, c'est par crainte
de la vengeance que ces bandits ou leurs associés pourraient
tirer de ceux qui les livreraient.
On peut aisément conclure de tout ce qui précède, combien
il est difficile, en Corée, d'obtenir justice quand on n'a pour soi
que son bon droit, sans argent ni protections. En théorie, cha-
cun peut librement s'adresser au mandarin, et lui présenter ses
pbintes ; en fait, les accès du tribunal sont si bien gardés par
les prétoriens ou satellites, qu'il faut, bon gré, mal gré, passer
par leurs mains, et réussit-on à remettre directement la pétition
dans les mains du ipandarin, qu'on n'y gagnerait rien, puisque
parce procédé on mettrait contre soi l'influence toute-puissante
de ses subalternes. Aussi, d'ordinaire, on s'adresse d'abord aux
gens du tribunal, et, si l'affaire est importante, ceux-ci tiennent
conseil, examinent ce qu'il faut déclarer, ce qu'il faut cacher,
ce qui peut être avoué sans inconvénient, ce qui doit être nié,
et enfin de quelle manière et sous quel point de vue il faut pré-
senter la chose au juge. Puis, moyennant une somme plus ou
moins ronde, ils se chargent de la réussite du procès. Bien peu
LXIV lirrRODUCTION.
de mandarins ont le courage de résister à Tinfluence des pré-
toriens, ou l'adresse de déjouer leurs intrigues.
Une autre cause d'injustice dans les tribunaux coréens, c'est
rintervention des grands personnages. Les familles des ministres,
des femmes du roi, des grands dignitaires, etc.. ont une foule
de valets ou suivants, qui s'attachent à leur service gratis, et
quelquefois même en donnant de Targent, afin d'obtenir leur
protection. Ces individus, moyennant salaire, se font entre-
metteurs dans mille affaires, et obtiennent de leurs maîtres des
lettres de recommandation qu'ils présentent au mandarin.
Celui-ci n'ose jamais résister, et la cause ainsi appuyée, quelque
injuste qu'elle puisse être, est gagnée de droit. Il est reçu
aujourd'hui que le créancier qui ne peut rien tirer de son débi-
teur, n'a qu'à promettre moitié de la somme à quelque puissant
personnage. Il en reçoit une lettre pour le mandarin, qui, sans
examiner si la réclamation est fondée ou non, condamne le débi-
teur et le force à payer. Le mandarin qui hésiterait en pareil
cas, se ferait en haut lieu un ennemi acharné, et perdrait certai-
nement sa place.
En Corée, comme jadis dans le monde entier et comme
aujourd'hui encore dans tous les pays qui ne sont pas chrétiens,
le principal moyen employé pour l'instruction d'un procès cri-
minel est la torture. Il y en a plusieurs espèces, et de plusieurs
degrés, mais la plus terrible de toutes est précisément celle qui ne
figure pas au nombre des supplices autorisés par la loi, c'est-à-dire
le séjour plus ou moins long dans les prisons. Ces prisons con-
sistent généralement en une enceinte fermée de hautes murailles,
auxquelles s'appuient à l'intérieur des baraques en planches.
Le milieu laissé libre forme une espèce de cour. Chaque baraque
n'a d'autre ouverture qu'une porte très-petite, par oii la lumière
pénètre à peine. Le froid en hiver, et la chaleur en été, y sont
intolérables. Le sol est couvert de nattes tissées avec une paille
grossière. « Nos chrétiens, écrit Mgr Daveluy en parlant de la
grande persécution de 1839, étaient entassés dans ces prisons,
au point de ne pouvoir étendre leurs jambes pour se coucher.
Ils m'ont déclaré, unanimement, que les tourments des interro-
gatoires sont peu de chose, en comparaison des souffrances de
cet affreux séjour. Le sang et le pus qui sortaient de leurs plaies
eurent bientôt pourri leurs nattes. L'infection devint insuppor-
table, et une maladie pestilentielle enleva en quelques jours
plusieurs d'entre eux. Mais la faim, la soif surtout, étaient pour eux
le plus terrible des supplices, et beaucoup de ceux qui avaient
INTRODUCTION. LXV
coerageusement confessé la foi dans les autres tortures, se
laissèrent vaincre par celle-ci. Deux fois par jour on leur don-
ndt une petite écuelle de millet, de la grosseur du poing. Ils
hrent réduits à dévorer la paille pourrie sur laquelle ils étaient
couchés, et enfin, chose horrible à dire, ils mangèrent laver-
mine dont la prison était tellement remplie qu'ils la prenaient
à poignées, i» Il est juste de remarquer que Mgr Daveluy parle
id des prisons telles qu'elles sont pour les chrétiens en temps
de persécution, et ce serait une exagération d'appliquer ses
paroles à toutes les prisons coréennes, et à toutes les époques.
Néanmoins, un fait hoi*s de doute, c'est que tous les accusés,
pûens aussi bien que chrétiens, redoutent plus la prison que les
tortures.
Ces tortures cependant sont quelque chose d'affreux. Le roi
leng-tsong, qui mourut en 1776, en abolit un grand nombre,
entre autres l'écrasement des genoux, l'application du fer rouge
sur diverses parties du corps, l'écartement des os sur le haut du
mollet, etc.. Il défendit aussi de marquer les voleurs sur le
front. Pendant les persécutions, et surtout en 1839, les satellites
livrés à eux-mêmes ont employé contre les chrélicns plusieurs
de ces supplices prohibés. D'ailleurs, il en reste bien assez
d'autres autorisés par la loi et par l'usage journalier des tribu-
naux. Voici les principaux :
1^ La planche (tsi-to-kon). On fait coucher le patient par
terre sur le ventre, et un homme robuste saisit une planche de
chêne très-dur, et le frappe avec force sur les jambes au-dessous
du jarret. Cette planche est longue de quatre ou cinq pieds,
large de six à sept pouces, épaisse d'un pouce et demi, et Tune
de ses extrémités est taillée pour servir de manche. Après quel-
ques coups, le sang jaillit, les chairs se détachent et volent en
lambeaux, et au di^ème ou douzième coup, la planche résonne
sur les os nus. Plusieurs chrétiens ont reçu jusqu'à soixante
coups de planche dans un seul interrogatoire.
8® La règle, les verges et les bâtons (ieng-tsang). La règle est
une planchette longue de trois pieds, large de deux pouces, ayant
quelques lignes seulement d'épaisseur, avec laquelle on frappe
le patient sur le devant de la jambe. Le chiffre ordinaire des
eoops est fixé à trente par interrogatoire, et comme l'exécuteur
doit à chaque coup casser la règle, il y en a toujours trente de
préparées pour chaque accusé. — Les verges sont entrelacées
trois ou quatre ensemble, et forment des cordes avec lesquelles
on fustige le patient, mis à nu, sur tous les membres. — Les
T. I. — L'ÉOLISC de CORÉE. e
XVI INTRODUCTION.
bâlODs sont de la (aille d'un homme et plus gros que le bras.
Quatre valets entourant raccusé, le frappent tous à la fois de la
pointe, dans les hanches et sur les cuisses.
3° La dislocation et la courbure des os (tsouroi-tsil). On en
dislingue trois espèces. Le kasai-tsouroi qui consiste à lier forte-
ment ensemble les deux genoux et les gros doigts des deux
pieds, et à passer dans Tintervalle deux bâtons que Ton tire
en sens contraire jusqu'à ce que les os se courbent en arc, après
quoi on les laisse revenir lentement à leur position naturelle. Le
tsoul-tsouroi diffère du précédent en ce qu'on lie d'abord ensem-
ble les doigts des deux pieds, puis on place entre les jambes
une grosse pièce de bois, et deux hommes tirant en sens contraire
des cordes attachées à chaque genou, les rapprochent peu à peu
jusqu'à les faire toucher. Le pal-tsouroi est la dislocation des bras.
On les attache derrière le dos l'un contre l'autre jusqu'au-dessus
du coude, puis avec deux gros bâtons qu'on emploie comme
leviers, on force les épaules à se rapprocher. Après quoi l'exécu-
teur délie les bras, et, appuyant un pied sur la poitrine, les
ramène à lui pour remettre les os à leur place. Quand les bour-
reaux sont habiles, ils savent comprimer les os de façon à les
faire seulement ployer, mais s'ils sont novices et inexpérimentés,
les os se rompent au premier coup, et la moelle s'en échappe
avec le sang.
4^ La suspension (hap-tsoum). On dépouille le patient de tous
ses vêtements, on lui attache les mains derrière le dos, et on le
suspend en l'air par les bras ; puis quatre hommes se relèvent
pour le frapper tour à tour à coups de rotin. Au bout de quelques
minutes, la langue couverte d'écume pend hors de la bouche, le
visage prend une couleur violet sombre, et la mort suivrait
immédiatement si l'on ne descendait la victime, pour la laisser
reposer quelques instants, après quoi on recommence. Le Isou-
tsang-tsii est une autre espèce de suspension dans laquelle le
patient est attaché en haut par les cheveux, et agenouillé sur
des fragments de pots cassés, tandis que les satellites placés
de chaque côté, lui frappent les jambes à coups de bâton.
5® Le top-tsil où sciage des jambes. Avec une corde de crin
on serre la cuisse, et deux hommes tenant chacun un bout de cette
corde, la tirent et la laissent aller alternativement jusqu'à ce
qu'elle soit parvenue à l'os en rongeant les chairs. Après quoi
on recommence un peu plus haut ou un peu plus bas. D'autres
fois le sciage se fait avec un bâton triangulaire sur le devant des
jambes.
IIITRODUCTION. l.XVII
6^ Le sam-mo-tsang ou incisions faites avec une hache ou
oogoée en bois qui enlève des tranches de chair.
Etc.. etc.
L'application plus ou moins longue et plus ou moins cruelle
de ces diverses tortures, est entièrement laissée au caprice des
joges, qui souvent, surtout quand il s'agit de chrétiens empri-
sonnés pour cause de religion, se livrent à des excès de rage, et
inventent des raffinements de barbarie, à faire frémir la nature.
Il est rare qu*après un interrogatoire suivi de pareilles tortures,
le patient puisse se traîner ; les bourreaux le ramassent sur deux
bltODS, et le portent, bras et jambes pendants, à la prison. Quand
un accusé est reconnu coupable, et que malgré les supplices il
refuse de confesser sa faute, le juge compétent porte la sentence
de mort, et à dater de ce moment, il est défendu de le torturer
davantage. La loi exige que le condamné, avant de subir sa sen-
tence, la signe de sa propre main pour reconnaître la justice du
châtiment qui lui est infligé. Les martyrs ont souvent refusé de
signer, parce que la formule officielle de condamnation portait
en Udots ou d'autres analogues : coupable d'avoir suivi une reli-
gion &usse, une superstition nouvelle et odieuse, etc.. « Notre
religion est la seule vraie, disaient-ils, nous ne pouvons attester
qa*elle est fausse. » En pareil cas, on leur prenait la main, et on
les faisait signer de force.
Quand le condamné à mort est un grand dignitaire, sa sentence
sexécute en secret, par le poison. Généralement, on fait entrer
la victime dans une chambre extraordinaircment chaufTée, on lui
donne une forte dose d'arsenic, et il meurt en peu de temps.
Tous les autres coupables sont mis à mort publiquement.
Il y a trois sortes d'exécutions solennelles :
La première est Texécution militaire, nommée koun-moun-
hio-siou. Elle se fait dans un lieu spécial, à Sai-nam-to, à dix lys
de la capitale. Cet endroit est quelquefois aussi appelé No-toul,
du nom d'un village qui se trouve non loin delà, sur les bords
du fleuve. Le condamné y est porté sur une litière en paille.
L'exécution doit être présidée par le général commandant Tun
des grands établissements militaires de la capitale. Les troupes
commencent par faire autour du patient une série de manœuvres
et d'évolutions ; puis on lui barbouille le visage de chaux, on lui
lie les bras derrière le dos, et, lui passant un bâton sous les
épaules, on le promène à diverses reprises autour du lieu du sup-
plice. Ensuite, on hisse un drapeau au sommet d'un mât, et on
lit à haute voix la sentence avec tous ses considérants. Enfin on
LXVIIl INTRODOCTION.
passe une flèche, la pointe en haut, dans chaque oreille repliée ;
on dépouille le condamné de ses vêtements jusqu'à la ceinture,
et les soldats, courant et gesticulant autour de lui, le sabre à la
main, font voler sa tête.
La deuxième espèce d'exécution publique, est celle des coupa-
bles ordinaires. Elle a lieu en dehors de la petite porte de TOuest.
Au moment voulu, on amène devant la prison une charrette au
milieu de laquelle est dressée une croix de six pieds ou six pieds
et demi de haut. Le bourreau entre dans le cachot, charge le
condamné sur ses épaules, et vient rattacher à la croix par les
bras et les cheveux, les pieds reposant sur un escabeau. Quand
le convoi arrive à la porte de TOuest, oii commence une pente
très-rapide, le bourreau enlève Tescabeau par un mouvement
subit, et le conducteur pique les bœufs qui se précipitent sur la
descente. Gomme le chemin est raboteux et rempli de pierres, la
charrette fait des cahots terribles, et le patient, n'étant plus sou-
tenu que par les cheveux et les bras, reçoit à droite et à gauche
des mouvements saccadés qui le font horriblement souffrir. Arrivé
au lieu de Texécution, on le dépouille de ses habits, le bourreau
le fait agenouiller, lui place un billot sous le menton, et lui
tranche la tête. D'après la loi, un général devrait accompagner
le cortège, mais il est rare qu'il se rende jusqu'au lieu de l'exé-
cution. Quelquefois, quand il s'agit d'un coupable dangereux et
que les ordres de la cour pressent, on ne remplit pas les forma-
lités habituelles, et l'exécution à lieu à Tintérieur de la ville près
de la porte de l'Ouest.
Pour les rebelles et les criminels de lèse-majesté, il y a une
troisième espèce d'exécution publique. Tout sepasse comme nous
venons de le dire ; mais après que la tête est séparée du tronc, on
coupe les quatre membres, qui, avec la tête et le tronc, forment
six morceaux. Autrefois on ne se servait pas de la hache ou du
sabre pour enlever les membres ; on les attachait à quatre bœufs
qui, aiguillonnés en sens contraire, écartelaient le corps du
décapité.
L'exécution militaire n'a lieu qu'à la capitale, les deux autres
se font aussi dans les provinces, avec cette différence que les
patients sont conduits au lieu du supplice sans croix ni char-
rette.
Habituellement les corps des suppliciés sont rendus à leurs
familles, et quand plusieurs sont exécutés à la fois, on attache au
corps de chacun des plaques de métal ou d'autres signes parti-
culiers pour les faire reconnaître. Quelquefois on les enterre en
I?ITR0DUCT10If. LXIX
secret, sans marque aucune, dans des lieux écartés, afin qu'il
soit impossible de les retrouver. Quant aux grands criminels,
dont le corps est coupé en six morceaux, Tusage est d'envoyer les
membres dans les diverses provinces pour effrayer le peuple et
décourager les conspirations. De vils satellites promènent ces lam-
beaux bideux sur les grandes routes, et se font donner de l'argent
par tous ceux qu'ils rencontrent. Personne n'ose leur résister,
car ils voyagent au nom du roi, et pour une affaire d'État.
Mgr Ferréol raconte que, pendant la persécution de 1839, les
satellites gardaient ordinairement pendant trois jours les corps
des martyrs pour empêcher les chrétiens de les enlever. Après
quoi les mendiants s'en emparaient, leur attachaient une corde
sous les bras, et les traînaient devant les maisons du voisinage.
Les habitants épouvantés se hâtaient de donner de l'argent pour
être délivrés au plus vite de cet affreux spectacle. Plus tard, n'y
teoaut plus, ils supplièrent le mandarin de désigner un autre
lieu de supplice pour les chrétiens.
VI. ^
Examens publics. — Grades et dignités. — Eooles spéciales. ^
#
Tout le monde sait qu*en Chine il n*y a pas, légalemeoti ^^
d'autre aristocratie que celle des lettrés. Dans nul autre ptjSi ^
on ne professe une aussi grande admiration pour la science, us ^
aussi haute estime pour les hommes qui la possèdent. L'élude :
est Tunique chemin des dignités, et Tétude est accessible à tons. -^
Sous la dynastie actuelle, il est vrai, les Mandchoux seuls ooea^ K_
peut presque toutes les charges militaires de Tempire, et bi : ;
mandarinats militaires de premier ordre sont réservés à ceux de ^
cette race qui ont un titre de noblesse héréditaire. Lesempereon --
mandchoux ont voulu ainsi contre-balancer Tinfluence desdigoi*
laires chinois. Mais c'est la seule exception. Pour avoir droit aux
charges les plus élevées de Tordre civil, pour obtenir les emplois,
les places, les faveurs, il est nécessaire et il suffit d'avoir réussi
dans les examens publics. On ne s'enquiert ni de Torigine ni de
la fortune de celui qui a fait ses preuves de savoir. Qeux-lk seuls
sont exclus qui ont exercé une profession réputée infamante.
En théorie, tout individu, si pauvre et si humble qu'il soit, peut,
s'il a conquis les hauts grades littéraires, devenir le premier man-
darin de Tempire ; mais celui qui échoue dans les examens, fût-il
fils d'un ministre ou d'un marchand dix fois millionnaire, est
légalement incapable d'exercer aucune fonction publique. Sans
doute cette loi fondamentale est très-souvent éludée en pratique,
mais tous la reconnaissent, et elle fait la base de l'organisation
administrative du Céleste-Empire.
La Corée étant depuis plusieurs siècles Thumble vassale de
la Chine, et n'ayant jamais eu de relations avec aucun autre
peuple, ou comprend facilement l'influence puissante qu'y exer-
cent la religion, la civilisation, les idées et les mœurs chinoises.
Aussi trouvons-nous en Corée le même respect pour la science,
la même vénération enthousiaste pour les grands philosophes,
et, au moins en théorie, le même système d'examens littéraires
pour les emplois et dignités. Les savants hors ligne sont con-
sidérés comme les précepteurs du peuple entier, et consultés sur
INTRODUCTION. LXXI
toutes les matières difficiles. Les plus hautes dignités leur sont
accessibles, et s'ils y renoncent, leur crédit n'en est que plus
grand, et leur influence près du roi et des ministres plus réelle.
Quand le christianisme s'introduisit en Corée, la plupart des
néophytes étaient des docteurs célèbres, et le roi Tsieng-tsong
a?ait pour eux une si grande considération que, malgré toutes
les intrigues de leurs ennemis politiques et religieux, il ne
put jamais se décider à les sacrifier. Ce ne fut qu'après sa mort
arrivée en 1800, et pendant une minorité, que Ton réussit à les
bire condamner à mort. 11 n*est pas rare de rencontrer, encore
aujourd'hui, des païens amenés à la foi par la renommée scien-
tifique et littéraire de ces premiers convertis.
Il y a, cependant, entre la Chine et la Corée, au sujet des
études littéraires et des examens publics, deux différences nota-
bles. Li première est que, en Corée, les études n'ont absolument
rien de national. Les livres qu'on lit sont des livres chinois ; la
langue qu'on étudie est, non pas le coréen, mais le chinois ;
l'histoire dont on s'occupe est celle de la Chine, à l'exclusion
de celle de Corée ; les systèmes philosophiques qui trouvent des
aieptes sont les systèmes chinois, et par une conséquence natu-
nlle, la copie étant toujours au-dessous du modèle, les savants
coréens sont très-loin d'avoir égalé les savants chinois.
Une autre différence beaucoup plus importante, c'est que,
tandis que la Chine entière est une démocratie cgalitairc sous
on maître absolu, il y a en Corée, entre le roi et le peuple, une
noblesse nombreuse, excessivement jalouse de ses privilèges,
et toute-puissante pour les conserver. Le système des examens
en Chine sort naturellement de l'état social ; en Corée, au con-
traire, il lui est antipathique. Aussi, dans l'application, voyons-
nous ce qui arrive toujours en pareil cas, une espèce de com-
promis entre les influences contraires. En droit, et d'après la
lettre de la loi, tout Coréen peut concourir aux examens, et,
s'il gagne les grades littéraires nécessaires, être promu aux
emplois publics ; en fait, il n'y a guère que des nobles qui se
présentent au concours, et celui qui h son titre de licencie ou
de docteur ne joint pas un titre de noblesse, n'obtient que diffici-
lement quelque place insignifiante, sans aucun espoir d'avan-
cement. 11 est inouï qu'un Coréen, même noble, ait été nommé
à un mandarinat important, sans avoir reçu son diplôme univer-
sitaire ; mais il est plus inouï encore, qu*avec tous les diplômes
possibles, un Coréen non noble ait été honoré de quelque haute
fonction admistrative ou militaire.
LXXII I^ITRODLXTION.
Les examens qui ont lieu dans chacune des provinces, B*<mt
de valeur que pour les emplois subalternes des préfectures.
Si Ton veut arriver plus haut, il faut, après avoir subi cette
première épreuve, venir passer un autre examen à la capitale.
On ne demande aucun certificat d'étude ; chacun étudie oii il
veut, comme il veut, et sous le maître qui lui plaît. Les examens
se font au nom du gouvernement, et les examinateurs sont déâ-
gnés par le ministre, soit pour les examens littéraires propre-
ment dits qui ouvrent la porte des emplois civils, soit pour les
examens militaires.
Voici comment les choses se passent habituellement. A Tépoque
fixée, une fois par an, tous les étudiants des provinces se mettent
en route pour la capitale. Ceux de la même ville ou du même
district voyagent ensemble, presque toujours à pied, par bandes
plus ou moins nombreuses. Comme ils sont soindisant convoqués
par le roi, leur insolence n'a pas de bornes ; ils commettent
impunément toutes sortes d'excès, et traitent les aubergistes des
villages en peuple conquis, à ce point que leur passage est
redouté autant que celui des mandarins et des satellites. Arrivés
à la capitale, ils se dispersent, et chacun loge où il peut.
Quand vient le jour du concours, le premier point est de
s'installer dans le local désigné, lequel est assez étroit et aussi
mal disposé que possible. En conséquence, dès la veille, chaque
candidat fait quelques provisions, amène avec lui un ou deux
domestiques s'il en a , et se hâte de prendre place. On peut
imaginer l'effroyable cohue qui résulte, pendant la nuit, de la
présence de plusieurs milliers de jeunes gens dans cet espace
resserré et malpropre. Quelques travailleurs opiniâtres conti-
nuent, dit-on, à étudier et à préparer leurs réponses ; d'autres
essayent de dormir ; le plus grand nombre mangent, boivent,
fument, chantent, crient, gesticulent, se bousculent, et font un
tapage abominable.
Le concours terminé, ceux qui ont obtenu des grades revêtent
l'uniforme convenable à leur nouveau titre, puis, à cheval, accom-
pagnés de musiciens, vont faire les visites d'étiquette aux prin-
cipaux dignitaires de TËtat, à leurs protecteurs, aux examina*
leurs, etc.. Cette première cérémonie terminée, en vient une
autre qui, sans être prescrite par la loi, est néanmoins absolument
nécessaire, si l'on veut se faire reconnaître par la noblesse, et,
plus tard, être présenté aux charges publiques. C'est une espèce
d'initiation ridicule qui rappelle les scènes grotesques du bap-
tême de la ligne, et dont on trouve Tanalogue, même aujour-
INTRODUCTION.
Lxxni
t. - - .
■CI
F» -■ m
an
a-
1^
dliai, diiis les plus célèbres écoles et universités d'Europe. Un
des parents ou amis du nouveau gradué, docteur lui-même, et
appartenant au même parti politique, doit lui servir de parrain,
et présider la cérémonie. Au jour marqué, le jeune bachelier ou
dacteur se présente devant ce parrain, le salue, fait quelques pas
et arrière, et s'assied. Le parrain, avec la gravité voulue, lui
biri)oaille le visage, d'encre d'abord, puis de farine. Chacun
desassistants vient à son tour lui faire subir la même opération.
Tous les amis ou connaissances ayant le droit de se présenter,
■ ont garde de manquer une aussi belle occasion. Le piquant du
jet est de laisser croire au patient, à diverses reprises, qu'il n'y a
pifls personne pour le tourmenter, et quand il s'est lavé, raclé,
lettoyé, pour la dixième ou quinzième fois, d'introduire de nou-
max personnages pour recommencer son supplice. Pendant
Hat ce temps, les allants et venants mangent, boivent et se
Npient aux frais de leur victime, et s'il ne s*exécute pas géné-
msement, on le lie, on le frappe, on va même jusqu a le sus-
pendre en l'air, pour le forcer à délier les cordons de sa bourse.
Cest seulement après cette farce grossière, que son titre littéraire
ett reconnu valable dans la société.
Les grades que l'on obtient dans les concours publics sont au
aombre de trois : tchô-si, tsio-sa, et keup-tchiei, que Ton pour-
rait comparer à nos degrés universitaires de bachelier, licencié,
docteur ; avec cette différence cependant qu'ils ne sont pas suc-
(ttsifs, et que l'on peut gagner le plus élevé sans passer par les
aitres. Il y a des docteurs (keup-tchiei) qui n'ont pas le titre de
ieeicié (tsin-sa), et un licencié n'a pas plus de facilité qu'un
utre iffdividu pour obtenir le diplôme de docteur. Comme par*
tMtf Texamen comprend une composition écrite et des réponses
traies. Les diplômes sont délivrés au nom du roi, celui de tsin-sa
sir papier blanc, celui de keup-tchiei sur papier rouge orné de
{Birlandes de fleurs.
Les tsin-sa, d'après la loi et la coutume, sont surtout destinés
à remplir les charges administratives dans les provinces. Quel-
fies années après leur promotion, on en fait des mandarins
erdinaires de districts, des gardiens de sépultures royales, etc. ;
■lis ils ne peuvent prétendre aux grandes dignités du royaume.
Les keup-tchiei ont une position à part. Ils sont comme liés
âTÉtat, et remplissent immédiatement, de degré en degré et
cmme à tour de rôle, les charges du palais, et les grandes
fenctions administratives de la capitale. On les envoie assez
novent en province comme gouverneurs, ou mandarins de
LXXIV I>TR0Dl'CT10?i.
grandes villes, mais ce n'est qu'en passant, et pour qQeb|M
années. Leur place est à la capitale, dans les ininistères, et
auprès du roi.
Les examensniilitaires sont très-difTérentsdes examens litléraini
proprement dits. Les nobles de hante famille ne s'y présenleil
point, et si par hasard quelqu'un d'eux veut embrasser la ctrrièn
militaire, il trouve moyen d'obtenir un diplôme sans passer ptr
la formalité du concours public. Les nobles pauvres et les gem
du peuple sont les seuls prétendants. L'examen porte sartoit
sur le tir de Tare et les autres exercices militaires ; on y joint une
composition littéraire insignifiante. 11 n'y a qu'un seul degré
nommé keup-tchiei. Celui qui l'obtient peut, s'il est noble, etsil
a d'ailleurs du talent et des protections, prétendre à tous les
grades de Tarmée ; s'il n'est pas noble, il reste ordinairaneot
avec sou titre seul. Tout au plus lui donnera>t-on, après des
années d'attente, une misérable place d*o(ficier subalterne.
Au reste, quelle qu'ait pu être autrefois la valeur des examM
et concours publics, il est certain que cette institution estaajofl^
d'hui en pleine décadence. Les diplômes se donnent actuellement
non pas aux plus savants et aux plus capables, mais aux pto
riches, à ceux qui sont appuyés des plus puissantes protec-
tions. Le roi Ken-tsong commença de vendre publiquement lei
grades littéraires, aussi bien que les dignités et emplois, et,
depuis lors, les ministres ont continué ce trafic à leur profit
Dans le principe, il y eut des protestations et des résistances
aujourd'hui l'usage a prévalu et personne ne réclame. Au vu e
au su de tous, les jeunes gens qui se présentent aux concour
annuels, achètent à des lettrés mercenaires des composition
toutes faites, et il n'est pas rare qu'on connaisse la liste de
futurs licenciés et docteurs même avant l'ouverture de
examens. Les études sont abandonnées, la plupart des man
darins ne savent presque plus lire et écrire le chinois, qc
cependant demeure la langue ofSciellc, et les véritables lettré
tombent dans un découragement de plus en plus profond.
Quelques détails sur certaines écoles spéciales du gouverne
ment compléteront les notions précédentes.
Les études qui ont pour objet les sciences exactes, la linguis
tique, les beaux-arts, etc., sont loin d'être en aussi gran
honneur que les éludes littéraires et philosophiques. Peu à
lettrés nobles s'y adonnent, et quand ils le font c'est pour eu
affaire de pure curiosité. Elles sont l'apanage à peu prts exclus
d'un certain nombre de familles qui forment en Corée une class
ITITBODDCTIOIf. LXXV
> kptrt, laqoelle étant au service du roi et des ministres, a des
jéiiléges particuliers, et jouit d'une assez grande considération
ans le pays. On la désigne fréquemment sous le nom de classe
wyenne, vu sa position intermédiaire entre la noblesse et le
fenple. Les individus de cette classe se marient ordinairement
; fËreeox, et leurs emplois passent de génération en génération
llenrs descendants. Gomme les nobles, ils peuvent être dégradés
et réhabilités. Ils sont exempts de la cote personnelle et du ser-
vice militaire ; ils ont droit de porter le bonnet des nobles, et
Mx-ci, dans leurs relations avec eux, les traitent sur un certain
fied d'égalité. Us sont tenus de se livrer à certaines études déter-
lioées, et passent des examens spéciaux pour obtenir leurs
Afférents grades comme interprètes, médecins, astronomes, etc.,
et one fois reçus dans telle ou telle partie, ils ne peuvent plus
fisserà une autre. Avant de leur conférer des grades, on fait,
comme pour les nobles, Texamen de leur extraction et de leur
firenté, et leur nomination se décide par le ministre compétent,
asNsté de deux autres dignitaires. Ils ont en outre, comme tous
h autres Coréens, le droit de concourir aux examens publics
nk civils, soit militaires, et, s'ils y réussissent, peuvent obtenir
lei places de mandarins jusqu'aux degrés de mok~sa et pou-sa
iidasivement, mais pas plus haut. La plupart des piel-tsang
(petits mandarins militaires ou sous-lieutenants), tsiem-sa (sous-
préfets maritimes), et pi-tsiang (secrétaires des gouverneurs et
fiotres grands mandarins) appartiennent à la classe moyenne.
Les fonctions exclusivement remplies par des membres de
tttte classe, se rattachent à huit établissements ou départements
fttincts.
!• Le corps des interprètes. C'est le premier, le plus irapor-
tiil, et celui dont les emplois sont le plus courus. Leurs éludes
«it pour objet quatre langues différentes : le chinois (Tsieng-
kak), le mandchou (Hon-hak), le mongol (Mong-hak), et le
^ponais (Oai-hak) ; et quand ils ont reçu leur diplôme dans une
t ces langues, ils ne peuvent plus concourir pour une autre.
Ht a toujours un certain nombre d'interprètes avec Tambassade
k Chine. Pour celle du Japon, qui depuis longtemps a perdu
fcson importance, c'est un înierprèle qui fait lui-même l'office
fimbassadeur. De plus, un autre interprète, qui a le titre de
bin-to, réside continuellement à Tong-naï, dans le voisinage
!• poste japonais de Fousan-kaï, pour les rapports habituels
atre les deux peuples.
2® Le Koan-sang-kam, ou École des sciences, subdivisé en
LXXTI l.lTHODUCnon.
trois branches, où Ton étudie séparémeoi l'astronomie,
scopie, et l'art de choisir les jours favorahles. Celle éco
que pour le service du roi.
3° L'Ei-sa ou Ëcole de médeciDe. Il y a deux sabdl
suivant que tes étudiants se destinent au service dn palaii
service du public. En fait cependant, les médecins so
l'une ou de l'autre sont également admis au palais, et [
aux emplois officiels.
4" Le Sa-lsa-koan ou École des chartes, dont les élèr
employés à la conservaliou des archives, et k la rédacti
rapports ofliciels que le ^ouverment envoie à Péking.
S" Le To-hoa-se ou Ecole de dessin, pour les cartes et
et surtout pour les portraits des rois.
6° Le Nioul-hak ou Ëcole de droit. Cet établisseni<
annexé au tribunal des crimes. On y étudie surtout le code
et SCS employés servent dans certains tribunaux pour ic
aux juges la nature exacte des peines portées par la loi, i
ou tel cas, d'après les conclusions de la procédure.
7° Le Kiei-sa ou École de calcul, d'où sortent les com
ministère des finances. Outre les comptes habituels de reo
de dépenses, ils sont chargés d'évaluer les frais présun
divers travaux publics, et quelquefois même de présidei
exécution.
8° Le Hem-nou-koan ou Ëcole de l'horloge. C'est U
prend les directeurs et surveillants de l'horloge du gouverD>
la seule qu'il y ait en Corée. C'est une machine hydrauli(
mesure le temps, en laissant tomber des gouttes d'eau à inie
égaux.
On compte aussi souvent comme faisant partie de la
IDoyenne les musiciens du palais, mais c'est à tort. Ces
ciens forment un corps à )>arE, et d'une condition un pe
rieure.
ft. <. ^ « • . W A. '
A'
H ISTOII{E DE L'EGLISE DE COI^ËE
na-vài
tnion
^^
^
ut ^
kameul hion
nolpeal -i
Jco-tchml hoano
^
U
U
VII.
La langue coréenne.
mens dont nous venons de parler se font en chi-
)Our objet que les caractères et les livres chinois.
*andes écoles du gouvernement, on n*étudiequela
s sciences chinoises, tandis que la langue natio-
ée et méprisée. Ce fait étrange s'explique par
ys. Depuis plus de deux siècles, la Corée est lelle-
à la Chine, que le chinois est devenu la langue
ivernement et de la haute société coréenne. Tous
pouvoir doivent écrire leurs rapports en chinois.
roi et du royaume, les proclamations, les édits
les jugements des tribunaux, les livres de science,
i sur les monuments, les correspondances, les
es de compte des négociants, les enseignes des
., tout est en caractères chinois.
;culement les lettrés et les personnes instruites,
nombre de gens du peuple savent lire et écrire
On les enseigne dans les familles, dans les écoles,
fants des nobles surtout, on peut dire que c'est
s. Il n'y a pas de dictionnaires coréens, de sorte
^endre un mot coréen dont on ignore le sens, il
le caractère chinois correspondant, ou s'adresser
i le connaisse. En Chine, les livres oii les enfants
apprendre les caractères sont imprimés en types
le nos abécédaires. Le plus souvent, on étudie
men-ly ou livre des mille caractères, qui date des
1 et Hàn. En Corée on se sert des mêmes livres,
> chaque caractère chinois se trouvent : à droite,
n à la manière coréenne ; à gauche, le mot coréen
La planche I, ci-jointe, est la reproduction de la
du Tchouèn-ly, tel qu'il est employé dans les
!S coréennes,
nt les Coréens prononcent le chinois en fait, pour
langue à part. Du reste, on sait que, même en
LXXVIII INTRODUCTION.
Chine, les habitants des diverses provinces ont une noaniëre trës-
difTérente de parler leur langue. Les caractères sont les mêmes
et ont le même sens pour tous, mais leur prononciation varie
tellement que les habitants du Fokien, par exemple, ou de
Canton, ne sont compris dans aucune autre province. II n'y a
donc pas lieu de s'étonner que le chinois des Coréens soit
incompréhensible aux habitants du Céleste-Empire, et que les
deux peuples ne puissent ordinairement converser que par écrit,
en dessinant les caractères sur le papier avec un pinceau, ou
dans la paume de la main avec le doigt.
Avant que la conquête chinoise eût amené Tétat actuel des
choses, les Coréens ont-ils eu une littérature nationale? et qu'é-
tait cette littérature ? La question est très-difficile à résoudre,
car les anciens livres coréens, tombés dans un oubli complet,
ont presque tous disparu. Pendant les longues années de son
apostolat, Mgr Daveluy était parvenu h en recueillir quelques-uns
excessivement curieux. Ils ont péri dans un incendie. Aujour-
d'hui, on n'écrit presque plus de nouveaux livres. Quelques
romans, quelques recueils de poésie, des histoires pourles enfants
et les femmes, c'est h peu près tout.
Les enfants apprennent à lire le coréen, sans s'en douter pour
ainsi dire, par la traduction qui est donnée dans les livres élé-
mentaires où ils étudient le chinois; mais ils ne reconnaissent
les syllabes que par habitude, car ils ne savent pas épeler, ou
décomposer ces syllabes en lettres distinctes. Les femmes, les
gens de basse condition qui n'ont pas le moyen ou le temps
d'apprendre les caractères chinois, sont forcés d'étudier les lettres
coréennes; ils s'en servent pour leur correspondance, leurs livres
de compte, etc.. Tous les livres de religion imprimés par les
missionnaires sont en caractères coréens. Aussi presque tous les
chrétiens savent lire et écrire leur langue, en lettres aphabéti-
ques, que les enfants apprennent très-rapidement.
Cette rareté des livres coréens, le peu de cas que les lettrés font
de leur langue nationale, et surtout la législation barbare qui
interdit l'accès du pays atout étranger, sous peine de mort, sont
cause que la langue coréenne est complètement ignorée des
orientalistes. Depuis bientôt quarante ans, il y a des mission-
naires français en Corée ; seuls, de tous les peuples, ils ont vécu
dans le pays, parlant et écrivant cette langue pendant de longues
années. Et néanmoins, chose étrange ! jamais aucun savant n'a
songé à s'adresser à eux pour avoir, à ce sujet, les notions
exactes que seuls ils pouvaient communiquer. Il n'entre pas dans
<
H ISTOIItE DE L'EGLISE DE COI(ËE liUmàus&mm
l
'orm©
Vqyelleî
Valc
ur
t^
(0
0 , euLj e
o
ù> 0)
ou
\r
'orm
H
-(I
J
INTRODUCTION. LXXIX
lonner ici une grammaire délaiilée de celte langue,
le est absolument inconnue en Europe, quelques
mrront intéresser tous les lecteurs par la nou-
\, et n'être pas inutiles aux savants de profession.
ins le cours de notre histoire, que les missionnaires
avec ardeur à Tétude du coréen. Mgr Daveluy
longtemps à un dictionnaire chinois-coréen-fran-
irlhié en avait composé un autre coréen-chinois-
litnicolas avait fait le dictionnaire latin-coréen qui
n||us de trente mille mots latins et près de cent mille
Ces divers dictionnaires, ainsi qu'une grammaire
|conimun, étaient achevés, et on travaillait au collège
afin de conserver dans la mission un exemplaire de
lant qu'un autre serait envoyé en France pour y
lorsque éclata la persécution de 1866. Tout fut
aux flammes. Depuis lors, Mgr Ridel, vicaire apos-
»rée, et ses nouveaux confrères ont refait, en partie,
martyrs leurs prédécesseurs, et préparé, à l'aide de
Stiens indigènes Irès-insiruils, une grammaire et un
de la langue coréenne. Ces ouvrages seront publiés
5nt, si les circonstances le permettent.
1. — Lettres, écriture, prononciation.
- On voit dans le tableau ci-joint (planche II) que
oréen se compose de vingt-cinq lettres : onze voyelles
consonnes.
voyelles, sept sont simples : a, ^, o, ou, eu, t, à; les
s sont mouillées, c'est-à-dire précédées du son t, lequel
avec la voyelle suivante d'une seule émission de voix:
cm. Celte modification de son s'indique dans l'écriture
ant le signe caractéristique de la voyelle,
«f consonnes simples : k, n, t, /, m, p, 5, ng, ts, et
les : tch, kh, th, ph, h. — Les quatre consonnes fc, t,
quelquefois doublées pour indiquer un son plus sec,
■que celui de la consonne simple,
position et la valeur des diphlhongues est indiquée
leaii. Nous remarquerons seulement qu'en coréen le
fermé) ou c (ouvert) ne peut s'écrire que par une
oe.
les voyelles ou diphthongues peuvent commencer ou
syllabe. Toutes les consonnes, excepté ngf, peuvent
t^galemeiK commencer une sjlbhtc?
lement peuvent la terminer, c'est — ^^~ftii
on un mol ne peut finir par f» ou j->^rf
Les sons qui manquent en rorût^*'^ mi
français, quoique le son d'une <ies *iiphi
un peu ; pour les consonnes : h. y àur,
quefois k prend le son de g dur, m
mais les Coréens ne peuvent pas pronom
même, quoiqu'ils prononccDl irès-faien
ils ne peuvent prononcer cette kilre, ni
mot, ni quand elle est jointe ininit^diatei
sonne : pour pra, tra, etc., ils soron ( obf
Écriture. — Les lettres coréen nés.
langues, ont deux formes : la forme on
donnée dans le tableau (pi. Il), et i|ui seri
mes (pi. III), et la forme cursivc ou
rante (pi. IV). Les livres impnin<5s éi
main, avant d'éirc décalqués sur \iac pli
d'y rencontrer certaines lettres qui s'élt
forme el se rapprochent de la secon J c
Chaque ligne s'écrit de haut en bas,
colonne perpendiculaire. On commence à
pagination .■îe compte également de Jroi||
que la fin d'un livre coréen si- iroiive f"
commencement. Quand une sylJiibe coiui
celle voyelle initiale est loujonis pr*'-<'<
voyelles de forme vcriicalc se phu-eiil ;
droite des consonnes qui les précèdent ;
horizontale se placent dessous (pi- H)- Aîi
î [ko), ,;„ (tioii). Si la syllabe se lerraine ^-
consonne s'écrit toujours au dessotjs de
p {ap)^^{kak), ",' {pat)...
— Le coréen pourrait aussi s'écrire sur "«"^
ù Bouche, syllabe par syllabe, comme o« '1= ''^'^
coréens de deux syllabes. Hais ce &vslfc*ï^e «es
livre purcmcnl coréen. Les missionnaires «=LlVes c
entre eux avec stcuriU', s'ëcriveni en l» ^ "«*^* "
leurs lettres seraient inicrceptées, les i-»«^\w*' ™
bas, n'y verraient qu'une succession de s.~^^ \\bWs«
Il n'y a pas, en coréen, de si^ ^^■be?- '^^
point, deux-points, etc.. nous v*^ ^-.^voto^V^w
supplée.
Le signe abréviatif (pi. H)
\
I\\\ 13ITR0DCCnO5.
•^gaiement commencer une syllabe, mais les huit premièi
lement peuvent la terminer, c'est-à-dire que jamais une
ou un mot ne peut finir par ts ou par Tudc des lettres as|
Los sons qui manquent en coréen sont : pour les voyd
français, quoique le son d'une des dipbthongues seo n|
un peu; pour les consonnes : 6, g dur, /\ v, j, cK d^i
quefois k prend le son de g dur, m et p prennent le sm
mais les Coréens ne peuvent pas prononcer les autres letti
même, quoiqu'ils prononcent très-bien r entre deux t9
ils ne peuvent prononcer cette lettre, ni au commenceme
mot, ni quand elle est jointe immédiatement à une aaU
sonne : pour pra^ ira, etc., ils seront obligés de direpîn
Écriture, — Les lettres coréennes, comme celles de toi
langues, ont deux formes : la forme ordinaire que noas
donnée dans le tableau (pi. II), et qui sert pour les livres
mes (pi. 111), et la forme cursive ou celle de récriiur
rante (pi. IV). Les livres imprimés étant d'abord écri
main, avant d'être décalqués sur une planche, il n'est p
d'y rencontrer certaines lettres qui s'éloignent de la pr
forme et se rapprochent de la seconde.
Chaque li^me s'écrit de haut en bas, syllabe sur sylli
colonne perpendiculaire. Un commence â droite de la pij
pai^nnation se compte également de droite à gauche, d<
que la lin d'un livre coréen m^ trouve là où est pour i
commencement. Quand une syllabe commence par uiievi
cette voyelle initiale est toujours précédée du signe :
\oyelles de forme verticale se placent sur la môme li|
droite des consonnes qui les précèdent ; les voyelles de
horizontale se placent dessous (pi. II). Ainsi on écrira h
f. h'o)'^ i.m(^*'ou). Si la syllabe se termine par une consonne
consonne s'écrit toujours au dessous de la voyelle précà
— Le coKvn pourrait aussi s'écrire sur une ligne horizontale, de
À }:aucht\ syllabe lur syllabe, comme ou le voit, planche 1, pour k
oonvns de deux s>llabes. Mais ce sysK'me n'est jamais employé dk
li\re puri'ment ooroen. Los missiounaires et les chrétiens, pourcorroi
oiiiro eux avec socuriti*. »*èiTiveu( en lignes 1 1 or izon taies. Lors méi
lours loi 1res seraionl iniorcepuVs, les païens, habitués à lire de I
l»as. u*> verraient iiuune su-XYSsiou de syllal)es incohérentes.
Il n'y a pas. on coréen, de signes de ponctuation : vil
jHMni. deu\-poinis, eio... nous verrons plus loin comment
supplée.
Le si^Mie abieviaiit ^pl. U^ indique qu'il faut répA
INTRODUCTION. LXXXI
superposée. S'il est écrit deux ou trois fois, c*est qu*il
tr les deux ou les trois syllabes précédentes.
lois euphoniques font modifier le son de telle ou telle
rant telle ou telle initiale. Le plus souvent on n'écrit pas
ments. Quelquefois cependant ils passent dans Técri-
ir exemple : { finale se trouvant presque toujours élidée,
prononciation, devant une consonne initiale, il n*est pas
'on se permette de la supprimer en écrivant.
rtion. — Nulle règle écrite ne peut enseigner la pro-
ion exacte d'une langue étrangère. Cet axiome est vrai
pour la langue coréenne, à cause des voyelles indétermi-
eu^ d, qui représentent toutes les nuances de son, depuis
moet, en passant par eu fermé (comme dans peu), par eu
(comme dans peur), jusqu'à Yo ouvert (comme dans or).
féiles se prennent aisément, en certains cas, Tune pour
et les Coréens eux-mêmes s'y trompent.
a des voyelles et des diphthongues brèves et longues,
seul peut les faire reconnaître, car aucun signe particu-
les distingue dans l'écriture.
|eoDsonne tj ou ts a été quelquefois traduite par dj ou tch.
l, elle a une valeur mitoyenne entre ces diverses pronon-
\, et ne peut être représentée exactement par aucune,
consonnes désignées dans le tableau sous le nom i'aspi-
iraient plutôt s'appeler expirées. Le terme adéquat serait :
crachées, car le son que produit un gosier coréen en
lODçant ressemble à celui de l'expectoration,
tr plus de détails, voir la planche 11.
§ 2. — Grammaire (parties du discours).
:, déclinaisons. — 11 y a en coréen un très-grand nombre
ibstantifs monosyllabiques. Exemple : fc/io, nez ; tp, bouche ;
œil ; ni, dent ; moun, porte ; kat, chapeau ; piôk, mur, etc.
[plupart sont de deux syllabes. Exemples : saràm, homme ;
U front ; sàtjà, lion ; kitong, colonne, etc. — Ceux de trois
labes et plus sont presque toujours des noms composés.
Les mots chinois abondent dans la langue coréenne. Le peuple
I campagnes s'en sert assez peu, mais les savants, les habi-
Ils des villes et surtout ceux de la capitale, les emploient avec
itfasion. Ces mots suivent les règles ordinaires de la gram-
lire coréenne.
Les substantifs n'ont pas de genre. On indique la différence
T. !• — L^ÉGUSE DK CORÉK. f
LXXXII INTRODUCTION.
des sexes par des noms différeots ; ou bien on met les m
siou^ mâle ; am, femelle, devant le nom de Tespèce. Les p
des animaux se désignent, suivant Tespèce, par les mots m
atji^ etc., ajoutés au nom ordinaire.
Les noms de métiers, professions, etc. , se forment avec la
ticuleXrotin qui correspond à la terminaison latine atar. E\.
ouvrage, t{-^un, ouvrier; namouy bois ; namou-koun^ bûche
tjim^ faix, tjinv-koun^ portefaix ; norom, jeu, norom-ftotin, jeu
Le coréen étant une des langues qu'on nomme agglutinw
pour les distinguer des langues à flexions, n'a qu'une s
déclinaison. Elle est formée de neuf cas, ou, si Ton veut, de
En efTet, par une particularité assez bizarre, le nominatif a
terminaison spéciale qui le distingue du nom pur et sin
Voici les terminaisons des différents cas :
Nominatif :
•
le, la, quidam.
Instrumental :
ro.
par, quo^ quâ.
Génitif :
eûé,
de, du, de la.
Datif :
éké^
à, au, à la.
Accusatif :
eul^
le, la.
Vocatif :
a,
ô.
Locatif :
en, sur, m, ubi
Ablatif:
ésiÔ^
de, ex, a6, unA
Déterminatif:
eun.
quant à.
Ces divers cas s'ajoutent au radical du nom de la mai
suivante :
Lorsque le nom se termine par une voyelle, on insère ava
terminaison de Taccusatif, la lettre euphonique r; avant
du vocatif, la lettre t ; avant celle du déterminatif, la lettre
ce dernier cas s'écrit alors nàn au lieu de neuriy les deux
étant presque identiques. Ex.:
sio^
bœuf.
Nominatif :
siO'iy
le bœuf.
Instrumental :
sio^o,
par le bœuf.
Génitif :
sio-eué^
du bœuf.
Datif :
siO'éké,
au bœuf.
Accusatif :
sio-{ryeul.
le bœuf.
Vocatif :
sto-(i)-a.
ô bœuf.
Locatif :
sio-é^
dans, sur le bœu
Ablatif :
sio'ésiô.
du bœuf.
Déterminatif :
siO'{nyân,
quant au bœuf.
Nota» — {• Si la voyelle finale est / ou Tune des diphlhoDgues foi
INTRODUCTION. LXXXIII
ajODte pas la terminaison du nominatif, qui, en ce cas, n'est que
' et simple.
3t les mots terminés en a insèrent entre cette finale et les termi-
nelles la consonne h euphonique. Ils se déclinent alors comme
-minés par une consonne, excepté pour le vocatif dans lequel Vh
i le vocatif devient (i)-a, selon la règle ordinaire.
)ms terminés par une voyelle, font quelquefois leur nominatif en
au lieu de t, les autres cas restant les mêmes.
le le nom se termine par une consonne autre que I, on
ant la terminaison de Tinstrumental la lettre eupho-
Ex. :
saràm,
homme.
f:
«arâm-t,
rhomme.
ital :
8aràm'-{euyro^
par rhommé.
saràm-euéj
de rhomme.
saràm-éké,
à rhomme.
•
•
sartfm-ew/,
rhomme.
saràm'-a^
ô homme.
saràm-é,
dans, sur Thomme
sar&m-esiô,
de rhomme.
atif:
sar&fï^-eun^
quant à Thomme.
1» Les mots terminés en n^, insèrent quelquefois un h euphoni-
les terminaisons casuelles, excepté au vocatif. Avec Vh eupho-
tif est indifféremment héké ou heuéké, Tablatif hésiô ou heuésiô,
is grand nombre des mots terminés en s et quelques-uns terminés
ent un j ou ts euphonique avant les terminaisons des cas autres
itif, ce qui entraîne certains changements euphoniques : inst. (i-â)-
'èké^ accus, (syàl^ etc...
le le mot se termine par la consonne /, la terminaison
strumental devient par affinité lo.Ex. :
pal^ pied,
if : pal-i, le pied (pron. : par-i^ v. pi. II, Obs.)
ntal : pal-lo, par, avec le pied.
pal^eué^ du pied (prononcez : par-eue).
, etc.
iriel de tous les mots se forme en ajoutant la terminaison
e décline suivant la règle précédente. Ex. :
1, homme, saràm-teul^ les hommes, saràm-teul-i ^
ul-loy saràm-teul-eué^ saràm-teul'éké, etc. (Prononcez:
eur-t, saràm-teur-'euéy saràm-teur-éké, etc.)
remarques compléteront cet exposé des règles de la
>on coréenne. 1° Dans un certain nombre de mots ter-
ût par une consonne, soit par une voyelle, Tusage a rem-
terminaison éké du datif, par la contraction kki. 2® En
LXXXIV IWTROOUCTIOW .
coréen, comme dans la plupart des langues agglutinatives, on
indique certaines nuances de signification, en surajoutant les
unes aux autres les terminaisons de divers cas. Ainsi on ren-
contre les terminaisons composées : ké-ro (dat. instr.), kè-ro-siè
(dat. instr. abl.), etc.
Adjectifs. — En coréen, il n'y a pas d'adjectifs proprement
dits. On les remplace par des substantifs ou par des verbes.
Quand un adjectif indique la matière d'un objet, sa nature,
son essence distincte, et quMl peut, en français, se remplacer par
un nom au génitif, comme dans les expressions : âme humam
(d'homme), brise printanière (de printemps), cet adjectif se
rend en coréen par un substantif que Ton place avant le nom
qualifié.
Exemples : langue coréenne, isio-siôn-mal (Corée-langage) ;
Toreille humaine, saràm-koui (homme-oreille). Le premier
substantif reste toujours invariable, et le second seul se décline.
Les adjectifs qualificatifs, comme: bon^ grand, puissant, sont
remplacés par des verbes, de la manière suivante. Si Tadjectil
est seul avec le substantif, on se sert du participe relatif passé,
qui se place avant le substantif et demeure invariable. Si, au
contraire, Tadjectif est Tattribut de la proposition, le verbe se
met après, au temps voulu.
Exemple : le verbe neutre kheu-ta signifie : être grand ; son
participe relatif passé est kheun, qui a été grand, qui est grand.
Les expressions : une grande maison, de grandes maisons, à une
grande maison, etc., se diront : kheun tsip, kheun tsip-teul,
kheun tsip-éké, etc. Si, au contraire, on veut traduire : la maison
est grande, la maison sera grande, la maison était grande, on
dira : tsip-i kheu ta, tsip-i kheu-ket-ta, tsip-i kheu-tôni, etc.,
en conjuguant le verbe kheu-ta dont tsip est le sujet.
On se sert presque toujours comme adjectif du participe rela-
tif passé, parce que la qualité existe dans Tobjet antérieurement
à Taffirmation qu'on en fait. Avec les expressions : digne de,
propre à, probablement, etc., on emploierait le participe relalH
futur, parce que ces expressions impliquent une nuance de
fu tu ri té.
Tous les mots coréens peuvent devenir adjectifs, à l'aide def
participes du verbe être ou du verbe faire. (Voir divers excraplef
dans le Pater et YAve, pi. III, IV.)
Les participes relatifs employés comme adjectifs, deviennent
quelquefois de véritables substantifs et se déclinent comme tels
IIITRODUGTIOIV. LXXXV
De même que nous disons en français : un égal, les petits, etc.,
OD dira en coréen : kàtheun-éki, à un égal ; tsiôkeun-eu-ro^ par
an petit, etc.
Le comparatif s'exprime par les mots : td, plus, ou MI, moins,
placés devant Tadjectif (participe ou verbe). Ex. : tô nap-ta^
être plus haut ; tôl peulkeun kôt^ la chose moins rouge {litt.^
BQoiDS rouge-étant chose). On peut employer aussi le verbe po-ta^
voir. Ex. : t saràm-i na po-ta kheu~ta^ cet homme est plus
grand que moi {litt. cet homme moi voir étre-grand). — Enfin
ffhîa peut s'employer avant les mots td et loi. Ex. : hè tàl
po-(a tô nop-to, le soleil est plus haut que la lune {Htl. soleil
Inné voir plus étre-haut); hè piôl po-ta tôl nop-ta^ le soleil est
moins haut que les étoiles.
Le superlatif relatif se rend par le mot t$%oung-é, entre,
parmi, qui précède Tadjectif. — Ex. : moteun saràm tsioung^
kheik4a, être le plus grand des hommes {litt. tous hommes entre
être-grand).
Le superlatif absolu se forme avec les adverbes tsikeuk-hi^
Ms, extrêmement ; onf^ûm-t, entièrement, etc., placés devant
Fadjectif. Ex. : tsikeuk-hi nop-ta^ très-haut {litt. extrêmement
itre-haut).
Noms de nombre. — La langue coréenne n'a de noms que
pour les unités et les dizaines.
1, hàna; 3, tout; 3, set; 4, net; 5, tasàt; 6, iôsat; 7, ilkop;
8, iôtalp ; 9, ahop; 10, iôl.
li, itfr-fctfna (dix-un); 12, iôl-toul (dix-deux), etc..
SO, seumoul; 30, siorheun; 40, maheun; 50, souin; 60,
iimun; 70, irheun; 80, iôteun; 90, aheun.
Les noms : cent, mille, dix mille, etc., sont tirés du chinois,
et quand on les emploie au pluriel , leur nombre doit être
indiqué par les noms chinois des unités. Ex. : trois cent
ioixante-cinq ans, le mot pe/c, cent, étant chinois, on ne peut
pas employer le mot coréen sét, trois, et dire sét-pèk; il faut
prendre le mot chinois sam, trois, et dire sam-pèk. Ensuite, si le
nom de la chose comptée est coréen, soixante-cinq se dira en
coréen ; si ce nom est chinois, soixante-cinq devra être également
en chinois ; par conséquent, selon qu'on emploiera pour le mot :
année, Texpression coréenne Aé, ou l'expression chinoise niôn^ on
dira : samnpèkiisioun'tasàt hè, ou bien sam-pèk-niouk-sip-o
nifti, trois cent soixante-cinq ans.
IjCs noms de nombres cardinaux se placent avant le mot dont
LIIXTI INTRODDCTIOll.
ils désirent la quantité. Exemple : ammotU-sarilm, i
liommes.
Ces noms employés seuls peuvent se décliner comtnetm
autres noms ; mais, placés devant un subslaoïif pour le quai
ils deviennent adjectifs, et par conséquent restent invariabli
Les nombres ordinaux se forment en ajoutant aux non
cardinaux coréens la terminaison tsè. Ex. : toul-tsè, deuiii
ilkop-tsè^ septième. De même qu'en français on ne dit [
unième, en corûen on ne dit pas kàna-tsè, mais tchiSt-t
premier. Les nombres ordinaux chinois s'obtiennent en pré
aux nombres cardinaux le mot tiei. Ex. : tiei-sam, trois!
liei-sip, dixième ; tiei-pék, centième. Ils s'emploient avi
mois chinois, selon la règle expliquée plus haut.
Les noms de nombres ordinaux précèdent le substantif el
invariables. Employés seuls, ils peuvent se décliner.
Pronoms. — Le coréen n'a que deux pronoms personnel:
je, moi; et nô, tu, toi. Comme dans les autres langues
même famille, c'est un des pronoms démonstratifs qui sert
la troisième personne : il, lui. Le plus ordinairement empic
lia, celui-là, celle-là, cela.
Na etnï se dâclinent suivant la règle générale. Deux ca
lement font exception. Le nominatif, qui se forme avec I
minaison ka, est pour la première personne : nè-ka au 1
na-ka ; pour la seconde : né-ka au lieu de nâ-ka. L'instruc
de la première, personue est nal-lo, celui de la seconde est i
Enfin, on trouve au datif, outre la forme régulière, les forme
tractées : nè-kké, ne'-fcfce.
Le pluriel de la première personne est : ouri, nous ; ce
la seconde : nôheuè, vous. On emploie égalemeoi d'autre
riels dérivés des précédents : ouri-teul, nous ; nôkeué-têui
Tous ces pluriels .se déclinent suivant la règle générale.
Chez toutes les nations, mais surlout dans les pays m
pronoms pcrsonoeU est restreinl par les règles de la pirtIU
homme du peuple, s'adressant iM/ÊÊÊBAuîa, ne ^n'
je ou moi, il tlira, en pnrlant^^^^^^ - — '
forte raison nedira-l-il p"» S^
litre voulu, c
(leur, eic... !
oun,
Il n'y a pas de pronoi
ce sont les pronoms
nôheué, placés
par position, ei
INTROOUGTlOIf. LXXXVII
dire qa'ils demeurent alors invariables. Le substantif
lide et prend, le cas échéant, la marque du pluriel.
rail également employer le pronom personnel au géni-
par exemple : na-eué tsoé^ de moi le péché, au lieu de
m péché.
noms et adjectifs démonstratifs sont : i, fîo, keu, (sa,
is signifient : ce, cet, celui, celle, ceux, celles, ces.
e les personnes ou les choses rapprochées, et corres-
elui-ci, ceci, etc. — tid s'emploie pour les personnes
»es éloignées, et signifie : celui-là, cela, etc. — keu
personne ou la chose dont on vient de parler. — tsia
iploient avec les participes relatifs des verbes. Ex. :
tn tsia (salut ayant fait celui), celui qui a sauvé;
rang hànàn pa (père-mère amour faisant celui), celui
es parents. — tsia se dit des personnes, pa se dit des
et des choses. .
; pronoms, quand ils ne sont pas joints à un substantif,
it suivant la règle générale. Quand ils précèdent un
ils deviennent adjectifs et restent invariables,
loms et adjectifs interrogatifs sont : nout, noukou^ qui ?
lersonnes ; moudt^ quoi? pour les choses ; Snà^ dttdn^
* les personnes et les choses. iSnà signifie proprement :
mtre plusieurs {quis) ; ôti^, quel ? de quelle espèce?
Ex. : Snà saràm tnta, quel homme est-ce? ioan-i
m être), c'est Jean, ôttdn saràm tnta, quel homme
éak hàn saràm-i olsipAa (mal ayant fait, mal faisant
e), c'est un mauvais homme. Ces pronoms se déclinent
ont employés comme pronoms, c'est-à-dire isolément,
ijectifs, ils restent invariables,
om réfléchi est tsakeué^ soi-même, qui se décline régu-
On emploie aussi tsô^ tsé qui se décline comme le
5 la seconde personne n^, ne, etc..
pas en coréen de pronoms relatifs, on y supplée par
ipes relatifs joints aux substantifs ou aux pronoms
tifs, comme nous venons de le voir.
, conjugaison. — Il y a, en coréen, des verbes actifs et
neutres, mais ces dénominations n'ont pas exactement
îns que dans nos langues. Un verbe actif, en coréen,
ui exprime une action, qu*ellc soit faite ou reçue par le
^lle se passe en lui ou hors de lui ; ce qui inclut les
nsitifs, intransîtifs et passifs de nos grammaires. Fatre,
LXXXVllI INTRODUCTION.
pâtir, dormir, sont des verbes actifs. Les verbes neutres, qni
seraient peut-être mieux nommés verbes qualificatifs ou verbes
adjectifs, sont ceux qui expriment une qualité ou une manière
d'être : être grand, être beau, etc. . .
Il suit de là que les verbes coréens n'ont pas de voix passive.
Un y supplée par les divers modes du verbe actif, surtout pir
les participes relatifs, ou bien par une inversion dans la cons-
truction de la phrase.
En revanche, les verbes coréens comptent au moins sept voix
différentes. Outre la voix active ou verbe afiirmatif, il y a le
verbe éventuel, le verbe interrogatif, le verbe négatif, le verbe
honorifique, le verbe causatif, le verbe motivant, etc..
Comme plusieurs autres langues de la même famille, le coréen
a deux verbes substantifs : it-ta, qui signifie Texistence pure et
simple, et il^ta, qui signifie Tessence, la nature du sujet, it-ta
veut dire : exister; il-ta veut dire : être telle chose.
Les verbes composés sont excessivement nombreux. Ils se
forment par Tunion d*un substantif et d'un verbe, ou de deux
verbes ensemble. — Tous les noms peuvent devenir des verbes
par Taddition du verbe il-ta, être : homnie-être, f ère-être, etc. ;
ou du verbe hà-ta, faire : travail-faire (travailler), joie-fairt
(se réjouir), etc. — Quand deux verbes se joignent, le premier est
au participe passé verbal, ou gérondif passé, et le second seul
se conjugue. C'est de cette manière que la langue coréenDe
supplée à ces prépositions qui jouent un si grand rôle dans les
verbes de nos langues. Ex. : apporter se traduira par les verbes
prendre et venir : ayant pris, viens (apporte) ; emporter se
construira de la même manière : ayant pris, va (emporte].
La conjugaison coréenne est d'une simplicité toute primitive.
11 n'y a ni nombres, ni personnes. La même expression signifie :
je fais, tu fais, il fait, nous faisons, vous faites, ils font. Si le
sens de la phrase ne suffit pas pour indiquer le sujet, on fait pré-
rider le verbe d'un pronom personnel. — Les modes sont : l'in-
dicatif, l'impératif, Tinfinitif et les participes. Il n'y a pas de
subjonctif ou optatif.
Dans chaque forme du verbe, il faut distinguer trois choses :
la racine, le signe du temps, la terminaison. — La racine, ou
le radical du verbe, indique purement et simplement l'état ou
l'action que signifie le verbe. Elle est par conséquent immuable.
— Le signe du temps indique si cet état ou cette action a eu
lieu auparavant, a lieu maintenant, ou aura lieu plus tard.—
La terminaison marque la différence entre les temps principaux
IlfTRODUCTIOIH . LXXX1X
les temps secondaires. Elle change ordinairement avec les
«fses voix des verbes.
Les radicaux coréens sont de deux espèces : ceux qui rendent
iréela consonne qui les suit immédiatement, et ceux, beau-
p plus nombreux, qui n'exigent pas cette aspiration. La ter-
aison de Tinfinitif, qui est ta dans ces derniers, devient, dans
iremiers, tlia. Ex. : hà-ta, faire ; no-tha, lâcher,
es signes de temps n'étant autres que les participes verbaux,
iporte, avant tout, de bien déterminer ce que sont ces parti-
s, et de les distinguer des participes relatifs. Dans nos lan-
, le même mot joue les deux rôles ; nous disons : dominant
dère, il garda le silence, et : Thomme dominant ses passions
ophera. Dans le premier exemple, dominant n'est pas un
able participe puisqu'il ne participe pas de la nature de
xtif, ce serait plutôt une espèce de gérondif. Dans le second
dominant joue le rôle d'adjectif, et remplace le verbe avec
relatif. Or il y a, en coréen, deux formes différentes de
cipes^ pour exprimer ces deux sens difTérents. Les premiers
les participes verbaux, et les seconds les véritables parti-
, ou participes relatifs.
lÎDtenant, comment se forment les participes verbaux? — Le
npe futur se forme en ajoutant au radical la particule ké
ans les verbes en tha devient khé. Ex. : hà-ta^ faire, hà-ké,
it faire ; no-tha, lâcher, no-khé, devant lâcher. — Le par-
) passé se forme en ajoutant au radical Tune des voyelles
ô. Dans les verbes en tha, cette particule devient ha ou hd
no-tha, lâcher, no-ha, ayant lâché ; nd-tha^ placer, nd-hô,
placé. Dans les verbes en ta, la voyelle a ou J se joint au
il soit directement, soit à l'aide d'une lettre euphonique.
hà'ta, faire, hà-iô, ayant fait ; tsô-ta, boiter, tsd-^, ayant
; sin^tà, chausser, sin-d, ayant chaussé. Les verbes dont le
al est en a, n'ajoutent rien. Ex. : tsa-ta, dormir, tsa, ayant
1.
3- — Les règles euphoniques à observer dans la formation du participe
verbal, étant assez compliquées, le dictionnaire, tout en donnant les
sa rmfinitif, indique toujours ce participe.
n'y a pas en coréen de participe verbal du présent. C'est le
iâlpur et simple qui en tient lieu. En effet, dès lors que la
ièrc d'être ou l'action affirmée par le verbe n'est rapportée
«passé, ni au futur, elle est, par cela même, au présent
itud. Ce présent suffit pour les verbes neutres, puisqu'ils
riment seulement un état, une manière d'être ; il suffit, par
XCIV INTRODUCTION.
Od voit que les règles de la civilité compliquent terriblement les
règles de la grammaire. — 3^ Beaucoup de terminaisons sont
usitées, pour indiquer certaines nuances de sens : l'affirmation,
la possibilité, le doute, la probabilité, Tespérance, le repro-
che, etc. etc.. — 3*" Enfin, il y a des terminaisons spéciales
pour indiquer que le sens de la phrase est suspendu ou terminé,
en un mot, pour remplacer la ponctuation.
Ces diverses particules terminatives s'ajoutent : les unes au
radical, les autres aux participes verbaux, d'autres à la termi-
naison régulière, d'autres enfin à l'une ou à l'autre forme indifTé-
remment. De plus, elles se surajoutent et s'agglutinent très-sou-
vent les unes aux autres, pour former un sens complexe, lequel
est la résultante des sens de chaque fragment séparé. On conçoit
qu'avec un pareil système, applicable aux divers temps et ^ux
diverses voix de chaque verbe, la somme de toutes les termi-
naisons simples ou composées que peut avoir un radical s'élève
à un chiffre énorme: Les Coréens en comptent plusieurs milliers,
mais dans les listes qu'ils en donnent^ il faut retrancher beau-
coup de composés qui sont, non des terminaisons, mais de véri-
tables phrases. Ainsi, par exemple, ils comptent parmi les ter-
minaisons des verbes le mot (té, temps (ou son locatif ttè-é), qui
se joint aux participes relatifs pour signifier : lorsque : hàn-ttè-é,
lorsqu'il a fait ; hàl-Uè-é, lorsqu'il fera.
Un mot seulement des terminaisons qui constituent la ponc-
tuation et remplacent la virgule, le point, le point et virgule,
les deux points, signes inconnus dans l'écriture coréenne. — La
virgule s'indique le plus ordinairement par la terminaison ko,
quelquefois par mid, ou par io (du verbe %l~ta), ou isio (du verbe
honorifique m-to). La conjonction : et, en coréen oa, koa^ hoa,
les formes du vocatif a, ta, id, peuvent également indiquer une
virgule. — Le point et virgule se rend par les terminaisons
miô^ hàni, tm. — Les deux points sont indiqués par les termi-
naisons a, ia^ iô d'un participe passé, lorsqu'une énumération
doit suivre, et parla particule té, lorsqu'on va citer les paroles
de quelqu'un. — Le point est exprimé par toutes les combi-
naisons de particules qui se terminent en ta on ra: niray intra,
nanita, nantota^ tota^ tosoita^ et par d'autres encore comme sio-
sid, etc. (Voyez le JPatér et VAve Maria en coréen, pi. III et IV).
Adverbes. — Les adverbes simples sont en assez petit nombre.
Ex. : tô, plus; toi, moins; tto, encore; miôt, combien; man,
seulement, etc. Ces mots ont été ou sont encore de véritables
INTRODUCTION. XCV
substantifs, signifiant : le plus, le moins, etc.. Parmi les
adverbes composés, les uns sont des substantifs, adjectifs, ou
pronoms mis au cas voulu, le plus souvent à Tablalif, au locatif
et à instrumental. La plupart sont plutôt des locutions adver-
biales. Ex. : ônà'Uè (quel temps) quand ? ; tiô-ttè (ce temps-là),
dernièrement ; tsion-é (dans le devant) , avant ; hou-^é (dans
l'arrière), après ; iô-keué, ici ; xô-heui-siô^ d'ici ; tiô-keué^ là;
tiô-kené sid, de là ; tt(hhan^ aussi ; han-katsi-rOy ensemble ; ôttô-
khé, comment ; etc. Les autres adverbes composés se forment
des verbes neutres en ajoutant au radical i, At, kei, kheiy Ex. :
polk'i, évidemment; kateuk-hi, pleinement; kheu-ket^ grande-
ment; etc.
Postposttions. — Elles tiennent lieu de nos prépositions. Les
principales sont celles qui servent pour la déclinaison, il y en a
une ou deux autres. Ex. : Aiiri, avec. Les Coréens en comptent un
certain nombre, qui sont en réalité des locutions postpositives.
Ex. : po-ta, en comparaison de {liit. voir) ; isoung-é^ dans,
parmi; tV/fdfta, par ; oui-hàiay pour. Ces deux dernières sont des
participes verbaux qui gouvernent Taccusatif.
Conjonctions. — La conjonction et se traduit par oa quand le
mot précédent finit par une consonne , par hoa lorsqu'il finit
par une voyelle. Souvent aussi on emploie ko, seul ou avec le
radical M du verbe faire : hà-ko. Ces particules étant plutôt des
participes continuatifs que de véritables conjonctions, se placent
après le mot, et doivent être répétées après chacun des mots ou
des propositions que l'on veut relier ensemble. Ex. : kenl-sseu-ko
tsèk'po'ko, écrire-et lire-et. Les autres conjonctions sont : Aofc,
ou; manàn, mais; pirok^ quoique, etc.. On rencontre aussi
des locutions conjonctives. Ex. : iônkoro, donc {litt. par le être
ainsi).
Interjections. — Les principales sont : éfco, hélas ! ; é, é, fi ! ;
ana, iôpo, eh \;ia, holà ! etc.... On peut aussi rattacher aux
interjections les deux formes ordinaires de l'affirmation : onta, oui
(du supérieur à l'inférieur), te, oui (de l'inférieur au supérieur).
§ 3. — Grammaire (syntaxe;.
Le principe fondamental de la syntaxe coréenne est celui-ci :
le mot qui gouverne est invariablement placé après le mot qui
est gouverné. D'où il suit que : — dans la déclinaison, la pré-
position indiquant le cas change de place, et devient postposition
XCVI INTRODUCTION.
parce qu'elle gouverne le nom; — le nom au génilif précède
celui qui le gouverne ; — l'adjectif ou participe relatif précède
le nom auquel il se rattache ; — l'adverbe précède le verbe ;
— le substantif précède le verbe par lequel il est gouverné, etc..
La forme invariable d'une phrase coréenne est donc : 1^ le sujet
précédé de tous ses attributs, s'il en a ; 3° le régime indirect au
cas voulu, précédé également de ses attributs ; 3^ le régime direct
précédé de tout ce qui s'y rattache ; 4® enfin le verbe, précédé des
adverbes, etc., lequel termine nécessairement la phrase.
Cette règle générale sera suffisamment complétée par les obser-
vations suivantes.
Souvent on omet le signe du pluriel, surtout dans le langage
ordinaire de la conservation. Ex. : seumou saràm, vingt hommes,
pour seumou saràm-teul.
On omet aussi volontiers le signe du génitif. Ex. : naniou-nôp,
feuille d'arbre {litt, arbre-feuille), au lieu de namou-eué nôp.
Dans les mots tirés du chinois, cette exception devient la règle
absolue. Ex : thiôn-tsiou-kiông^ prière du maître du ciel {litt,
ciel-maître-prière)
Quand divers noms sont reliés par des conjonctions, le dernier
seul prend le signe du cas, les autres restant invariables. Ex :
nakoui-^a màl-koa kè-éké tsouôttàpnàita^ j'ai donné à l'âne, au
cheval et au chien.
Les mots chinois sont très-employés, à l'exclusion des mois
coréens, par les gens de la haute classe et par les habitants des
villes; les paysans eux-mêmes s'en servent quelquefois. En pareil
cas, les adjectifs, noms de nombre, adverbes, etc., qui accom-
pagnent un substantif ou un verbe chinois, doivent aussi être
chinois. Jamais on ne met un adjectif coréen à un nom chinois,
et réciproquement.
Quand plusieurs adjectifs se rapportent à un seul sujet, le
dernier adjectif seul prend la forme ordinaire (participe relatif) ;
les autres sont au radical avec la conjonction fco. Ex : kôm-ko
heuê-ko peulk-ko pheur-àn pit. Les couleurs : noire, blanche,
rouge et bleue.
Dans uneénumération, contrairement à nos idées de politesse,
le pronom je ou ynoi se met le premier. Ex. : na-hàko apôtsi-
hàko ôrnôni-hâko tong-sàing-hàko nounim-hàko aki-hàko tsal-
teuritta. Ce qui signifie littéralement moi-et, père-el, mère-et,
frère-et, sœur-et, petit enfant-et, bien (portants) être.
Quand les termes d'une énuraération sont des verbes h Tinfi-
nitif, le dernier seul se conjugue, les autres sont au radical suivi
INTRODUCTION. XCYU
de la conjonction ko. Ex : pallo-to ssao-ko^ soneuro-to ssao-ko
niro^to ssaoat-ta. Us ont combattu des pieds, des mains et des
dents. {LiU. par pied aussi combattre-et, par main aussi corn*
battre-et, par dent aussi ils ont combattu).
Généralement les choses inanimées ne peuvent pas être le sujet
d'un verbe. En pareil cas, on tourne la phrase d'une autre manière.
Quoique les verbes actifs gouvernent Taccusatif, le signe de ce
cas est très-souvent omis après les régimes directs, surtout en
conversation.
S 4. — A QUELLE FAMILLE APPARTIENT LA LANGUE CORÉENNE ?
Dans la classification des langues, l'élément fondamental est
la ressemblance ou la diversité de structure grammaticale. La
ressemblance ou la diversité des mots n'a qu*une importance
très-secondaire. Or toutes les règles dont nous venons de donner
un résumé, démontrent d'une manière évidente que le coréen
appartient à cette famille de langues que Ton nomme généra-
lement : mongoles, oural-altaïques, touraniennes, etc., et qui
serait mieux caractérisée par le terme : scythiques ou tartares,
puisque les mots : Scythes^ chez les anciens, et Tartares^ chez
les modernes, ont toujours servi à désigner l'ensemble des
peuples de la haute Asie.
Quels sont en effet les principaux caractères des langues tar-
tares, par contradistinction avec les langues indo-européennes?
Les langues indo-européennes ont des mots de genre diffé-
rent non-seulement pour les êtres vivants, dans lesquels existe la
distinction de sexe, mais aussi pour les êtres inanimés et pour
les idées abstraites ; dans les langues tartares, au contraire, les
noms sont tous neutres ou plutôt n'ont point de genre.
Les langues indo-européennes ont diverses déclinaisons pour
les noms singuliers ; le pluriel y est toujours distinct et se décline
d'une manière différente ; les terminaisons des cas, quelle qu^ait
été leur origine primitive, sont devenues des changements ou
flexions du mot lui-même, d'où leur nom de langues à flexions.
Dans les langues tartares il n'y a qu'une seule déclinaison ; les
cas se forment par l'addition de postpositions qui restent dis-
liDctes et séparables du nom ; le pluriel est indiqué par une par-
ticule spéciale jointe au radical, à laquelle s'ajoutent pour la
déclinaison les mêmes postpositions qu'au singulier; enfin, par
une ressemblance curieuse, la postposition du datif est carac-
térisée dans un certain nombre de ces langues par la gutturale k.
qui se trouve dans les langues du sud de Tlnde comme en coréen.
T. I. ^ L'ÉGUSE de CORÉE. g
XCVIll ]!ITRODUCTlO?i.
Les langues indo-européennes ont des adjectifs qui se dé
nent comme les substantifs, et s'accordent avec eux en genre,
nombre et en cas. Dans les langues tartares, les adjectirsp
prement dits sont très-rares, et toujours invariables ; les»
ou verbes de qualité et de relation qui tiennent leur place,
deviennent adjectifs par leur position avant le substantif, u
comme tels, invariables.
Les langues indo-européennes ont des pronoms pour lesti
personnes. Les langues tarlares , surtout les plus primitif
manquent du pronom de la troisième personne qu'elles reoq
cent par un pronom démonstratif.
Les langues indo-européennes sont toutes abondamment pi
vues de pronoms relatifs. Dans la plupart des langues tarti
on ne trouve pas de trace de Texistenee de ces pronoms
on les remplace par des participes relatifs, qui incluent en
seul mot ridée exprimée par le verbe et Fidée de relation.
Dans les conjugaisons variées des langues indo-européen
les divers modes, temps ou personnes sont indiqués par
changements ou flexions du verbe lui-même. Dans les lanj
tartares. Tunique conjugaison se forme par voie agglutinât
en ajoutant ou surajoutant des particules qui restent touji
distinctes.
Les prépositions séparées, ou préfixées aux noms et aux ve
pour en modifier le sens, jouent un grand rôle dans les lanj
indo-européennes. Les langues tartares remplacent les pH
sitions isolées qui indiquent un rapport quelconque par desp
positions, et ne forment des verbes composés qu a Taide de n
ou d'autres verbes.
Les langues indo-européennes ont toutes la voix passive n
lièrement conjuguée, avec des terminaisons différentes de Tac
elles manquent de verbes négatifs, qu'elles remplacent par
négation distincte employée adverbialement. Dans les lanj
tartares qui ont le passif, il se forme par l'addition au rad
d'une particule spéciale à laquelle se joignent les terminais
de la conjugaison ordinaire. Dans les autres, la voix pas
manque absolument. En revanche, l'existence de verbes négi
disiiacts, et d'une voix négative commune à tous les verl
80DC des particularités spéciales aux langues tartares.
Enfin, pour ne pis prolonger inutilement cette comparai!
dans les langues indo-européennes, le mot qui gouverne pré(
fénéralement le mot qui est gouverné, au lieu que dans toi
les langues tartares, il est invariablement placé après.
INTRODUCTION. XCIX
ignés caractéristiques des langues tartares^ que nous
lumérer, nous les retrouvons tous sans exception dans
ire coréenne ; donc le coréen appartient à la famille
s tartares. Le fait est hors de doute. Maintenant, à
>e de cette famille se rattache-t-il plus particulière-
; une question qui devra être éclaircie plus tard, lors
ication de la grammaire et du dictionnaire. Un fait
l'il n'est pas inutile de noter en passant, c'est la
ce entre la grammaire coréenne et la grammaire des
ividiennes, ou langues du sud de Flnde. Dans beau-
s, les règles sont, non-seulement analogues, mais
La ressemblance entre certains mots coréens et dra-
st pas moins frappante. L'étude approfondie de ces
(Itérait un grand jour sur quelques points importants
i primitive des peuples indous, et sur diverses ques-
graphiques encore peu connues.
VIII
État scK-ial. — Différentes classes. — Noblesse. — Peuple. — Esclaves.
li y a cinq siècles, dans les premiers temps de la dynastie
actuelle, la société coréenne était divisée en deux classes seule-
ment ; les nobles, et les serfs ou esclaves. Les nobles étaient
les partisans du fondateur de la dynastie, ceux qui l'avaient
aidé à s'asseoir sur le trône, et qui, en récompense, avaient
obtenu les richesses, les honneurs, et le droit exclusif de posséder
les dignités et de remplir les fonctions publiques. La masse de
la population, placée sous leur autorité, se composait de serfs
attachés k la glèbe, et d'esclaves. Les descendants de ces premiers
nobles, et ceux de quelques autres personnes qui à diverses
époques rendirent aux rois des services signalés, forment encore
actuellement Taristocratie coréenne. Mais par la force naturelle
des choses, il est arrivé pour les serfs, ce qui s'est vu en Europe
pendant le moyen âge; le plus grand nombre ont, peu h peu,
conquis leur liberté, et ont formé, avec le temps, le peuple de
laboureurs, soldats, marchands, artisans, etc., tel qu'il existe
de nos jours. De sorte qu'il y a maintenant en Corée trois classes
distinctes, subdivisées en diverses catégories : les nobles, les gens
du peuple, et les esclaves proprement dits. Ces derniers sont en
assez petit nombre.
La noblesse est héréditaire, et comme les emplois et dignités
sont le patrimoine à peu près exclusif des nobles, chaque famille
conserve avec une précaution jalouse ses tables généalogiques,
ainsi que des listes complètes, détaillées, et fréquemment révi-
sées de chacun de ses membres vivants. Ceux-ci ont grand
soin d'entretenir des relations suivies entre eux, et avec le
représentant de la branche principale de leur race,afin de trouver
appui et protection en cas de besoin.
Autrefois et pendant plusieurs siècles, la loi ne reconnaissait
comme nobles que les descendants légitimes des familles aristo-
cratiques. Il n'y avait d'exception que pour les bâtards des rois
qui toujours ont été traités comme nobles de droit. Mais depuis
plus d'un siècle, les enfants naturels des nobles, qui jadis
INTRODUCnOIf. C
formaient une classe à part et très-inférieure « sont devenus
tellement nombreux et puissants, qu'ils ont peu à peu usurpé tous
les privilèges des véritables nobles. En 1851, un décret royal a
renversé les dernières barrières qui les séparaient des enfants
légitimes, en leur reconnaissant, comme à ceux-ci, le droit de
parvenir à presque toutes les dignités du royaume. Quelques-unes
sont encore exceptées, par un reste de respect pour les anciennes
coutumes, mais l'exception ne peut tarder à disparaître complè-
tement. Néanmoins, les vrais nobles conservent toujours au fond
du cœur un grand mépris pour ces parvenus, mépris qui se
manifeste assez fréquemment, bien que, dans les relations ordi-
naires de la vie, ils soient obligés de les traiter avec toutes les
formes habituelles du respect et de Tétiquette.
Le dévergondage des mœurs n'a pas été la seule cause de
cette révolution importante dans les coutumes de Taristocratie
coréenne. Les luttes violentes entre les partis politiques, et par
suite l'avantage énorme pour les grandes familles d'avoir le plus
possible de partisans, y ont puissamment contribué. Les bâtards
nobles, quoiqu'ils se marient généralement sans distinction de
partis civils, sout toujours comptés comme appartenant à la
famille de leurs pères respectifs. C'est cette famille qui les pousse
dans les emplois, les protège contre les mandarins criminels
quand ils ont commis quelque délit, et en retour, ces hommes
naturellement frondeurs, audacieux et turbulents, lui prêtent
un puissant concours en temps de troubles et de commotions
politiques.
Tous les nobles ont certains privilèges communs, tels que
celui de ne pas être inscrits sur les rôles de l'armée, celui de
l'inviolabilité pour leurs personnes et leurs demeures, celui de
porter chez eux le bonnet de crin qui est le signe distinctif de
leur rang, etc. Cependant, il y a dans la noblesse divers degrés
plus ou moins élevés. Les familles de ceux qui ont rendu à l'état
quelque service signalé, ou accompli quelque grand acte de
dévouement à la personne du roi, ou acquis une réputation
exceptionnelle de science, de piété filiale, etc., sont beaucoup
plus influentes que les autres, etaccaparent les principales charges
de la cour. Les princes du sang et leurs descendants ont, en tant
qu'ils appartiennent à la famille royale, des titres honorifiques
très-fastueux, mais jamais d'emplois importants. Les rois de
Corée, comme tous les rois absolus, sont trop jaloux de leur
autorité, et trop soupçonneux de complots vrais ou faux, pour
leor laisser la moisire participation à l'exercice du pouvoir.
ai IRTRODUCTIOII.
li en est de même pour les parents des reines. La première femme
du roi est toujours choisie dans quelque grande famille, et par
le fait de son mariage avec le souverain, son père et ses frères
obtiennent de hautes dignités, quelquefois même des emplois
lucratifs, mais presque jamais de fonctions qui leur donnent une
autorité réelle. Ce n'est que par des voies indirectes, par Tinfluence
des reines, par toutes sortes d'intrigues, ou bien en temps de
minorité de Théritier du trône, qu'ils exercent une influence plus
ou moins puissante.
La noblesse se perd de diverses manières, par jugement, par
mésalliance, par prescription. Quand un noble quelconque est
exécuté comme coupable de rébellion ou de lèse-majesté, ses
parents, ses enfants, et les membres de sa famille à un degré
assez éloigné, sont tous dégradés, privés de leurs emplois et de
leurs titres de noblesse, et relégués au rang des gens du peuple.
Quand un noble épouse en légitime mariage une veuve ou une
esclave, ses descendants perdent à peu près tous les privilèges de
leur caste, et Taccès des emplois leur est fermé. De même, quand
une famille noble a été exclue de toute espèce d'emplois publics
pendant un temps considérable, ses titres sont par le fait même
annulés, et les tribunaux lui refusent les privilèges de son rang.
L'aristocratie coréenne est relativement la plus puissante et
la plus orgueilleuse de l'univers. Dans d'autres pays, le souve-
rain, la magistrature, les corporations diverses, sont des forces
qui maintiennent la noblesse dans ses limites, et contrebalancent
son pouvoir. En Corée, les nobles sont si nombreux, et malgré
leurs querelles intestines, savent si bien s'unir pour conserver et
augmenter les privilèges de leur caste, que ni le peuple, ni les
mandarins, ni le roi lui-même ne peuvent lutter contre leur
autorité. Un noble de haut rang, soutenu par un certain nombre
de familles puissantes, peut faire casser les ministres, et braver
le roi dans son palais. Le gouverneur ou mandarin qui s'aviserait
de punir un noble haut placé et bien protégé, serait infaillible-
ment destitué.
Le noble coréen agit partout en maître et en tyran. Qu'un
grand seigneur n'ait pas d'argent, il envoie ses valets saisir un
marchand ou un laboureur. Si celui-ci s'exécute de bonne grâce,
on le relâche ; sinon il est conduit dans la maison du noble,
emprisonné, privé d'aliments, et battu jusqu'à ce qu'il ait payé
la somme qu'on lui demande. Les plus honnêtes de ces nobles
déguisent leurs vols sous forme d'emprunts plus ou moins volon-
taires, mais personne ne s'y trompe, car ils ne rendent jamais
INTRODUCTION. CUI
ce qu'ils ont emprunté. Quand ils achètent à un homme de
peuple un champ ou une maison, ils se dispensent le plus souvent
de payer, et il n'y a pas un mandarin capable d'arrêter ce brigan-
dage.
D'après la loi et les coutumes, on doit à un noble quel qu'il
soit, riche ou pauvre, savant ou ignorant, toutes les marques
possibles de respect. Nul n'ose approcher de sa personne, et le
satellite qui oserait mettre la main sur lui, même par erreur,
serait sévèrement puni. Sa demeure est un lieu sacré ; entrer
même dans la cour serait un crime, excepté pour les femmes,
qui, de quelque rang ou quelque condition qu'elles soient,
peuvent pénétrer partout. Un homme du peuple qui voyage à
cheval doit mettre pied à terre en longeant la maison d'un noble.
Dans les auberges, on n'ose ni l'interroger, ni même le regarder ;
on ne peut fumer devant lui, et on est tenu de lui laisser la meil-
leure place, et de se gêner pour qu'il soit à son aise. En route,
un noble à cheval fait descendre tous les cavaliers plébéiens ;
ordinairement ils le font d'eux-mêmes, mais au besoin on les
presse à coups de bâton, et s'ils résistent, on les culbute de force
dans la poussière ou dans la boue. Un noble ne peut aller seul
à cheval ; il lui faut un valet pour conduire l'animal parla bride,
et, selon ses moyens, un ou plusieurs suivants. Aussi va-t-il tou-
jours au pas, sans trotter ou galoper jamais.
Les nobles sont très-pointilleux sur toutes leurs prérogatives,
et quelquefois se vengent cruellement du moindre manque de
respect. On cite le fait suivant d'un d'entre eux qui, réduit à la
misère et pauvrement vêtu, passait dans le voisinage d'une pré-
fecture. Quatre satellites, lancés à la recherche d'un voleur, le
rencontrèrent, conçurent quelques soupçons à sa mine, et lui
demandèrent assez cavalièrement s'il ne serait point leur homme.
« Oui, répondit-il, et si vous voulez m'accompagner à ma
maison, je vous indiquerai mes complices, et vous montrerai le
lieu où sont cachés les objets volés. » Les satellites le suivirent,
mais à peine arrivé chez lui, le noble appelant ses esclaves et
quelques amis, les fit saisir, et après les avoir roués de coups, fit
crever les deux yeux h trois d'entre eux, et un œil au quatrième,
et les renvoya en leur criant : « Voilà pour vous apprendre à y
voir plus clair une autre fois, je vous laisse un œil afin que vous
puissiez retourner chez le mandarin. » 11 va sans dire qqe cet
acte de barbarie sauvage est demeuré impuni. De semblables
exemples ne sont pas rares, aussi le peuple, surtout dans les
campagnes, redoute les nobles comme le feu. On effraye les
civ irrrRODCcnoN.
enfants en leur disant que le noble vient ; on les menace de cet être
malfaisant, comme en France on les menace de Croquemitaine.
Le plus souvent, leurs injustices et leurs insolences sont subies
avec une résignation stupide; mais chez beaucoup d'hommes du
peuple, elles font naître et entretiennent une haine sourde et
vivace qui, à la première occasion favorable, amènera de san-
glantes représailles.
Depuis la fondation de la dynastie actuelle, et par conséquent
depuis Torigine de Taristocratie coréenne telle qu'elle existe
aujourd'hui, on compte seize ou dix-sept générations. Aussi, le
nombre des nobles, qui tout d'abord était considérable, s'est-il
multiplié dans des proportions énormes. C'est là aujourd'hui la
grande plaie de ce pays; c'est delà surtout que viennent les abus
dont nous avons parlé. Car, en même temps que la caste aristo-
cratique est devenue plus puissante, un plus grand nombre de ses
membres, tombés dans un dénûment absolu, sont réduits à vivre
de pillage et d'exactions. En effet, il est absolument impossible
de donner à tous des dignités et des emplois ; tous cependant
les recherchent, tous dès Tenfance se préparent aux examens qui
doivent leur en faciliter l'accès , et presque tous n'ont aucun
autre moyen de vivre. Trop fiers pour gagner honnêtement leur
subsistance, par le commerce, Tagriculture, ou quelque travail
manuel, ils végètent dans la misère et l'intrigue, criblés de
dettes, attendant toujours que quelque petit emploi leur arrive,
se pliant à toutes les bassesses pour l'obtenir, et s'ils ne peuvent
réussir, finissant par mourir de faim. Les missionnaires en
ont connu qui ne mangeaient de riz qu'une fois tous les trois
ou quatre jours, passaient les hivers les plus rudes sans feu,
et presque sans habits, et cependant refusaient obstinément de
se livrer à quelque travail qui, tout en leur procurant une
certaine aisance, les eût fait déroger à leur noblesse, et les eût
rendus inhabiles aux fonctions de mandarin. Les nobles chré-
tiens qui, depuis les dernières persécutions surtout, obtiennent
très-difficilement des charges publiques, sont les plus malheu-
reux de tous. Quelques-uns ont essayé de se faire laboureurs,
mais ne connaissant pas le métier, et n'ayant pas la force que
donne la longue habitude des travaux du corps, ils peuvent à
peine suffire à leurs plus pressants besoins.
Quand un noble parvient à quelque emploi, il est obligé de
pourvoir à l'entretien de tousses parents, mêmeles plus éloignés.
Par cela seul qu'il est mandarin, les mœurs et l'usage constant
du pays lui font un devoir de soutenir tous les membres de sa
INTRODUCnO?». CV
famille, et s'il ne montre pas assez d'empressement, les plus
avides mettent en usage divers moyens de se procurer de Targent
à ses dépens. Le plus souvent, ils se présentent chez un des rece-
veurs subalternes du mandarin, pendant Tabsence de celui-ci,
et demandent une somme quelconque. Naturellement, le receveur
proteste qu'il n'a pas en caisse une seule sapèque ; on le menace,
on lui lie les bras et les jambes, on le suspend au plafond par les
poignets, on lui inflige une rude bastonnade, et on parvient à lui
extorquer l'argent demandé. Plus tard, le mandarin apprend
raiïaire, mais il est obligé de fermer les yeux sur un acte de
pillage, qu'il a peut-être commis lui-même avant d'être fonc-
tionnaire, ou qu'il est prêt à commettre demain, s'il perd sa
place.
Les emplois publics étant, pour la noblesse coréenne, la seule
carrière honorable et souvent le seul moyen de vivre, on com-
prend aisément quelle nuée de flatteurs, de parasites, de pétition-
naires, de candidats malheureux, d'<acheteurs de places, doivent
encombrer jour et nuit les salons des ministres et autres grands
dignitaires de qui dépendent les nominations. Cette foule de
mendiants avides spécule sur leurs passions, flatte leur orgueil,
et met constamment enjeu, avec plus ou moins de succès, mais
toujours sans le moindre scrupule, toutes les intrigues, toutes les
flatteries, toutes les caresses, toutes les ruses dont la bassesse
humaine est capable.
M. Pourthié, l'un des missionnaires martyrisés en 1866, s'est
amusé à décrire en détail, dans une de ses lettres, l'espèce la
plus commune de ces solliciteurs, ceux qu'on appelle moun-kaik.
Son récit, quoiqu'un peu long, met si bien en relief divers aspects
intéressants du caractère coréen, que nous le donnons tout entier.
« Le moun-kaik, comme l'indique son nom, est un hôte qui
a ses entrées dans les salons extérieurs ; mais on applique plus
spécialement cette dénomination aux individus pauvres et dé-
sœuvrés, qui vont passer leurs journées dans les maisons des
grands, et qui, k force de ramper et de prodiguer leurs services,
parviennent à recevoir, en récompense, quelque dignité. Il y a
différentes catégories de moun-kaik, selon le degré de noblesse
ou les prétentions. Autres sont ceux qui hantent le palais du roi,
autres ceux qui entourent un petit mandarin ; mais tous se
ressemblent.
« Dès que le moun-kaik a trouvé un prétexte plausible pour
s'introduire chez le ministre, le mandarin, ou le noble dont il
convoite la faveur, un soin unique le préoccupe : c'est celui de
GVl INTRODUCTION.
conoaitre à fond le caractère, les penchants et les caprices de
son protecteur, et de gagner ses bonnes grâces a force d'esprit,
de souplesse et de protestations de dévouement. Il étudie avec
soin les goûts dominants du cercle qu'il fréquente, et faisant
bonne contenance contre mauvaise fortune, il s'y plie avec une
adresse incomparable. Il est tour à tour causeur, lorsqu'il aurait
plus d'envie de se taire, content et radieux lorsque le mauvais
état de sa famille et de ses finances l'accable de tristesse, emporté
et furieux, triste et en pleurs lorsque son cœur est dominé par
les sentiments du bonheur et de la joie. Sa femme et ses enfants
succomberaient-ils aux tourments de la faim, lui-même passe-
rait-il de longues journées à jeun, il faut néanmoins qu'arrivé
dans les salons, il rie avec ceux qui rient, joue avec ceux qui
jouent ; il faut qu'il compose et chante des vei*s sur le vin, les
festins et les plaisirs. C'est pour lui un devoir de n'avoir ni
manières, ni couleurs, ni tempérament à lui propres. L'air
joyeux ou affligé, passionné ou calme, vivant ou abattu, qui se
voit sur les traits de son maître, doit être réfléchi sur les siens
comme dans un miroir. Il ne doit être qu'une copie^ et plus la
copie est fidèle, plus ses .chances augmentent.
« A une complaisance sans bornes, le moun-kaik doit joindre
un assortiment complet de tout ce que l'on nomme talents de
société. C'est toujours lui qui se met en avant pour ranimer la
gaieté de la compagnie, soutenir et intéresser la conversation.
Répertoire vivant de toutes les histoires et de toutes les fables, il
s'ingénie à raconter souvent et avec intérêt ; il connaît le premier
toutes les nouvelles de la province et de la capitale, toutes les
anecdotes de la cour, tous les scandales, tous les accidents. Il
est, auprès des dignitaires, la renommée aux cent bouches, un
véritable journal ambulant. Il pénètre tous les desseins, les plans
secrets, les intrigues des différents partis ; il compte sur ses
doigts le nombre, le nom, la position et les chances de tous les
mandarins qui montent et descendent dans l'échelle des faveurs
du gouvernement ; il récite avec aisance le catalogue universel
et l'état financier de tous les nobles du royaume.
« Nouveau Janus au double visage, sans conscience, et vrai
caméléon de la politique, le moun-kaik a soin d'exposer sa belle
face au soleil levant de la faveur. Toutes ses gentillesses sont
exclusivement pour le côté d'où peuvent venir les dignités ; mais
à tout ce qui lui est inutile, ou hostile, ou inférieur, il laisse
voir une âme basse et cupide, uniquement gouvernée par les
instincts du plus froid égoïsme. Il tourne avec la fortune, flattant
INTRODUCTION. CVII
ceux qu'elle flatte, laissant de côté ceux qu'elle abandonne, cal-
culant toujours s'il est de son intérêt de se montrer raide ou
souple, avare ou généreux, traître ou fidèle. Mettre la division
là où elle le sert, séparer les parents et les amis, susciter des
haines et des inimitiés mortelles entre les familles au pouvoir,
faire tour à tour agir les ressorts de la vérité et du mensonge,
de la louange et de la calomnie, du dévouement et de l'ingra*
titude, tels sont ses moyens d'action les plus habituels.
« Sachant qu'en Corée le cœur des grands ne s'épanouit que
lorsqu'on repait leurs yeux de la vue des sapèques, il est à la
quête de tous les gens en procès, de tous les criminels, de tous
les ambitieux de bas étage , leur offre son entremise et leur
promet son crédit, moyennant une bonne somme pour lui-même,
et une plus grosse encore pour le mattre dont il doit faire inter-
venir la puissance. L'argent une fois payé, les rustres, par son
aide, deviennent grands docteurs, les roturiers nobles, les
criminels innocents, les voleurs magistrats ; bref, il n'y a pas
de difficultés que le moun-kaik et l'argent ne puissent aplanir,
pas de souillure qu'ils ne parviennent à laver, paç de crime qu'ils
ne sachent justifier, pas d'infamie qu'ils ne viennent à bout de
dissimuler et d'ennoblir.
« Cependant, le moun-kaik ne perd pas de vue que sa pro-
fession actuelle n'est qu'un chemin pour parvenir au but de son
ambition. Toujours vigilant, toujours aux aguets, il n'examine
que le moment favorable où il pourra surprendre ou arracher à
son protecteur le don de quelque fonction, de quelque dignité.
Malheureusement pour lui, son influence n'est pas seule en jeu.
L'argent, la parenté, l'intérêt, les sollicitations diverses, font
porter ailleurs le choix du ministre, et souvent l'infortuné passe
de longues années dans une pénible attente. Dans ce cas, le
moun-kaik déploie une constance admirable. Au reste la vertu
dominante du Coréen candidat est la patience. Il n'est pas rare
de voir des vieillards à cheveux blancs se traîner avec peine pour
la vingtième, la quarantième ou même la cinquantième fois aux
examens du baccalauréat. Notre moun-kaik est, lui aussi, armé
d'une patience héroïque ; plutôt que de désespérer et d'abandonner
la partie, il continuera indéfiniment h vivre de misères et de
déceptions. Enfin, s'il ne peut emporter l'affaire par la douceur
et les caresses, il s'armera quelquefois d'impudence, et fera
comme violence à son protecteur.
« Un bachelier de la |merâK» Hoftog-hal était depuis trois ou
quatre ans trte-assMtiigHÉii^ ministre, et comme il
.>^
K
CVIII INTRODUCTION.
avait de Tesprit, aucun des moyens d'attirer un sourire de la
fortune n'avait été négligé. Néanmoins, nulle lueur d'espoir ne
brillait encore. Un jour qu'il se trouvait seul avec le ministre,
celui-ci, occupé à chercher un mandarin pour un district, se prit
à dire : « Tel district est-il un bon mandarinat ?» Le bachelier
se lève brusquement, se prosterne aux pieds du ministre, et
répond d'un ton pénétré : « Votre Excellence est vraiment trop
« bonne, et je la remercie bien humblement de penser à donner
« à son petit serviteur un district quel qu'il soit. » Le ministre, qui
n'avait d'autre intention que de lui demander des renseigne-
ments, resta interdit devant cette réponse, et n'osant pas contrister
trop le pauvre moun-kaik, lui donna cette préfecture.
a D'autres fois ce sera- un trait d'esprit, une bouffonnerie
qui mettra le moun-kaik sur le piédestal. L'exemple que je vais
citer, est demeuré célèbre dans le pays. Un bachelier militaire
faisait très-fidèlement sa cour au ministre de la guerre. Quinze
années s'étaient écoulées depuis qu'il avait commencé ce rude
métier, et cependant rien ne semblait indiquer qu'il fût plus
avancé que le premier jour. A chaque moment, des nominations
se faisaient sous ses yeux, et néanmoins il n'avait encore pu sur-
prendre ni un signe, ni une parole, qui dénotât qu'on pensait à
lui. Son talent à raconter des histoires, l'avait rendu le boute-en-
train de la société habituelle du ministre, et ses absences, lors-
qu'elles avaient lieu, produisaient un vide notable dans l'assem-
blée. Un temps vint où il cessa tout à coup de se montrer dans
les salons, et quoique les grands, en ce pays-ci, fassent en général
peu d'attention à ces sortes de choses, notre ministre remarqua
que son assidu moun-kaik avait disparu, mais s'imaginant qu'il
était tombé malade, ou bien qu'il s'était mis en voyage pour
des affaires particulières, il ne s'en inquiéta pas davantage. Cette
absence du moun-kaik se prolongeait depuis près de trois
semaines, lorsqu'enfin, un beau jour, il reparaît tout pétillant
de joie et s'en vient avec empressement saluer le ministre.
Celui-ci , content aussi de le revoir, n'a rien de plus pressé, après
avoir reçu son salut, que de lui demander comment, après une
si longue disparition, il est enfin tombé du ciel. — « Ah ! »
répond le moun-kaik. « Votre Excellence dit en ce moment plus
« vrai qu'elle ne pense ! — Quoi donc, » reprend le ministre,
w expliquez-vous, avez-vous été malade? —Un bachelier qui est
« sur le pavé depuis quinze ans, ne peut manquer d'avoir une
« maladie que Votre Excellence connaît fort bien, mais néanmoins
« ce n'est pas cela. Oh ! en ce monde il arrive des histoires bien
INTRODUCTION. CIX
a étranges ! — Mais expliquez-vous donc, pourquoi nous tenir
« en suspens? — Moi, vous tenir en suspens, jamais. Je viens de
« faire une expérience telle que je ne désire certes plus, ni à moi
c( ni aux autres, d'être suspendu en Tair. » Le ministre, de plus
en plus intrigué et impatient de connaître une histoire qui
semblait devoir être curieuse, dit d'un air piqué : « Si votre
« histoire est étrange, il faut avouer que vous Tètes encore davan-
« tage vous-même ; encore une fois, expliquez-vous sans détour.
« — Puisque Votre Excellence le commande je vais tout révéler ;
« mais c'est si extraordinaire qu'il n'a fallu rien moins qu'un
« ordre de Votre Excellence pour me décider à faire connaître
« une histoire à laquelle nul ne voudra ajouter foi.
(( 11 y a une vingtaine de jours, voulant me délivrer de l'ennui
a qui me poursuivait, je songeai à me distraire en faisant une
(( partie de pêche. Je pris donc ma ligne, et fus me poster sur le
« bord d'un grand étang aux environs de la capitale. Â peine ma
« ligne avait-elle touché Teau, que des milliers de cigognes
« vinrent s'abattre tout près de moi. Pensant de suite que quel-
ce qu'un de ces oiseaux pourrait bien avoir envie de mordre k
« rhameçon, et prévoyant que mon poignet ne serait pas assez
« robuste pour comprimer ses ébats, je me hâtai de saisir l'extré-
a mité de la longue corde de ma ligne, et je la fixai solidement
« autour de mes reins. Cette précaution était à peine prise,
« qu'une grosse cigogne plus voracc que les autres se jeta sur
a l'appât, et le dévora en un clin d'œil. Envie me prit de laisser
« la captive avaler paisiblement l'hameçon ; je ne bougeai pas,
« et ma cigogne de son côté resta calme et immobile comme quel-
(( qu'un qui médite un mauvais coup. Mais ces volatiles ont l'es-
c( tomac tellement chaud, et la digestion tellement rapide, que
« mon hameçon, une minute et demie après, reparut à l'autre
ff bout. Pendant que je restais stupéfait de cette merveille, une
« autre cigogne se jette sur l'appât, l'avale et le digère à son tour.
« Une troisième la suit; bref: cinq, vingt, cinquante cigognes
« viennent successivement s'enfiler dans ma ligne. Toutes y
« auraient passé jusqu'à la dernière, mais ne pouvant plus tenir
a à un si étrange spectacle, je partis d'un éclat de rire, et je
« remuai. Soudain, l'escadron effrayé prend son vol, et comme
« j'étais lié par les reins, je suis emporté avec lui dans les airs.
« Plus nous allions et plus les cigognes s'effarouchaient. Il ne
« m'agréait que tout juste de voler ainsi, suspendu à des distances
« énormes au-dessus de la terre, tratné à droite, à gauche, plus
« haut, plus bas, à travers des lùmf» interminables; mais je
C\ INTRODUCTION.
« n'avais pas à choisir, et je me cramponnais le mieux possible h
« ma corde, lorsqu'enfin, lasses de me voiturer ainsi, les cigo-
(c gnes allèrent s'abattre dans une vaste plaine déserte.
a Je n'eus rien de plus pressé que de les délivrer en me
« délivrant moi-même. Je revivais ; mais étais-je en Corée? ou
« m'avaient-elles transporté aux derniers confins du monde ?
« C'est ce qu'il m'était impossible de savoir. De plus, parti ino-
« pinément pour un voyage si long, je n'avais pu faire aucune pro-
(( vision, et, à peine redescendu en ce bas monde, je me sentis
« dévoré d'une faim canine ; mais la solitude m'environnait de
« toutes parts. Pestant contre moi-même et contre les cigognes,
« je me dirigeai machinalement vers un énorme roc qui dominait
« toute la plaine et dont la cime semblait toucher les cieux. J'ar-
« rivai tout auprès, et à mon grand étonnement, ce que j'avais
« pris pour un roc ne fut plus qu'une statue colossale dont la tête
« s'élevait à perte de vue. Chose plus admirable encore, un grand
« poirier chargé de fruits magnifiques avait pris racine et s'éle-
« vait majestueusement sur la tête du colosse. La vue seule de
« ces fruits faisait découler dans mon estomac je ne sais quelle
« douce liqueur qui paraissait me faire grand bien, et excitait d'au-
a tant plus mon appétit : mais comment les cueillir? comment
« atteindre à cette hauteur démesurée ? La nécessité fut, dit-on,
(( la mère de l'industrie. La plaine était couverte de roseaux. La
« pensée me vint d'en couper une grande quantité, puis, les enfi-
« lant les uns au bout des autres, je fabriquai une perche aussi Ion-
« gue que la hauteur de la statue. Alors, enfonçant l'extrémité dans
« les narines du colosse, je poussai tant et si bien, que la gigan-
« tesque tête de la statue, prise d'un éternuement formidable,
a s'agita dans des convulsions terribles, et secoua si fortement le
« poirier que toutes les poires tombèrent à mes pieds. La bonté
« en égalait la beauté ; je me rassasiai de ces fruits succulents,
« puis j'allai à la découverte du pays. J'appris bientôt que le lieu
« où je me trouvais était le district d'Eun-tsin (province de Tsiong-
« Tsieng, k quatre cent lys de la capitale), et sans tarder, je
a repris le chemin de Séoul, ou me voici enfin revenu. Cepen-
« dani je dois avouer que, quoique étourdi par la rapide suc-
ce cession de tant d'événements extraordinaires, je n'oubliai pas
(( un instant Votre Excellence, et, en preuve, voici une de ces
« poires que j'ai soigneusement conservée pour vous en faire
« connaître la suavité, plutôt que pour appuyer la vérité de
« mon étrange histoire. » En même temps le moun-kaik plaça
dans les mains du ministre une énorme poire. Le ministre
INTRODUCTION. CXI
voulut la goûter sur-le-champ, et la trouva délicieuse. Le len-
demain le moun-kaik était nommé mandarin. »
Outre les nobles de naissance dont nous avons parlé jusqu'à
présent, il y a des nobles d'adoption. Ce sont des individus riches
qui achètent à prix d'argent des titres de noblesse, non pas an
roi ni aux ministres, mais k quelque puissante famille, lis obtien-
nent ainsi d'être inscrits sur les registres généalogiques comme
descendants de tel ou tel^ et dès lors tous les membres de cette
famille les reconnaissent comme parents devant le gouverne-
ment et le public, les soutiennent et les protègent comme tels en
toute circonstance. Cette pratique est contraire au texte de la loi ;
mais elle a de nos jours passé dans les mœurs, et les ministres
et le roi lui-même sont obligés de la tolérer.
Mentionnons enfin la classe inférieure de la noblesse, c'est-à-
dire les familles que l'on appelle : demi-nobles ou nobles de
province. Ce sont les descendants de personnes qui ont rempli
quelque charge publique peu importante comme celle de tsoa-siou
ou de piel-kam (4). Ces familles ont quelques privilèges,
entreautres celui de porter le bonnet de crin, et quand leurs
membres ont souvent été honorés de ces emplois secondaires,
elles jouissent, dans la province même, d'une certaine considé-
ration. On doit se servir en leur parlant des mêmes formules de
courtoisie qu'envers les vrais nobles. Mais au fond leur autorité
est beaucoup moins grande, et en dehors de leur propre district,
elle devient presque nulle.
Inutile d'ajouter qu'en Corée comme ailleurs les usurpations
de titres de noblesse ne sont pas rares. Beaucoup d'aventuriers,
quand ils se trouvent dans une province éloignée de la leur, se
font passer pour nobles, prennent le bonnet de crin, et usent
et abusent de tous les autres privilèges de caste, avec une inso-
lence tout à fait aristocratique. Quand la fraude est découverte,
on les traîne à la préfecture la plus voisine, et ils reçoivent une
forte bastonnade ; mais s'ils ont des talents, de l'adresse, de l'ar-
gent surtout, les mandarins ferment les yeux, et le peuple est
obligé de les supporter. Souvent, pendant les persécutions, des
chrétiens oni employé ce moyen pour se mettre à l'abri des
molestations, et, s'en trouvant bien, persistent à se faire passer
pour nobles. « De temps en temps, écrivait Mgr Daveluy, je me
permets de plaisanter un peu ces nobles d'emprunt. Mais les
(t) Voir plus haut, fi^ uMé^>\^'
exil INTRODUCTION.
quelques chréliensqui sont véritablement de race noble prennent
la chose plus au sérieux. Ils font entendre des plaintes amères
sur un abus qui est à leurs yeux un crime énorme. Ils m'accusent
d'une tolérance coupable envers ces roturiers qui osent les traiter
d'égal à égal, et j'ai quelquefois peine à lies calmer. »
Entre la noblesse et le peuple proprement dit, se trouve la
classe moyenne, qui n'existe réellement qu'à la capitale. Elle se
compose des familles qui depuis plusieurs générations remplissent
auprès du gouvernement certaines fonctions spéciales, telles que
celles d'interprètes, d'astronomes, de médecins, etc.. Nous en
avons parlé plus haut.
Au-dessous de la classe moyenne vient le peuple, qui n'a abso-
lument aucune influence politique. Légalement, un homme du
peuple peut concourir aux examens publics pour les emplois
civils et militaires; maison fait, quelque titre qu'il obtienne,
même de licencié ou de docteur, il ne recevra jamais du gouver-
nement que des fondions insignifiantes. Pour se défendre contre
les exactions, les cruautés et l'arbitraire des nobles, les gens des
diverses classes de métiers se sont unis entre eux, et ont formé
des associations qui, à la longue, sont devenues assez puissantes,
à la capitale surtout, et dans les grandes villes. Quelques-unes
de ces corporations, telles que : les faiseurs de cercueils, les cou-
vreurs, les maçons, les porte-faix, etc.. possèdent, soit par droit
écrit, soit par prescription, le monopole de leur industrie. Elles
payent régulièrement au trésor royal une contribution déterminée,
afin dempécher tout autre que leurs membres d'exercer tel ou
tel métier. D'autres sociétés n'ont pas de monopole ; le but
unique de leurs membres est de se protéger réciproquement, et
de se faciliter les moyens de travail. Ces dernières reçoivent dans
leur sein quiconque se présente, ouvrier ou non, pourvu qu'il
paye sa cotisation, et se soumette aux règles communes.
Cet esprit d'association, si naturel et si nécessaire dans un pays
oii il n y a guère d'autre loi que celle du plus riche ou du plus
fort, est très-répandu parmi les Coréens, depuis les familles prin-
cières jusqu'aux derniers esclaves. Nous l'avons signalé dans les
divers partis politiques qui divisent l'aristocratie, dans la classe
moyenne, parmi les prétoriens et satellites des tribunaux. Nous
le retrouvons dans toutes les classes du peuple. Chaque village
forme une petite république, et possède une caisse commune à
laquelle toutes les familles sans exception doivent contribuer.
Cet argent est placé en fonds de terre ou à intérêt, et les revenus
servent à payer les suppléments d'impôts, les objets d'tttiUté
INTRODUCTION. CXIII
publique pour les mariages, enterrements, etc..., et autres
dépenses imprévues. Les individus attachés aux temples de
Confucius ou d'autres grands hommes ; les gardiens, les portiers,
les commissionnaires, les différentes espèces de domestiques des
palais royaux ; les employés des ministères, des administrations
civile, militaire ou judiciaire ; tous ceux, en un mot, qui ont
un genre de travail ou des intérêts communs, forment entre eux
des corporations ou sociétés, analogues à celles des ouvriers
proprement dits, et ceux qui n'appartiennent par leur état ou
leur situation à aucune de ces sociétés, s'y font affilier^ moyen-
nant une somme plus ou moins considérable, afin de trouver aide
et protection en cas de besoin.
Une des corporations les plus puissantes et les mieux orga-
nisées est celle des porte-faix. Le commerce intérieur se faisant
presque toujours à dos d'hommes ou de bêtes de charge, est
entièrement entre leurs mains. La plupart d'entre eux sont des
gens veufs ou qui par pauvreté n'ont pu se marier ; les autres
traînent à leur suite, le long des routes, leurs femmes et leurs
enfants. Répandus dans le pays au nombre de huit ou dix mille,
ils sont subdivisés par provinces et par districts, sous les ordres
de chefs, sous-chefs, censeurs, inspecteurs, etc.. Ils parlent un
langage de convention pour se reconnaître entre eux, se saluent
partout oii ils se rencontrent, et se prodiguent les marques exté-
rieures du respect le plus cérémonieux. Ils sont soumis à des
règles sévères, et leurs chefs punissent eux-mêmes, quelquefois
de mort, les crimes et délits commis par les confrères. Ils pré-
tendent que le gouvernement n'a pas le droit de se mêler de
leurs affaires, et jamais on n'en a vu aucun demander justice à un
mandarin. Ils passent généralement pour probes et honnêtes, et
les paquets ou ballots qu'on leur confie pour les provinces les
plus éloignées, sont fidèlement remis à leur adresse. On prétend
que leurs mœurs sont très-corrompues, et que presque tous
s'adonnent à des vices contre nature. Néanmoins, leurs femmes
sont respectées, et celui d'entre eux qui toucherait à la femme
d'un de ses confrères, serait immédiatement mis à mort. Ils sont
insolents vis-à-vis du peuple, et se font redouter même des man-
darins. Quand ils croient avoir à se plaindre d'un affront, d'une
injustice quelconque, ils se retirent en masse du district ou de la
ville, et leur retraite arrêtant le commerce, et empêchant la
circulation des marchandises, on est obligé de parlementer avec
eux, et de subie leurs conditions, aprte quoi ils reviennent plus
fiers qne jamais.
T. u — h*imiu M csoaiit fi
CXIV INTRODUCTION.
La corporation la plus méprisée est celle des valets de bouchers
ou abatteurs de bœufs. Le bœuf étant un animal absolument
nécessaire pour la culture et le transport des fardeaux, une loi
très-ancienne défend de le tuer sans permission du gouverne-
ment, et Topinion publique, d'accord avec la loi, regarde Tacte
de tuer un bœuf comme le plus avilissant de tous. Les abatteurs
de bœufs forment donc une classe à part, plus dégradée aux yeux
de tous que les esclaves eux-mêmes. Ils ne peuvent demeurer
dans rintérieur des villages ; ils vivent en dehors de la popu-
lation qui les repousse avec horreur, et ne se marient qu'entre eux.
C'est parmi eux que sont pris les exécuteurs des hautes œuvres.
Seuls ils ont le droit d'abattre les bœufs, et tout autre Coréen
qui le ferait serait chassé de son village et de sa famille, et forcé
de se réfugier chez eux. 11 est bon de noter en passant que le
mépris public n'atteint que ceux qui tuent l'animal, et nulle-
ment les bouchers qui en vendent la viande. Ceux-ci sont de gros
personnages nommés par les mandarins, auxquels ils payent un
impAt très-lourd afin de conserver leur monopole. Tout autre
individu qui ferait abattre un bœuf, aurait à payer une amende
de 54 à 56 francs, prix ordinaire d'un petit bœuf.
Le nombre des esclaves est aujourd'hui bien moins considé-
rable qu'autrefois, et va toujours en diminuant. On n'en ren-
contre plus guère, au moins dans les provinces centrales, que
chez les grandes familles nobles. Sont esclaves : ceux qui naissent
d'une mère esclave; ceux qui se vendent ou sont vendus par leurs
parents comme tels ; enfin les enfants abandonnés qui sont
recueillis et élevés ; mais dans ce dernier cas l'esclavage est per-
sonnel, et les enfants de celui qui a ainsi perdu sa liberté, nais-
sent libres. L'esclavage est très-doux dans ce pays; généralement
on ne garde et on n'emploie comme esclaves que les jeunes gens,
surtout les jeunes filles pour le service intérieur de la famille.
Quand ils sont en âge de se marier, les garçons sont le plus
souvent laissés libres de se retirer ou ils voudront, à seule charge
de payer au maître une espèce de capitation annuelle ; d'autres
fois, le maître les garde auprès de lui et les marie à quelqu'une
de ses esclaves. Les filles demeurent dans la famille du maître,
et après leur mariage habitent une petite maison à part. Elles
sont astreintes à quelques travaux, et tous leurs enfants appar-
tiennent au maître.
Le maître a droit de vie et de mort sur ses esclaves ; néan-
moins, s'il usait de ce droit dans les circonstances ordinaires,
ou même s'il les frappait trop violemment, il serait justiciable des
INTRODUCTION. CXV
tribunaux. Les inissioDnaires assurent qu'il y a peu d'excès de ce
genre. En somme, le sort des esclaves est souvent préférable à
celui des pauvres villageois, et il n'est pas rare de voir des gens
du peuple se réfugier auprès des grands, demander à épouser
leurs esclaves, et à devenir esclaves eux-mêmes, pour se mettre à
Tabri des exactions et des violences des nobles ou des mandarins.
Outre les esclaves qui sont la propriété des particuliers, il y en
d'autres qui appartiennent au gouvernement. Ils sont attachés aux
diverses administrations, ministères, préfectures, où ils remplis-
sent les plus bas offices de domesticité. Quelques-uns de ces
esclaves le sont de naissance ; la plupart le sont devenus par suite
d'une condamnation en cause criminelle, et ces derniers sont
des forçats plutôt que des esclaves. Cet esclavage est, surtout
pour les femmes, beaucoup plus pénible que l'esclavage ordi-
naire. Les femmes esclaves des préfectures sont traitées à peu
près comme des animaux. Elles sont à la merci, non-seulement
des mandarins, mais des prétoriens, des satellites, des valets, du
premier venu. Rien n'égale le mépris qu'on a pour elles, et la
condamnation à une telle servitude est, pour une honnête femme,
mille fois pire que la mort.
ii'j^irfl
IX
Condition des femmes. — Mariage.
En Corée, comme dans les autres pays asiatiques, les mœi
sont effroyablement corrompues, et par une suite toute nai
relie, la condition ordinaire de la femme est un état d'abjecti
et d'infériorité choquantes. Elle n'est point la compagne
rhomme, elle n'est qu'une esclave, un instrument de plaisir
de travail, à qui la loi et les mœurs ne reconnaissent aucun di
et, pour ainsi dire, aucune existence morale. C'est un princ
généralement admis, consacré par les tribunaux, et que pi
sonne ne songe à contester, que : toute femme qui n'est pas s(
puissance de mari ou de parents, est, comme un animal si
maître, la propriété du premier occupant.
Les femmes n'ont pas de nom. La plupart des jeunes fil
reçoivent, il est vrai, un surnom quelconque, par lequel
parents plus âgés, ou les amis delà famille les désignent pendi
leur enfance. Mais aussitôt qu'elles ont atteint l'âge de puber
I le père et la mère seuls peuvent employer ce nom ; les auti
! membres de la famille, ainsi que les étrangers, se servent
' périphrases telles que : la fille d'un tel, la sœur d'un tel. Ap
le mariage une femme n'a plus de nom. Ses propres parents
s désignent le plus souvent par le nom du district oii elle a
mariée ; les parents de son mari, par le nom du district où e
vivait avant son mariage. Quelquefois on l'appelle tout coui
la maison d'un tel (nom du mari). Quand elle a des fils, les bi(
séances demandent qu'on se serve de la désignation : mi
d'un tel. Quand une femme est forcée de comparaître devant
tribunaux, le mandarin, pour faciliter les débats, lui imp(
d'office un nom pour le temps que doit durer le procès.
Dans les hautes classes de la société, l'étiquette exige que
enfants des deux sexes soient séparés dès l'âge de huit ou <
ans. A cet âge, les garçons sont placés dans l'appartement exi
rieur 011 vivent les hommes. C'est là qu'ils doivent passer le
temps, étudier, et même manger et dormir. On ne cesse de k
répéter qu'il est honteux à un homme de demeurer dans l'appj
, tement des femmes, et bientôt ils refusent d'y mettre les pie<
iNTRODucTion. cxvn
Les jeunes filles au contraire sont enfermées dans les salles inté-
rieures, où doit se faire leur éducation, où elles doivent apprendre
à lire et à écrire. On leur enseigne qu*elles ne doivent plus jouer
avec leurs frères et qu'il est inconvenant pour elles de se laisser
apercevoir des hommes, de sorte que, peu à peu, elles cherchent
d'elles-mêmes à se cacher.
Ces usages se conservent pendant toute la vie, et leur exagé-
ration a complètement détruit la vie de famille. Presque jamais
un Coréen de bon ton n'aura de conversation suivie même avec
sa propre femme, qu'il regarde comme infiniment au-dessous de
lui. Jamais surtout il ne la consultera sur rien de sérieux, et
quoique vivant sous le même toit, on peut dire que les époux
sont toujours séparés, les hommes conversant et se délassant
ensemble dans les salles extérieures, et les femmes recevant
leurs parentes ou amies dans les appartements qui leur sont
réservés. La même coutume, basée sur le même préjugé, em-
pêche les gens du peuple de rester dans leurs maisons quand ils
veulent prendre un instant de récréation ou de repos. Les
hommes cherchent leurs voisins, et, de leur côté, les femmes se
réunissent à part.
Parmi les nobles, quand une jeune fille est arrivée à Tàge
nubile, ses propres parents, excepté ceux du degré le plus rap-
proché, ne sont plus admis ni à la voir ni à lui parler, et ceux
qui sont exceptés de cette loi ne lui adressent la parole qu'avec
la plus cérémonieuse retenue. Après leur mariage, les femmes
nobles sont inabordables. Presque toujours consignées dans leurs
appartements, elles ne peuvent ni sortir, ni même jeter un regard
dans la rue, sans la permission de leur mari ; et de là, pour
beaucoup de dames chrétiennes, surtout en temps de persé-
cution, Timpossibilité absolue de participer aux sacrements.
Cette séquestration jalouse est portée si loin, que Ton a vu des
pères tuer leurs filles, des maris tuer leurs femmes, et des femmes
se tuer elles-mêmes, parce que des étrangers les avaient touchées
du doigt. Mais très-souvent aussi, cette réserve ou cette pudeur
exagérée produit les inconvénients qu'elle est destinée à éviter.
Si quelque libertin effronté parvient à pénétrer secrètement dans
Tappartement d'une femme noble, elle n'osera ni pousser un cri,
ni opposer la moindre résistance qui pourrait attirer l'atten-
tion ; car alors, coupable ou non, elle serait déshonorée à tout
jamais, par le seul fait qu'un homme est entré dans sa chambre,
tandis que, la chose restant secrète, sa réputation est sauve.
D'aillears, si elle résistait, persomie M4«i- es saurait gré, pas
CXniI INTRODUCTION.
même son mari, à cause de Téclat fâcheux qui serait ainsi
occasionné.
Quoique les femmes en Corée ne comptent absolument pour
rien, ni dans la société, ni dans leur propre famille, elles sont
entourées cependant d'un certain respect extérieur. On se sert en
leur parlant des formules honorifiques, et nul n'oserait s'en dis-
penser, si ce n'est envers ses propres esclaves. On cède le pas
dans la rue à toute femme honnête, même du pauvre peuple.
L'appartement des femmes est inviolable; les agents de l'autorité
eux-mêmes ne peuvent y mettre le pied, et un noble qui se retire
dans cette partie de la maison n'y sera jamais saisi de force.
Le cas de rébellion est seul exce[»té, parce qu'alors les femmes
sont supposées complices du coupable. Dans les autres circons-
tances, les satellites sont forcés d'user de ruse pour attirer leur
proie au dehors, en un lieu où ils puissent légalement l'arrêter.
Quand un acheteur vient visiter une maison en vente, il avertit
de son arrivée, afin qu'on ferme les portes des chambres réservées
aux femmes, et il n'examine que les salons extérieurs ouverts à
tous. Quand un homme veut monter sur son toit, il prévient les
voisins afin que l'on ferme les portes et les fenêtres.
Les femmes des mandarins ont le droit d'avoir des voitures à
deux chevaux, et ne sont point obligées de faire cesser, dans
l'enceinte de la capitale, les cris des valets de leur suite, ce que
doivent faire les plus hauts fonctionnaires, même les gouverneurs
et les ministres. Les femmes ne font la génuflexion à personne,
si ce n'est à leurs parents, dans le degré voulu, et selon les règles
fixées. Celles qui se font porter en chaise ou palanquin, sont
dispensées de mettre pied à terre en passant devant la porte du
palais. Ces usages semblent dictés par le sentiment des conve-
nances , mais il en est d'autres qui viennent évidemment du
mépris qu'on a pour le sexe le plus faible ou de la licence des
mœurs. Ainsi, les femmes, à quelque classe de la société qu'elles
appartiennent, ne sont presque jamais traduites devant les tribu-
naux, quelque délit qu'elles puissent commettre, parce qu'on ne
les suppose pas responsables de leur actes. Ainsi encore, elles ont
droit de pénétrer partout dans les maisons, de circuler en tout
temps dans les rues de la capitale, même la nuit ; tandis que,
depuis neuf heures du soir, moment où la cloche donne le signal
de la retraite, jusqu'à deux heures du matin, aucun homme ne
peut sortir, sauf le cas d'absolue nécessité, sans s'exposer à une
forte amende.
Lorsque les enfants ont atteint l'âge de puberté, ce sont les
INTRODUGTlOIf. GXIX
parents qui les fiancent et les marient, sans les consulter, sans
s'inquiéter de leurs goûts, et souvent même contre leur gré. De
part et d'autre on ne s'occupe que d'une chose, la convenance de
rang et de position entre les deux familles. Peu importent les
aptitudes des futurs époux, leur caractère, leurs qualités ou leurs
défauts physiques, leur répugnance mutuelle. Le père du garçon
se met en relation avec le père de la fille, de vive voix s'ils
demeurent dans le voisinage Tun de Vautre, par lettre s'ils sont
trop éloignés. On discute les diverses conditions du contrat, on
convient de tout, on marque l'époque qui semble la plus favorable
d'après les calculs des devins ou astrologues, et cet arrangement
est définitif.
La veille ou l'avant-veille du jour fixé pour le mariage, la
demoiselle invite une de ses amies pour lui relever les cheveux ;
le jeune homme de son côté appelle l'un de ses parents ou con-
naissances pour lui rendre le même service. Ceux qui doivent
faire cette cérémonie sont choisis avec soin ; on les appelle pok-
siou, c'est-à-dire : main de bonheur. Voici sur quoi est fondé
cet usage. En Corée, les enfants des deux sexes portent leurs
cheveux en une seule tresse qui pend sur le dos. Ils vont toujours
nu-tête. Tant que Ton n'est pas marié, on reste au rang des enfants
(ahai), et l'on doit conserver ce genre de coiffure. On peut alors
faire toutes sortes d'enfantillages et de folies, sans que cela tire
à conséquence ; on n'est pas supposé capable de penser ou d'agir
sérieusement, et les jeunes gens, eussent-ils vingt-cinq ou trente
ans, ne peuvent prendre place dans aucune réunion où l'on traite
d'affaires importantes. Mais le mariage amène l'émancipation
civile, à quelque âge qu'il soit contracté, fût-ce à douze ou treize
ans. Dès lors on devient homme fait (euroun), les jeux d'enfants
doivent être abandonnés, la nouvelle épouse prend son rang
parmi les matrones, le jeune marié a le droit de parler dans les
réunions d'hommes et de porter désormais un chapeau. Après
que les cheveux ont été relevés pour le mariage, les hommes les
portent noués sur le sommet de la tête, un peu en avant. D'après
les vieilles traditions, ils ne devraient jamais se couper un seul
cheveu ; mais, à la capitale surtout, les jeunes gens qui veulent
faire valoir leurs avantages personnels , et n'avoir pas sur le
crâne un trop gros paquet de cheveux, se font raser le sommet
de la tête, de façon à ce que le nœud ne soit pas plus gros qu'un
œuf. Les femmes mariées, au contraire, non-seulement conser-
vent tous leurs cheveux, mais s'en procurent de faux, afin de
grossir autant que possible les deu tresMS qui pour elles sont
GXX INTRODUCTION.
de règle stricte. Les femmes de tout râag à la capitale, et les
femmes nobles dans les provinces forment avec ces deux tresses
un gros chignon qui, maintenu par une longue aiguille d'argent
ou de cuivre placée en travers, retombe sur le cou. Les femmes
du peuple, dans les provinces, roulent les deux tresses autour de
leur tête, comme un turban, et les nouent sur le front. Les
jeunes personnes qui refusent de se marier, et les hommes qui,
arrivés à un certain âge, n'ont pu trouver femme, relèvent eux-
mêmes leurs cheveux secrètement et en fraude, afin de ne pas
être éternellement traités comme des enfants ; c'est une violation
grave des usages, mais on la tolère.
Au jour fixé, on prépare dans la maison de la jeune £lle une
estrade plus ou moins élevée, ornée avec tout le luxe possible ;
les parents et amis sont invités, et s'y rendent en foule. Les
futurs époux qui ne se sont jamais vus, ni jamais adressé la
parole, sont amenés solennellement sur Testrade, et placés Tun
en face de Tautre. Ils y restent quelques minutes, se saluent sans
mot dire, puis se retirent chacun de son côté. La jeune mariée
rentre dans Tappartement des femmes , et le marié demeure
avec les hommes dans les salons extérieurs, où il se réjouit avec
tous ses amis, et les fête de son mieux. Quelque considérables
que puissent être les dépenses, il doit s'exécuter de bonne grâce;
sinon, on emploiera tous les moyens imaginables, jusqu'à le
lier et le suspendre au plafond, pour le forcer à se montrer
généreux.
C'est cette salutation réciproque, par devant témoins, qui
signifie le consentement, et constitue le mariage légitime. Dès
lors le mari, à moins qu'il n'ait répudié sa femme dans les formes
voulues, peut toujours et partout la réclamer ; et, l'eût-il répu-
diée, il lui est interdit de prendre lui-même une autre femme
légitime, du vivant de la première, mais il reste libre d'avoir
autant de concubines qu'il en peut nourrir. Quant aux concubines,
il suffit qu'un homme puisse prouver qu'il a eu des relations inti-
mes avec une fille ou une veuve, pour que celle-ci devienne sa
propriété légale. Personne ne peut la lui enlever, et les parents
eux-mêmes n'ont pas droit de la réclamer. Si elle s'enfuit, il peut
la faire ramener de force à son domicile.
Le fait suivant, arrivé il y a quelques années dans un village
oii se trouvait un missionnaire, nous fera mieux comprendre ces
diverses lois et coutumes au sujet du mariage. Un noble avait à
marier sa propre fille et celle de son frère défunt, toutes deux
du même âge. 11 voulait pour chacune d'elles, mais pour sa fiUe
1?ITR0DUCTI0ÎI. CXXl
surtout^ le plus excellent mari qui se pût rencontrer, et dans son
désir de faire le meilleur choix possible, il avait refusé déjà plu-
sieurs partis très-convenables. Un jour enfin, on lui fait une
demande de la part d'une riche et grande famille. Après avoir
hésité quelque temps s'il donnerait sa fille ou sa nièce, il se
détermine pour sa fille, et sans avoir jamais vu son futur gen-
dre, engage sa parole et convient de Tépoque des noces. Mais
trois jours avant la cérémonie, il apprend par des sorciers que
le jeune homme est un niais, très-laid et très-ignorant. Que
faire? Il n'y avait plus moyen de reculer. Il avait donné son con-
sentement, et en pareil cas la loi est inflexible. Dans son déses-
poir, il imagina un moyen d'amortir le coup qu'il ne pouvait parer
entièrement. Le jour du mariage, dès le matin, il se rendit à
l'appartement des femmes et donna ses ordres de la manière la
plus absolue, pour que sa nièce, et non sa fille, fût coiffée,
habillée, et conduite sur l'estrade saluer le futur mari. Sa fille,
stupéfaite, n'avait qu'à obéir. Les deux cousines, étant à peu près
de la même taille, la substitution fut facile, et la cérémonie eut
lieu dans les formes voulues. Le nouveau marié, [selon l'usage,
passa l'après-midi dans l'appartement des hommes, et quelle ne
fut pas la stupéfaction du vieux noble lorsqu'il vit que, loin d'être
le badaud que lui avaient dépeint les sorciers, il était beau, bien
fait, très-spirituel, très-instruit et très-aimable ! Désolé d'avoir
perdu un pareil gendre, il songea à réparer le mal, et ordonna
secrètement que, le soir, on introduisit dans la chambre nuptiale
non point sa nièce, mais sa propre fille. Il savait bien que le
jeune homme ne se douterait de rien, parce que pendant les salu-
tations officielles sur l'estrade, les nouvelles mariées sont telle-
ment affublées et surchargées d'ornements qu'il est impossible
de distinguer leur visage. Tout se fit comme il le désirait. Pen-
dant les deux ou trois jours que l'on passa en famille, le vieux
noble, heureux du succès de ses stratagèmes, se félicitait d'avoir
un gendre aussi parfait. Le nouveau marié de son côté, se montrait
de plus en plus charmant, et gagna tellement le cœur de son
beau-père, qu'à la fin, dans un épanchement d'affection, celui-ci
lui raconta tout ce qui était arrivé, les bruits qui avaient couru
sur son compte, et les substitutions successives de la nièce à la
lille, et de la fille à la nièce. Le jeune homme fut tout d'abord
interdit, puis reprenant son sang-froid : « C'est très-bien, dit-il,
et très-adroit de votre part. Mais il est clair que les deux jeunes
personnes m'appartiennent, et je les réclame toutes les deux,
votre nièce qui seule est ma légitime épouse, puisqu'elle m'a
CXXII INTRODUCTION.
fait les salutations légales ; votre fille parce que, introduite par
vous-même dans la chambre nuptiale, elle est devenue de droit et
de fait ma concubine. » Il n'y avait rien à répondre ; les deux
jeunes femmes furent conduites à la maison du nouveau marié, et
le vieillard demeuré seul fut bafoué de tous pour sa maladresse
et sa mauvaise foi.
Le jour du mariage, la jeune fille doit montrer la plus grande
réserve dans ses paroles. Sur Testrade, elle ne dit pas un mot, et
le soir, dans la chambre nuptiale, l'étiquette, surtout entre gens
de la haute noblesse, lui commande le silence le plus absolu.
Le jeune marié Taccable de questions, de compliments; elle doit
rester muette et impassible comme une statue. Elle s'assied dans
un coin, revêtue d'autant de robes qu'elle en peut porter. Son
mari la déshabillera s'il le veut, mais elle ne s'en mêlera pas. Si
elle prononçait une parole ou faisait un geste, elle deviendrait
un objet de risée et de plaisanterie pour ses compagnes, car les
femmes esclaves de la maison se tiennent auprès des portes pour
écouter, regardent par toutes les fentes, et se hâtent de publier
ce qu'elles peuvent voir et entendre. Un jeune marié fit un jour
avec ses amis la gageure d'arracher quelques mots à sa femme
dès la première entrevue. Celle-ci en fut avertie. Le jeune homme
après avoir vainement (enté divers moyens, s'avisa de lui dire que
les astrologues, en tirant Thoroscope de sa future, lui avaient
affirmé qu'elle était muette de naissance, qu'il voyait bien que
tel était le cas, et qu'il était résolu à ne pas prendre une femme
muette. La jeune femme aurait pu se taire impunément, car
les cérémonies légales une fois accomplies, que l'un des deux
conjoints soit muet ou aveugle, ou impotent, peu importe, le
mariage existe. Mais piquée de ces paroles, elle répondit d'un
ton aigre- doux : « Hélas! l'horoscope tiré sur ma nouvelle famille
est bien plus vrai encore. Le devin m'a annoncé que j'épouserais
le fils d'un rat, et il ne s'est pas trompé. » C'est là pour un
Coréen la plus grossière injure, et elle atteignait non-seulement
l'époux mais son père. Les éclats de rire des femmes esclaves en
faction auprès de la porte augmentèrent la déconvenue du jeune
homme. II avait gagné son pari, mais les moqueries de ses amis
lui firent payer bien cher et bien longtemps sa malencontreuse
bravade.
Cet état de réserve et de contrainte entre les nouveaux mariés
doit, selon les lois de l'étiquette, se prolonger très-longtemps.
Pendant des mois entiers, la jeune femme ouvre à peine la
bouche pour les choses les plus nécessaires. Point de conversa-
INTRODUCTIOTC. CXXllI
lions suivies avec son mari, point de confidences, jamais Tombre
de cordialité. Vis-k-vis de son beau-père, Tusage est encore plus
sévère; souvent elle passe des années entières sans oser lever les
yeux sur lui ou lui adresser la parole, sinon pour lui donner de
loin en loin quelque brève réponse. Avec sa belle-mère elle est
un peu plus à Taise, et se permet quelquefois de petites conver-
sations ; mais, si elle est bien élevée, ces conversations seront
rares et de peu de durée. Inutile d'ajouter que les chrétiens de
Corée ont laissé de côté la plupart de ces observances ridicules.
D'après tout ce que nous venons de dire, on comprend combien
rares doivent être en Corée les mariages heureux, les unions
bien assorties. La femme n'a que des devoirs envers son mari,
tandis que celui-ci n'en a aucun envers elle. La fidélité conjugale
n'est obligatoire que pour la femme. Si insultée, si dédaignée
qu'elle soit, elle n'a pas le droit de se montrer jalouse; Tidée
même ne lui en vient pas. D'ailleurs, Tamour mutuel entre les
époux est un phénomène que les mœurs rendent presque impos-
sible. Les bienséances tolèrent qu'un mari respecte sa femme et
la traite convenablement ; mais on se moquerait cruellement de
celui qui lui donnerait une marque d'affection véritable, et qui
l'aimerait comme la compagne de sa vie. Elle n'est et ne doit être,
pour un homme qui se respecte, qu'une esclave d'un rang un
peu plus élevé, destinée à lui donner des enfants, à surveiller
l'intérieur de la maison , et k satisfaire quand il lui plait ses
passions et ses appétits naturels. Parmi les nobles, le jeune marié
après avoir passé trois ou quatre jours avec sa nouvelle épouse,
doit la quitter pour un temps assez long, afin de prouver qu'il ne
fait pas d'elle trop grand cas. Il la laisse dans un état de veuvage
anticipé, et se dédommage avec des concubines. En agir autrement
serait de mauvais goût. On cite des nobles, qui pour avoir laissé
échapper quelques larmes à la mort de leur femme, ont été obli-
gés de s'absenter pendant plusieurs semaines des salons de leurs
amis où l'on ne cessait de les poursuivre de quolibets.
Parmi les femmes, un certain nombre acceptent cet état de
choses avec une résignation exemplaire. Elles se montrent
dévouées, obéissantes, soigneuses de la réputation et du bien-être
de leurs maris. Elles ne se révoltent pas trop contre les exigences
souvent tyranniques et déraisonnables de leurs belles-mères.
Habituées dès l'enfance à porter le joug, à se regarder elle-mêmes
comme une race inférieure, elles n'ont pas même l'idée de pro-
tester contre les usages établis, ou de briser les préjugés dont
elles sont victimes. Mais beaucoup d'autres femmes se laissent
CXXIV INTRODUCTION.
aller à tous leurs défauts de caractère, sont violentes, insubor-
données, mettent dans leurs maisons la division et la ruine, se
battent avec leurs belles-mères, se vengent de leurs maris en leur
rendant la vie insupportable, et provoquent sans cesse des scènes
de colère et de scandale. Chez les gens du peuple, en pareil cas, le
mari se fait justice à coups de poing ou de bâton ; mais dans les
hautes classes, Tusage ne permettant point à un noble de frapper
sa femme, il n'a d'autre ressource que le divorce, et s*il ne lui est
pas facile d'y recourir et de faire les frais d'un autre mariage, il
faut qu'il se résigne. Si sa femme, non contente de le tourmenter,
lui est infidèle ou s'enfuit de la maison conjugale, il peut la con-
duire au mandarin, qui, après avoir fait administrer la baston-
nade à la dame, la donne pour concubine à quelqu'un de ses
satellites ou de ses valets.
Quelquefois cependant, même en Corée, les femmes de tact et
d'énergie savent se faire respecter, et conquérir leur position
légitime, comme le prouve l'exemple suivant, extrait d'un traité
coréen de morale en action, à l'usage des jeunes gens des deux
sexes. Vers la fin du siècle dernier, un noble de la capitale, assez
haut placé, perdit sa femme dont il avait plusieurs enfants. Son
âge déjà avancé rendait un second mariage difficile ; néanmoins,
après de longues recherches, les entremetteurs employés en
pareil cas firent décider son union avec la fille d'un pauvre noble
de la province de Kieng-sang. Au jour fixé, il se rendit à la mai-
son de son futur beau-père, et les deux époux furent amenés sur
l'estrade pour se faire les salutations d'usage. Notre dignitaire en
voyant sa nouvelle femme, resta un moment interdit. Elle était
très-petite, laide, bossue, et semblait aussi peu favorisée des dons
de l'esprit que de ceux du corps. Mais il n'y avait pas à reculer,
et il en prit son parti, bien résolu à ne jamais l'amener dans sa
maison et à n'avoir aucun rapport avec elle. Les deux ou trois
jours que Ton passe dans la maison du beau-père étant écoulés, il
repartit pour la capitale, et ne donna plus de ses nouvelles. La
femme délaissée, qui était une personne de beaucoup d'intelli-
gence, se résigna à son isolement, et demeura dans la maison
paternelle, s*informant de temps en temps de ce qui arrivait à son
mari. Elle apprit, après deux ou trois ans, qu'il était devenu
ministre de second ordre, qu'il venait de marier très-honorable-
ment ses deux fils, puis, quelques années plus tard, qu'il se
disposait à célébrer, avec toute la pompe voulue, les fôtes de sa
soixantième année.
Aussitôt, sans hésiter, malgré l'opposition et les remontrances
INTRODUCTION. CXXV
de ses parents, elle prend le chemin de la capitale, se fait porter h
la maison du ministre, et annoncer comme sa femme. Elle descend
de son palanquin sous le vestibule, se présente d*un air assuré,
promène un regard tranquille sur les dames de la famille réunies
pour la fête, s'assied à la place d'honneur, se fait apporter du
feu, et avec le plus grand calme, allume sa pipe devant toutes
les assistantes stupéfaites. La nouvelle est portée de suite à Tap-
partement des hommes, mais par bienséance personne n'a Tair de
s'en émouvoir. Bientôt la dame fait appeler les esclaves de ser-
vice, et d'un ton sévère : « Quelle maison est-ce que celle-ci ?
leur dit-elle ; je suis votre maîtresse et personne ne vient me
recevoir. Où avez-vous été élevées? je devrais vous infliger une
grave punition, mais je vous fais grâce pour cette fois. Où est
Tappartement de la maîtresse ?» On se hâte de l'y conduire, et là,
au milieu de toutes les dames : « Où sont mes belles-filles?
demande-t-elle, comment se fait-il qu'elles ne viennent pas me
saluer ? Elles oublient sans doute que par mon mariage je suis
devenue la mère de leurs maris, et que j'ai droit de leur part à
tous les égards dus à leur propre mère. » Aussitôt, les deux
belles-filles se présentent, l'air honteux, et s'excusent de leur
mieux sur le trouble où les a jetées une visite aussi inattendue.
Elle les réprimande doucement, les exhorte à se montrer plus
exactes dans l'accomplissement de leurs devoirs, et donne diffé-
rents ordres en sa qualité de maîtresse de la maison.
Quelques heures après, voyant qu'aucun des maîtres ne parais-
sait, elle appelle une esclave et lui dit : « Mes deux fils ne sont
certainement pas sortis en un jour comme celui-ci ; voyez s'ils
sont à l'appartement des hommes, et faite&-les venir. » Ils arrivent
très-embarrassés, et balbutient quelques excuses. « Comment,
leur dit-elle, vous avez appris mon arrivée depuis plusieurs
heures, et vous n'êtes pas encore venus me saluer ! Avec une
aussi mauvaise éducation, une pareille ignorance des principes,
que ferez-vous dans le monde ? J'ai pardonné aux esclaves et à
mes belles-filles leur manque de politesse, mais, pour vous autres
hommes, je ne puis laisser votre faute impunie. » En même
temps, elle appelle un esclave, et leur fait donner sur les jambes
quelques coups de verges. Puis elle ajoute : « Pour votre père le
ministre, je suis sa servante, et n'ai pas d'ordres à lui donner;
mais vous, désormais, faites en sorte de ne plus oublier les
convenances. »
A la fin, le ministre lui-même, bien étonné de tout ce qui se
passait, fut obligé de s'exécuter et vint saluer sa femme. Trois
CXXVI INTRODUCTION.
jours après, les fêtes étant terminées, il retourna au palais. Le
roi lui demanda familièrement si tout s'était passé aussi heureuse-
ment que possible ; le ministre raconta en détail Thistoire de son
mariage, Tarrivée inopinée de sa femme et la manière dont elle
avait su se conduire. Le roi, qui était un homme de sens, lui
répondit : « Vous avez fort mal agi envers votre épouse. Elle me
parait une femme de beaucoup d*esprit et d*un tact extraordi-
naire; sa conduite est admirable, et je ne saurais assez la louer.
J'espère que vous réparerez les torts que avez eus envers elle. »
Le ministre le promit, et quelques jours plus tard, le prince
conféra solennellement à la dame une des plus hautes dignités
de la cour.
La femme épousée légitimement, à moins qu'elle ne soit une
veuve ou une esclave, entre en tout et pour tout en participation
de Tétai social de son mari. Quand même elle ne serait pas noble
de naissance, elle le devient si elle épouse un noble, et ses enfants
le sont aussi. Si deux frères par exemple, épousent la tante et la
nièce, et que la nièce tombe en partage à Tatné, elle devient par
le fait la sœur ainée, et la tante sera traitée comme la sœur
cadette, ce qui dans ce pays fait une énorme différence.
Dans toutes les classes de la société, la principale occupation
des femmes est d'élever, ou plutôt de nourrir leurs enfants. La
mère se dispense rarement de ce devoir, plus sacré encore en ce
pays, où l'on n'a aucune idée de l'allaitement artificiel, et où
par conséquent les enfants qui perdent leur mère dans les pre-
mières années meurent presque tous. Les Coréens ne savent pas
traire les animaux, et n'usent jamais de lait de vache ou de
chèvre. La seule exception est en faveur du roi qui en prend
quelquefois. Dans ce cas, on s'en procure à l'aide d'une opération
très-compliquée. Ou couche la vache sur le flanc, en présence de
toute la cour, puis avec des planchettes ou bâtons on presse les
mamelles, et le lait, que les opérateurs en font découler à la
sueur de leurs fronts, est précieusement recueilli pour l'usage
de Sa Majesté.
Quand il n'y a pas d'autres enfants plus jeunes, la mère
allaite son nourrisson jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, quelque-
fois même jusqu'à dix ou douze ans. Cette coutume dégoûtante
semble si naturelle en ce pays que la chose se fait publiquement,
et l'on voit des enfants presque aussi grands que leurs mères
prendre le sein, sans que personne songe à se scandaliser. L'édu-
cation du reste exige peu de soins. Elle consiste habituellement
à faire toutes les volontés de l'enfant, surtout si c'est un fils, à se
INTRODUCTION. CXXVII
plier à tous ses caprices, et à rire de tous ses défauts, de tous ses
vices, sans jamais le corriger. En dehors du soin de leur progé-
niture, les femmes nobles n'ont rien à faire qu'à diriger leurs
servantes, et maintenir Tordre dans les appartements intérieurs.
Leur vie s'écoule presque tout entière dans l'inaction la plus
complète. Mais les femmes du peuple ont une rude besogne. Elles
doivent préparer les aliments, confectionner les toiles, en faire
des habits, les laver et blanchir, entretenir tout dans la maison,
et de plus, pendant l'été, aider leurs maris dans tous les travaux
de la campagne. Les hommes travaillent au temps des semailles
et de la moisson, mais en hiver ils se reposent. Leur seule occu-
pation alors est de couper sur les montagnes le bois nécessaire
pour le feu ; le reste de leur temps se passe à jouer, fumer, dor-
mir, ou visiter leur parents et amis. Les femmes, comme de
véritables esclaves, ne se reposent jamais.
L'injuste inégalité entre les sexes continue, même après que le
mariage est finalement dissous par la mort d'un des conjoints^
Le mari porte le demi-deuil, après la mort de sa femme, pen-
dant quelques mois seulement, et peut se remarier aussitôt. La
femme au contraire, surtout dans les hautes classes, doit pleurer
son mari et porter le deuil toute sa vie. Ce serait une infamie pour
une veuve de bon ton, si jeune qu'elle soit, de se remarier. Le
roi Sieng-tsong, qui régna de 1469 à 1494, interdit les examens
publics aux enfants des femmes nobles mariées en secondes noces,
et défendit de les admettre à aucun emploi. Aujourd'hui encore,
ils sont considérés par la loi comme des enfants illégitimes.
De cette prohibition inique des secondes noces résultent néces-
sairement de graves désordres, chez un peuple aussi brutalement
passionné que les Coréens. Les jeunes veuves nobles ne se rema-
rient point, mais presque toutes sont, publiquement ou secrète-
ment, les concubines de ceux qui veulent les nourrir. D'ailleurs,
celles qui s'obstinent à vivre honnêtement dans la solitude sont
très-exposées. Tantôt on les enivre à leur insu, en jetant des
narcotiques dans leur boisson, et elles se réveillent déshonorées,
à côté d'un scélérat qui a abusé d'elles pendant leur sommeil;
tantôt on les enlève de force pendant la nuit , à l'aide de
quelques bandits soudoyés ; et quand, d'une manière ou d'une
autre, elles ont été une fois victimes de la violence de celui qui
les convoite, il n'y a plus de remède possible : elles lui appar-
tiennent de par la loi et la coutume. On voit quelquefois de
jeunes veuves se donner la mort aiU8U6t âoi^ les funérailles de
leur mari, afin de mieux proa?er mettre leur
CXXVIII INTRODUCTION.
réputation et leur honneur hors de toute atteinte. Les nobles
n'ont pas assez de voix pour célébrer ces femmes modèles, et ils
obtiennent, presque toujours, que le roi leur décerne un monu-
ment public, colonne ou temple, destiné à conserver la mémoire
de leur héroïsme. Il y a vingt ans, de vagues rumeurs d'une guerre
civile prochaine s'étant répandues dans le pays, des veuves chré-
tiennes demandèrent au missionnaire la permission de se suici-
der si les bandes armées approchaient de leur maison, et le prêtre
eut beaucoup de difficulté à leur faire comprendre que, même en
pareil cas, le suicide est un crime abominable devant Dieu.
Aux gens du peuple, les secondes noces ne sont défendues ni
parla loi, ni par la coutume. Dans les familles riches, on tient
assez souvent, par amour-propre, à imiter la noblesse en ce point
comme en d'autres. Mais, chez les pauvres, la nécessité pour les
hommes d'avoir quelqu'un qui prépare leur nourriture, la néces-
sité pour les femmes de ne pas mourir de faim, rendent ces sortes
de mariages assez fréquents.
:iitj
Famille. — Adoption. — Liens de parenté. — Deuil légal.
Le Coréen est fou de ses enfants, surtout des garçons qui, à
ses yeux, ont au moins dix fois la valeur des filles ; et celles-ci
même lui sont chères. Aussi ne voit-on presque jamais d'exemple
d'enfants exposés ou abandonnés. Quelquefois, aux époques de
grande famine, des gens qui meurent de faim sont poussés à cette
extrémité : mais, alors même, ils cherchent plutôt à les donner
ou à les vendre, et les premières ressources qu'ils peuvent réunir
ensuite sont destinées à les racheter si possible. Jamais ils ne
trouvent leur famille trop nombreuse, et, soit dit en passant, la
conduite de ces pauvres païens sera, au jour du jugement, Toppro-
bre et la condamnation de ces parents infâmes qui, dans nos pays
chrétiens, ne craignent pas de violer les lois de Dieu et d'outrager
la nature, pour s'épargner les ennuis et les fatigues de l'éduca-
tion des enfants. Un Coréen, si pauvre qu'il soit, est toujours
heureux d'être père, et il sait trouver dans son dénûment de
quoi nourrir et élever toute la famille que Dieu lui envoie.
La première chose que l'on inculque à l'enfant dès son plus
bas âge, c'est le respect pour son père. Toute insubordination
envers lui est immédiatement et sévèrement réprimée. Il n'en
est pas de même vis-à-vis de la mère. Celle-ci, d*après les moeurs
du pays, n'est rien et ne compte pour rien, et l'enfant l'apprend
trop tôt. Il ne l'écoute guère, et lui désobéit à peu près impuné-
ment. En parlant du père, on ajoute fréquemment les épithètes :
em-trim, em-pou-hien, qui signifient : sévère, redoutable, et
impliquent un profond respect. Au contraire, on joint au nom
de la mère les mots : tsa-tsin, tsa-tang, c'est-à-dire : bonne,
indulgente, qui n'est pas à craindre, etc.... Cette difTérence a
certainement sa racine dans la nature, mais, exagérée comme elle
l'est en ce pays, elle devient un abus déplorable.
Le fils ne doit jamais jouer avec son père, ni fumer devant lui,
ni prendre en sa présence une posture trop libre ; aussi dans les
familles aisées, y a-t-il un appartement spécial où il peut se
mettre à Taise et joaer avec ses amis. Le fils est le serviteur du
T. I. "- touti M ooaii. i
. f
GXXX INTRODUCTION.
père ; souvent il lui apporte son repas, le sert à table et pré-
pare sa couche. Il doit le saluer respectueusement en sortant de
la maison, el en y rentrant. Si le père est vieux ou malade, le fils
ne le quitte presque pas un instant, et couche non loin de lui
afin de subvenir à tous ses besoins. Si le père est en prison, le
fils va s'établir dans le voisinage afin de correspondre facilement
avec lui, et de lui faire parvenir quelques soulagements ; et quand
cette prison est celle du Keum-pou (1) le fils doit rester age-
nouillé devant la porte, à un endroit désigné, et attendre ainsi
jour et nuit que le sort de son père soit décidé. Quand un cou-
pable est envoyé en exil, son fils est tenu de raccompagner au
moins pendant tout le trajet, et si Tétat de la famille le permet,
il s'établit lui-même dans le lieu ob son père subit la condamna-
tion. Un fils qui rencontre son père sur la route, doit lui faire
de suite la grande génuflexion et se prosterner dans la poussière
ou dans la boue. En lui écrivant, il doit se servir des formules les
plus honorifiques que connaisse la langue coréenne. Les manda-
rins obtiennent fréquemment des congés plus ou moins longs afin
d'aller saluer leurs parents, et si, pendant qu'ils sont en charge,
ils viennent à perdre leur père ou leur mère, ils doivent donner
de suite leur démission pour s*occuper uniquement de rendre au
défunt les derniers devoirs, et ne peuvent exercer aucune fonc-
tion tant que dure le deuil légal. Nulle vertu, en Corée, n'est
estimée et honorée autant que la piété filiale, nulle n'est enseignée
avec plus de soin, nulle n'est plus magnifiquement récompensée,
par des exemptions d'impôts, par l'érection de colonnes monu-
mentales, ou même de temples, par des dignités et des emplois
publics ; aussi les exemples extraordinaires de cette vertu sont-ils
assez fréquents, surtout de la part d'un fils ou d'une fille envers
son père. Ils se rencontrent plus rarement de la part des enfants
envers leur mère, et cela à cause des préjugés d'éducation dont
nous avons parlé.
L'adoption des enfants est très-commune en Corée. Celui qui
n'a pas de fils nés de lui, doit en choisir dans sa parenté, et la
grande raison de cet usage se trouve dans les croyances reli-
gieuses du pays. En efTet, ce sont les descendants qui doivent ren-
dre aux ancêtres le culte habituel, garder leurs tablettes, observer
les nombreuses cérémonies des funérailles et du deuil, offrir les
sacrifices, etc.. La conservation de la famille n'est qu'une fin
(1) Voir plus haut, p. lviii.
'.'i^L'Jità
INTRODUCTION. CXXXI
secondaire de Tadoption ; aussi n'adopte-t-OD jamais de filles,
parce qu'elles ne peuvent accomplir les rites prescrits. D'un
autre côté, le consentement de Tadopté ou de ses parents n'est
nullement nécessaire, parce qu'il s'agit d'une nécessité religieuse
et sociale, dont le gouvernement, en cas de besoin, impose de
force l'acceptation.
Légalement, l'adoption pour être valide devrait être enre-
gistrée au Niei-tso ou tribunal des rites, mais cette formalité est
tombée en désuétude. Il suffit qu'elle ait été faite publiquement,
en conseil de famille, et reconnue de tous les parents. L'enfant
adoptif doit être pris dans la parenté du côté paternel, c'est-à-
dire parmi ceux qui portent le même nom, et, dans le cas où la
famille est trop nombreuse, parmi ceux qui appartiennent à une
même branche. Il faut de plus que l'adopté soit parent de l'adop-
tant en ligne collatérale inégale, mais inégale d'un degré seule-
ment. C'est-à-dire qu'un homme peut adopter le fils de son
frère, ou le fils de son cousin germain, ou le fils de son cousin
issu de germain, et ainsi de suite : mais il ne pourrait adopter
ni son frère ni un cousin quelconque, ni leurs petits-fils. Celui
qui aurait eu un fils marié, mort sans enfant, ne peut plus
adopter en son propre nom, mais au nom de son fils mort, et par
conséquent, en vertu de la règle précédente, il doit choisir le
petit-fils d'un de ses frères ou cousins, c'est-à-dire quelqu'un
qui puisse être le fils de son fils.
Le plus souvent l'adopté est un enfant encore à la mamelle,
mais il n'y a pas de condition d'âge. L'enfant adoptif est tenu
envers ses nouveaux parents à tous les devoirs de fils ; et il en
possède tous les droits et privilèges sans exception. Ces adop-
tions, la plupart forcées, amènent bien des divisions dans les
familles et sont la cause d'une foule de misères. Il est bien diffi-
cile à l'adoptant d'aimer comme son propre fils l'enfant d'un
autre, et de son côté l'adopté, peu satisfait de sa position, regrette
souvent ses propres parents. Dans les hautes classes, on conserve
par décorum, devant les étrangers, tous les dehors delà plus vive
affection ; mais chez les gens du peuple, les discordes, les querel-
les éclatent tous les jours. L'adoption légale ne peut être cassée
que par une permission spéciale du tribunal des rites, et il est
assez difficile de l'obtenir. Quand une adoption a été annulée, on
est libre d'en faire une autre. Les adoptions, même revêtues de
toutes les formes officielles, n'ont jamais été, en Corée, reconnues
par l'Église, parce que le plus souvent elles sont imposées par
force et tuiûrenls et aux enfants.
u.
m:':-
x
•^
CXXXU INTRODUCTION .
Il y a une autre espèce d'adoption qui n'est pas reconni
la loi, et qui ne confère aucun droit ou privilège à W
adoptif. Elle a lieu surtout parmi les classes inférieures, <
des personnes, qui n'ont pas d'enfants ou qui n'ont que des
élèvent l'enfant d'un autre afin d'avoir en lui un soutien
leur vieillesse et leurs infirmités. Cette adoption se fait san
malités extérieures, et sans aucune restriction de nom, de ps
' ou de famille. Ceux-là seulement y ont recours qui, à eau
leur pauvreté, ne peuvent trouver à adopter un fils dai
formes voulues par la loi ; et quand ils meurent, la propri^
leur maison, de leurs meubles et autres objets d'une valeur
gnifiante, passe sans contestation à leur enfant adoptif.
En Corée, comme dans la plupart des pays d'Orient, les
«S de famille sont beaucoup plus resserrés et s'étendent beai
j^ plus loin, que chez les peuples européens de notre époque.
les parents jusqu'au quinzième ou vingtième degré, quell
soit d'ailleurs leur position sociale, qu'il soient riches ou pai
savants ou ignorants, fonctionnaires publics ou mendiants,
ment un clan, une tribu et, pour parler plus juste, une
famille, dont tous les membres ont des intérêts communs ei
vent se soutenir réciproquement. A la mort du père, le fih
prend sa place ; il conserve la propriété. Les cadets reçoive
leurs parents des donations plus ou moins importantes à l'é]
•j: de leur mariage, et dans certaines autres circonstances,
l'usage, le rang, et la fortune des familles ; mais tous les
restent à l'ainé, qui est tenu de prendre soin de ses frères c(
de ses propres enfants. Ses frères , de leur côté , le rega
^1 comme leur père, et quand il est condamné à la prison ou à 1
lui rendent les mêmes services qu'à leur propre père. En géi
les rapports entre parents sont d'une grande cordialité. La m
,^ de Tun est la maison de tous, les ressources de l'un sont ;
j^ près celles de tous, et tous appuient celui d'entre eux i
quelque chance d'obtenir un emploi ou de gagner de Tar
parce que tous en profileront. C'est là l'usage universel, et
le reconnaît, car on fait payer aux plus proches parents non
lement les impôts et contributions qu'un des leurs ne paye
mais même les dettes particulières qu'il ne peut pas ou ne
pas acquitter. Les tribunaux prononcent toujours dans ce
et il ne vient à l'esprit de personne de s'en plaindre o
protester.
(( Dernièrement, écrivait en 1865 Mgr Daveluy, un j
homme de plus de vingt ans fut traduit devant un mandarin
' I
. s
I
y
INTRODUCTIOI^. CXXXIII
quelques francs de cote personnelle, dus au fisc, et qu'il se trouvait
dans Timpossibilité de payer. Le magistrat, prévenu d'avance,
arrangea l'affaire d'une manière qui fut fort applaudie. - <c Pour-
« quoi n'acquittes tu pas tes contributions ? r> demanda-t-il au
jeune homme. — « Je vis difficilement de mes journées de travail,
« et je n'ai aucune ressource. — Où demeures tu ? — Dans la
n rue. — Et tes parents? — Je les ai perdus dès mon enfance.
« — Ne reste-t-il personne de ta famille? — J*ai un oncle qui
« demeure dans telle rue, et vit d'un petit fonds de terre qu'il
« possède. — Ne vient-il pas à ton aide? — Quelquefois, mais il
<c a lui-même ses charges, et ne peut faire que bien peu pour
a moi. » Le mandarin sachant que le jeune homme parlait ainsi
par respect pour son oncle, et qu'en réalité celui-ci était un vieil
avare, fort à son aise, qui abandonnait le pauvre orphelin, con-
tinua de le questionner. — « Pourquoi, à ton âge, n'es-tu pas
(( encore marié? — Est-ce donc si facile? Qui voudrait donner
(( sa fille à un jeune homme sans parents et dans la misère ? —
« Désires-tu te marier? — Ce n'est pas l'envie qui me manque,
(( mais je n'ai pas le moyen. — Eh bien ! je m'en occuperai; tu
« me parais un honnête garçon, et j'espère en venir à bout.
(( Avise au moyen de payer la petite somme que tu dois au gou-
a vernement, et dans quelque temps je te ferai rappeler. »
a Le jeune homme se retira, sans trop savoir ce que tout cela
signifiait. Le bruit de ce qui s'était passé en plein tribunal arriva
bientôt aux oreilles de l'oncle, qui, honteux de sa conduite, et
craignant quelque affront public de la part du mandarin, n'eut
rien de plus pressé que de faire des démarches pour marier son
neveu. L'affaire fut rapidement conclue, et on fixa le jour de la
cérémonie. La veille même, lorsqu'on venait de relever les che-
veux du futur époux, le mandarin qui se faisait secrètement
tenir au courant de tout, le rappelle au tribunal et lui réclame
l'argent de l'impôt. Le jeune homme paye immédiatement. —
(c Eh quoi ! » dit le mandarin, « tu as les cheveux relevés. Es-tu
« déjà marié? Comment as-tu fait pour réussir si vite? — On a
ff trouvé pour moi un parti convenable, et mon oncle ayant pu
« me donner quelques secours, les choses sont conclues, je me
« marie demain. — Très-bien ! mais comment vivras-tu? As-tu
« une maison? — Je ne cherche pas à prévoir les choses de si
« loin, je me marie d'abord ; ensuite j'aviserai. — Mais en
« attendant, où logeras-tu ta femme ? — Je trouverai bien chez
« mon oncle ou ailleurs un petit coin pour la caser, en attendant
ff que j'aie one maison à moi. -^ Bl^iniis le moyen de t'en
CXXXIV INTRODUCriON.
« faire avoir une? — Vous êtes trop bon de penser à moi, cela
« s'arrangera peu à peu. — Mais enfin, combien te faudrait-il
« pour te loger et t'établir passablement ? — Ce n'est pas petite
« affaire. Il me faudrait une maison, quelques meubles, et un
« petit coin de terre à cultiver. — Deux cents nhiangs (environ
« quatre cents francs) te suffiraient-ils? — Je crois qu'avec deux
« cents nhiangs je pourrais m'en tirer très-passablement. — Eh
« bien ! j'y songerai. Marie-toi, fais bon ménage, et sois plus
« exact d4ormais à payer tes impôts. » Chaque mot de cette
conversation fut répété à Toncle ; il vit qu'il fallait s'exécuter sous
peine de devenir la fable de toute la ville, et quelques jours après
ses noces, le neveu eut à sa disposition une maison, des meubles,
et les deux cents nhiangs dont avait parlé le mandarin. »
Si ce système de communauté d'intérêts et d'obligations réci-
proques entre les membres d'une même famille a ses avantages,
il ne manque pas non plus d'inconvénients graves. Nous en avons
déjà signalé quelques-uns en parlant des fonctionnaires publics.
Il est rare que, dans une famille un peu nombreuse, il ne se trouve
pas quelques fainéants, quelques individus dévoyés, qui, incapa-
bles d'occuper un emploi ou de gagner honnêtement leur vie,
vivent aux dépens de leurs proches, volant à celui-ci un bœuf, à
celui-là un chien, à un autre de la toile, de l'argent, des provi-
sions, empruntant pour ne jamais rendre, et arrachant par vio-
lence ce qu'on ne veut pas leur donner de bonne grâce. Quelque-
fois ils vont jusqu'à enlever des titres de propriété qu'ils vendent
à leur profit, ou même jusqu'à fabriquer des titres faux qu'ils don-
nent en gage à des étrangers. Ils sont presque assurés de l'impu-
nité, car non-seulement les mœurs du pays ne permettent pas de
livrer un parent à la justice, mais elles obligent tous les siens à le
soutenir et à le défendre s'il tombe entre les mains du mandarin.
Les voisins, quand ils ne sont pas lésés personnellement, ne peu-
vent pas intervenir ; on les prierait de se mêler de leurs propres
affaires. Les mandarins ne peuvent guère s'occuper d'eux, puis-
qu'il n'y a pas d'accusation formelle, et qu'il serait impossible de.
trouver des témoins dans la famille des coupables. D'ailleurs, en
règle générale, un mandarin est un homme qui se résigne à grand'
peine à examiner et traiter les affaires qu'il ne peut éviter ; où en
trouver un qui par amour platonique de la justice, irait, de gaieté
de cœur, se créer des embarras ou des ennuis? La seule ressource
des familles en pareil cas, est de prendre la loi entre leurs mains.
Il faut qu'un des chefs donne les ordres nécessaires ; les autres
saisissent le coupable, l'enferment ou lui infligent une vigoureuse
INTRODUCTlOlf. CXXXV
bastonnade. Celui-ci n'a pas le droit de se défendre, et si on
montre un peu d-énergie, il est obligé ou de changer de conduite
ou de s'enfuir et de quitter la province. Malheureusement, il est
rare que les familles aient la persévérance requise, et ces punitions,
ordinairement insuffisantes, ne font que pallier le mal.
Tout ce que nous venons de dire de la parenté, de ses liens et
de ses obligations, ne doit s'entendre que de la parenté par le
père, c'est-à-dire entre ceux qui portent le même nom. Elle
s'étend jusqu'au delà du vingtième degré, et n'a pas, pour ainsi
dire^ de limite légale, tandis que la parenté par la mère est à peu
près nulle. Dès la seconde génération, on ne se connaît plus, on
ne s'entr'aide plus, et l'on ne porte plus le deuil.
Les noms de famille sont en très«petit nombre, cent quarante-
cinq ou cent cinquante au plus, et encore beaucoup de ces noms
sont peu répandus. Tous sont formés d'un seul caractère chinois,
sauf six ou sept qui se composent de deux caractères. Pour dis-
tinguer les différentes familles qui portent le même nom, on joint
à ce nom ce qu'on appelle le poti, c'est-à-dire : l'indication du
pays d'où ces familles sont venues originairement. Si ce pou est
différent, on n'est pas censé parent, mais s'il est le même,
on est parent aux yeux de la loi, et le mariage est interdit. Il y a
des noms comme Kim et Ni qui ont plus de vingt pouy c'est-à-dire
qui sont communs à plus de vingt familles d'origine différente.
Nous les avons indiqués dans cette histoire sous le nom de :
branche de tel ou tel endroit. Le nom de famille ne s'emploie
jamais seul ; il est suivi ou d'un nom propre, ou du mot so-pang
pour les hommes encore jeunes, ou du titre saing-ouen pour les
nobles âgés, les chefs de famille, etc.. Ces expressions répondent
à peu près à nos mois : monsieur, seigneur.
Outre ces noms de famille, il y a les noms propres de chaque
individu. On en compte habituellement trois, savoir : le nom
d'enfant, le nom propre volgaire, et le nom propre légal, aux-
quels il faut ajouter le surnom ou sobriquet, et, pour les chré-
tiens, le nom de baptême. Le nom d'enfant se donne quelque
temps après la naissance, et tout le monde, sauf les esclaves et
domestiques, s'en sert comme appellalif de la personne jusqu'à
l'époque de son mariage ; ce nom est un des mots de la langue
ordinaire. Il s'emploie seul ou à la suite du nom de famille. Après
le mariage il n'est plus jamais employé pour les hommes, sauf
quelquefois par le père, la mère, le précepteur et autres per-
sonnes semblables. Le nom propre vulgaire se donne au moment
du mariage. Il sert d'apjpellatif de la part des sopérirars et des
XVI INTRODUCTION.
ux. Les amis et connaissances n'en emploient pas d'autre, et
t le plus généralement connu. Les femmes ne changent pas
lom propre à leur mariage. Elles conservent leur nom d'en-
, ou plutôt n'ont plus de nom particulier. On les désigne
éralement par le nom de leur mari suivi du mot : taik,
lame, ou koa-taik, madame veuve. Le nom propre légal est
osé quelquefois dès l'enfance, le plus souvent à l'époque du
iage. Il se compose de deux caractères chinois, et parmi
nobles, tous ceux qui descendent d'une branche ou souche
imune doivent y faire entrer un caractère de convention qui
Qge à chaque génération : de sorte qu'à la seule vue de ce
ictère, on connaîtra de suite le nombre de générations qui
irent en ligne directe de la souche originaire, et le degré de
Bnté en ligne collatérale. Ce nom n'est pas employé dans les
lions habituelles de la vie, sinon envers les dignitaires et les
imes haut placés, mais il est le seul qui paraisse dans les
^s publics , dans les contrats civils , dans les examens, les
ces, etc.. Il sert de signature lorsqu'on écrit une lettre impor-
te. Souvent ce nom, quoique inscrit dans les listes généalogi-
s, ou dans les registres officiels de l'État, est inconnu des
sonnes qui ne sont pas de la famille, ou n'ont pas de rapports
uents avec l'individu. Ordinairement, les gens du peuple
Il pas de nom civil. Les sobriquets sont très-communs en
ée, et tout le monde peut les employer.
Remarquons ici que l'étiquette coréenne défend non-seulement
»peler par leur nom le père ou la mère, ou les oncles, ou
autre supérieur, mais qu'elle interdit même de prononcer
nom. En pareil cas, les gens bien élevés ont recours à
irses périphrases. Le nom du roi, composé d'un ou deux
ictères chinois, est imposé par la cour de Péking quand
donne l'investiture ; il ne doit jamais se prononcer, et le
pie ne connaît même pas ce nom. ^près la mort du prince,
successeur lui donne un nom sous lequel l'histoire devra le
gner.
!uelques mots, en terminant, sur le deuil légal tel qu'il est
irvé en Corée, surtout dans les hautes classes. Quand un noble
rdu son père, sa mère, ou un de ses proches parents, il n'est
libre de le pleurer à sa manière ; il doit, et pour le temps, et
r le lieu, et pour la méthode, et pour la durée du deuil, se
brmer aux rubriques, telles qu'elles sont expliquées au long
^ un traité officiel, publié par le gouvernement. Y manquer
m point grave serait perdre la face, Qn d'autres termes, être
INTRODUCTION. CXXXVII
désboDoré au point de ne plus oser se montrer à qui que ce soit.
On commence par placer le corps du mort dans un cercueil de bois
très-épais, que Ton conserve plusieurs mois dans un appartement
spécial, préparé et orné à cet effet. Les gens du peuple qui n^ont
pas le moyen d'avoir une chambre pour le cadavre, gardent le
cercueil en dehors de leur maison, et le recouvrent de nattes en
paille pour le protéger contre la pluie. C'est dans Tappartement
du mort que Ton doit aller pleurer au moins quatre fois le jour,
et pour y pénétrer, on fait une toilette spéciale. Elle consiste en
une grande redingote de toile grise, déchirée, rapiécetée, et aussi
sale que possible. On se ceint les reins d'une corde de la grosseur
du poignet, partie en paille et partie en fil. Une autre corde sem-
blable, grosse comme le pouce, fait le tour de la tête qui est
couverte d'un bonnet de toile grise. Les deux bouts de cette corde
retombent par devant sur chaque joue. Des bas et des souliers
spéciaux, et, à la main, un gros bâton noueux complètent le
costume.
Dans cet accoutrement on se rend à la chambre mortuaire, le
matin en se levant, puis avant chaque repas. On apporte une
petite table chargée de divers mets que l'on place sur un autel,
à côté du cercueil ; puis la personne qui préside la cérémonie,
courbée et appuyée sur son bâton, entonne les gémissements
funèbres. Pour un père ou une mère ces gémissements se com*
posent des syllables : ai-kô, que l'on répète sans interruption,
d'un ton lugubre, pendant un quart d'heure ou une demi-heure.
Pour les autres parents, on chante : ôî, ôï. Plus la voix qui se
lamente est forte, plus la séance est longue, et plus l'individu en
deuil monte dans l'estime publique. Les gémissements terminés,
on se retire, on emporte les mets, on quitte les habits de deuil,
et on prend son repas. A la nouvelle et à la pleine lune, tous les
parents, amis et connaissances sont invités à prendre part à la
cérémonie. Ces pratiques se continuent même après l'enterrement,
pendant deux ou trois ans, et, dans cet intervalle, un noble qui
se respecte doit aller souvent pleurer et gémir sur le tombeau de
ses parents. Quelquefois il y passe toute la journée et même la
nuit. On en cite qui ont fait bâtir une petite maison près de ces
tombeaux, pour y demeurer pendant plusieurs années, et qui par
là ont acquis une haute renommée de sainteté, et la vénération
universelle.
XI
Religion. — Culle des ancêtres. — Bonzes. — Superstitions populaires.
D'après les traditions locales, le bouddhisme ou doctrine de
Fô pénétra en Corée au quatrième siècle de Tère chrétienne, et se
répandit, avec plus ou moins de succès, dans les trois royaumes qui
alors se partageaient la péninsule. Lorsque la dynastie Korie eut
réuni ces divers États en une seule monarchie, elle protégea les
sectateurs de cette doctrine qui devint la religion officielle. A la
fin du quatorzième siècle, la dynastie Korie ayant été renversée,
les princes de la dynastie Tsi-tsien, qui lui succéda, cédant à
Vinfluence et peut-être aux ordres formels des empereurs de
Péking, adoptèrent non-seulement la chronologie et le calendrier
chinois, mais aussi la religion de Confucius. Us ne proscri-
virent point la religion ancienne, mais ils Tabandonnèrent à
elle-même, et, par la marche naturelle des choses, le nombre
des bouddhistes a toujours été en diminuant, et leur doctrine
aussi bien que leurs bonzes sont aujourd'hui tombés dans le
mépris. La doctrine de Confucius, au contraire, établie par la loi,
est devenue la religion dominante ; son culte est le culte officiel, et
toute contravention à ses règlements en matière grave peut être
punie du dernier supplice, comme le prouvent les pièces du pro-
cès de Paul loun et de Jacques Kouen, et d'autres documents
que nous donnons tout au long dans cette histoire.
Nous ne parlerons pas ici de cette doctrine de Confucius en
elle-même. Les travaux des missionnaires et des sinologues,
depuis deux siècles, ont épuisé la question, et à travers les exagé-
rations opposées de louange ou de blàme, on est aujourd'hui par-
venu à en avoir une idée à peu près exacte. Voyons seulement ce
qu'elle est en Corée. Pour la masse du peuple, elle consiste dans
le culte des ancêtres, et dans l'observation des cinq grands
devoirs : envers le roi, envers les parents, entre époux, envers
les vieillards, et entre amis. A cela se joint une connaissance
plus ou moins vague du Siang-tiei que la plupart confondent
avec le ciel. Pour les lettrés, il faut ajouter : le culte de Confucius
et des grands hommes, la vénération des livres sacrés de la Chine,
INTRODUCTlOrV. CXXXIX
el enfin un culte officiel au Sia-tsik ou génie protecteur du
royaume. Quelquefois aussi, dans les actes publics du gouverne-
ment, il est fait mention des bons génies et du destin.
Les missionnaires ont souvent interrogé des Coréens très-
instruits sur le sens qu'ils attachent au mot Siang-tiei, sans
jamais obtenir de réponse claire et précise. Les uns croient que
Ton désigne par là TÊtre suprême, créateur et conservateur du
monde ; d'autres prétendent que c'est purement et simplement le
ciel, auquel ils reconnaissent un pouvoir providentiel, pour pro-
duire, conserver et faire mûrir les moissons, pour éloigner les
maladies, etc.. ; le plus grand nombre avouent qu'ils Tignorent
el qu'ils ne s'en inquiètent guère. Quand on offre des sacrifices
publics pour obtenir la pluie ou la sérénité, ou pour conjurer
divers fléaux, la prière s'adresse soit à l'Être suprême, soit au
ciel, selon le texte que rédige le mandarin chargé de la
cérémonie.
Voici quelques détails sur ces sacrifices, assez peu fréquents
d'ailleurs. Quand des districts ou des provinces souffrent de la
sécheresse, le gouvernement envoie un ordre aux mandarins, et
chacun d'eux, au jour marqué, se rend dès le matin avec sa suite,
ses prétoriens et ses satellites au lieu qui lui est désigné. Là, il
attend patiemment sans prendre aucune nourriture, sans même
fumer de tabac, que l'heure propice arrive. C'est ordinairement
vers minuit, et en tout cas, le mandarin ne doit rentrer chez lui
qu'après minuit passé. Au moment précis, il immole des porcs,
des moutons, des chèvres, dont le sang et les chairs crues sont
offertes à la divinité. Le lendemain il se repose, pour recom-
mencer le surlendemain, et ainsi de suite, de deux en deux jours,
jusqu'à l'obtention de la pluie. A la capitale, les mandarins se
relèvent, afin que les sacrifices aient lieu tous les jours. Si après
deux ou trois sacrifices on n'obtient rien, on change de place, et
l'on s'installe dans un autre endroit plus propice. Les diverses
stations que l'on doit ainsi occuper sont déterminées par d'an-
ciens usages. Si les prières sont inutiles, les ministres viennent
officier à la place des mandarins ; et enfin, quand ni les manda-
rins ni les ministres n'ont pu rien obtenir, le roi lui-même vient
en grand appareil pour sacrifier et obtenir le salut de son peuple.
Lorsque la pluie arrive, ni le sacrificateur ni les gens de sa suite
nont le droit de se mettre à l'abri ; ils doivent attendre jusqu'a-
près minuit avant de rentrer dans leurs maisons. Tout le peuple
les imite, car on croirait faire injure au ciel en cherchant à
éviter une pluie si ardemmeot iéaité^ et si quelque individu a la
CXL INTRODUCTIOlf.
malencontreuse idée de prendre son chapeau ou d'ouvrir son
parapluie, on lui arrache ces objets que Ton met en pièces, et
on r«ccable lui-même de coups et d'injures.
Le mandarin après le sacrifice duquel la pluie arrive, est
regardé comme ayant bien mérité de la patrie, et le roi le récom-
pense en lui donnant de Tavancement, ou en lui faisant quelque
cadeau précieux. Il y a quelques années, un mandarin de la capi-
tale, pour avoir fait la cérémonie avant Theure fixée, fut immé-
diatement destitué. Mais cette nuit-là même, la pluie commença
à tomber; il fut rétabli dans sa charge, et partagea la récompense
avec le mandarin du jour suivant, pendant le sacrifice duquel la
pluie tomba en grande abondance. Chacun d'eux reçut du roi une
peau de cerf, qui fut portée à leur domicile avec tout l'appareil
et toute la pompe possibles.
Les sacrifices pour obtenir le beau temps se font, à la capitale,
sur la grande porte du Midi. L'heure est la même, le sacrificateur
garde la même abstinence, et pendant tout le temps que durent
ces sacrifices la porte reste fermée jour et nuit, et la circulation
est arrêtée. Quelquefois aussi on interdit, pendant ce temps, de
transporter les morts. Ceux qui alors font la levée du corps et se
mettent en route, malgré la défense, soit parce qu'ils l'ignorent,
soit parce qu'ils espèrent passer en contrebande , soit enfin
parce que le jour du convoi a été fixé par les devins et ne peut
être changé, sont impitoyablement arrêtés aux portes de la ville.
Comme ils ne peuvent retourner chez eux avant l'enterrement, ils
doivent demeurer à la pluie, eux et les cercueils qu'ils portent,
souvent pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que le retour de la
séri^nité fasse lever la prohibition.
Quelquefois, dans les grandes calamités, comme au temps du
choléra, les particuliers se cotisent ou font des quêtes pour four-
nir aux frais de sacrifices plus nombreux, et le roi, de son côté,
cherche à apaiser le courroux du ciel en accordant des amnis-
ties partielles ou générales.
Outre ce culte officiel du Siang-liei ou du ciel, le gouverne-
ment entretient à la capitale un temple et fait offrir régulièrement
des sacrifices au Sia-tsik. « J'ai souvent demandé, écrit Mgr
Daveluy, ce qu'est ce Sia-lsik. Les réponses sont fort obscures.
La plupart prétendent que Sia est le génie de la terre, et Tsik
l'inventeur de l'agriculture en Chine, placé aujourd'hui parmi les
génies tulélaires. Quoi qu'il en soit, le peuple ne s'occupe guère
du Sia-tsik, ei dans les provinces, on ignore et son nom et son
culte. Mais, à la capitale, son temple est ce qu'il y a de plus sacré;
INTRODUCTION. CXLl
le temple où Ton conserve les tablettes des ancêtres de la dynastie
régnante ne vient qu^en second lieu. »
La partie principale de la religion des lettrés, la seule qu6 con-
naisse et pratique fidèlenoent Timmense majorité de la population,
est le culte des ancêtres. De Ih Timportance des lois sur le deuil,
sur le lieu où doivent être placés les tombeaux, et sur la conser-
vation dans chaque famille des tablettes des parents défunts. A
propos des funérailles royales et des devoirs de parenté, nous
avons déjà donné des détails sur le deuil et sur les tombeaux des
rois; voici maintenant, pour compléter, quelques notions sur les
sépultures ordinaires et sur les tablettes.
Le choix d*un lieu d'enterrement est pour tout Coréen une
affaire majeure ; pour les gens haut placés, on peut dire que c'est
leur principale préoccupation. Ils sont convaincus que de ce choix
dépendent le sort de leur famille et la prospérité de leur race, et
ils n'épargnent rien pour découvrir un endroit propice. Aussi, les
géoscopes et les devins, qui se font une spécialité de cette étude,
abondent dans le pays. Quand le lieu de la sépulture est fixé et
qu'on y a déposé le corps, il est défendu désormais à qui que ce
soit d'y enterrer, de peur que la fortune ne passe de son côté, et
la prohibition s'étend à une distance plus ou moins considérable,
suivant le degré d'autorité de celui qui l'établit. Pour les tom<
beaux des rois, le terrain réservé s'étend h plusieurs lieues tout
autour, et comprend les montagnes environnantes d'où Ton peut
voir le tombeau. De leur côté, les grands et les nobles prennent le
plus d'espace possible; ils y plantent des arbres qu'il est défendu
de couper jamais, et qui avec le temps deviennent de véritables
forêts. Si quelqu'un parvient à enterrer furtivement sur une
montagne déjà occupée par d'autres, cette montagne devient, aux
yeux de la loi, la propriété du dernier inhumant, et dans ce cas,
lorsque les premiers tombeaux appartiennent à des nobles ou à
des gens riches, on fait déterrer les corps, sinon on se contente
de raser les tombes et d'en faire disparaître la trace, en nivelant
le terrain. De là des querelles, des rixes, des haines violentes qui,
comme toutes les haines du Coréen, se transmettent de génération
en génération.
La loi défend de déterrer le corps d'un individu appartenant à
une autre famille, les parents du mort ont seuls le droit d'y tou-
cher. Il y a quelques années, derrière la montagne où habitait un
missionnaire, un riche marchand, qui venait de perdre son père,
trouva un lieu de sépulture à sa convenance. Près de là étaient
quelques tombeaux de nobles. La distance étant légalement
c\i.ii iNTnoiit:aio>.
suffisante, le miirclianil avait le droit d'enterrer ; mais la ruMoè
plus Tort est, en Corée, presque toujours la meillenre, et le
nobles firent opposition. Le marchand persista, loua secrÈtenwi
une centaine d'individus déterminés, pour vaiocre toute réÉf
tance de la part des gardiens, fit Tinhumalion selon les riflM
et se retira avec sa troupe. Il était environ six heures da H>
Les nobles, premiers possesseui-s du terrain, demeuraient i tnï
lieues de lii, et, bien qu'on les eut avertis dès le matin, ilii
purent arriver, avec deux ou trois cents hommes, qu'une itM
heure trop tard. La montagne leur élait ravie. N'osant toiuil
au cadavre fraîchement inhumé, ils se lancèrent avec leurs ga
à la poursuite du marchand, battirent ses affidés, le saisirent In
même, lui lièrent tes pieds et les mains, et l'apportèrent, au milÏB
des plus effroyables vociférations, jusque sur la tombe de lo
père. Le pauvre malheureux, h moitié mort de frayeur et 4
fatigue, donna le premier coup de bêche. Les autres purent alM
déterrer le corps, ce qui fui fait en quelques minutes, et ie nul
ehand dut chercher ailleurs un lieu de sépulture.
Les gens du peuple ont recours h tous les moyens pour pri
léger leurs tombeaux. Un jour, des prétoriens voulurent entem
un des leurs dans l'endroit que possédait une famille pauvre. I
chef de cette lamillc voyant que toutes les réclamations étaîM
inutileî, assista tranquillement h renlcrremenl fait par les préli
riens et, après la cérémonie, offrit du vin aux fossoyeurs, f
l'acceptèrent. Puis avec le plus grand sang-froid, il se coupa la
même les chairs des cuisses, et leur en olîrit les morceaux M
gnanls pour compléter leur repas. Le mandarin appreniol
fait, el eniendanl les exécrations
don! le peuple chargeait *
]>réloriens, les fit punir sévèrM
jtet les força à déterrer jl
mortel II rendre Jii placf^au g^g
^^priétaire. Une atilfH|
lin aballeur de liœufs fui di"^^
Hft ta sr-[)ijlltire de son*!!
JMM nol>l<! l^ès-|>!li^^.l,,l
^tra s:i rni-ro dans le R0
^^keux de 'lis,,,,.^^
Hp tiouime, loin 4»jfaid
^^^^B de meillciii'u^^^l
^^^^^^^L^^^^M^H
^^^^Bt obtint, en ^^^^Ê
^^^^^^^B^^^^r
^^^^Bnrdien du ^^^^^Ê
^^^^^^^^^^^^
1
^^Hi^ril^^H
m.à
INTROnuCTIO.N. CXUII
'aalre. Il y a quelques nuits, j'ai vu le corps de mon
er, marcher droit au tombeau de madame votre mère...
îhever ; mais dès le matin, j"ai planté cette haie pour
]ne aussi scandaleuse proranation. » Le noble, k moitié
onte, ne répondit pas un mot. Le soir même, il fît
cercueil de sa mère, et le transporta ailleurs.
. après la mort, on Tabrique la tablette dans laquelle
résider l'âme du dérunl. Ces tablettes sont générale-
)is de châtaignier, et l'arbre doit être lire des forêts les
lées de toute habitation humaine, ce que les Coréens
par ces mots : « Pour les tablettes il faut un bois qui,
at(avant d'être coupé), n'ait jamais entendu ni l'aboie-
lien, ni le chant du coq. » Celte tablette est une petite
late que l'on peint avec du blanc de céruse, et sur
1 inscrit en caractères chinois le nom du défunt. Sur le
ratique des trous par lesquels doit entrer l'âme. La
lacée dans une boite carrée,se conserve : chez les riches,
chambre ou salle spéciale : chez les gens du peuple
spècede niche, au coin de la maison. Les pauvres font
ttesen papier. Pendant les vingt-sept mois du deuil, les
>e font tous les jours devant ces tablettes. On se pros-
>nt dans la poussière ; ou offre divers mets préparés avec
ibac ï fumer, et de l'encens. Après le deuil, on continue
} sacrihces plusieurs fois par mois, à des jours fixés par
jsage, soit devant les tablettes, soit sur le tombeau. A
me génération, od enterre les tablettes, e( te culte
lilirement, si ce n'est pour les hommes extraordinaires
iblelies se conservent h perpétuité.
C calt« des ancêtres, commun à tous les Coréens, les
les nobles ont celui dp Confiiciiis ei des grands
auxquels
BOD pan
ci'ilices dans îles temples
dent comme des dieux, mais
sont devenus des esprits ou
par iJi? il est difficile de le
ivelu}', on^^^>4s de notions
' Aa con»- *r la .spiri-
Vonsacrés
^e, ne sont
.aux âmes
,û'[ ji' disais
.i.i.iiif. Pour
ime se dissipe
CXLIV INTRODUaiO>.
avec le dernier souffle de la vie ; mais pour les grands hommes, ils
subsistent encore après leur mort. Parlait-il de leur âme, ou pré-
tendait-il qu'ils étaient transformés en esprits ou génies ? Je
Tignore, et lui-même ne le savait pas. » Dans chaque district, se
trouve un temple de Confucius. Ce sont de petits bâtiments assez
beaux pour le pays, avec de vastes dépendances. On les appelle
hiang-kio. On ne peut passer à cheval devant ces temples, et
des bornes, placées aux extrémités du terrain consacré, marquent
Tendroit où il faut mettre pied à terre. C'est dans ces temples que
les lettrés tiennent leurs réunions, et Ton y offre des sacrifices, à
la nouvelle et à la pleine lune. Quand les revenus attachés aux
temples ne suffisent pas pour couvrir les frais, la caisse du district
doit y suppléer. Les lettrés élisent entre eux ceux qui doivent,
pour un temps donné, exercer les fonctions de sacrificateur.
Les se-ouen sont des temples élevés aux grands hommes avec
l'autorisation du roi. Leurs portraits y sont conservés, et Ton
témoigne à ces portraits une vénération presque égale à celle que
l'on a pour les tablettes des défunts. Si ces grands hommes ont
laissé des descendants, ceux-ci sont, de droit, fonctionnaires de
leurs temples; sinon, les lettrés du voisinage remplissent à tour
de rôle, l'office de sacrificateur. Quelques-uns de ces se-ouen sont
trës-célèbres dans le pays, et le gouverneur ou ministre qui refu-
serait d'accorder sur les deniers publics les sommes, quelquefois
énormes, exigées par les fonctionnaires de ces temples pour les
frais des sacrifices, compromettrait gravement sa position.
Les livres sacrés de la Chine sont aussi les livres sacrés des
Coréens. Il en existe une traduction officielle en langue vulgaire,
à laquelle il est défendu de changer un seul mot sans l'ordre du
gouvernement. Le lettré ou docteur qui se permettrait de donner
une interprétation différente sur un point grave, pourrait bien
payer de sa tète une telle audace. 11 y a quelques années, un noble,
poursuivi pour avoir publié quelques attaques contre un sage,
disciple de Confucius, faillit périr dans une émeute de lettrés,
et le roi eut beaucoup de peine à lui sauver la vie. Outre ces
livres, il y a en Corée un recueil de prophéties ou livre sibyllin,
prohibé par le gouvernement, et qui circule en cachette. On
attribue k ce livre une très-grande antiquité. Il annonce claire-
ment, dit-on, pour l'année sainte, rétablissement d'une religion
qui ne sera ni celle de Fô, ni celle de Confucius. Mais qu'est-ce
que cette année sainte? nul ne le sait.
A côté de la religion officielle se trouve, comme nous l'avons
dit, le bouddhisme ou doctrine de Fô, qui est mainteDaQteo
)
IlfTRODUCTlON. CXLV
pleine décadence. Avant la dynastie actuelle, le bouddha coréen,
quelquefois appelé Sekael (issu de la famille de Se), était en
très-grand honneur^ ainsi que ses bonzes. C'est alors que
furent bâties toutes les grandes pagodes dont quelques-unes
existent encore aujourd'hui. On en trouvait dans chaque district,
et les largesses du peuple et des rois les entretenaient dans la
prospérité. Quand les dons volontaires étaient insuffisants, le
trésor public y pourvoyait. Plusieurs rois de la dynastie Korie
voulurent, par dévotion, être inhumés dans ces pagodes, à la
manière bouddhique, qui consiste à brûler les corps et à recueillir
les cendres dans un vase, que Ton conserve en un lieu spécial,
ou que Ton jette à Teau. Un de ces rois fit même un décret pour
obliger chaque famille qui aurait trois enfants, à en donner un
pour devenir bonze. A la fin du quatorzième siècle, la nouvelle
dynastie qui s'installa sur le trône de Corée, sans prohiber en
aucune manière le bouddhisme, le laissa complètement de côté,
et depuis cette époque, pagodes, bonzes et bonzesses, n'ont cessé
de déchoir dans la vénération publique. Quelquefois encore, même
aujourd'hui, le gouvernement invoquera officiellement le nom de
Fô, et les reines ou princesses feront, dans des circonstances
particulières, un petit présent à telle ou telle pagode, mais rien
de plus, et tout le monde, les bouddhistes eux-mêmes, avouent
que, dans quelques générations, il ne restera de leur culte qu'un
souvenir.
Les pagodes bouddhiques, bâties dans le genre chinois, n'ont
généralement rien de remarquable. Le sanctuaire où se trouve
la statue de Fô est assez étroit, mais il est toujours entouré de
nombreux appartements qui servent aux bonzes de demeure, de
salles d'étude et de lieux de réunion. Du plus grand nombre, il ne
reste que des ruines. Ces pagodes sont d'ordinaire situées dans
les montagnes, dans les déserts, et souvent le site en est admi-
rablement choisi. Pendant Tété surtout, les lettrés s'y réunissent
souvent pour se livrer à l'étude et aux discussions littéraires. Ils
y trouvent la tranquillité, la solitude, le bon air ; et les bonzes,
moyennant une légère rétribution , leur servent de domes-
tiques .
Ces bonzes sont maintenant presque sans ressources. Excepté
dans la province de Kieng-sang, où ils ont conservé quelque
influence, ils sont obligés, pour vivre, de mendier ou de se livrer
à divers travaux manuels, tels que la fabrication du papier ou des
souliers. Quelques-uns cultivent de petits coins de terre appar-
tenant anx boDzeries. Par suite du discrédit où est tombée leur
tàU-** L*toUSE DE CORÉE. }
CXLVI INTRODUCTION.
religion, ils ne peuvent que difficilement se recruter, et ont dû
abandonner toute espèce d'études. Ceux qui se font bonzes aujour-
d'hui sont, pour la plupart, des gens sans aveu qui cherchent un
refuge dans les pagodes, des individus qui n'ont pas pu se marier,
des veufs sans enfants qui ne veulent pas ou ne peuvent pas
vivre seuls, etc.. Le peuple les méprise, les regarde comme des
querelleurs, des charlatans, et des hypocrites; néanmoins, par
habitude, peut-être aussi par une certaine crainte superstitieuse,
on leur fait assez facilement l'aumône.
On trouve aussi, comme dans tous les autres pays bouddhistes,
des bonzesses vivant ensemble dans des monastères, non loin des
pagodes ob il leur est interdit de résider. De même que les
bonzes, elles sont tenues à garder la continence pendant leur
séjour dans les bonzeries, et il y a peine de mort contre celles
qui auraient des enfants; aussi, à ce qu'on assure, sont-elles
très-versées dans Tart infâme des avortements. Leurs mœurs
passent pour être abominables. Du reste, bonzes ou bonzesses sont
parfaitement libres de quitter leurs couvents quand il leur plaît
pour rentrer dans la vie commune, et c'est ce qui arrive tous les
jours. On entre dans ces maisons parce qu'on ne sait que faire,
et après un séjour plus ou moins long, si l'on s'ennuie, on les
quitte pour aller chercher fortune ailleurs.
Tel est, en Corée, l'état actuel de la religion de Confucius et
de celle de Fô. Ces deux doctrines, comme on Ta remarqué bien
souvent, et selon nous avec beaucoup de justesse, ne sont, au
fond, que deux formes différentes d'athéisme. De leur coexistence
légale, de leur mélange nécessaire dans Tespril d'un peuple qui ne
raisonne guère sa foi religieuse, est sortie cette incroyance pra-
tique, cette insouciance de la vie future qui caractérise presque
tous les Coréens. Tous font les prostrations et offrent les sacrifices
devant les tablettes, mais peu croient sérieusement à leur effica-
cité. Ils ont une notion confuse d'un pouvoir supérieur et de l'exis-
tence de l'âme, mais ils ne s'en inquiètent pas, et quand on leur
parle de ce qui suivra la mort, ils répondent aussi stupidement
que nos libres penseurs de haut et de bas étage : « Qui le sait?
personne n'en est revenu ; l'important est de jouir de la vie pen-
dant qu'elle dure. » Mais, si presque tous les Coréens sont prati-
quement athées, en revanche, et par une conséquence inévitable,
ils sont les plus superstitieux des hommes.
Ils voient le diable partout; ils croient aux jours fastes et
néfastes, aux lieux propices ou défavorables ; tout leur est un
signe de bonheur ou de malheur. Sans cesse ils consultent leiNfl^
INTRODUCTION. CXLVll
et les devins; ils multiplient les conjurations, les sacrifices, les
sortilèges, avant, pendant, et après toutes leurs actions ou entre-
prises importantes. Dans chaque maison, il y a une ou deux
cruches en terre pour renfermer les dieux pénates : Seng-tsou,
le protecteur de la naissance et de la vie ; Tse-tsou, le protec-
teur des habitations, etc., et de temps en temps on fait devant
ces cruches la grande prostration. Si quelque accident arrive en
passant sur une montagne, on est tenu de faire quelque offrande
au génie de la montagne. Les chasseurs ont des observances spé-
ciales pour les jours de succès ou d'insuccès; les matelots plus
encore, car ils font des sacrifices et offrandes à tous les vents du
ciel, aux astres, à la terre, à Teau. Sur les routes, et surtout au
sommet des collines, il y a de petits temples ou seulement des las
de pierres; chaque passant accrochera au temple un papier,
ruban, ou autre signe, ou jettera une pierre dans le tas. Le ser-
pent est ici, comme partout et toujours chez les païens, Tobjet
d'une crainte superstitieuse ; très-peu de Coréens oseraient en
tuer un. Quelquefois même, ils fournissent de la nourriture en
abondance, et régulièrement, aux serpents qui se logent dans les
toits ou les murailles de leurs masures. Un homme en deuil ne
peut donner la mort à aucun animal ; il n'ose même pas se débar-
rasser de la vermine qui le dévore. Les femmes, qui en ce pays
font tous les métiers possibles, ne voudraient jamais tuer un
poulet, ni même le vider après qu'il aurait été tué par une autre
personne.
La plupart des familles conservent précieusement le feu dans
la maison, et font en sorte de ne jamais le laisser éteindre. Si un
pareil malheur arrivait, ce serait pour la famille le pronostic et
la cause des plus grandes infortunes. Pour l'éviter, tous les jours,
après avoir préparé le repas du matin ou du soir, on dépose ce qui
reste de charbons embrasés avec les cendres dans un vase de
terre, en forme de chaufferette, et on prend les précautions néces-
saires afin de conserver Télincelle qui servira à rallumer le feu
à la prochaine occasion. Un jour, un noble qui avait grande com-
pagnie dans ses salons, vit un esclave sortir, un bouchon de paille
à la main, au moment oîz l'on devait préparer le repas. « Oîi
vas-tu? lui cria-t-ii. — Je vais chez le voisin chercher du feu,
répondit l'esclave; il n'y en a plus, nulle part, dans la maison. —
Impossible, » dit le maître en pâlissant, et aussitôt, laissant ses
hôtes, il court aux vases où dans les divers appartements on
Gooservait le feu, et, à genoux, les larmes aux yeux, il retourne
\f>^^9ÊâtÊÊ^:Vf^^^^ attention fiévreuse. A la fin il aperçoit une
CXLVlll INTRODUCTION.
faible lueur ; il souflle et parvient à enflammer une allumette.
«Victoire! s* écrie-t-il en rentrant dans le salon, les destins de ma
race ne sont pas encore terminés ; j'ai recouvré ce feu que mes
ancêtres se sont fidèlement transmis depuis dix générations, et
je pourrai à mon tour le léguer à mes descendants. »
Nous avons dit plus haut combien la petite vérole est terrible
en Corée. Quand on s'attend à la voir arriver dans un village,
hommes et femmes se baignent la tète à grande eau avec des
vases neufs, et répètent très-souvent ces ablutions, afin de se pré-
parer à recevoir convenablement la visite de cette illustre dame.
Si Ton peut avoir de Teau de mer en pareil cas, elle est beaucoup
plus efficace que Teau douce. En même temps, on dispose sous le
vestibule ou auprès de la porte de chaque maison, une table char-
gée de fruits. Lorsque la maladie s'est déclarée dans une maison,
on y place un petit drapeau, ou bien on bariole la porte avec de
la terre jaune, pour empêcher les étrangers de venir par leur
présence troubler ou contrarier la terrible hôtesse. On s'efforce
de la bien traiter pour obtenir ses bonnes grâces, on se prosterne,
on prie, on chante, on multiplie les sacrifices en son honneur, on
fait des gâteaux de riz pour régaler en son nom tous les voisins,
et si le riz a été mendié de porte en porte, Tœuvre est bien plus
méritoire. On fait venir les mou-tang ou sorciers avec tous leurs
appareils superstitieux, et Ton finit^ chacun selon sa fortune, par
une grande cérémonie pour éconduire la dame avec toute la
pompe voulue. Tous sont convaincus que, pendant la maladie,
les enfants attaqués sont en communication avec les génies, qu ils
ont le don de seconde vue, et qu'ils aperçoivent à travers les
murailles ce qui se passe même à de grandes distances. Il y a
quelques années, pendant qu'un enfant de douze à treize ans
était couché malade dans une maison, un noble du village entra
sans y faire attention dans la cour attenante, le bonnet de crin
sur la tête. L'enfant, qui lui gardait rancune pour quelques coups
de bâton qu'il en avait reçus, le vit venir et s'écria ; « Ce noble
qui vient ici avec son bonnet, irrite la dame, redouble mes souf-
frances et va être cause de ma mort. Il faut le battre sur le der-
rière pour apaiser la fureur de la dame. » Le noble, effrayé,
reconnut son tort, et pour détourner les malheurs dont le mena-
çait cette colère redoutable, consentit à recevoir, séance tenante,
la bastonnade expiatrice.
Ces superstitions et une foule d'autres, qu'il serait trop long
d'énumérer en détail, sont très-répandues dans le pays. Quelques
hommes de la classe instruite les méprisent et n'y ont aucune
INTRODUCTION. CXLIX
foi, mais les femmes de toutes les conditions y tiennent comme à
leur vie, et les maris, pour ne pas compromettre la paix de leur
ménage, les tolèrent même en refusant d'y prendre part, de sorte
que depuis le palais jusqu'à la dernière cabane, elles sont uni-
versellement pratiquées. On peut juger parla combien nombreux
doivent être les charlatans, astrologues, devins, jongleurs, diseurs
de bonne aventure, de Tun et de Tautresexe, qui vivent en Corée
de la crédulité publique. On en rencontre partout qui, moyen-
nant finance, viennent examiner les terrains propres pour bâtir
ou pour enterrer, déterminer par le sort les jours favorables pour
les entreprises, tirer Thoroscope des futurs époux, prédire l'ave-
nir, conjurer les malheurs ou les accidents, chasser le mauvais
air, réciter des formules contre telle ou telle maladie, exorciser
les démons, etc., et toujours avec grandes cérémonies, foret',
tapage, et quantité de nourriture, car la gloutonnerie des devins
est proverbiale en Corée.
Ceux qui ont le plus de succès et de réputation dans ce métier,
sont les aveugles qui, presque tous, Texercent depuis leur bas âge,
et transmettent leurs secrets aux enfants affligés de la même infir-
mité. C'est pour ainsi dire leur office naturel, et le plus souvent
leur seul moyen de subsistance. Dans les districts éloignés, chacun
d'eux exerce séparément, à ses risques et périls ; mais dans les
villes et surtout à la capitale, ils forment une corporation puis-
samment organisée, qui est reconnue par la loi, et qui paye des
impôts au gouvernement. Seuls, ils ont droit de circuler dans les
rues pendant la nuit. Le jour on les rencontre, deux ou trois
ensemble, poussant un cri spécial pour attirer l'attention de ceux
qui peuvent avoir besoin de leurs services. Pour être reçu définiti-
vement membre de la société, il faut passer par un noviciat d'au
moins trois ans. Ce temps est consacré à étudier les secrets de
Tart, et surtout les rues et ruelles de la capitale. C'est quelque
chose de prodigieux, et qui semble naturellement inexplicable,
que leur adresse à se retrouver dans le dédale de rues tortueuses,
de culs-de-sac, d'impasses, qui forment la ville de Séoul. Quand
on leur a indiqué une maison quelconque, ils s'y rendent, en
tâtonnant un peu avec leur bâton, presque aussi vite, et aussi
sûrement que tout autre individu.
On les fait venir pour indiquer l'avenir découvrir les choses
secrètes, tirer les horoscopes, mais surtout pour chasser les
diables. Dans ce dernier cas, il convient qu'ils soient plusieurs
ensemble; leurs cérémonies ont alors une action plus rapide et
plus efficace. Ils commencent par psalmodier diverses formules
CL INTBODUCnOIf.
d^une voix grave et lente, puis peu à peu haussent le ton, en s'ac-
compagnant du roulement monotone et de plus en plus rapide de
leurs bâtons, sur le plancher et sur des vases de terre ou de cuivre.
Ils entrent bientôt dans une espèce de frénésie étrange ; le rhythme
de leurs chants devient de plus en plus saccadé, et à la fin, c'est
un vacarme affreux de hurlements et de vociférations diaboli-
ques. « Quels poumons ! s'écrie Mgr Daveluy, à qui nous em-
pruntons ces détails ; je vous assure qu'il y a réellement de quoi
mettre en fuite tous les diables de Tenfer. Chaque exorcisme
dure trois ou quatre heures, et quelquefois on recommence, tou-
jours plus fort, trois fois dans une même nuit et plusieurs
nuits de suite. Malheur aux voisins des maisons où se passent
de pareilles scènes ! il leur est absolument impossible de fermer
Fœil, comme j'en ai fait plusieurs fois Texpérience. » A la fin
cependant, les opérateurs parviennent à vaincre le diable ; ils
Tacculent dans un coin, le serrent de tous côtés, et finissent par
le forcer à se réfugier dans un pot ou dans une bouteille que Tun
d'eux tient à la main. On bouche et on ficelle immédiatement
cette bouteille avec le plus grand soin, et, la maison étant débar-
rassée de son hôte incommode, on commence le chant de vic-
toire. Pendant toute la cérémonie on n'a cessé d'offrir au diable
toutes sortes de mets pour le gagner ; ces mets deviennent la
propriété des aveugles, à qui on donne en outre une somme
d'argent plus ou moins ronde.
Quant à l'action réelle du démon dans ces cas et d'autres analo-
gues, il est difficile de la déterminer. Qu'il y ait souvent beaucoup
de jonglerie et de charlatanisme, nul n'en doule. Mais que, de
temps en temps, le démon manifeste réellement sa présence et son
action dans les hommes ou les choses par des phénomènes con-
traires aux lois de la nature ; qu'il y ait de véritables sorciers, des
sorcières surtout, qui par des rites magiques se mettent en rapport
direct avec les puissances infernales, le fait est absolument cer-
tain. Les missionnaires attestent que les possessions proprement
dites se rencontrent quelquefois ; de môme, les obsessions, sans
être fréquentes, ne sont pas rares, même parmi les chrétiens.
Au reste, les faits de cette espèce, qui arrivent en Corée, sont
ceux qui se sont passés et se passent encore chez tous les peuples
païens. Toutes les pages de la Bible, dans le Nouveau comme dans
l'Ancien Testament, sont pleines de semblables exemples ; et
aujourd'hui que l'histoire du monde est mieux connue, aucun
savant sérieux n'oserait en nier la possibilité.
XII
Caractère des Coréens : leurs qualités morales, leurs défauts, leurs
habitudes.
La grande vertu du Coréen est le respect inné et la pratique
journalière des lois de la fraternité humaine. Nous avons vu plus
haut comment les diverses corporations, les familles surtout, for-
ment des corps intimement unis pour se défendre, se soutenir,
s'appuyer et s'entr'aider réciproquement, Mais ce sentiment de
confraternité s'étend bien au delà des limites de la parenté ou de
l'association; et Tassistance mutuelle, l'hospitalité généreuse
envers tous, sont des traits distinctifs du caractère national, des
qualités qui, il faut l'avouer, mettent les Coréens bien au dessus
des peuples envahis par l'égoïsme de notre civilisation con-
temporaine.
Dans les occasions importantes de la vie, telles qu'un mariage
ou un enterrement, chacun se fait un devoir d'aider 1^ famille
directement intéressée. Chacun apporte son offrande et rend
tous les services en son pouvoir. Les uns se chargent de faire les
achats, les autres d'organiser la cérémonie ; les pauvres, qui ne
peuvent rien donner, vont prévenir les parents dans les villages
voisins ou éloignés, passent jour et nuit sur pied, et font gratui-
tement les corvées et démarches nécessaires. 11 semblerait qu'il
s'agit non pas d'un affaire personnelle, mais d'un intérêt public
de premier ordre. Quand une maison est détruite par un incen-
die, une inondation ou quelque autre accident, les voisins s'em-
pressent d'apporter pour la rebâtir, qui des pierres, qui du bois,
qui de la paille ; et chacun, outre ces quelques matériaux, donne
deux ou trois journées de son travail. Si un étranger vient s'éta-
blir dans un village, chacun l'aide à se bâtir une petite demeure.
Si quelqu'un est obligé d'aller au loin sur les montagnes couper
du bois ou faire du charbon, il est sûr de trouver dans le village
voisin un pied-à-terre ; il n'a qu'à apporter son riz, on se char-
gera de le cuire, et on y mettra les quelques assaisonnements
nécessaires. Lorsqu'un habitant du village tombe malade, ceux
qui auraient à la maison un remède n'attendent pas pour le
CLU INTRODUCnOIf.
doDner qu'on le leur demande ; le plus souvent, ils se hâtent de
le porter eux-mêmes, et ne veulent point en recevoir le prix. Les
instruments de jardinage ou de labour sont toujours à la dispo-
sition de qui vient les demander, et souvent même, excepté
pendant la saison des travaux , les bœufs se prêtent assez
facilement.
L'hospitalité est considérée par tous comme le plus sacré des
devoirs. D'après les mœurs^ ce serait non-seulement une honte,
mais une faute grave, de refuser sa part de riz à quiconque,
connu ou inconnu, se présente au moment du repas. Les pauvres
ouvriers qui prennent leur nourriture sur le bord des chemins,
sont souvent les premiers à offrir aux passants de la partager
avec eux. Quand, dans une maison quelconque, il y a une petite
fête ou un repas solennel, tous les voisins sont toujours invités
de droit. Le pauvre qui doit aller pour ses affaires dans un lieu
éloigné ou visiter à de grandes distances des parents ou amis, n'a
pas besoin de longs préparatifs de voyage. Son bâton, sa pipe,
quelques bardes dans un petit paquet pendu à l'épaule, quelques
sapèques dans sa bourse, si toutefois il a une bourse et des
sapèques â mettre dedans, voilà tout. La nuit venue, au lieu de se
rendre à Tauberge, il entre dans quelque maison dont les appar-
tements extérieurs sont ouverts à tout venant, et il est sûr d'y
trouver de la nourriture et un gite pour la nuit. Quand l'heure du
repas arrive, on lui donne sa part ; il a pour dormir un coin de
la natte qui recouvre le plancher, et un bout du morceau de bois
qui, appuyé contre la muraille, sert d'oreiller commun. S'il est
fatigué, ou que le temps soit trop mauvais, il passera ainsi quel-
quefois un ou deux jours, sans que l'on songe à lui reprocher son
indiscrétion.
En ce bas monde, les meilleures choses ont toujours un mau-
vais côté, et les habitudes toutes patriarcales que nous venons
de décrire, produisent bien quelques inconvénients. Le plus
grave est Tencouragement qu'elles donnent à la fainéantise d'une
foule de mauvais sujets, qui spéculent sur l'hospitalité publique,
et vivent en flânant de côté et d'autre dans une complète oisi-
veté. Quelques-uns des plus effrontés viennent s'établir, pendant
des semaines entières, chez les gens riches ou aisés, et se font
même donner des vêtements que Ton n'ose pas refuser de peur
d'être ensuite injurié et calomnié par eux. On dit que, dans la
province de Pieng-an surtout, ces cas sont assez fréquents. Dans
les montagnes du Kang-ouen, on voit des bandes entières s'éta-
blir dans un village, y vivre deux ou trois jours aux finis des
■^.-*
INTRODUCTION. CUII
habitants, puis passer dans un autre, et ainsi de suite, pendant
des mois entiers, sans que le gouvernement ose intervenir pour
protéger le peuple. Les petits marchands ambulants, les comé-
diens, les astrologues prennent les mêmes libertés; c'est Tusage,
et nul ne réclame ni ne songe à se débarrasser par force de ces
hôtes incommodes. Il y a de plus les mendiants proprement dits.
Ce sont des infirmes, des estropiés, des vieillards sans ressources,
auxquels chacun donne un peu de riz ou quelques sapèques. Â
Séoul, se trouve une corporation de mendiantes qui se partagent
les différents quartiers de la capitale et quêtent chaque jour de
porte en porte. Elles sont généralement détestées à cause de leur
méchanceté et de leur insolence ; mais la crainte de s'attirer de
mauvaises affaires de la part de toute la bande, force la main aux
habitants paisibles, et elles recueillent d'abondantes aumônes.
Parmi les mendiants attitrés il faut aussi compter tous les bonzes.
Les uns mendient par nécessité, les autres par vertu; on donne
k ces derniers le nom de San-lim. Quoique la religion de Fô soit
maintenant tombée dans un discrédit universel, presque toujours,
par pitié ou par un reste de superstition, on leur donne quelques
poignées de riz.
Les visites, soirées, invitations, et autres relations ordinaires
de société sont très-multipliées, et la plus grande liberté y règne.
Les femmes ne se montrent jamais dans ces réunions ; elles
passent leur vie dans les appartements intérieurs, et ne se visitent
qu'entre elles. Mais les hommes à leur aise, les nobles surtout,
naturellement causeurs et paresseux, vont continuellement de
salon en salon tuer le temps, raconter ou inventer des nouvelles.
Ces salons ou appartements extérieurs sont placés sur le devant
de la maison, et toujours ouverts à tout venant. Le maître du
logis y fait sa résidence habituelle, et met son orgueil à recevoir
et à bien traiter le plus d'amis possible. Naturellement les con-
versations ne roulent guère sur la politique ; personne ne s'en
occupe, et d'ailleurs un tel sujet serait dangereux. Mais on se
raconte les dernières histoires de la cour et de la ville, on
colporte les médisances du jour, on répète les bons mots qui ont
été dits par tel ou tel grand personnage, on récite des fables ou
des apologues, on parle science ou littérature. L'été surtout, ces
réunions entre lettrés deviennent de petites académies, ou l'on
s'assemble trois ou quatre fois la semaine pour discuter des
questions de critique littéraire, approfondir le sens des ouvrages
célèbres, comparer diverses compositions poétiques. Les gens du
peaple, de leur côté, se rencontrent dans les rues, le long des
CLIV l?«TRODUCTIOÎS.
routes, dans les auberges. Quand ils sont deux ou trois ensemble,
la conversation s'engage immédiatenient et ne languit janoais.
Us se font les questions les plus indiscrètes, sur leur nom, leur
âge, leur demeure, leurs occupations, leur commerce, les
dernières nouvelles qu'ils ont pu apprendre, etc. Un Coréen ne
peut rien garder de ce qu'il sait; c'est chez lui une démangeaison
incroyable d'apprendre toutes les nouvelles, même les plus insi-
gnifiantes, et de les communiquer immédiatement à d'autres,
ornées de toutes les exagérations et de tous les mensonges
possibles.
En Corée on parle toujours sur un ton très-élevé, et les
réunions sont extraordinairement bruyantes. Crier le plus haut
possible, c'est faire preuve de bonnes manières, et celui qui,
dans une société, parlerait sur un ton ordinaire, serait mal vu des
autres, et passerait pour un original qui cherche à se singula-
riser. Le goût du tapage est inné en eux, et rien à leur sens ne
peut être fait convenablement sans beaucoup de vacarme. L'étude
des lettres consiste à répéter à gorge déployée, chaque jour,
pendant des heures entières, une ou deux pages d'un livre. Les
ouvriers, les laboureurs, se délassent de leurs fatigues en luttant
à qui criera le plus fort. Chaque village possède une caisse, des
cornes, des flûtes, quelques couvercles de chaudrons en guise de
cymbales, et souvent pendant les rudes travaux de l'été, on
s'interrompt quelques instants, et l'on se délasse par un concert à
tour de bras. Dans les préfectures et les tribunaux, les ordres
des mandarins sont répétés d'abord par un crieur, puis par
beaucoup d'autres échelonnés h tous les coins, de manière à
retentir dans les quartiers environnants. Si un fonctionnaire
public sort de sa maison, les cris perçants d'une multitude de
valets annoncent sa marche. Dans les rares circonstances où le
roi se montre en public, une foule de gens sont postés de dis-
lance en distance pour pousser les plus formidables clameurs, et
ils se partagent la besogne alternativement, de manière à ne pas
laisser une seconde de silence. La moindre interruption, en pareil
cas, serait un manque de respect envers la majesté royale.
Les Coréens des deux sexes sont naturellement très-passionnés ;
mais l'amour véritable ne se trouve guère en ce pays, car la
passion chez eux est purement physique, le cœur n'y est pour
rien. Ils ne connaissent que l'appétit animal, l'instinct de la
brute qui, pour se satisfaire, se rue à l'aveugle sur le premier
objet à sa portée; aussi la corruption des mœurs dépasse tout ce
qu'on peut imaginer. Elle est telle, que l'on peut affirmer hardie
IJÏTRODUCTION. CLV
ment que plus de la moitié des individus ne connaissent pas leurs
véritables parents. Plusieurs fois des chrétiennes, sur le point
d*être violées par des païens, les ont arrêtés par ces paroles :
« Ne m'approche point, je suis ta propre fille. » Et le païen
reculait, sachant que le fait était, sinon probable, au moins très-
possible. Au reste, comment pourrait-il en être autrement dans
un pays où aucun frein religieux ne vient dominer les passions,
et où les coutumes, les nécessités même de la vie matérielle
forcent souvent les pauvres, c'est-à-dire la moitié de la popula-
tion, à oublier les lois de la pudeur? En effet, les maisons des
pauvres ne sont que de misérables huttes de terre. Ils n'ont pas
le moyen d'avoir deux chambres, ou, s'ils en ont deux, ils ne
peuvent les chauffer toutes deux pendant l'hiver. Aussi, père,
mère, frères et sœurs, tous dorment ensemble, sous la même
couverture s'ils en ont une, et, s'ils n'en ont point, serrés les uns
contre les autres pour se réchauffer un peu.
Presque tous les enfants jusqu'à l'âge de neuf ou dix ans,
quelquefois même davantage, vivent pendant Tété absolument
nus, ou revêtus seulement d'une petite jaquette qui descend
jusqu'à la ceinture. Les enfants chrétiens sont généralement
vêtus d'une manière plus décente, mais les missionnaires ont eu
beaucoup de peine à obtenir cette concession. Tout homme,
marié ou non, est libre d'avoir chez lui autant de concubines
qu'il peut en entretenir. Quand une femme arrive dans un
village, elle trouve toujours où se placer; si nul n'est assez riche
pour la garder chez lui, chacun la prend dans sa maison à tour
de rôle, et la nourrit pendant quelques jours. Une femme qui,
voyageant seule, passerait la nuit dans une auberge, serait
infailliblement la proie du premier venu; quelquefois même la
compagnie d'un homme, à moins qu'il ne soit bien armé, ne
suffit pas à la protéger. Inutile d'ajouter que la prostitution
s'étale partout au grand jour, et que la sodomie et autres crimes
contre nature sont assez fréquents. Le long des routes, à l'entrée
des villages surtout, les filles puMiques de bas étage s'installent
avec une bouteille d'eau-de-vie de riz, dont elles offrent aux
voyageurs. La plupart s'arrêtent d'eux-mêmes pour les faire
chanter, ou badiner avec elles; et si quelqu'un passe sans les
regarder, elles ne se gênent nullement pour l'arrêter par ses
habits et même lui barrer le chemin.
Mais détournons les yeux de ce triste spectacle, et hâtons-nous
de passer à un autre sujet.
^ ^^^IVÉMbi^B^ généralement le caractère entier, difficile,
CLVI INTRODUCTION.
colère et vindicatif. C'est le fruit de la demi-barbarie dans
laquelle ils sont encore plongés. Parmi les païens, l'éducation
morale est nulle ; chez les chrétiens eux-mêmes, elle no pourra
porter ses fruits qu'à la longue. Les enfants ne sont presque
jamais corrigés, on se contente de rire de leurs colères conti-
nuelles ; ils grandissent ainsi, et plus tard, hommes et femmes se
livrent sans cesse à des accès d'une fureur aussi violente
qu'aveugle. En ce pays, pour exprimer une résolution arrêtée,
on se pique le doigt, et on écrit son serment avec son propre
sang. Dans un accès de fureur, les gens se pendent ou se noient
avec une facilité inexplicable. Un petit déplaisir, un mot de
mépris, un rien, les entraine au suicide. Ils sont aussi vindicatifs
qu'irascibles. Sur cinquante conspirations, quarante-neuf sont
trahies d'avance par quelque conjuré, et presque toujours pour
satisfaire une rancune particulière, pour se venger d'un mot un
peu vif. Peu leur importe d'être punis eux-mêmes, s'ils peuvent
attirer un châtiment sur la tête de leurs ennemis.
On ne peut les accuser ni de mollesse ni de lâcheté. Â Toccasion
ils supportent les verges, le bâton, et les autres supplices avec
un grand sang-froid, et sans laisser paraître la moindre émotion.
Ils sont patients dans leurs maladies. Ils ont beaucoup de goût
pour les exercices du corps, le tir de l'arc, la chasse, et ne
reculent point devant la fatigue. Et cependant, chose extraordi-
naire, avec tout cela ils font en général de très-pauvres soldats,
qui, au premier danger sérieux, ne songent qu'à jeter leurs armes,
et à s'enfuir dans toutes les directions. Peut-être est-ce simple-
ment le manque d'habitude, et le défaut d'organisation. Les
missionnaires assurent qu'avec des officiers capables, les Coréens
pourraient devenir d'excellents soldats. En 18Îfi, les Américains
rencontrèrent une résistance désespérée, et les divers récits de
leur expédition rendent justice au courage des troupes d'élite
que l'on avait envoyées contre eux.
La chasse est considérée comme une œuvre servile; aussi les
nobles, si l'on excepte quelques familles pauvres des provinces,
ne s'y livrent presque jamais. Elle est tout à fait libre ; point de
port d'armes, point de parcs réservés, point d'époques interdites.
Le seul animal qu'il soit défendu de tuer est le faucon, dont la
vie est protégée par des lois sévères. Malheur à celui qui blesse-
rait un de ces oiseaux ! il serait traîné à la capitale devant la
cour des crimes. La chasse n'a lieu que dans les montagnes, car
les vallées et les plaines, presque toutes en rizières, n'offrent
aucun gibier qui puisse tenter les chasseurs. Leur fusil est le
I?ITRODUGTION. CLVII
fusil japonais à pierre, très-lourd et fort peu élégant. Avec cette
arme insuffisante, un Coréen même seul, tirera le tigre, quoique
cet animal, quand il n'est pas tué sur le coup, s^élance toujours
droit sur l'ennemi qui devient alors facilement sa proie. Quand
le tigre fait de grands ravages dans un district, le mandarin
réunit les chasseurs et organise une battue dans les montagnes
voisines, mais presque toujours sans résultat, car, en pareil cas,
la peau de l'animal est pour le gouvernement, et le mandarin
garde pour lui la prime due aux chasseurs. Ceux-ci préfèrent
risquer leur vie en chassant seuls, parce quMls ont alors le
bénéfice de la peau qu'ils vendent secrètement. Ils mangent la
chair qu'ils prétendent être très-succulente. Les os piles et
bouillis servent à faire diverses médecines. On les vend surtout
aux Japonais qui les achètent à très-haut prix pour en fabriquer
des remèdes secrets.
Les tigres sont excessivement nombreux en Corée, et le chiffre
annuel des accidents est très-considérable. Quand le tigre pénètre
dans un village dont les maisons sont bien fermées, il ne cesse
de tourner pendant des nuits entières autour de quelque masure,
et si la faim le presse, il finit par s'y introduire en bondissant
sur le toit de chaume, au travers duquel il fait un trou. Le plus
souvent, il n'a pas besoin de recourir à cet expédient, car les
villageois sont dune insouciance telle, que, malgré sa présence
dans les environs, ils dorment habituellement, pendant l'été, la
porte de leurs maisons grande ouverte, et quelquefois même
sous des hangars ou en plein champ sans songer à allumer du
feu. Peut-être, avec des battues bien suivies, dans la saison
propice, réussirait-on à détruire beaucoup de ces animaux, et à
refouler le reste dans les grandes chaînes de montagnes qui sont
presque inhabitées ; mais chacun ne songe qu'à se débarrasser
du péril présent, sans s'inquiéter de l'avenir ni du bien général.
On prend quelquefois des tigres au piège, dans des fosses pro-
fondes recouvertes de feuillage et de terre, au milieu desquelles
est planté un pieu aigu ; mais ce moyen si simple, et sans danger
aucun pour le chasseur, n'est que rarement employé. Pendant
l'hiver, quand la neige est à demi gelée, assez forte pour résister
au pied de l'homme, elle cède encore aux pattes du tigre, qui s'y
enfonce jusqu'au ventre et ne peut en sortir. Souvent alors on en
tue à coups de sabre ou de lance.
Les chasseurs coréens ne tirent jamais au vol. Ils s'affublent
de peaux, déplumes, de paille, etc., et se tapissent dans quelque
trou pour tromper les animaux qui viennent à leur portée. Ils
CLVUÎ INTRODUCTION.
savent contrefaire parfaitement les cris des divers oiseaux, parti-
culièrement celui de faisan qui appelle sa femelle, et par là
réussissent à prendre beaucoup de ces dernières. Mais leur chasse
principale est celle du cerf. Elle n'a lieu qu'au moment oii ses
bois se développent, c'est-à-dire pendant la cinquième et la
sixième lune (juin et juillet), parce qu'alors seulement ces bois
se vendent à un prix (rès-élevé. Les chasseurs au nombre de
trois ou quatre au plus, battent les montagnes plusieurs jours de
suite, et quand la nuit les force à s'arrêter pendant quelques
heures, ils ont un instinct admirable pour retrouver la piste de
l'animal, à moins que la terre ne soit trop desséchée. D'ordinaire,
ils l'atteignent avant la fin du troisième jour, et le tuent à coups
de fusil. Cette chasse, quand elle réussit bien, leur donne de
quoi vivre pendant une partie de l'année, et Ton cite des indi-
vidus qui par ce moyen ont acquis une petite fortune.
Les Coréens sont âpres au gain; pour se procurer de l'argent,
tous les moyens leur sont bons. Ils connaissent très-peu et
respectent encore moins la loi morale qui protège la propriété et
défend le vol. Néanmoins, les avares sont peu nombreux, et ne
se trouvent guère que parmi les riches de la classe moyenne ou
les marchands. En ce pays, on appelle riche celui qui a deux ou
trois mille francs vaillant. En général, ils sont aussi prodigues
qu'avides, et aussitôt qu'ils ont de l'argent, ils le jettent à pleines
mains. Ils ne songent alors qu'à mener grand train, bien traiter
leurs amis, satisfaire leurs propres caprices ; et quand Tindi-
gence revient, ils la subissent sans trop se plaindre, et attendent
que la roue de la fortune en tournant leur ramène de beaux
jours. Souvent, l'argent se gagne assez vite, mais il disparaît
plus vite encore. On a fait gagner un procès à quelqu'un, on a
trouvé une racine de gen-seng, un petit morceau d'or, une veine
de cristal, n'importe quoi, on est à flot pour quelques jours, et
vogue la galère ! l'avenir s'occupera de l'avenir. De là vient que
tant de gens sont toujours sur les routes, cherchant une chance
heureuse, espérant rencontrer là-bas ce qui leur manque ici,
trouver quelque trésor, découvrir quelque source de richesse non
encore exploitée , inventer quelque nouveau moyen de battre
monnaie. Dans certaines provinces surtout, la moitié des habi-
tants n'ont pour ainsi dire pas de demeure fixe; ils émigrent
pour échapper à la misère, restent un an ou deux, et émigrent
de nouveau, pour recommencer plus lard, cherchant toujours
le mieux, et presque toujours rencontrant le pire.
Un autre grand défaut des Coréens, c'est la voracité. Som^
INTRODUCTION. CLIX
rapport, il n'y a pas la moindre différence entre les riches et les
pauvres, les nobles et les $^ens du peuple. Beaucoup manger est
un honneur, et le grand mérile d'un repas consiste, non dans la
qualité, mais dans la quantité des mets fournis aux convives.
Aussi cause-t-on très-peu en mangeant, car chaque phrase ferait
perdre une ou deux bouchées. Dès l'enfance, on s'applique à
donner à Festomac toute Télasticité possible. Souvent les mères
prenant sur leurs genoux leurs petits enfants, les bourrent de
riz ou d'autre nourriture, frappent de temps en temps avec le
manche de la cuiller sur le ventre pour voir s'il est suffisam-
ment tendu, et ne s'arrêtent que quand il devient physiquement
impossible de les gonfler davantage. Un Coréen est toujours prêt
à manger ; il tombe sur tout ce qu'il rencontre et ne dit jamais :
c'est assez. Les gens d'une condition aisée ont leurs repas réglés,
mais si dans l'intervalle se présente l'occasion d'avaler du vin,
des fruits, des pâtisseries, etc., en quelque quantité que ce
soit, ils en profitent largement, et l'heure ordinaire du repas
venue, se mettent à table avec le même appétit que s'ils avaient
jeûné depuis deux jours. La portion ordinaire d'un ouvrier est
d'environ un litre de riz, lequel après la cuisson donne une forte
écuelle. Mais cela ne suftit pas pour les rassasier, et beaucoup
d'entre eux en prennent facilement trois ou quatre portions
quand ils le peuvent. Certains individus, dit-on, en absorbent
jusqu'à neuf ou dix portions impunément. Quand on tue un bœuf,
et que la viande est servie à discrétion, une écuelle bien remplie
n'effraye aucun des convives. Dans les maisons décentes, le bœuf
ou le chien sont découpés par tranches énormes, et comme
chacun a sa petite table à part, on peut se montrer généreux
envers tel ou tel convive, tout en ne donnant aux autres que le
strict nécessaire. Si l'on offre des fruits, des pèches par exemple
ou de petits melons, les plus modérés en prennent jusqu'à vingt
ou vingt-cinq, qu'ils font très-rapidement disparaître, sans les
peler.
Inutile d'ajouter que les habitants de ce pays sont loin
d'absorber chaque jour les quantités de nourriture dont nous
venons de parler. Tous sont prêts à le faire, et le font en effet
quand ils en trouvent l'occasion, mais ils sont trop pauvres pour
la trouver souvent. La viande de bœuf surtout est assez rare.
Nous avons dit plus haut qu'un boucher est une espèce de
fonctionnaire nommé par le gouvernement, et qui paye un impôt
considérable pour avoir le droit exclusif de faire abattre les
lNBufii« Quelques nobles haut placés se permettent aussi d'avoir
CLX INTRODUCTION.
des bouchers à eux. C'est un abus que Ton tolère faute de pouvoir
Tempêcher. Quelquefois aussi, dans les circonstances extraordi-
naires, le roi permet d'abattre un bœuf dans chaque village, et
alors c'est une fête universelle, et son nom est béni d'un bout à
l'autre du royaume.
Un excès en appelle un autre, et l'abus de la nourriture amène
naturellement Tabus de la boisson. Aussi l'ivrognerie est-elle en
grand honneur dans ce pays, et si un homme boit du vin de riz
de manière à perdre la raison, personne ne lui en fait un crime.
Un mandarin, un grand dignitaire, un ministre même, peut,
sans que cela tire à conséquence, rouler sur le plancher à la fin
de son repas. On le laisse cuver son vin tranquillement, et les
assistants loin d'être scandalisés de ce dégoûtant spectacle, le
félicitent intérieurement d'être assez riche pour pouvoir se
procurer un aussi grand plaisir.
Quant à la préparation de la nourriture, les Coréens ne sont
nullement difficiles; tout leur est bon. Le poisson cru, la viande
crue, surtout les intestins, passent pour des mets friands, et
parmi le peuple, on n'en voit guère sur les tables, car un pareil
morceau à peine aperçu est aussitôt dévoré. Les viandes crues se
mangent habituellement avec du piment, du poivre ou de la
moutarde, mais souvent on se passe de tout assaisonnement.
Sur le bord des ruisseaux ou rivières, on rencontre quantité de
pêcheurs à la ligne, dont le plus grand nombre sont des nobles
sans le sou qui ne veulent pas ou ne peuvent pas travailler pour
vivre. A côté d'eux est un petit vase contenant de la poudre de
piment délayée, et aussitôt qu'un poisson est pris, ils le saisissent
entre deux doigts, le trempent dans cette sauce et l'avalent sans
autre cérémonie. Les arêtes ne les effrayent point ; ils les mangent
avec le reste, comme ils mangent aussi les os de poulets ou
d'autres volatiles afin de ne rien laisser perdre.
Quelques mots, en finissant ce chapitre, sur les différences de
caractère entre les habitants des diverses provinces. Ceux des
deux provinces du Nord, du Pieng-an particulièrement, sont
plus forts, plus sauvages, et plus violents que les autres Coréens.
Il y a très-peu de nobles parmi eux, et par suite très-peu de
dignitaires. On croit qu'ils sont les ennemis secrets de la dynastie;
aussi le gouvernement, tout en les ménageant, les surveille de
près, et redoute toujours de leur part une insurrection qu'il serait
très-difficile de vaincre. Les gens du Hoang-haï passent pour
avoir l'esprit étroit et borné. On les accuse de beaucoup d'avarice
et de mauvaise foi. La population du Kieng-^keï, ou province de
li^.
â
INTRODUCTION. CUl
la capitale, est légère, inconstante, adonnée au luxe et aux
plaisirs. C'est elle qui donne le ton au pays tout entier; c'est à
elle surtout que s'applique ce que nous avons dit plus haut de
Fambition, de la rapacité, de la prodigalité, et du faste des
Coréens. Les dignitaires, nobles, et lettrés y sont excessivement
nombreux. Les gens du Tsiong-tsieng ressemblent de tous points
à ceux du Kieng-kei, dont ils ont, à un degré moindre, les vices
et les bonnes qualités. Dans la province de Tsien-la on rencontre
peu de nobles. Les habitants sont regardés par les autres Coréens
comme des gens grossiers, hypocrites, fourbes, ne cherchant que
leurs intérêts, et toujours prêts à commettre les plus odieuses
trahisons s'ils y trouvent leur profit. La province de Kieng-sang
a un caractère à part. Les habitudes y sont beaucoup plus
simples, les mœurs moins corrompues, et les vieux usages plus
fidèlement conservés. Peu de luxé, peu de folles dépenses ; aussi
les petits héritages se transmettent-ils de père en fils, pendant
de longues années, dans les mêmes familles. L'étude des lettres
y est plus florissante qu'ailleurs, et souvent l'on voit des jeunes
gens qui après avoir travaillé aux champs tout le jour, donnent à
la lecture le soir et une partie de la nuit. Les femmes de condi-
tion ne sont pas enfermées aussi strictement que dans les autres
provinces; elles sortent pendant le jour, accompagnées d'une
esclave, et n'ont à craindre aucune insulte ni aucun manque
d'égards. C'est dans le Kieng-sang que le bouddhisme ou religion
de Fô conserve le plus de sectateurs. Ils sont très-attachés à leurs
superstitions et difficiles à convertir ; mais une fois devenus
chrétiens, ils demeurent fermes et constants dans la foi. Les
nobles, très-nombreux dans cette province, appartiennent'
presque tous au parti Nam-in, et depuis les dernières révolutions
dont nous donnons le détail dans cette histoire, n'ont plus de
part aux dignités et emplois publics.
XIII
Jeux. — Comédies. — Fêtes du nouvel an. — Le Hoan-kap.
Le jeu d'échecs est très-répandu en Corée, et on prétend qu'il
y a des joueurs capables de tenir tête aux Chinois les plus habiles.
Ils ont aussi une espèce de jeu de dames, beaucoup plus com-
pliqué que le nôtre, le trictrac, le jeu d'oie, et divers autres
jeux d'adresse ou de hasard. Hais celui qui a le plus de vogue,
est le jeu de cartes, lequel est interdit par la loi. On ne le permet
qu'aux soldats qui font la veillée dans un poste quelconque,
pour les empêcher de s'endormir, et on prétend qu'en temps de
guerre, c'est la plus sûre sauvegarde des camps contre les
surprises et les attaques nocturnes. Malgré la prohibition, ce jeu
est en grand usage, surtout parmi les gens du peuple, car les
nobles le regardent comme au-dessous de leur dignité. On y joue
la nuit, en cachette, en dépit des amendes et des punitions que
les tribunaux infligent journellement. Il y a des bandes de joueurs
qui y passent leur vie, et n'ont pas d'autre métier. Ce sont
presque toujours des filous fieffés, qui escroquent à leurs dupes
îles sommes considérables et mènent grand train sans s'inquiéter
de la loi. Les prétoriens et autres agents de l'autorité ferment les
yeux sur leurs contraventions, tantôt parce qu'ils sont secrète-
ment payés pour se taire, souvent aussi parce qu'ils redoutent
la vengeance de ces individus, qu'ils savent être peu scrupuleux,
déterminés et capables de tout.
A la capitale et dans quelques autres grandes villes, beaucoup
de gens inoccupés passent leur temps à lancer des cerfs-volants,
surtout pendant un ou deux mois d'hiver quand souffle le vent
du Nord. La foule se presse h ce spectacle ; chacun examine les
soubresauts de ces cerfs-volants, et en tire des pronostics pour
le bon ou mauvais succès des affaires dans lesquelles il est alors
engagé. Souvent on se porte des défis mutuels, h qui usera ou
coupera le plus vite la corde de son voisin, en faisant rencontrer
les cerfs-volants dans les airs, et là-dessus s'engagent des paris
quelquefois considérables.
Les Coréens, nobles et gens du peuple, s'amusent volontiers à
tirer de Tare. Cet exercice est encouragé par le gouvernemenl
t Ëi
INTRODUCTION. CLXUI
qui y voit un moyen de former de bons archers. A certaines
époques de Tannée, les villes et les villages un peu considérables
donnent des prix au concours pour les plus habiles tireurs, et
quelquefois les mandarins en envoient d'autres aux frais du trésor
public. Souvent aussi il y a des boxes ou luttes à coups de
poing, entre des champions choisis, de village contre village,
ou de certains quartiers d'une ville contre les autres. Chaque
année, à Séoul, pendant la première lune, on a le spectacle
d'une de ces luttes, qui ordinairement dégénère en un combat
acharné. On commence à coups de poing, mais Ton continue à
coups de bâton et de pierres, et cela dure plusieurs jours,
pendant lesquels il est impossible de circuler sans danger dans
les rues. D'habitude, il reste quatre ou cinq morts sur le terrain,
les blessés et les estropiés ne se comptent pas ; mais le gouver-
nement n'intervient jamais, et laisse les choses suivre leur cours,
sous prétexte qu'il s'agit d'un jeu.
On trouve dans toutes les villes des chœurs de musiciens et
de chanteuses. La capitale en est remplie. Ces chanteuses,
élégamment vêtues, exécutent des chants et des danses pour
l'amusement des spectateurs, dans les parties de plaisir que
donnent les mandarins ou les gens haut placés. Ce sont ou des
esclaves de préfectures, ou des femmes que la misère a jetées
dans la débauche; et toutes joignent le métier de prostituées à
celui de musiciennes. On dit cependant que leurs danses publiques
n'ont rien de trop indécent.
Il n'est pas rare non plus de rencontrer des saltimbanques ou
comédiens ambulants qui vont par bandes, de côté et d'autre,
donnant des représentations dans les maisons de ceux qui les
payent, à l'occasion d'un mariage, d'un anniversaire heureux, ou
d'une fête quelconque. Us sont acrobates, musiciens, joueurs de
marionnettes, escamoteurs, font mille tours de force et d'adresse,
et passent pour être souvent d'une habileté merveilleuse. À
défaut d'amateurs bénévoles, ils s'imposent aux villages, et
comme ils ont la réputation d'être des bandits, capables de
toutes sortes de crimes et d'actes de violence, on les subit par
crainte, et on les paye sur les fonds communs pendant leur
séjour.
Le théâtre proprement dit n'existe pas en Corée. Ce qui se
rapproche le plus de nos pièces dramatiques est la récitation
mimée de certaines histoires, par un seul individu qui en repré-
sente successivement tous les rôles. Si , par exemple , il est
question dans son récit d*iiB mandariD, d'on bomnw qi|.l9CWt la
CLXIV lîfTRODUCTION.
bastonnade, d'un mari qui se dispute avec sa femme, etc., il
imitera alternativement le ton grave et solennel du magistrat,
les plaintes, les cris de celui qui est battu, la voix du mari, le
fausset de la femme, les rires de celui-ci, les gestes étranges de
celui-là, la stupéfaction d'un autre, assaisonnant le tout de
compliments, de bons mots, de lazzis et de pasquinades de toute
espèce. Il y a beaucoup de livres ou recueils d'anecdotes que ces
artistes étudient continuellement, mais ceux qui ont du talent ne
s'astreignent point aux scènes ainsi préparées; ils les changent
et les entremêlent avec adresse, y introduisent, séance tenante,
des pointes, des allusions, des plaisanteries appropriées à Taudi-
toire, et conquièrent ainsi une réputation qui peut les conduire à
la fortune. On les invite aux réunions d*amis, aux fêtes de
famille; ils ne manquent jamais d'accompagner dans leurs visites
officielles les nouveaux dignitaires, ainsi que les candidats
heureux des examens publics, et dans chaque maison on leur
donne quelque argent. Les hommes seuls font ainsi le métier
de comédien.
Le jour de Tan est une des plus grandes fêtes pour toutes les
classes de la société coréenne, et la manière de le célébrer offre
une certaine analogie avec nos usages d'Europe. La plupart des
travaux sont interrompus dès le troisième jour qui précède la tin
de Tannée, afin de donner à tous le temps de regagner le toit
paternel ou de rejoindre leur famille. Très-peu de personnes
passent cette époque hors de leurs maisons, et si quelque pauvre
portefaix ou commissionnaire est forcé par des retards malen-
contreux de séjourner dans une auberge le jour de Tan, presque
toujours Taubergiste lui donne la nourriture gratis. À cette
époque les mandarins évitent de faire des arrestations, et leurs
tribunaux sont fermés. Il y a plus : beaucoup de prisonniers,
détenus pour des affaires de peu d'importance, obtiennent un
congé plus ou moins long, afin d'aller rendre leurs devoirs à leurs
parents vivants et morts. Les fêtes passées, ils doivent d'eux-
mêmes revenir, et reviennent en effet, se constituer prisonniers.
Habituellement, d'après les règles de l'étiquette, on se fait
deux salutations : la première, le soir du dernier jour de l'an,
ce qu'ils appellent le salut de l'année qui finit; la seconde, le
malin du premier jour, c'est le salut de l'année qui commence.
Cette dernière salutation seule est absolument de rigueur, et
personne ne s'en dispense. Elle se fait à tous les parents, supé-
rieurs, amis et connaissances. Y manquer serait provoquer
infailliblement une rupture, ou un refroidissement marqué dans
INTRODUCTION. CLXV
les relations. La principale cérémonie du jour de Tan, est le
sacrifice aux tablettes des ancêtres. Chacun y déploie toute la
pompe que lui permet sa position, et c'est, dans l'opinion
commune, le sacrifice le plus indispensable de toute Tannée. Si
les tombeaux des parents se trouvent près de la maison, on s'y
rend de suite pour faire les prostrations et cérémonies voulues;
sinon, on est tenu de les visiter dans le courant de la première
lune. Après le sacrifice vient la distribution des étrennes, qui
généralement sont peu considérables. Elles consistent en quelques
vêtements qu'on donne aux enfants ou aux inférieurs, en pâtisse-
ries que Ton envoie aux supérieurs, amis, et connaissances. \
la capitale, les parents font assez souvent cadeau à leurs enfants
de quelques joujoux de peu de valeur. Les jours suivants se
passent en échange de civilités, visites, réunions, soirées. Les
travaux, les transactions commerciales, les séances des tribu-
naux, etc., ne peuvent recommencer que le cinquième jour de la
lune, ce qui fait, en tout, huit jours de repos légal. En fait, ce
repos est beaucoup plus prolongé, et quinze ou vingt jours se
dépensent en jeux et en parties de plaisir, sans que personne y
trouve à redire.
Les familles riches célèbrent aussi Tanniversaire de la nais-
sance de chacun de leurs membres par une réunion et un festin ;
chez les pauvres on ne tient compte que du jour de naissance du
chef de la maison. Ce jour-là, on invite les voisins à un petit
régal. Entre tous ces anniversaires, le plus célèbre est celui de la
soixante et unième année. Les Coréens suivent le cycle chinois de
soixante ans, et chacune des années porte un nom particulier,
comme chez nous les noms des jours de la semaine ou des mois
de Tannée. Cette période de soixante ans une fois écoulée, les
années de même nom recommencent dans le même ordre, et
Tannée de la naissance se présente après une révolution entière
du cycle. Cet anniversaire appelé Hoan-kap, est en ce pays
Tépoque la plus solennelle de la vie. Riches et pauvres, nobles
et gens du peuple, tous ont à cœur de fêter dignement ce jour oii
Tàge mûr finit, où commence la vieillesse. Celui qui atteint cet
âge est censé avoir rempli sa tâche, achevé sa carrière ; il a bu
à longs traits la coupe deTexistence, il ne lui reste qu'à se sou-
venir et à se reposer.
Longtemps d'avance on fait les préparatifs de la fête. Quelle
plus belle occasion de montrer de la piété filiale! de prouver
publiquement combien on apprécie Tinestimable bonheur d'avoir
conservé ses parents jusqu'à un âge aussi respectable! Les riches
GLXVI INTRODUCnON.
prodiguent leurs ressources pour faire venir, même des proyinces
éloignées, tout ce qui peut orner un festin ; les pauvres s'ingé-
nient à ramasser quelques épargnes. De leur côté, les lettrés
composent des pièces de vers, pour chanter cet heureux jour. Le
bruit s'en répand dans les environs, et c'est un événement, non-
seulement pour le village, mais pour tout le canton. A Tintérieur
de la maison, on est continuellement affaire. Tous les habits
devront être blancs comme la neige, les jupes bleues comme
Tazur; un nouvel habit de soie sera Tornement du sexagénaire.
11 faut ramasser du vin et de la viande en abondance pour
rassasier et enivrer parents, amis, voisins, connaissances,
étrangers, etc.. Les femmes de la maison sont surchargées de
besogne, mais alors, comme du reste dans les autres grandes
circonstances, leurs voisines, leurs amies s'empressent de venir
k leur secours. S'il est nécessaire, les voisins contribuent
généreusement aux frais par des présents en argent ou en nature.
Ils sont tous invités de droit, et ce qu'ils font aujourd'hui pour
un autre, on le fera demain pour eux.
L'heureux jour arrivé, on conduit le héros de la fête, en
grande cérémonie, à la place d'honneur. Il s'assied, et reçoit
d'abord les saints et félicitations de tous les membres de la
famille, puis on place devant lui une table surchargée des meil-
leurs mets qu'il a été possible de trouver. Viennent ensuite les
amis, les voisins, les connaissances, les parasites, etc.. tous
avec les plus beaux compliments dans la bouche, et un appétit
féroce dans l'estomac. Personne n'est repoussé, personne ne
s'en retourne à jeun ; les passants, les voyageurs profitent de
la bonne aubaine, et si on oublie de les inviter, ils s'invitent
eux-mêmes sans plus de formalités. Bien plus, quand les res-
sources le permettent, on envoie chez tous les voisins des tables
abondamment servies. La musique la plus étourdissante vient
réjouir les convives ; on appelle des chœurs de musiciens et de
danseuses, des comédiens, tout ce qui peut embellir la fête, et
rehausser l'éclat de la solennité. C'est pour des enfants bien
élevés la plus rigoureuse des obligations, et devraient-ils se sai-
gner à blanc, se condamner à mourir de faim le reste de l'année,
dépenser leur dernière sapèque, il leur faut faire les choses
avec une profusion extravagante, sous peine d'être à jamais
déshonorés .
Si les particuliers doivent ainsi déployer toute la prodigalité pos-
sible, on peut imaginer avec quelle pompe, quel appareil, quelles
folles dépenses, les grands personnages célèbrent le Hoan-kap.
IFITRODUCTIOlf. CLXVII
Lorsque la reine mère , la reine, et surtout le roi atteignent la
soixantaine, le royaume entier doit prendre part à la fête. Toutes
les prisons s'ouvrent parla proclamation d'une amnistie générale,
et il y a une session extraordinaire d'examens pour conférer les
grades littéraires. Tous les dignitaires de la capitale vont en
personne présenter au roi leurs hommages et leur vœux. Dans
chaque district, le mandarin précédé de la musique, escorté de ses
prétoriens et satellites, suivi de toute la population , se rend
au chef-lieu, k Tendroit ou est exposée en grand apparat la
tablette qui représente le roi, et se prosterne humblement pour lui
offrir ses congratulations personnelles, et celles de ses subordon-
nés. Ce jour est, pour tous, une fête chômée de premier ordre.
Tous les soldats de la capitale reçoivent quelque marque de la
munificence royale. Des tables richement servies, des cadeaux
de prix, sont envoyés aux ministres, aux fonctionnaires du
palais, aux grandes familles nobles, à tous ceux qui ont quelque
crédit à la cour.
Malheureusement pour le peuple, ces grandes fêtes se donnent
à ses dépens. Le plus souvent, c'est au moyen de rapines, de con-
cussions, d'extorsions de toute espèce, que les parents du roi, les
ministres et autres grands personnages se procurent les ressources
nécessaires. Un de ces Hoan-kap a été^ sous ce rapport, scan-
daleux entre tous : c'est celui de Kim Moun-keun-i, beau-père
du roi Tchiel-tsong, célébré à la fin de 1861. Dès les premiers
jours de l'automne, toutes les productions rares des provinces
afDuèrent à sa maison. On y expédia des centaines de bœufs, des
milliers de faisans, des fruits en quantité énorme. Les mandarins,
tant pour obéir à l'usage que pour s'attirer les bonnes grâces
d'un homme aussi influent, luttaient à qui ferait les plus riches
offrandes, en argent et en produits de leurs districts ou préfec-
tures. Le gouverneur de la province de Tsiong-tsieng fut destitué,
quelques jours après la fête, pour n'avoir envoyé que la misé-
rable somme de mille nhiangs (environ deux mille francs), tandis
que les autres, plus généreux, avaient expédié huit, dix, quelques-
uns même vingt mille francs. M. Pourthié raconte qu'un vieux
mandarin de sa connaissance, criblé de dettes et sans le sou, ne
put absolument rien envoyer. Kim Moun-keun-i voulait le punir
sévèrement. « Ne touchez pas à cet homme, lui dirent les minis-
tres ; pour avoir osé vous insulter ainsi, il faut certainement
qu'il soit bien déterminé, et qu'il ait des moyens secrets de
braver votre colère ; il est plus prudent de le laisser tranquille. »
Le pauvre mandarin conserva sa place. Les gens du peuple, même
CLXVIII INTRODUCTION.
les plus pauvres, furent forcés, par insinuations et par menaces,
de payer sous forme d^offrandes volontaires un impôt considé-
rable. On rapporte qu'un malheureux en haillons, aux traits
hâves et décharnés, dut apporter lui-même quelques pelotons de
fil de soie, sa dernière ressource. Le grand personnage eut la
bassesse de les recevoir de sa propre main, et la cruauté de
remercier en souriant.
La soixante et unième année du mariage donne également
occasion à des rejouissances extraordinaires, à peu près de même
genre que celles du Hoan-kap ; mais ces fêtes sont, naturelle*
ment, beaucoup plus rares.
XIV
Logements. — Habillements. — Coutumes diverses.
«
L'extraii suivant d'une lettre de M. Pourlhié, résume de la
manière la plus intéressante diverses notions sur la vie de chaque
jour en Corée, sur la manière de se loger, de s'habiller, de se
nourrir, etc...
(( Voulez-vous, écrit le missionnaire, voulez-vous avec moi faire
une course dans le pays ? je crois que vous n'en aurez guère le
courage. D'abord vous ne serez chaussé que de sandales de
paille, qui permettent rentrée à la pluie, à la neige, à la boue, et
k toutes les malpropretés; ensuite, comme personne, en Corée,
ne se mêle d'entretenir les chemins, vous serez bientôt fatigué
de sauter de pierre en pierre ; vous vous lasserez de ces ascen-
sions et descentes continuelles, souvent très-rudes ; enfin, si vous
n'y faites grande attention, votre orteil qui dépasse le bout de
la sandale, et s'avance seul et sans protection, comme une
sentinelle perdue, ira heurter contre les pierres ou contre les
tronçons de broussailles, ce qui vous arrachera des cris doulou-
reux, et vous forcera de renoncer à votre entreprise. Arrêtons
nous plutôt à examiner ces maisons que vous voyez à l'abri du
vent dans toutes les vallées, et qui de loin ressemblent à de
grandes taches noires sur la neige.
« Vous avez vu quelquefois de misérables cabanes : hé bien !
rabattez encore de la beauté et de la solidité des plus pauvres
masures que vous connaissez, et vous aurez une idée à peu près
exacte des chétives habitations coréennes. On peut dire en thèse
générale que le Coréen habite sous le chaume, car les maisons
couvertes de tuiles sont si rares, soit dans les villes, soit dans
les campagnes, qu'on ne pourrait en compter une sur deux
cents. On ne connaît pas l'art de construire, pour les maisons,
des murs en pierre, ou plutôt, la plupart du temps, on n'a pas
assez de sapèques pour une telle dépense. Quelques arbres à
peine dégrossis, quelques pierres, de la terre et de la paille en
sont les matériaux ordinaires. Quatre piliers fichés en terre
soutiennent le toit. Quelques poutrelles transversales, auxquelles
s'appuient d'autres pièces de bois croisées en diagonale, forment
CLXX INTRODUCTION.
un réseau çt supportent un mur en terre pétrie de huit à
douze centimètres d'épaisseur. De petites ouvertures, fermées
par une boiserie en treillis, et recouvertes faute de verre d'une
feuille de papier, servent à la fois de portes et de fenêtres. Le
sol nu des chambres est couvert de nattes bien humbles, si vous
les comparez aux nattes de la Chine ou de Tlnde; la misère
forcera même souvent à se contenter de cacher le sol sous une
couche de paille plus ou moins épaisse. Les gens riches peuvent
tapisser ces murs de boue d'une feuille de papier, et pour rem-
placer les planchers et des dalles d'Europe, ils colleront au sol
d'épaisses feuilles de papier huilé. Ne cherchez pas des maisons
à étages, c'est inconnu en Corée.
(( Mais pénétrons dans l'intérieur, et d'abord ôtez vos sandales;
l'usage et la propreté l'exigent. Les riches gardent leurs bas
seulement, les paysans et les ouvriers sont ordinairement pieds
nus dans leurs chambres. Une fois entré, tâchez de ne pas heurter
la tête contre la (erre pétrie et les branchages qui forment le
plafond ; accroupissez-vous plutôt sur la natte, et gardez-vous de
chercher un siège, car le roi lui-même, lorsqu'il reçoit les pro-
strations de sa cour, est accroupi sur un tapis, les jambes croisées
à la façon de nos tailleurs. Peut-être désirez-vous prendre des
notes sur les curieuses choses que vous voyez? Inutile de
demander une table, les Coréens n'en ont que pour les sacrifices
aux ancêtres et pour les repas. Mettez donc votre calepin sur le
genou, et écrivez comme si c'était pour vous une habitude que
vous trouvez toute naturelle et très- commode.
« Nous sommes en novembre, et le vent du nord-ouest, tout
en procurant un automne sec et serein, vous fera frissonner de
froid sur votre natte. Vous voulez faire fermer la porte, mais les
nombreux trous pratiqués aux vieux papiers des fenêtres rendront
la précaution à peu près inutile. D'ailleurs, l'adresse du menui-
sier coréen aura toujours su vous ménager assez de fentes pour
qu'il n*y ait aucun danger d asphyxie. Et en cela tout le tort n'est
pas de son côté, car enfin une porte de douze ou vingt sous,
achevée le plus souvent avec le seul secours de la hache et du
ciseau, peut-elle être une œuvre parfaite? Le seul moyen est
donc d'avoir recours au feu : mais pas de cheminée, et com-
ment allumer du feu sur la natte? On y a pourvu. A Textérieur
de la maison, sur le côté, se trouve le foyer de la cuisine auquel
viennent aboutir divers conduits qui passent sous le sol de la
chambre. Ces conduits ou tuyaux sont couverts de grosses pierres
dont on a rempli les interstices et comblé les inégalités avec de
IIVTRODUCTION. CLXXI
la terre pétrie ; c'est là-dessus qu'est étendue votre natte. La
fumée et la chaleur passant par ces tuyaux pour sortir de Tautre
côté de la maison font arriver jusqu'à vous une chaleur bienfai-
sante qui^ grâce à l'épaisseur des pierres, se maintiendra assez
longtemps. Vous voyez que les Coréens ont connu, bien avant
nous, Tusage des calorifères. II est vrai que la fumée passe en
bouffées abondantes à travers les fentes du sol, mais il ne faut
pas être trop délicat, et d'ailleurs, en ce monde, quelle est la
bonne chose qui n'ait pas ses inconvénients ?
« Vous vous empressez de jeter un regard sur Tameublement.
Et d'abord, en fait de lits ne croyez pas dé(*X)uvrir quelqu'un
de ces solennels amas de matelas avec baldaquin et draperies.
Presque toute la Corée couche sur des nattes. Les pauvres,
c'est-à-dire la grande majorité, s'étendent dessus sans autre cou-
verture que les haillons dont ils sont revêtus jour et nuit. Ceux
qui ont quelques sapèques se donnent le luxe d'avoir une cou-
verture, et, dans la classe aisée, on y joint souvent un petit mate-
las d'un à deux décimètres d'épaisseur. Tous, riches et pauvres,
ont dans un coin de la chambre un petit tronçon de bois qua-
drangulaire, épais de quelques pouces, qui leur sert de traversin.
Quant aux autres meubles, les pauvres n'en ont aucun ; les gens
du peuple ont un bâton transversal sur lequel est suspendu un
habit de rechange ; les individus à leur aise ont quelques cor-
beilles hissées sur des barres de bois ou pendues au toit ; chez
les riches on trouve des malles assez grossières ; les lettrés, les
marchands sont assis près d'une petite caisse qui contient l'en-
crier, les pinceaux, et un rouleau de papier. Les jeunes dames
ont une petite malle noire garnie de deux jupes, l'une rouge et
Tautre bleue, l'indispensable présent de noces. Enfin chez les
grands fonctionnaires et dans les maisons de la haute noblesse,
on rencontre quelques livres chinois et des armoires vernissées
(le modestes dimensions.
« Maintenant, comment serez-vous habillé? J'ai déjà parlé des
sandales de paille, je n'essayerai pas de vous les décrire; il faut
les voir pour s'en faire une idée. C'est la chaussure ordinaire du
pays, surtout dans les voyages. La semelle tressée en paille de
riz protège un peu la plante du pied contre les cailloux, mais
c'est là sa seule utilité. Aussi n'est-ce pas une petite mortifica-
tion, dans les rigoureux hivers de Corée, de marcher avec des
savates, les pieds dans la neige ou dans une boue glaciale.
Pendant Tété, le seul inconvénient est de prendre quelquefois
des bains de pieds ; mais lorsque l'eau n'est pas à craindre, votre
GLXXII IIITRODIICTION.
chaussure a Tavantage d'être moins chaude que nos souliers.
Avec ces sandales, vous pouvez faire jusqu'à dix lieues de suite,
quelquefois beaucoup moins. Il faut donc à chaque moment
les renouveler; toutefois, on le peut sans beaucoup de frais,
car leur prix varie de trois à huit sapèques (deux sapëques et
demie valent un sou de France). D'autres sandales un peu plus
belles et plus chères, de même forme, sont confectionnées avec
du chanvre ou avec Técorce de Tarbrisseau morus papyrifera.
mais ces dernières se perdent au moindre contact de Teau. Il
y a aussi des souliers en cuir assez bizarres, vilains, et incom-
modes, mais, outre que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de
la population ne peuvent pas se permettre un pareil luxe, cette
chaussure est bonne tout au plus pour circuler dans la maison ;
nul n'oserait se mettre en route les pieds chargés de pareilles
entraves.
« Mais, au moins, vous aurez des bas, car tout Coréen, lors-
qu'il n*est pas occupé aux travaux des champs, peut se donner
cette satisfaction, à moins qu'il ne soit réduit à une extrême
misère. N'allez pas croire cependant qu'il s'agit de bas élastiques
de soie, de laine, de coton, ou de toute autre matière dont on se
sert en Europe pour cet usage ; deux simples morceaux de toile
grossière cousus de manière à se terminer en pointe et suivre
les contours du pied, vous gêneront, si vous voulez, bien souvent,
mais enfin ils vous couvriront les pieds, et ce seront vos bas
coréens. Une culotte aussi ample que celle des zouaves, mais à
formes bien moins gracieuses, remplace on ne peut plus modes-
tement le pantalon; des guêtres étroites et en toile viennent se
nouer sous le genou et retiennent les jambes de la culotte plis-
sées contre les mollets. Pour couvrir le haut du corps vous aurez
une veste qui, pour la forme et la longueur, correspond à la car-
magnole que portent les paysans français dans certaines provinces.
Les propriétaires à Taise et qui ne travaillent pas revêtent ordi-
nairement par-dessus un habit, pourvu de larges manches, fendu
sur les côtés, et qui retombe jusqu'aux genoux par devant et par
derrière, à peu près de la même manière que le grand scapulaire
des religieux carmes ; les paysans au contraire ne revêtent cet
habit que lorsqu'ils sont en voyage ou en visite. La mode s'est
introduite de le remplacer, en hiver, par une redingote qui, chez
les dignitaires, doit toujours être fendue par derrière comme nos
redingotes françaises, tandis que les personnes ordinaires ne
peuvent pas la porter fendue. Enfin, un surtout de cérémonie et
(|ui ne diffère de celui que nous venons de décrire que par ses
INTRODUCTION. CLXXUI
manches encore plus larges, couronne le tout et sert dans les
voyages ou dans les grandes circonstances.
« Ni le rasoir, ni les ciseaux ne passent jamais sur la tête ou
sur la barbe du Coréen. Dans ces derniers temps où tout dégé-
nère, en Corée comme ailleurs, les jeunes gens se permettent
quelquefois de raser une partie de la tète, afin que leurs che-
veux relevés ne forment pas un chignon disgracieux par trop
d'épaisseur, mais c'est une violation des règles. Ne croyez pas
cependant pour cela que les épaisses chevelures ou les fortes
barbes soient communes dans le pays. Les enfants des deux sexes
tressent leurs longs cheveux et les ramènent par derrière en
forme de queue. L'époux avant d'aller chercher sa fiancée, fait
disparaître sa queue, retrousse ses cheveux, et les noue sur le
sommet de la tête ; la fiancée de son côté achète, suivant ses
facultés, force faux cheveux, les ajoute à sa queue, et forme ainsi
une longue et grosse corde qui se roule sur la tête en plusieurs
tours. Cette masse de cheveux lourde et informe ne peut être
que très-disgracieuse aux yeux des étrangers ; pour le Coréen, au
contraire, c'est du plus haut ton et du meilleur goût. Les
femmes et les enfants vont toujours nu-léte ; Thomme marié
retient ses cheveux contournés en haut par le moyeu d'un serre-
léte en crin tressé en filet.
« Enfin un chapeau ridicule complète Thabillement. Imaginez
un tuyau fermé, rond comme dans les chapeaux européens, mais
beaucoup plus étroit et légèrement conique, qui s'ajuste sur le
sommet du crâne, et dans lequel le chignon de cheveux peut
seul pénétrer. Ce tuyau a des ailes comme les chapeaux d'Eu-
rope, mais des ailes si démesurées que souvent le tout forme un
cercle de plus de soixante centimètres de diamètre. La charpente
de ce chapeau est constituée de morceaux de bambou découpés
dans leur longueur en fils très déliés : sur cette charpente, on
tend une toile de crin tre^ssée à jour. Comme ce chapeau ne
pourrait seul rester fixé sur le chignon, des cordons que les fonc-
tionnaires publics ornent de globules d'ambre jaune ou d'autres
globules précieux, suivant leur fortune et leur dignité, viennent
le rattacher sous le menton. Ce chapeau ne préserve ni de la
pluie, ni du froid, ni même du soleil ; mais, en revanche, il est
très-incommode, surtout quand le vent le fait branler sur la tète.
« Tous les habits sont communément en toile grossière de
coton, et confectionnés Dieu sait comment. Il y a quatre ou
cinq cents ans, la Corée n'avait pas la culture du cotonnier
{gossypium herbaceum), dont on fait id maintenant un si
CLXXIV INTRODUCTION.
grand usage. Le gouvernement chinois, pour conserver le mono-
pole des toiles, défendait rigoureusement Texportation des
graines de cette plante; néanmoins un ambassadeur coréen,
nommé Moun-iouk-i, réussit, pendant son voyage de Péking,
à se procurer quelques-unes de ces graines, les cacha, dans le
tuyau de sa pipe disent les uns, dans une plume suivant d'au-
tres, échappa à la vigilance des gardes-frontières, et dota son
pays de cet arbuste précieux. Si la toile coréenne est si gros-
sière, cela vient de ce que par ici on compte peu d'artisans pro-
prement dits, ou plutôt de ce que tout le monde est artisan. Dans
chaque maison, les femmes filent, tissent la toile et confection-
nent les habits, d'où il résulte que, personne n'exerçant habi-
tuellement ce métier, personne n'y devient habile. Il en est de
même à peu près pour tous les arts, aussi les Coréens sont-ils
en tout très-arriérés; on n'est pas plus avancé aujourd'hui qu'on
ne Tétait autrefois, pas plus qu'on ne le fut au lendemain du
déluge, quand tous les arts et métiers recommencèrent.
« Le lin n'est pas employé. Je l'ai souvent aperçu parmi les
graminées des montagnes; mais le Coréen le confond avec les
plantes sans valeur, propres seulement à être jetées au feu. Avec
le chanvre, on ne fait qu'une toile à trame claire propre aux per-
sonnes en deuil, et qui d'ailleurs ne sert que pour les habits
d'été. L'espèce d'ortie appelée urtica nivea, est cultivée avec
succès dans les provinces méridionales ; mais, faute de savoir
filer et tisser, on n'en retire que des toiles à mailles inégales et
très-espacées qui, non plus, ne sont employées qu'en été.
« Sur toutes ses montagnes, la Corée pourrait élever des
troupeaux immenses de moutons, mais le gouvernement défend
aux particuliers d'en nourrir. Dans certaines préfectures, les
mandarins en conservent quelques-uns, uniquement pour offrir
leur chair dans les sacrifices à Confucius. Aussi les Coréens
n'ont-ils jamais essayé de tisser la laine; à peine si quelques
draps étrangers, la plupart de fabrique russe, parviennent à
grands frais jusqu'à Séoul. La soie indigène est très-grossière et
en petite quantité. Cependant, en voyant le mûrier croître
spontanément dans les montagnes, et les vers h soie réussir
malgré le peu de soin qu'on en prend, je suis convaincu que,
sous l'impulsion d'un gouvernement intelligent, cette branche
d'industrie pourrait acquérir de grandes proportions.
(( Les toiles européennes de coton, importées par les Chinois,
commencent à se vendre en Corée, mais leur prix très-élevé et
leur peu de solidité en restreignent forcément l'usage. )>
INTRODUCTION. CLXXV
De son côté, M. Féron écrivait en 1858 :
fit J'habite la plus belle maison du village : c'est celle du caté-
chiste, un richard ; on estime qu'elle vaut bien vingt francs. Ne
riez pas, il y en a de quinze sous. Ma chambre, de grandeur
suffisante, vu Tameublement, a pour porte une feuille de papier,
pour fenêtre une feuille de papier ; deux autres feuilles de
papier forment une grande porte à deux battants, qui commu-
nique avec la chambre voisine. Là demeure mon serviteur, et les
lieux chambres réunies forment Téglise de la paroisse ; plus tard,
peut-être y ajoutera-t-on un clocher. Pour le moment, il pleut
chez moi comme dehors, et deux grands chaudrons ne suffisent
pas à recevoir une eau rousse comme la saumure coréenne, qui
tiltre à travers le toit d'herbes de mon presbytère.
« Le prophète Elisée, chez la Sunamite, avait pour meubles
un lit, une table, une chaise et un chandelier, total : quatre. Ce
n'était pas du luxe. Pour moi, en cherchant bien, je pourrais
peut-être aussi trouver quatre meubles ; voyons : un chandelier
en bois, une malle, une pipe, une paire de souliers, total : quatre.
De lit, point ; de chaises, point ; « attendu, disent les Coréens,
que la terre n'est pas percée, et qu'il doit être très-fatigant
de s'asseoir sur un siège, puisque, évidemment, ce n'est pas
la position naturelle. » De table, point : je vous écris sur mes
genoux, dans la position susdite : excusez si ce n'est pas le
mieux du monde. Je ne suis pas encore devenu assez Coréen
pour trouver que ce soit plus commode qu'un bureau. Quand il
s'agit de manger, on apporte la table toute servie : c'est un petit
guéridon d'un pied de haut, sur lequel sont rangées, dans un
ordre aussi parfaitement réglé que celui de vos plus fins desserts,
deux écuelles, avec trois ou cinq soucoupes. N'allez pas croire
qu'on mettra jamais à gauche Técuelle ou la soucoupe qui doit
être à droite. Celui qui agirait de la sorte serait, par cela même,
convaincu de n'être qu'un grossier personnage, et jamais Coréen
ne se permettra pareille inconvenance.
a Mon ameublement étant tel, suis-je plus riche ou plus
pauvre que le prophète? C'est une question. Sa chambre était
plus confortable que la mienne, mais il faut dire aussi que rien
de tout cela ne lui appartenait ; au lieu que pour moi, s'il est
vrai que le chandelier soit celui de la chapelle, et la malle celle
que Mgr Berneux m'a prêtée, je ne puis nier que la pipe et les
souliers ne soient miens : ces derniers ne me servent que pour
la messe. J'en possédais, il est vrai, une autre paire ; mais ayant
eu le malheur de les mettre pour sortir, ils ne peuvent plus
CLXXVI INTRODUCTION.
paraître dans ma chambre : ainsi le veulent Tétiquette et la pro-
preté de la natte qui me sert de siège, de lit et de plancher.
Donc, je suis chaussé simplement avec des bas de coton. Quant
à la pipe, elle sert de contenance en voyage, dans un pays où
tout le monde fume ; cependant je n'ai pu encore arriver à en
comprendre les charmes, bien que j*aie essayé, et même que je
me sois rendu malade deux fois, ce qui m*a ôté toute envie de
recommencer. Aussi mes gens s'étonnent-ils devoir que le père
fume beaucoup moins que la bonne femme qui fait cuire son riz.»
Complétons ces détails à l'aide de renseignements puisés dans
diverses lettres des autres missionnaires. Les maisons coréennes
sont en général très-petites et peu commodes. Elles sont un peu
élevées au-dessus du niveau du terrain pour donner passage par
dessous aux tuyaux qui conduisent la fumée de la cuisine. A la
capitale cependant, cet usage n'est pas toujours suivi. C'est
assez commode en hiver, mais en été la chaleur devient un
supplice insupportable, et la plupart des habitants couchent
dehors. Les riches ont le plus souvent des chambres d'été, sous
lesquelles ne sont point pratiqués de conduits de ce genre. Dans
les maisons ordinaires il y a deux chambres contiguës, rarement
trois, sans compter la cuisine située de côté, et qui est ouverte à
tous les vents. Tout autour de la maison, la toiture en paille de
riz dépasse le mur de trois ou quatre pieds, de façon à former
de petites galeries couvertes. Les murailles des maisons riches
sont recouvertes de papier blanc à l'intérieur, quelquefois aussi
à l'extérieur. Du reste, ces maisons ont presque toujours un
aspect sale, délabré, misérable, même à la capitale, et partout
et toujours sont remplies de vermine de toute espèce.
Les auberges le long des routes sont des taudis dégoûtants
où l'on ne trouve à peu près rien ; le plus grand nombre des
voyageurs portent avec eux leurs provisions, quand ils ont le
moyen d'en avoir. Les granges et écuries sont inconnues; de
grands hangars, ouverts des quatre côtés, les remplacent, et en
hiver , quand le froid est trop violent , on habille de paille
les bœufs ou les chevaux qui y sont réunis.
Les tables à manger sont hautes de trente à cinquante centi-
mètres, et larges d'autant, de forme à peu près ronde. Quel que
soit le nombre des convives, chacun doit avoir la sienne. La
vaisselle de porcelaine grossière ou de cuivre, ne consiste qu'en
écuelles de différentes grandeurs, une paire de bâtonnets à la
chinoise, et une cuiller en cuivre. Les mets ordinaires SODI dn
riz, du piment, quelques légumes ; les gens à l'aise y qofMft
INTRODUCnON. CUXVlt
un peu de viande ou de poisson salé. Ces aliments sont apprêtés
à rhuiie de sésame, de ricin ou de menthe, avec force saumure ;
car le lait et le beurre sont inconnus, et Ton ne sait pas faire
usage de la graisse des animaux. On ne trouve que difficilement
de la viande de bœuf, si ce n'est à la capitale. Il n'y a pas de
viande de mouton, c'est le chien qui la remplace, et les mission-
naires s'accordent à dire que le goût n'en est nullement désa-
gréable. En fait de légumes, il n'y a guère que le navet, le
chou chinois, et les feuilles de plantain et de fougère dont on
fait grande consommation. Pour boisson ordinaire on a l'eau
dans laquelle a été cuii le riz. Le vin se fait avec du blé ou du
riz fermenté. En été les nobles boivent beaucoup d'eau-de-vie de
riz, et d eau de miel. Le thé n'est pas inconnu dans les maisons
des riches, mais l'usage en est très-restreint.
Le repas à peine terminé, on enlève les tables et chacun
allume sa pipe, car les Coréens sont grands fumeurs. 11 est rare
en ce pays qu^un homme sorte sans sa pi|»e. La forme est la
même que celle de la pipe chinoise : un long tuyau de bambou
avec un foyer en cuivre, et une embouchure de même métal.
Chaque Coréen porte toujours avec lui un briquet dont il se sert
exclusivement pour allumer sa pipe. A la maison, quand il a
besoin de lumière, il em|)loie des allumettes soufrées. En route,
une torche composée de trois ou quatre biions entrelacés, rem-
place nos lanternes. Quelquefois, en été, au lieu d'une lampe
dans l'intérieur de la maison, on allume du feu sur une pien'e au
milieu de la cour, et tous les membres de la famille travaillent à
la lueur de ce feu, pendant qu'un amas d'herbes sèches, brûlant
à quelque distance, les enveloppe d'une fumée épaisse destinée à
chasser les moustiques et autres insectes.
Les habits coréens sont toujours d'une ampleur exagérée. Le
corps passerait facilement dans chaque jambe du pantalon on
dans chaque manche de la veste. Pour sortir, le bon ton exige
que l'on porte le plus d'habits possible, deux ou trois pantalons,
deux ou trois chemises, quatre ou cinq redingotes en toile, sui-
vant la solennité et aussi suivant les ressources de chacun. La
redingote se fixe sous les bras par deux bandelettes, lesquelles
remplacent les boulons inconnus dans le pays. Les habits sont
supposés être blancs, mais il en coûie trop de les entretenir
sulfisamment propres, et le plus souvent la couleur primitive a
disparu sous une épaisse couche de crasse, car la malpropreté est
no grand dé&ut des Coréens. 11 n'est pas rare de voir lesjrieiies
eax«in6oies.po|tar .daa v«ten|eBU dé$Utte M raa|l»j|l|4MHtaii
CLXXYIII IllTB0DUCT10!f«
Pour laver le liage, on le trempe dans Teau de lessive préparée
avec des cendres, puis on le frappe avec des planchettes plus
étroites que les baltoirs des laveuses en Europe. Ensuite on Fen-
duit d'une couche de colle destinée à empêcher les taches. La
plupart des habits étant fabriqués de morceaux faufilés ensemble
ou simplement collés, on sépare les morceaux, et on les blanchit
à part. Les nobles seuls portent des habits cousus.
Le chapeau ordinaire est de dimensions très-respectables ; mais,
en temps de pluie, les Coréens se mettent sur la tête un autre
chapeau, véritable parapluie de trois pieds de large, en paille,
fort l(^ger, et qui les abrite assez bien. S'ils doivent travailler par
de fortes averses, ils revêtent de plus un manteau de paille, et
ainsi accoutrés, ils peuvent affronter une pluie diluvienne.
Outre les diiïérenles espèces de chans«ures dont il a été ques-
tion, il faut mentionner les sabots en bois dont se servent les
paysans; ces sabots ont la semelle et le talon excessivement
épais, ce qui les fait ressembler à des patins. Le Coréen ne porte
jamais ses souliers ou sandales d.ins les appartements ; il les
dépose h la porte. De là dans les chrétientés, lors de la visite du
missionnaire, des scènes assez curieuses. Le soir, les néophytes se
pressent dans la maison pour la prière commune, et aussi, comme
ils disent, pour voir le Img nez du Père. La visite terminée, il
faut, à la lueur des torches, que chacun retrouve sa chaussure,
et en attendant on piétine avec ses bas dans la boue ou la
poussière, avec force cris et discussions, sans batailles toutefois.
L'usag<* des lunettes, quoiqu'il ne date guère que de 4835
ou 1840, est très-répandu parmi les hautes classes. Vers 1848,
c'était une véritable manie; aujourd'hui on y met un peu plus
de modération. Les gens de l'ancien régime, avant de prendre
leurs lunettes, demandent encore la permission à îa compagnie,
mais la jeunesse se dispense de cette formalité.
Outre le pantalon, plus étroit que celui des hommes, les fem-
mes portent une camisole de toile ou de soie, dont la couleur
varie selon l'âge : elle est rose ou jaune pour les jeunes filles ou
les nouvelles mariées, violette pour les femmes au-dessous de
trente ans, et blanche pour celles d'un âge plus avancé. En
guise de robe, elles s'entoureut d'une large toile bleue, qu'elles
attachent sous les bras au moyen d'une ceinture. Pour les
femmes du peuple, qui soiuent à volonté, cette jupe s'arrête
au-i!essus du pied ; pour les femmes nobles, à qui l'étiquette ne
permet pas de sortir de leurs appartements, elle est ample et
traîne à terre. Les veuves^ si jeunes qu'elles soient, doivent uw*
INTRODUCTION. CLXXIX
jours être revêtues de toile blanche ou grise. Les Corc^ennes ne
donnent pas dnns la folie stupide des Chinoises, et ne s'estro-
pient point pour avoir de petits pieds; elles laissent agir la
nature. Les femmes du peuple voyagent presque toujours nu-
pieds. Leurs cheveux, roulés en tresse autour du crâne, ser\ent
de coussinet pour les vases d*eau et autres objets pesants qu'elles
portent habituellement sur la tête.
Ajoutons, pour terminer cette esquisse, que les hommes en
deuil doivent contenir leurs cheveux dans un filet, non de crin,
mais de toile grise, surmonté d'un bonnet de même étoffe, de la
forme d'un sac grossier. En chemin, ils portent au lieu de
chapeau une immense toiture de paille, en cône tronqué, qui
descend jusqu'aux épaules. Les couleurs éclatantes sont tellement
interdites à Thomme en deuil, que sa canne même et le tuyau
de sa pipe doivent être blancs. S il ne veut en acheter d'autres,
il couvre de papier sa canne et sa pipe habituelles, ce qui est
aussi facile que peu dispendieux. La forme des vêtements ne
change point pour la femme en deuil, mais la couleur rigoureu-
sement prescrite est le blanc ou le gris : toutes les autres sont
prohibées. Aux yeux des Coréens, un homme en deuil est un
homme mort. 11 doit être tout absorbé dans sa douleur, ne rien
voir, ne rien entendre qui puisse l'en distraire. Il a toujours,
quand il sort, un éventail ou petit voile en toile grise fixé sur
deux bâtonnets, avec lequel il se couvre le visage. Il ne fréquente
plus la société ; à peine se permet-il de regarder le ciel. Si on
Tinterroge, il peut se dispenser de répondre. Il ne peut pas tuer
un animal, même un serpent venimeux ; ce serait un crime irré-
missible. En route et dans les auberges, il se retire dans une
chambre ou dans un coin isolé, et refuse de communiquer avec
qui que ce soit. Tous ces usages ne sont strictement observés que
dans les hautes classes de la société.
Les missionnaires ont souvent répété que ce costume et ces
manières d'un noble en deuil semblent avoir été inventés par
la Providence, pour leur procurer un déguisement facile et com-
plet, sans lequel leur séjour en Corée, et surtout leurs voyages
parmi les chrétiens, auraient été à peu près impossibles. Mal-
heureusement, depuis la dernière persécution, on sait qu'ils
usaient habituellement de ce moyen, et l'on a parlé de réformer
le costume et les lois du deuil. Dieu y pourvoira.
XV
Sciences. — Industrie. — Commerce. — Relations interaationales.
Malgré la protectioD olllieielle dont jouissent, en Corée, certai-
nes études scientiGques, malgré les écoles spéciales entretenues
par le gouvernement pour en favoriser les progr^^, ces études
sont à peu près nulles. Les astronomes en titre ont à peine les
notions suffisantes pour faire usage du calendrier chinois qui
chaque année leur est apporté de Péking; en dehors de cela, ils
ne connaissent que des formules astrologiques ridicules. La
science des principaux calculateurs du ministère des finances, ne
dépasse pas les opérations ordinaires d'arithmétique nécessaires
pour la tenue des livres. Celle des élèves du Nioul-hak ou école
de droit se borne à une connaissance, à peu près machinale, des
textes officiels de la loi et des décrets royaux. La médecine seule
semble faire exception. Tout en adoptant la médecine chinoi.se,
les Coi*éens y ont introduit, semble-t-il, des améliorations
sérieuses, à ce point qu'on n'a pas dédaigné de composer à
Péking même les planches pour l'impression du plus célèbre
livre coréen de médecine, le Tieng-oi-po-kan. Nul autre livre
coréen n'a jamais eu cet honneur.
Les médecins réellement instruits ne se trouvent guère qu'à
la capitale. Ce sont quelques nobles qui ont étudié par curiosité,
ou des individus de la classe moyenne qui ont travaillé à se
faire une position conome médecins de la cour. Ailleurs, on peut
rencontrer de loin eu loin quelques praticiens capables, h qui
une longue expérience a enseigné le véritable usage des remèdes
locaux ; mais ces hommes sont de rares exceptions, et l'immense
majorité des médecins de province ne sont que des charlatans
sans études et sans conscience, qui pour toutes les maladies
possibles emploient chacun une drogue spéciale et toujours la
même, et ne prennent jamais la peine de voir les malades qu'ils
traitent.
On prétend que Ton a en Corée, comme en Chine, certains
remèdes très-cflicaces contre diverses maladies, entre autres une
potion qui dissout les pierres et calculs de la vessie, et guérit
celte terrible maladie sans aucune opération chirurgicale.
't:.^
ItfTRODCCTIO!!. CLXXXI
Mrt Fcrpéol, troisième vicaipc apostolique de Corée, après de
longues soufrranccs qui Favaicnt réduit à Textréroité, fut guéri
delà pierre, en quelques heures, par un médecin chinois. Mais
la formule de ce remède est un secret soigneusement gardé par
ceux qui le possèdent. La règle générale est de donner les
remèdes en potion; les exceptions sont rares. On fait bouillir
ensemble jusqu'à vingt ou trente espèces de plantes, et on mêle
à la décoction diverses matières plus ou moins sales et rebutantes,
dont on ne cherche d'ailleurs aucunement à déguiser le nom sous
un travestissement plus ou moins scientifique. Les confortants
sont d'un usage continuel. Le plus ordinaire est le consommé de
viande, que les Coréens excellent à préparer. Il y en a deux
autres qui méritent une mention particulière : le gen-seng dont
nous avons parlé plus haut, et la corne de cerf.
La corne de cerf a, dit-on, des effets restauratifs plus durables
que le gen-seng; sa force varie selon la région où vit Tanimal.
Les Coréens estiment peu celle qui vient de Chine ou des pro-
vinces septentrionales (Ham-kieng et Pieng-an). La meilleure
est, disent-ils, celle qui provient du Kang-ouen; encore fait-on
une distinction entre les différents districts de cette province. Le
cerf doit être abattu au moment où les bois croissent, et avant
qu'ils soient durcis, autrement les effets du remède seraient
nuls. On coupe la tête de l'animal, et on la maintient renversée
pendant dix ou douze heures, afin que toute la vertu du sang
passe dans les cornes, puis on les fait sécher sur un feu doux
avec toutes les précautions possibles. Pour s'en servir, on racle
un peu cette corne, on la mélange avec le jus de quelques plantes,
et on l'administre au malade. Mgr Daveluy atteste qu'il a usé
fréquemment de ce remède pendant de longues années d'épui-
sement, et qu'il en a ressenti d'excellents effets. Le sang de cerf,
pris chaud, passe aussi pour donner h tous les membres une vie
et une force extraordinaires. « Quand on en a bu, disaient des
chasseurs chrétiens à un missionnaire, les montagnes les plus
escarpées semblent une plaine, et l'on ferait le tour du royaume
sans aucune fatigue. »
Un autre moyen curatif dont il convient de dire un mot, c'est
l'acupuncture. Elle consiste, pour les médecins coréens, à percer
d'un coup de lancette divers points du corps, afin de rétablir la
machine dans son équilibre naturel. Il existe des traités spéciaux
sur cette pariie de l'art chirurgical, la seule connue des Coréens;
ils savent même fabriquer avec du fil de fer des modèles du corps
humain, afin d-'iodlquer exaeiémeot a» étudiii1t4if#Bdfoits où
CLXXXTI IHTIiODUCTIOIf .
la lancette doit être enfoncée. Sous la main d*un opérateur habile,
rinstriiment, excessivenoent mince, pénètre jusqu'à quatre ou
cinq centimètres de profondeur, et c^est h peine s'il sort quelques
gouttes de sang. Les missionnaires assurent qu'ils ont souvent vu
des effets remarquables et toujours très-prompts de ce genre de
traitement.
Les Coréens, peu avancés dans les études scientifiques, ne le
sont guère plus en connaissances industrielles. Chez euxjes arts
utiles n*ont fait, depuis des siècles, absolument aucun progrès.
Une des principales causes de cet état dinfériorité, c'est que,
dans chaque maison, on doit faire à peu près tous les métiers, et
fabriquer soi-même les objets de première nécessité. La récolte
donne au laboureur tout ce qu'il lui faut, et pendant Thiver il
devient tour à tour : tisserand, teinturier, charpentier, tailleur,
maçon, etc.. Il fait chez lui le vin de riz, Tbuile, Teau-de-vie.
Sa femme et ses filles filent le chanvre, le coton, la soie même,
quand il a pu élever quelques vers; elles en tissent des étoffes
grossières, mais solides, qui suffisent aux besoins habituels.
Chaque paysan connaît et recueille les graines requises pour la
teinture, et celles qui servent de remèdes dans les maladies les
plus ordinaires. Il confectionne lui-même ses habits, ses souliers
de paille, ses sabots, les corbeilles, paniers, balais, cordes,
ficelles, nattes, instruments de labour, dont il a besoin. Le cas
échéant, il répare le mur, le toit, la charpente de sa maison. En
un mot, il se suffit, mais comme il est facile de le comprendre, il
ne travaille à chaque chose que dans la mesure de la nécessité
présente, se contente des procédés les plus simples et les plus
primitifs, et ne peut jamais arriver à une habileté remarquable.
11 n'y a d'ouvriers spéciaux que pour les métiers qui exigent
des outils particuliers, et un apprentissage de la manière de
s'en servir. Mais, dans ce cas même, les ouvriers établis d'une
manière fixe, et travaillant dans leur boutique, sont excessive-
ment rares. D'habitude, chacun d'eux va où on l'emploie, portant
ses outils sur le dos, et quand il a fini quelque part, cherche de
l'ouvrage ailleurs. Ceux mêmes qui ont besoin d'une certaine ins-
tallation, ne se fixent définitivement nulle part. Les potiers, par
exemple, s'établissent aujourd'hui dans un lieu où le bois et
l'argile .sont à leur convenance; ils y bâtissent leur cabane et
leur four, fabriquent pour les gens du voisinage quelques porce-
laines grossières, des vases de teiTe assez solides et d'une capa-
cité quelquefois monstrueuse ; puis, quand le bois est épuisé, ils
vont chercher fortune ailleurs. Les forgerons agissent de oéiMi
llfTRODVCnOtl. CLXXXIII
et 8*éloignent quand Textraction du minerai devient trop difficile.
Aussi jamais de grandes fabriques, jamais d'exploitation sérieuse,
jamais d'ateliers qui en méritent le nom. Des baraques de plan-
ches mal jointes, facilement emportées par le vent ou effondrées
par la pluie, des fours ou fourneaux sans solidité qui se fendent
à chaque instant, voilà tout. Par suite, le profit est presque nul.
Les individus qui ont de l'argent ne songent guère à le mettre
dans de pareilles entreprises, et parmi ceux qui avec quelques
centaines de francs veulent tenter la fortune, la moitié se ruinent
en quelques moi^.
Les Coréens prétendent qu'ils fabriquent et exportent en Chine
de grands couteaux, des sabres et des poignards de première
qualité; mais les missionnaires n'ont pas eu loccasion de vérifier
suffisamment l'exactitude de cette assertion. Us font aussi des
fusils à mèche qui paraissent assez solides. Bien qu'il y ait de
très-beau cuivre dans leur pays, ils tirent du Japon tout celui
qu'ils emploient. Ils le mélangent avec le zinc pour en confec-
tionner des vases et des marmites. Ainsi combiné, il s'oxyde très-
difficilement, et malgré l'usage continuel qui se fait de ces vases
dans les maisons un peu aisées, on ne connaît aucun exemple
d'empoisonnement par le vert-de-gris. Tous les bijoux, tous les
articles de parure, tous les objets de luxe viennent de Chine; en
Corée, on ne sait point les travailler.
Il est néanmoins une industr e dans laquelle les Coréens l'em-
portent sur les Chinois, c'est la fabrication du papier. Avec de
i'écorce de mûrier, ils font du papier bien plus épais et plus solide
que celui de la Chine; il est comme de la toile et on a peine à le
déchirer. Son emploi se diversifie à 1 infini. On en tait des
chapeaux, des sacs, des mèches de chandelle, des cordons de
souliers, etc.. Lorsqu'il est préparé avec de Thuile, il remplace
avantageusement, vu son bas prix, nos toiles cirées, et sert à
confectionner des parapluies et des manteaux imperméables. Les
portes et les ienéires n'ont pas d'autres vitres que ce papier
huilé collé sur le châssis. Il y a une exception cependant. «Quand
un Coréen, dit Mgr Daveluy, a trouvé un petit morceau de verre
d'un demi-pouce carré, c'est une bonne fortune. Aussitôt il l'in-
sère dans une fente de sa porte ; dès lors il peut, d'un tout petit
coin de l'œiK regarder ce qui se passe au dehors, et il est plus
fier qu'un empereur se mirant devant les glaces de son palais.
A défaut de ce morceau de verre, il fait avec le doigt un trou
dans le papier, et se met ainsi en communication avec le monde
nténoat. >
OXXXIT IimiODUCTIOll.
On peut aisément conclure de tout ce qui précède que Te com-
merce intérieur esl, en Corée, peu développé. Il y a lr^s-pcu de
marchands qui tiennenl magasin ouvert dans I. urs maisons, et
presque toutes les transactions se font dans les foires ou marchés.
Ces foires se tiennent dans différentes villes ou bourgades dési-
gnées par le gouvernement , au nombre de cinq par district.
Dans chacune de ces localités, la foire a lieu tous les cinq jours,
aujourd'hui dans Tune, demain dans une autre, et ainsi de suite,
toujours dans le même ordre, de manière que chaque jour il y
ait une foire sur un point quelconque du district. Des tentes sont
préparées pour les marchandises.
Les mesures dont se servent les marchands sont : pour les
grains, la poignée. Cent poignées font un boisseau, vingt
boisseaux font un sac (en coréen ; som). Pour les liquides, on
compte par tasses. La mesure de poids est la livre chinoise, et
Ton ne se sert que des balances de Chine. La mesure de longueur
est le pied, qui varie suivant les provinces, on pourrait dire
suivant les marchands. Le pied se subdivise en dix pouces; le
pouce en dix lignes.
Un des grands obstacles au développement du commerce est
rimperfection du système monétaire. Les monnaies dor ou
d'argent n'existent pas. La vente de ces métaux, en lingots, est
entravée par une foule de règlements minutieux; et l'on se com-
promettrait gravement si, par exemple, on vendait de l'argent
de Chine, même fondu en barres de forme coréenne. Cet argent
serait reconnu infaillibloment, et le marchand, outre la confis-
cation de ses barres, risquerait une forte amende, et peut-être la
bastonnade. La seule monnaie qui ait cours légal est la sapèque.
C'est une petite pièce de cuivre, avec alliage de zinc ou de plomb,
d'une valeur d'environ deux centimes ou deux centimes et demi.
Elle est percée, au milieu, d'un trou destiné à laisser passer une
ficelle avec laquelle on en lie ensemble un certain nombre, d'où
l'expression ligature ou demi-ligature, si fréquemment employée
dans les relations de l'extrême Orient, pour désigner la monnaie
courante. Pour effectuer un payement considérable, il faut une
troupe de portefaix, car cent nhiangs ou ligatures (environ deux
cents francs), forment la charge d'un homme. Dans les provinces
du Nord, cette monnaie même n'a pas cours; tout s'y fait par
échanges, d'après certaines bases de convention. Il paraît qu'au-
trefois les céréales servaient de monnaie, car, encore dans la lan-
gue actuelle, celui qui porte son blé au marché pour levendr8«dH
qu'il va acheter; et celui qui va en acheter dit qu'il va:.ieilÂHk
i:«TnoDncTioi«. ctxxxr
Le taux de Targent est énorme en Corée. Gelai qui le prôte
à trente pour cent est censé le donner pour rien. Le plus liabi-
tucllcment on réclame cinquante, soixante, quelquefois même
cent pour cent. Il est juste de dire que la rente de la terre, qui
doit servir de point de départ pour apprécier le taux de Targent,
est en ce pays relativement considérable. Dans les bonnes années,
le cultivateur tire de ses champs environ trente pour cent de la
valeur du fonds.
D'après les anciennes traditions du pays, il parait que les rois
des dynasties précédentes avaient une monnaie de papier, de
la Terme d'un fer de fibche, d'une valeur d'environ trois feuilles
de papier. Après la soumission de la Corée par la dynastie
mandchoue de Péking, le droit de battre monnaie fut retiré aux
rois coréens. Le premier qui osa en frapper, malgré le texte des
traités, parait avoir été Souk-tsong qui mourut en 1720, après
un règne de quarante-deux ans. Aujourd'hui, le droit est acquis
par une longue prescription, et le gouvernem^int en use et abuse.
Dans ces d<?rnières années on en frappe continuellement, mais
elle est de plus en plus altérée. Tandis que les anciennes sapèques
étaient de cuivre, avec un alliage minime, les nouvelles ne sont
presque que du plomb, et se détériorent rapidement. Ce n'est pas
le gouvernement qui y gagne, car il fournit aux fondeurs la quan-
tité de cuivre voulue; mais ceux-ci remplacent le cuivre par du
plomb et partagent le bénéfice, soit avec le ministre des finances,
soit avec le fonctionnaire spécialement chargé de la vérification.
Une autre entrave aux transactions commerciales, c'est le triste
état des voies de communication. Les rivières navigables sont
très* rares en Corée; quelques unes seulement portent bateau,
et cela dans une partie fort restreinte de leur cours. D'un autre
cAté, l'art de faire des routes, dans ce pays de montagnes et
de vallées, est à peu près inconnu. Aussi presque tous les trans-
ports se font, soit à dos de bœufs ou de chevaux, soit à dos
d'hommes.
a Les routes, écrit Mgr Daveluy,se divisent, théoriquement du
moins, en trois classes. Celles de première classe que je traduis
par routes royales, ont généralement une largeur suffisante pour
quatre hommes de front. Comme il n'y a pas de voitures en pro-
vince, c'est tout ce qu'il faut pour les piétons et cavaliers. Elles
sont bonnes ou mauvaises suivant la saison. Mais il arrive fré-
quemment qu'elles sont diminuées des trois quartSipar quelque
grosse . pierre, ou. fragment dfi ronber^ioa patceifiieJa piqie.a em-
poctjljiiie'parlîe da.cbeaUiu.P£rauùie«^É||l||^^
cîXKvn iffTBODvcnoir.
à remédier à ces petits inconvénicots, et souvent il faut grimper
sur ces rochers avec sa monture, au risque de se casser le cou ou
de rouler dans le fossé. Toutefois, aux environs de la capitale,
ces routes sont un peu mieux entretenues. La principale est celle
qui va de Séoul à la frontière de Chine. Il y en a une autre, assez
belle dit-on, longue de huit lieues seulement, qui conduit du
palais à un tombeau royal.
a Quant à celles de deuxième classe, leur beauté, largeur et
commodité varient tous les quarts d'heure. Lorsque je ne vois
plus qu'un mauvais sentier, je demande si c'est encore la grande
route; on répond affirmativement; le tout est de s'entendre.
Pierres, rochers, bouc, ruisseaux, rien n'y manque, excepté le
chemin. Mais que dire des routes de troisième classe, larges d'un
pied plus ou moins, visibles ou non, selon la sagacité du guide,
souvent couvertes d'eau quand elles traversent les rizières, et
dans les montagnes, efQeurant les précipices !
a Pour les ponts, deux espèces sont à ma connaissance. Les
uns consistent en quelques grosses pierres jetées de distance en
distance, en travers des ruisseaux ; ce sont les plus communs. Les
autres, composés de pieux fichés dans le fleuve et supportant une
espèce de plancher recouvert de terre, forment un viaduc passable,
quoique trop souvent à jour. Quand Teau est abondante, ce qui
est fréquent en été, tous les ponts sont emportés ou submergés
par la crue, et laissent au voyageur le plaisir de prendre un bain
au passage Les grands seigneurs peuvent s'y soustraire en
grimpant sur le dos de leur guide. Enfin, il y a à la capitale un
pont en pierre, magnifique sans doute, et Tune des merveilles
du pays. Les rivières un peu considérables se traversent en
bateau. »
Les relations commerciales de la Corée avec les nations voi-
sines sont presque nulles. Pour mieux conserver son indépen-
dance coutreses deux puissants voisins, la Chine et le Japon, ce
pays s'est enfermé dans un isolement complet. Toute communi-
cation avec les étrangers, sauf les cas prévus par la loi, est un
crime digne de mort. D'après les conventions internationales,
aucun Chinois ou Japonais ne peut s'établir en Corée, et récipro-
quement. Les ambassadeurs chinois qui viennent à Séoul laissent
leur suite à la frontière, sauf un ou deux domestiques attachés à
leur personne, et pendant qu'ils sont à la capitale, ne sortent pas
du palais qui leur est assigné pour résidence. Les ambassadeurs
coréens peuv^^nt, au contraire, entrer en Chine avec tous les geai
de leur suite, et circuler librement dans les rues de PéUif
IimiODUCTTÔIV. CLXXXfll
pendant lear séjour. Lors da passage de Tambassadear h Pien-
men (1), à Falleret au retour, il y a une foire qui dure plusieurs
jours. Le mandarin de Ei-tsiou, dernière ville coréenne sur la
frontière chinoise, a seul le droit d'avoir des rapports par lettres
avrc les autorités de Pien-men, h toutes les époques de Tannée.
Tous les deux ans, une autre foire se tient h Textrémiié nord de
la province de llam-kieng. entre Houng-tchoung, village tartare
de cette partie de la Mandchonrie qui a été dernièrement cédée
aux Russes, et Kieng-oucn, ville coréenne la plus voisine. Cette
foire est considérable, mais elle ne dure que deux ou trois jours,
et quelques heures seulement chaque jour, depuis midi jusqu'au
coucher du soleil. Au signal donné, chacun se hâte de repasser la
frontière, et les soldats poussent les traînards avec leurs lances.
Nous avons mentionné plus haut les marchés mensuels, entre les
Coréens et les quelques soldats japonais établis à Fusan-kaL Là
se bornent les rapports que la Corée a, par terre, avec les autres
nations.
Par mer, elle en a moins encore. On permet aux navires
chinois ou japonais de venir pécher le haî-san {holothuria) sur le
rivage du Pieng-an, et le hareng sur les côtes du Hoang-haï,
mais à deux conditions : ne jamais mettre pied à terre, et ne
jamais s'aboucher, en pleine mer, avec les gens du pays, sous
peine de confiscation du navire et d'emprisonnement de Téqui-
page. La première condition est généralement observée, mais il
se fait, entre les barques coréennes et les jonques chinoises, k
Tabri des innombrables rochers ou Ilots de Tarchipel coréen, un
commerce de contrebande assez considérable. Les mandarins,
moyennant quelques profits secrets, ferment les yeux. Si la tem-
pête jette un navire chinois sur la côte coréenne ou un navire
coréen sur la côte chinoise, les naufragés sont recueillis, entre-
tenus par le gouvernement, gardés avec soin pour empêcher
aucun rapport entre eux et les habitants, et reconduits par terre
jusqu'à la première ville de leur pays. Le retour par mer leur est
interdit. Entre le Japon et la Corée, le rapatriement se fait par
mer, mais avec des précautions analogues.
Donnons ici quelques détails sur les difficultés que les mission*
naires ont eu à surmonter pour pénétrer en Corée ; on aura,
par là môme, une idée de la sévérité minutieuse avec laquelle le
(i) Pien-mên, dont il est très-sooirfiit question dans celle histoire, est la
deroidro ville cbinoisc du eàià de la Goréo» nrâ» de la mor Jauae. Sk)o nom
rignllle: porto de Uftwilèiré. ■■-^^^'^
cunxnit mmoDucnoii.
gouvernement coréen maintient son isolement absoln. Les fron-
tières de terre et de mer sont gardées par un cordon de postes
militaires, uni(|iiemcnt chargés d*empëclicr l'entrée des étrangers
et la sortie des indigènes. Dans les plus importants de ces postes
résident, comme inspecteurs et employés des douanes, des agents
de police choisis parmi les plus fins et les plus expérimentés, et
ils se font aider dans leur surveillance de jour et de nuit par
des chiens dressés exprès, de sorte qu'il est à peu près impos*
sible de passer la frontière inaperçu.
Par terre, il n'y a que deux chemins : celui de Tartarie par
Houng-tchoung etKieng-ouen, et celui de Chine par Pien-men et
Ei-tsiou. Ailleurs, la frontière qui sépare la presqu'île coréeoDe
du con!inent, est formée de déserts montagneux et de forêts im-
praticables. Or on ne peut tenter le passage sur un de ces deux
points qu'aux jours de foire légalement reconnus; à toute autre
époque, ce serait folie même pour les indigènes, à plus forte
raison pour des étrangers. U faut donc ou suivre les caravanes
qui se rendent à la foire de Houng-tchoung, ou se joindre à l'am-
bassade coréenne qui revient de Chine. La grande difficulté, dans
les deux cas, est la manière d'arranger les cheveux. Les Chinois
se rasent la tète, ne gardant, au sommet, qu'une touffe de che-
veux qui se tresse et s'allonge en queue sur le dos; les Coréens
conservent tous leurs cheveux. Si l'on se rase à la chinoise, on
sera reconnu et arrêté en entrant en Corée ; si Ton suit la mode
coréenne, on sera reconnu en Chine même, avant d'arriver sur
la frontière. Pendant la foire de Kieng-ouen, il est défendu aux
Chinois d'entrer dans les maisons coréennes, et de nombreux
satellites sont distribués à la porte de la ville et dans les rues
pour faire observer cette consigne. Le missionnaire qui prendrait
cette voie, même en supposant qu'il n'ait pas été découvert par
ses compagnons de route, soit en chemin, soit pendant les quel-
ques jours d'attente qui précèdent la foire, devrait s'aboucher avec
les courriers coréens et changer d'accoutrement en plein air, au
milieu de milliers de personnes, sans être aperçu d'aucune, ce qui
est manifestement impossible. D'ailleurs, une fois entré, il lui
faudrait, avant derencontrer des villages chrétiens, faire une route
d'un mois, dans un pays peu fréquenté, et où, par conséquent,
les voyageurs sont rares et facilement reconnus. Les courriers qui
lui serviraient de guides auraient a repasser, dans les quelques
auberges de la roule, avec une personne de plus qu'en allant ; cela
seul éveillerait immédiatement d.'s soupçons, que la différence
de visage et de prononciation changerait bientôt en certitodé^
INTRODUCTION, CUXXIX.
P<nr Pien-men les dimcultés ne sont guère moindres. Chacun
des Coréens qui suit Pambassade, à quelque titre que ce soit, est
visité à la porte, lors du départ pour la Chine, et fouillé de haut
en bas. Si sa personne et ses bagages n^oiïrent rien de suspect,
il reçoit un passeport où tout est minutieusement déiaillé. Sup-
posons que les courriers ont obtenu leurs passeports. Ils ramènent
avec eux un missionnaire, et ont réussi à passer la douane chi-
noise; mais de là à la douane coréenne, il y a quinze lieues de
désert. Â droite et à gauche de Tunique roule, s*étendent des
forêts impénétrables. Si pendant le trajet on s'avise de faire du
feu pour préparer quelque nourriture, les autres voyageurs
accourent afin de faire eux-mêmes cuire leur riz, cequ*on ne peut
leur refuser, et le danger pour le missionnaire est grand, vu
la curiosité insolente des Coréens. On arrive sur les bords du
fleuve où stationnent des gardiens, et Ton descend dans une
barque coréenne qui conduit les voyageurs n la douane située sur
Tautre rive. Là, chacun doit présenter son passeport, se laisser
fouiller et examiner minutieusement. Le missionnaire évidem-
ment ne peut affronter cette douane, aussi a-t-il pris soin de
demeurer caché sur Tautre rive. Il doit attendre la nuit pour
tenter le passage sur la glace, car c'est toujours en hiver que
l'ambassade revient de Péking. Mais sur la rive coréenne sont
échelonnés de distance en distance des corps de garde, chacun
avec un piquet de soldats et une troupe de chiens. La seule
chance de succès est de se traîner dans les ténèbres entre deux
corps de garde, et d'escalader les montagnes neigeuses du voisi-
nage pour, de là, regagner la route à l'intérieur. Les premiers
missionnaires entrèrent par cette voie ; mais bientôt, à la suite
des persécutions, toutes les ruses des chrétiens furent connues*
non-seulement des mandarins, mais des douaniers, des auber-
gistes, de tous les habitants païens, et Ton fut forcé d'abandonner
cette route, désormais impossible.
Reste la voie de mer. Nous avons fait connaître les conventions
maritimes en vigueur entre la Chine et la Corée, d'où il résulte
qu'aucun navire de l'un des deux pays ne peut, légalement,
abordera la côte de l'autre. Cette prohibition n'est violée ni par
les Coréens, ni par les Chinois. Les milliers de jonques chinoises
qui partent chaque année du Léao-tong, du Kiang-nan, du Chan-
toirg, ei vont à la pêche sur les côtes de Corée, stationnent
toujours loin du rivage. Si elles approchent de trop près, elles
sont soiiipises aux perquisitions les piv$ sévères, et aucune con-
sidératioa» auciuio oflre d*«qM|rfiM^ 1^^ équipage
CXC limiODUCTIOR.
à prendre (erre. Quant aux Coréens, il serait difficile de (ronver
parmi eux un pilote capable de diriger une barque, en pleine
mer. vers un point donné. Us connaissent la boussole, nommée
par eux : le fer qui marque le sud, et on en rencontre dans le
pays un cerlain nombre de fabrique chinoise. Mais ils ne s*en
servent que dans la recherche superstitieuse des lieux les plus
favorables pour les sépultures. Lusage de cet instrument pour la
navigation leur est inconnu, c^ir leurs barques ne quittent jamais
la terre de vue. D'ailleurs, les navires coréens sont très mal
consiniits. Destinés uniquement à la pêche côtière, ils sont plats
en dessous afin de pouvoir sans inconvénient restera sec pendant
la marée basse. Une vague un peu forte rompt le gouvernail ;
une brise un peu fraîche force à couper les mflts qui sont toujours
très-hauts. Construire autrement serait attirer Tattention, pro-
voquer une surveillance spéciale, et s'exposer à la prison pour
cause de violation des usages. Eût on triomphé de tous ces obs-
tacles, fait le voyage de Chine aller et retour, que la réussite
serait encore fort douteuse. Uu navire qui arrive de la pleine
mer est par cela seul mis en suspicion ; les matelots des autres
barques se hâtent de venir à bord, les autorités ne peuvent
tarder à faire leur visite, et si Ton trouve quelque objet d'origine
suspecte, la barque est brûlée, et Téquipage mis à mort.
Le seul moyen praticable de pénétrer en Corée par mer, est
celui que les missionnaires avaient adopté dans les derniers
temps. Partir de Chine sur une jonque chinoise, après s'être
entendu d'avance avec des pêcheurs coréens sur le lieu et
Tépoque du rendez-vous; s'aboucher la nuit assez loin de la côte,
h Tabri de quelqu'une des lies de l'archipel coréen, transborder
h la h&te, et gagner le rivage avant le jour. Mais cette voie,
employée sans accidents fâcheux jusqu'en 1866, est maintenant
fermée. MM. Ridel et Blanc Pont vainement essayée en 1869;
la surveillance est tellement sévère, qu'ils n'ont échappé à la
mort que par une protection spéciale de la Providence.
En effet, depuis l'expédition du contre-amiral Roze, la Corée
est, plus que jamais, séquestrée du reste du monde. En 1867,
les foires annuelles qui avaient lien à Pien-men, au passage des
ambassadeurs, ont été supprimées; les jonques chinoises venues,
comme d'habitude, pour faire la pêche sur les côtes, ont été
visitées jusqu'à fond de cale, et renvoyées sans permission de
séjour. L'année suivante, 1868, plus de soixante-dix de ces
jonques ont été brûlées, et trois cents hommes de leurs équipages
massacrés, on ne sait sous quel prétexte. Un ou deux oavifii
IKTRODUCTION, OCl
américains ayant éprouvé le même sort, les États-Unis ont fail à
leur tour, en 1871, une expédition aussi stérile que celle des
Français en 1866. Depuis lors, la pécbe du hareng sur les côtes
de Corée est interdite aux navires chinois, qui n*osent plus guère
s'y aventurer.
Et cependant, le peuple coréen n^est point, par nature, ennemi
des étrangers. Peut-être même est-il mieux disposé envers eux
que ne le sont les Chinois; il est moins arrogant, moins ennemi
de tonte espèce d'amélioration et de progrès, moins fanatique de
sa prétendue supériorité sur les Barbares qui peuplent le reste du
monde. Mais le gouvernement conserve avec un soin jaloux cet
isolement quMl croit nécessaire à sa sécurité, et aucune considé-
ration d'intérêt ou d humanité ne le lui fera abandonner. Pen-
dant les années 187i et 1872, une famine épouvantable a désolé
la Corée. La misère était si grande que les habitants de la côte
ouest vendaient leurs jeunes filles aux contrebandiers chinois, un
boisseau de riz par téie. Quelques Coréens, venus au Léao-tongà
travers les forêts de la frontière septentrionale, ont fait aux mis-
sionnaires un tableau effrayant de Tétai du pays, aftirmant que
sur toutes les routes on rencontrait des cadavres. Mais le gou-
vernement de Séoul laisserait périr la moitié du peuple, plutôt
que de permettre de s'approvisionner en Chine ou au Japon. La
force seule pourra lui imposer un changement de système. Les
diverses expédiiions ou plutôt démonstrations faites dans les
trente dernières années, mal combinées, sans esprit de suite, sans
vues politiques sérieuses, n*ont abouti, jusqu'à présent, qu*à
Tirriter et à exaspérer son orgueil, sans le dompter. Si 1 on
devait s'en tenir là, elles auraient été, sous tous les points de
vue, dans Tintérêi de la liberté de commerce comme de la liberté
religieuse, beaucoup plus nuisibles qu'utiles.
Il est évident qu'un pareil état de choses ne peut durer, et que
l'excès du mal amènera le remède. Les nations civilisées, forcées
de proléger dans l'extrême Orient leur marine et leur commerce,
ne toléreront pas indéfiniment qu'un misérable petit royaume,
sans marine, sans armée sérieuse, brûle les navires qui touchent
à ses rivages, massacre les étrangers parce qu'ils sont étrangers,
et se tienne de force en dehors de l'humanité. Très-probablement,
le procès sera vidé par les Russes dont les conquêtes, au nord-est
de l'Asie, prennent chaque jour un développement plus considé-
rable. Depuis 1860, leurs possessions sont limitrophes de la
Corée. 11 y a déjà eu plusieurs difficultés entre les deux pays
pour des questions de frontière et de commerce ; ces questions ne
GXCII INTRODUCTION.
peuvent manquer de se renouveler, et, un jour ou Fautre, elles
se termineront par Tannexion de la Corée au territoire russe.
Peut-être aussi les Anglais ou les Américains, poussés à bout par
quelque nouvelle insulte à leur pavillon, imposeront de force la
liberté commerciale.
Mieux vaudi*ait certainement que la France se chargeât elle-
même d'intervenir, pour elTacer Thumiliaiion de l'échec subi en
1866. Cette malheureuse expédition devait, dans Tintention du
gouvernement, punir le meurtre des missionnaires français, et
rendre impossible la répétition de pareils actes de barbarie. En
fait, elle a complété la ruine de TEglise de Corée, et causé le
massacre de milliers de chrétiens. Quelle autre manibre de réparer
ce désastre que d'assurer aux frères et aux enfants de ces martyrs
la complète liberté de religion, en forçant la Corée à conclure
des traités avec les peuples civilisés, et, ces traités une fois
conclus, à les respecter scrupuleusement? Sans doute, dans les
circonstances actuelles, une expédition de ce genre semble à peu
près impossible, mais la France n'est pas morte, l'avenir n*a pas
dit son dernier mot, et l'avenir est k Dieu.
HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE CORÉE
PREMIÈRE PARTIE
De l'introduction du Christianisme en Corée à l'érection de ce
royaume en Vicariat Apostolique.
1784-1881
LIVRE I"
Depuis les premières conversions» Jnsqn'à l'arrivée di
P. Jacoves TftlOUy prêtre chinois» envoyé par
PÉvéqne de Péklnir*
1V84-1994
CHAPITRE !•'
Invasion des Japonais en Corée* au xvi« siôcle. — Néophytes
et martyrs coréens au Japon.
Vers la fin du xvi^ siècle, quarante ans après la mort de saint
François-Xavier, lorsque TEglise du Japon florissante conoptait
déjà des millions d'enfants, lorsque la Chine évangélisée dès le
VI* siècle, évangélisée de nouveau aux xiii* et xiv* siècles, venait
enfin de se rouvrir pour la troisième fois au zèle des mission-
naires, le royaume de Corée, dont le nom même était inconnu
en Europe, n'avait encore jamais entendu prêcher Jésus-Christ.
A cette époque, on put espérer un instant que le jour de la
miséricorde était arrivé pour ce pays. Taiko-Sama, devenu maître
I
— 2 —
absolu de tout le Japon, avait conçu le projet de conquérir la
Chine. Pour se frayer un chemin, en l'an 1593, il fit envahir la
Corée par une armée de deux cent mille hommes, qui battirent
les Coréens et les Chinois venus à leur secours, s'emparèrent de
cinq provinces sur huit, prirent la capitale, firent un immense
carnage, et envoyèrent comme esclaves, au Japon, un nombre
considérable de prisonniers.
La plupart de ces soldats japonais étaient chrétiens, car
Taïko-Sama, qui avait secrètement résolu de faire disparaître
du Japon la religion de Jésus-Christ, avait surtout employé pour
cette expédition les princes et les seigneurs chrétiens. Il comptait,
s'ils étaient vainqueurs, leur donner des apanages dans le pays
conquis, et y transplanter de gré ou de force tous les chrétiens de
son empire ; s'ils étaient vaincus, les abandonner sans secours et
s'en débarrasser ainsi sans se donner l'odieux d'une persécution
ouverte.
La guerre se prolongeant en Corée, les princes et les seigneurs
chrétiens, et surtout Augustin Arimandono, roi de Fingo et grand
amiral du Japon, le principal et le plus zélé d'entre eux, firent de
vives instances auprès du supérieur de la mission du Japon pour
obtenir un prêtre. Vers la fin de 1593, le vice-provincial de la
Compagnie de Jésus leur envoya le P. Gregorio de Cespedes, et
un frère japonais nommé Foucan Eion. Ce Père et son compagnon
furent forcés d'hiverner dans Tîle de Tsoutsima, dont le prince,
néophyte zélé, servait lui-même en Corée. Ils y baptisèrent un
grand nombre de païens, entre autres les quatre principaux con-
seillers de Tsoutsimandono. Enfin, au commencement de 1594,
après une navigation assez longue et remplie de dangers, ils arri-
vèrent en Corée et gagnèrent la forteresse de Comangaï oîi rési-
dait Augustin (i).
Pendant près d'un an, le P. de Cespedes exerça son ministère
parmi les troupes japonaises avec un zèle infatigable. Il allait
de forteresse en forteresse, luttant contre les désordres de toute
nature, réformant les abus, raffermissant les chrétiens par l'ad-
ministration des sacrements, et baptisant de nombreux soldats
païens. Mais il fut soudain arrêté au milieu de ses travaux. Un
général païen, jaloux de la haute fortune du prince Augustin, le
dénonça à Taïko-Sama, prétendant que ses efforts et ceux du
(i) Leltre annuelle du Japon, de Mars 1593 à Mars i59i, écrite par le
P. Pierre Gomcz au P. Claude Acquaviva, général de la Compagnie de Jésus
— Milan, 1597, — p. 112 et suivantes.
— 3 —
P. de Cespedes, pour la propagation de la foi chrétienne, cachaient
une vaste conspiration contre le pouvoir de Tempereur. Averti à
temps, Augustin renvoya immédiatement le prêtre au Japon, et y
retourna lui-même peu après, pourselaverde Taccusation intentée
contre lui. Il parvint aisément à sejustifier, et TafTaire n'eut pas
de suites fâcheuses.
La lettre annuelle de la mission du Japon, qui nous donne
ces détails, raconte aussi que le prince de Tsoutsima envoya à sa
femme Marie, fille d'Augustin, deux jeunes esclaves coréens, Tun
fils d'un secrétaire du roi de Corée, et l'autre aussi d'une très-
noble famille. La princesse touchée de leur infortune les donna à
l'Eglise, envoya immédiatement le plus âgé au séminaire des
PP. Jésuites, et garda l'autre chez elle jusqu'à ce qu'il pût y être
envoyé à son tour (1).
Dans sa lettre de l'année suivante le P. Louis Froës parle encore
des Coréens. « Cette année, dit-il, on a instruit beaucoup d'escla-
ves coréens, tant hommes que femmes et enfants, qui demeurent
ici à Nangasaki, et dépassent, dit-on, le chiffre de trois cents. Il y
a deux ans qu'ils ont été baptisés pour la plupart, et le plus grand
nombre s'est confessé cette année. On voit clairement par l'ex-
périence, que c'est un peuple très-disposé à recevoir notre sainte
Foi ; ils sont très-affables, reçoivent le baptême avec allégresse,
et sont heureux de se voir devenus chrétiens. Ils aiment à se
confesser, et en très-peu de temps, le plus grand nombre a appris
la langue japonaise avec tant de facilité, que presque aucun
d'eux n'a besoin d'interprète pour le faire. Le vendredi saint,
aussitôt que la nuit se fit, pendant qu'on apprêtait l'église dont
les portes étaient fermées, et qu'on disposait les fonts baptismaux
pour le lendemain, un Père et quelques Frères qui dirigeaient
les préparatifs, entendirent un grand bruit du dehors, près de la
porte de l'église. Ils ouvrirent une fenêtre et demandèrent ce
que c'était. Quelques hommes, agenouillés avec une grande humi-
lité, répondirent : « Père, ce sont les pauvres Coréens. Parce
que nous sommes esclaves, nous n'étions pas prêts hier pour la
procession, mais nous voici maintenant venus tous ensemble,
pour demander à Dieu miséricorde et pardon pour nos péchés. »
En disant cela ils se flagellaient cruellement, et tous ceux qui les
entendirent et virent la rigueur de leur pénitence, en versaient
des lannes. Cette nation unit un bon jugement à une grande
(1) Lettre annoeUe du Japon pour 1505, du P. Loub Frofis au P. C. Acqua-
Tita. — Eome, ISB8, — p. 32 et suivantes.
_4 —
simplicité, et elle parait ne le céder en ricD aux Japonais. Il a plu
à Dieu Notre Seigneur de prendre ces prémices du royaume de
Corée, à l'occasion de celte guerre, pour le plus grand bien de
leurs âmes. L*opinion commune, dans les entreliens qu'ils ont
entre eux, est que si la prédication de la loi évangélique pénétrait
une fois en Corée (ce qui semble ne devoir pas être difficile par
la voie du Japon), elle y serait très-facilement reçue, et pourrait
prendre dans ce royaume de grands développements (i). »
Ces belles espérances ne furent point réalisées. En 1598,
Taïko-Sama, se sentant mourir, envoya à ses troupes Tordre
formel d'abandonner toutes leurs conquêtes, et de revenir de
suite au Japon. Les tuteurs de son fils pressèrent Texécution
immédiate de cet ordre, et la Corée tout entière, sauf le poste
militaire de Fusan-kaï sur la côte sud-est, se retrouva sans
coup férir sous Tautorité de son propre roi.
Les troupes japonaises, en quittant la Corée, y laissèrent-elles
quelques germes de christianisme, et faut-il faire remonter à
cette expédition la véritable origine de TÉglise coréenne? On Ta
dit et répété dans ces derniers temps ; mais cette assertion ne
soutient pas un examen sérieux.
Peudaut son séjour en Corée, Tan 1594, le P. de Cespedes
n'avait vu d'autres indigènes que les prisonniers de guerre que
Ton expédiait au Japon pour y être vendus comme esclaves. Les
lettres écrites alors par les jésuites du Japon à leur Père général
prouvent qu'il lui avait été impossible d'entrer en relation avec
les gens du pays. En effet, la tactique des Coréens était d'isoler
les Japonais, en dévastant complètement la contrée autour des
forteresses qu'ils occupaient ; la plupart des habitants avaient fui
dans les provinces septentrionales ; les autres reculaient devant
les envahisseurs, et, à leur approche, cherchaient un refuge dans
les bois et les montagnes. Après le départ du P. de Cespedes,
l'armée japonaise resta encore plus de trois ans en Corée, mais
le zélé missionnaire ne put y revenir, et aucun autre prêtre ne
fut envoyé à sa place. Les Japonais chrétiens ne purent, pas plus
que lui, se mettre en rapport avec les habitants ; d'ailleurs la
haine innée des Coréens pour tout ce qui est étranger, Texas-
pération naturelle d'un peuple vaincu contre ses vainqueurs,
auraient certainement fait échouer toute tentative de prosé-
lytisme. Les Coréens emmenés au Japon comme prisonniers de
(I) Lettre annuelle du Japon pour 1505.— Rome, 1589.— p. 136et 8uivaatâl«
— 5 -
guerre eurent donc, seuls de leurs compatriotes, l'opportunité de
connaître la foi chrétienne, et nous avons vu que, grâce à Dieu,
un grand nombre en profilèrent. Quelques années après l'expé-
dition de Taïko-Sama, commençait, au Japon même, cette persé-
cution si longue, si sanglante, si glorieuse qui semblait devoir
y éteindre le christianisme, et on comprend facilement que les
missionnaires de ce pays ne purent plus songer à la Corée, et
ne firent aucune tentative pour y pénétrer.
Dans cette grande persécution, un certain nombre de néophytes
coréens partagèrent avec leurs frères japonais l'honneur de con-
fesser Jésus-Christ devant les bourreaux. Leur vie et leur mar-
tyre appartiennent à l'Église du Japon, mais, parleur naissance,
ils sont les prémices de l'Église de Corée. C'est pourquoi nous
reproduisons ici, dans l'ordre chronologique, ce que l'on sait de
leurs noms et de leur histoire (1).
Michel, pauvre laboureur coréen, avait été baptisé à Nangasaki.
11 était d'une charité singulière envers les lépreux, les attirait
dans sa maison, les faisait asseoir à son foyer, les servait de ses
mains en leur disant : « Vous êtes mes frères, et votre infirmité
m'oblige à vous honorer davantage. » On le suspendit à une four-
che, puis on lui comprima les jambes et on lui coupa les jarrets.
11 expira dans ce supplice, le 22 novembre 1614. Après sa mort,
on lui trancha la tête, et son corps fut haché en morceaux.
Le même jour fut aussi martyrisé Pierre Djincouro. Il avait été
esclave chez les païens, depuis l'âge de treize ans jusqu'à celui de
trente. Omis sur la liste des chrétiens dénoncés, parce qu'il
n'était que locataire d'une boutique et n'avait pas de maison à
lui, il fit de vives réclamations et obtint d'être inscrit avec eux.
11 supporta courageusement les tortures, et comme il ne cessait
d'invoquer le saint nom de Jésus, il eut les lèvres et la bouche
fendues, fut percé d'un poignard, et enfin décapité. Il était âgé
de trente-trois ans.
Le 18 novembre 1619, Cosme Takeya fut brûlé vif h Nanga-
saki. Trois ans plus tard, sa femme Inès, âgée de quarante-
deux ans, subit à son tour le martyre. Elle eut la tête tranchée.
(1) Le P. Charlevoix, Hisl. du ChrisUanisme au JapoUj passim. — M. Léon
Pages, Hisl, du Japon, Tome III, passim. — Les noms de famille des
martyrs coréens cités par ces auteurs sont des noms japonais, soit qu'on
ait donné aux capli& de nouveaux noms, soit qu'on ait purement et simple-
ment traduit en japonais leurs noms coréens.
— 8 —
se sentit ému de compassion à la vue du jeune orphelin, le prit
en affection, et chargea un de ses parents d*en avoir soin jusqu^à
la fin de la guerre. 11 confia ensuite son éducation aux Jésuites,
qui l'instruisirent de la religion et le baptisèrent. Le jeune
Gafioie, autant par affection que par reconnaissance, ne voulut
plus se séparer de ceux qui l'avaient engendré à Jésus-Christ;
il les accompagna toujours dans leurs courses apostoliques, et
fut enfin pris et conduit avec eux dans les prisons de Ghimabara.
Quelque affreuse que fût cette prison, les saints confesseurs ajou-
taient encore des austérités volontaires à leurs souffrances. On
avait choisi les gardes les plus brutaux, pour accroître la dureté
de leur détention ; mais la vie angélique des prisonniers, leur
patience, et un air de sainteté qui paraissait sur leur personne,
adoucissaient insensiblement la férocité de ces satellites. Ils com-
mençaient par admirer une religion qui élève Thomme au-dessus
de lui-même, et finissaient souvent par Tembrasser. Aussitôt qu'on
apercevait en eux quelques sentiments d'humanité, on leur substi-
tuait d'autres geôliers, qui bientôt se trouvaient vaincus à leur
tour. A la fin, le gouverneur furieux commit le soin des confes-
seurs à un officier de ses parents, qui était plus semblable à une
bête féroce qu'à un homme. Sa haine contre le christianisme
ne connaissait point de bornes ; cependant, dès qu'il eut vu
les prisonniers, il se sentit ému, et au bout de huit jours se
déclara chrétien. Le gouverneur aussi surpris qu'irrité de cette
conversion, n'épargna ni reproches ni menaces pour ramener le
néophyte au culte des idoles. Cet officier lui répondit invariable-
ment : « Vous pouvez me dépouiller de mes emplois, m'enlever
mes biens, m'ôter même la vie ; mais vous ne pourrez rien sur
mon esprit, je vivrai et mourrai chrétien. »
Le gouverneur voyant que la rigueur de la prison était inutile,
se résolut à tourmenter les confesseurs, mais séparément, afin
qu'ils ne pussent pas s'encourager les uns les autres, II commença
par Cafioïe ; croyant qu'un étranger serait vaincu plus facile-
ment. Il le fit venir chez lui, le combla d'amitiés et de caresses,
lui fit les promesses les plus séduisantes, et le menaça en même
temps des plus horribles supplices, s'il n'obéissait à l'heure même.
Le néophyte coréen lui répondit simplement : « Je suis chrétien
et je ne renoncerai jamais à ma religion. » A l'instant même, il
le fit exposer tout nu à un vent glacial, et oubliant en même
temps le caractère déjuge dont il était revêtu, il n'eut pas honte
d'exercer la fonction de bourreau. Il tenailla de ses propres mains
le saint confesseur, qui ne faisait que rire d'un si horrible
— 9 —
supplice ; ensuite il lui fit avaler une drogue, que le patient rejeta
par la bouche avec des flots de sang. Ce tourment lui causa une
défaillance, mais il reprit aussitôt ses sens et recouvra ses forces.
Dès ce moment, il ne sentit plus d'autre douleur qu'un léger
engourdissement aux pieds et aux mains. On continua les tortures
plusieurs jours de suite, sans pouvoir jamais lasser sa constance.
Enfin on le renvoya en prison, dans une masure ouverte à tous
les vents ; il y passa vingt-quatre jours, exposé aux injures de Tair
et privé de toute noun'iture. Il respirait encore lorsque l'em-
pereur donna ordre de le transporter a Nangasaki, pour y être
brûlé vif comme chrétien, avec les illustres compagnons de sa
prison et de ses souffrances. Avant de mourir, il demanda au
Père Pacheco, provincial des Jésuites, de l'admettre dans la
société ; ce Père lui accorda cette grâce, et reçut ses vœux sur le
lieu même où ils allaient tous les deux consommer leur sacrifice.
Vers le même temps, une jeune Coréenne, nonamée Julie Ota,
donna une preuve de 'courage à peu près semblable. Issue d'un
sang illustre, elle était élevée à la cour de Cubo-Sama, et fort
chérie de ce prince, qui voulait la marier à un des plus grands
seigneurs de l'empire. Il s'agissait d'abord de changer de reli-
gion ; Julie refusa, et fit, sur-le-champ, vœu de virginité. Puis,
non contente de paraître en public avec toutes les marques exté-
rieures de sa foi, elle se mit à fréquenter les maisons ou les
chrétiens tenaient leurs assemblées, chose extraordinaire au
Japon, où les femmes de qualité ne sortent jamais qu'accompa-
gnées du plus grand cortège, et encore très-rarement. Elle
voulait par là, à quelque prix que ce fût, forcer Cubo-Sama h
lui accorder la palme du martyre ; or, il ne s'agissait de rien
moins que d'être condamnée au feu, ou à d'autres supplices bien
plus cruels encore. Cubo-Sama , essaya par toutes sortes de
moyens d'ébranler sa constance , et à la fin , voyant que les
caresses et les menaces étaient également inutiles, il la déporta
dans une tle lointaine où vivaient quelques pauvres pêcheurs, qui
n'avaient d'autres habitations que de misérables cabanes. Son
exil et ses souffrances durèrent quatre ans, c'est-à-dire autant que
sa vie; mais si les consolations humaines lui manquèrent, elle
en fut pleinement dédommagée par l'abondance des faveurs du
ciel. Son seul chagrin était de n'avoir point versé son sang pour
Jésus-Christ. Elle trouva l'occasion d'écrire à un missionnaire
jésuiteà cesujet; le missionnaire lui répondit que l'Église regarde
aussi comme martyrs ceux qui ont été exilés pour la foi. Cette
réponse la combla de joie, et dissipa toutes ses craintes.
— 10 -
En 1629, le 31 juillet, le gouverneur de Nangasaki fit conduire
aux étangs sulfureux d'Oungen, soixante-quatre chrétiens des
deux sexes, parmi lesquels une néophyte coréenne, nommée
Isabelle. On avait averti les^ confesseurs qu'ils ne seraient point
mis à mort, mais que leur supplice se prolongerait, plusieurs
années s'il était nécessaire, jusqu'à leur apostasie ; car les juges
sachant que les chrétiens regardent comme un grand bonheur de
mourir pour Jésus-Christ, ne voulaient pas laisser cette consola-
tion à leurs victimes. Les eaux d'Oungen sont si corrosives qu'elles
couvrent de plaies les parties du corps sur lesquelles on les
répand. On avait partagé les confesseurs en cinq troupes, et les
femmes avaient été séparées de leurs maris. Tous les jours on les
arrosait de cette eau brûlante, et après quelque temps, le plus
grand nombre faiblirent. Isabelle, presque seule, resta intrépide
jusqu'à la fin, « Votre mari à apostasie, » lui disait-on. — a Que
m'importe! j'ai dans le ciel un époux immortel, et c'est à lui
d abord que je dois obéissance. » On la plaça debout pendant plus
de deux heures, avec une pierre au cou, des pierres dans la
bouche, et une autre sur la tête, lui déclarant que si cette
dernière tombait, ce serait signe d'apostasie, « Non, répondit-
elle, il n'est pas en mon pouvoir d'empêcher que cette pierre ne
tombe, mais quand je tomberais moi-même à terre, ma volonté
ne changera point. » La pierre ne tomba pas, et la nuit suivante
une vision céleste vint consoler la courageuse chrétienne. Le len-
demain, elle fut inondée de nouveau. «Nous continuerons dix ans,
ving ans, s'il le faut, » répétaient les bourreaux. — « Dix ans,
vingt ans, cent ans même, s'il m'était donné de les vivre, sont
un intervalle bien court, et je m'estimerai heureuse de passer
ma vie entière dans les supplices, pour rester fidèle à mon Dieu. »
La patience* d'Isabelle finit par lasser ses persécuteurs. Après
treize jours, on la traîna épuisée, meurtrie, devant le gouverneur
de Nangasaki. On lui prit la main de force, et avec cette main
on signa une déclaration d'apostasie, puis sans lui laisser proférer
une parole, on la renvoya.
Tels furent les principaux martyrs coréens qui, les premiers de
leur nation, allèrent intercéder auprès de Dieu pour la conversion
de leurs infortunés compatriotes.
L'invasion japonaise avait disparu de la Corée sans y laisser
aucune trace de christianisme, et, dans les desseins de Dieu,
deux siècles encore devaient s'écouler avant que la foi pût péné-
trer en ce royaume que la jalousie de l'enfer tenait si complète-
— 11 —
Bent fermé. Le seul fait à citer pendant ce long intervalle, CvSt
mtrodaction en Corée, à diverses reprises, de quelques livres
bréliens en langue chinoise. Ceci eut lieu au moyen des ambas-
ides que le roi de Corée envoie chaque année en Chine. On con-
oit, en effet, que les ambassadeurs coréens et les seigneurs de
Nur sait6, ne pouvaient pas ignorer entièrement Texistence
ifficielle à Péking des missionnaires. D'un autre côté, les Jésuites
ixés à la cour impériale, quelque gênés qu'il fussent dans Texer-
jce de lear zèle, n'ont certainement pas laissé échapper de
lareilles occasions d'entrer en rapport avec les représentants
l'un royaume païen non encore évangélisé.
Dans un recueil coréen de documents curieux, on lit qu'en Tan-
tée sîn-mi(1631), l'ambassadeur Tsieng Tou-ouen-i vit à Pékin un
îaropéen nommé Jean Niouk, âgé de quatre-vingt-dix-sept ans,
4 jouissant encore d'une santé parfaite. « Il semblait, dit-il, être
m des bienheureux sin-sien (les bienheureux immortels de la
ecte de Lao-tse). » C'était sans doute un des premiers compa-
gnons du P. Ricci. L'ambassadeur reçut de lui beaucoup de
ivres de science, faits par les Européens, et aussi des objets
urieox, tels que pistolets, télescopes, lunettes, horloges, etc.
Ni Siou, surnommé Si-pong, Tun des ancêtres du martyr
Iharles Ni, et l'un des plus célèbres savants qu'ait eus la Corée,
lentionne dans ses écrits l'ouvrage du P. Ricci, intitulé : Tien-
wu-sir-ei^ ou Véritables principes sur Dieu, dont il donne une
nalyse assez exacte. Il parle aussi de la constitution de l'Église
DUS l'autorité du Souverain Pontife.
En Fan kieng-tsa (1720), l'ambassadeur Ni I-mieng-i vit aussi
Péking plusieurs missionnaires, et eut avec eux des conférences
ar les questions religieuses. Il raconte qu'il a trouvé l'enseigne-
nent chrétien sur la mortification des mauvais instincts et la
larification du cœur, assez semblable aux théories de la religion
les lettrés ; il croit voir dans le mystère de l'incarnation une des
loctrines de Fo, et assure qu'il ne faut nullement placer cette
louvelle religion au même rang que la secte de Lao-tse.
Ni Ik-i, surnommé Seng-ho, parle aussi de la religion dans ses
livres. D'après lui, le Dieu des chrétiens n'est pas autre que le
Siang-tiei des lettrés (le chang-ti des Chinois). Li doctrine du
paradis et de l'enfer lui semble empruntée au système de Fo.
U a aussi quelques mots sur les sept vertus, opposées aux sept
péchés capitaux.
La lecture de quelques livres chrétiens, les rapports néces-
sairement très-rares et très-limités des ambassadeurs avec les
— 12 —
missionnaires de Péking, n'avaient, on le voit, pa donner an
Coréens qa*ane idée bien vagae du christianisme. Elle ftit soffi
santé néanmoins, si Ton en croit les traditions coréennes, poa
convertir un homme de bonne volonté. Cet homme nommé Bon)
lou-han-i, ou Sa-riang-i, était né en 4736, d'une famille hono^
rable dont les membres avaient souvent rempli des charge
importantes. Il habitait Niei-san, et, dans sa jeunesse, avait pn
des leçons de Ni Ik-i dont nous venons de parler. En 1770, 1
rencontra des livres chrétiens, les lut avec joie, abandonna toik
autre étude, et se livra k la pratique de la religion. N'ayant il
calendrier ni livre de prières, et sachant seulement que les flta
se succédaient de sept en sept jours, il se mit k ch6mer rér
gieusement les 7, 14, 21 et 28 de chaque mois, laissant de cM
ces jours-lk, toutes les affaires du sitele, pour se donner tM
entier k Toraison. Ck)mme il ne connaissait pas les jours d'abiti
nence, il prit pour règle de se priver toujours des mets les pti
délicats, donnant pour raison k ceux qui lui en faisaient la renii
que que la cupidité naturelle est mauvaise de soi, et quil fiiil
autant que possible, la dompter. On raconte de lui plusien
traits édifiants. Un jour qu'il voyageait k cheval dans un ckeoi
boueux, il vit un vieillard chargé d'un lourd fardeau. Touché d
compassion, il descendit de cheval, fit monter cet homme k i
place, et marchant k pied le conduisit lui-même. Une antre tw
ayant appris qu'un champ vendu par lui, venait de disparaiU
sous un éboulement de montagne, il en renvoya le prix k Tk
quéreur, et malgré le refus de celui-ci, le força k l'accepter, fl
dit que Hong lou-han-i passa treize ans dans les montagnes (
Paik-san, pour se livrer sans obstacle, dans la solitude, ï I
contemplation et k la prière. Il mourut k Niei-san, n'ayai
probablement jamais reçu d'autre baptême que le baptême (
désir. On ne voit pas qu'il ait cherché k convertir personne, A
sa mort, il ne laissa point de disciples.
CHAPITRE II.
Origine de TËglise de Corée. — Premières conversions.
L'an de Jésus-Christ 1784, le jour du salut se leva enfin pour
la Corée. Alors Dieu, dans sa miséricorde, y implanta la foi
chrétienne d'une manière définitive ; alors commença cette glo-
rieuse Église, qui, depuis, n'a cessé de grandir et de se fortifier
à travers les persécutions et les vicissitudes dont nous allons
retracer Fémouvante histoire.
Le principal instrument dont la Providence se servit pour
introduire l'Evangile en Corée fut Ni Tek-tso, surnommé Piek-i.
Il descendait de la famille des Ni de Kieng-tsiou, et parmi ses
ancêtres, déjà dans les dignités sous la dynastie Korie, on
comptait un grand nombre de personnages qui s'étaient distingués
dans les lettres, et avaient été honorés des plus hautes fonctions
publiques. Depuis deux ou trois générations, cette famille s'était
tournée exclusivement vers la carrière des armes, et ses membres
avaient obtenu des grades militaires importants. Piek-i étant
doué des plus belles qualités du corps et de l'esprit, son père
voulut l'appliquer, dès son enfance, aux exercices de Tare et de
l'équitation, qui pouvaient plus tard rendre son avancement
facile. Mais l'enfant s'y refusa avec obstination, allant jusqu'à dire
que, dût-il mourir, il ne s'y livrerait pas. Par là, il perdit, en
partie au moins, Taffection de son père, qui lui donna ce surnom
de Piek-i, pour désigner la ténacité de son caractère.
Avec l'âge, Piek-i devint un homme d'une haute stature et
d'une force prodigieuse. « Il avait, disent les relations coréennes,
une taille de huit pieds (1), et d'une seule main pouvait soulever
cent livres. Son extérieur imposant attirait vers lui tous les
regards ; mais il brillait surtout par les qualités de l'âme et les
talents de Tesprit. Son élocution facile pouvait être comparée
(1) Le pied coréen est plus peUt que le pied français.
A ce propos, il est bon de rappeler au lecteur que les mémoires de
Mgr Daveluy sur cette période primitive, ne sont le plus souvent que la
traduction littérale des documents originaux coréens, ce qui explique Tem-
pbase toute orientale de certaines descriptions d*hommes et de choses.
MaakA^
- 14 —
i cours majestueux d'un fleuve. II s'appliquait à approfondir
)utes les questions, et dans Tétude des livres sacrés du pays,
s'était fait, dès sa jeunesse, une habitude de creuser toujours
is sens mystérieux cachés sous le texte. » Non content d'étudier
^s livres, Piek-i cherchait à se lier avec tous les gens instruits
ui pouvaient le diriger et Taider dans l'acquisition de la science.
aimait la plaisanterie, et se souciait assez peu des lois compli-
uées et minutieuses de l'étiquette coréenne ; mais, quoiqu'il ne
onservât pas toujours cet air de dignité guindée qui, en ce pays,
istingue les docteurs de profession, il avait naturellement dans
î manière d'agir quelque chose de noble et de grand. De si
eureuses dispositions lui promettaient un brillant avenir dans
i monde, lorsque Dieu daigna jeter sur lui un regard de
liséricorde.
En l'année tieng-iou (1777), le célèbre docteur Kouen Tsiel-
in-i, accompagné de Tieng Iak-lsien-i et de plusieurs autres
obles désireux d'acquérir la science, s'était rendu dans une
agode isolée pour s*y livrer avec eux, sans obstable, à des études
pprofondies. Piek-i, l'ayant appris, en fut rempli de joie, et
)rma aussitôt la résolution d'aller se joindre à eux. On était en
iver, la neige couvrait partout les routes, et la pagode était à
lus de cent lys de distance. Mais ces difficultés ne pouvaient
rrêter un cœur aussi ardent. Il part à l'instant même, il s avance
ésolûment par des chemins impraticables. La nuit le surprend à
ne petite distance du but de son voyage. Il ne peut se déter-
liner à attendre plus longtemps, et continuant sa route, arrive
ntin vers minuit à une pagode. Quel n'est pas, alors, son désap-
ointement en apprenant qu'il s'est trompé de chemin, et que la
agode qu'il cherche est située sur le versant opposé de la mon-
igne ! Cette montagne est élevée, elle est couverte de neige, et
es tigres nombreux y ont leur repaire. N'importe, Piek-i fait
3ver les bonzes et se fait accompagner par eux. Il prend un bâton
îrré pour se défendre des attaques des bêtes féroces, et, poursui-
ant sa route au milieu de ténèbres, arrive enfin au lieu désiré.
L'arrivée de Piek-i et de ses compagnons répandit d'abord la
payeur parmi les habitants de cette demeure isolée, et perdue au
lilieu des montagnes. On ne pouvait imaginer quel motif ame-
ait, à cette heure indue, des hôtes si nombreux. Mais bientôt
3ut s'éclaircit, la joie succéda à la crainte, et dans les premiers
panchemenls que fit naître cette heureuse rencontre, on s'aper-
ut à peine que le jour avait déjà paru.
Les conférences durèrent plus de dix jours. Pendant ce temps,
— 16 —
on chercha la solution des questions les plus intéressantes sur
le ciel, le monde, la nature humaine, etc. Toutes les opinions
des anciens furent rappelées et discutées point par point. On
étudia ensuite les livres de morale des grand hommes ; enfin on
examina quelques traités de philosophie, de mathématiques et de
religion, composés en chinois par les missionnaires européens, et
on mit tout le soin possible à en approfondir le sens. Ces livres
étaient ceux qu'à diverses reprises les ambassadeurs coréens
avaient rapportés de Péking. Un certain nombre de savants en
avaient entendu parler, car dans les compositions littéraires qu'il
est de mode d'échanger entre Coréens et Chinois, lors de Tam-
bassade annuelle, on voit, vers cette époque, qu'il est souvent
fait allusion aux sciences et à la religion européennes.
Or, parmi ces ouvrages scientifiques, se trouvaient quelques
traités élémentaires de religion. C*étaient les livres sur Texistence
de Dieu, sur la Providence, sur la spiritualité et l'immortalité
de l'âme, et sur la manière de régler ses mœurs en combattant
les sept vices capitaux par les vertus contraires. Accoutumés aux
théories obscures et souvent contradictoires des livres chinois,
ces hommes droits et désireux de connaître la vérité, entrevirent
de suite ce qu'il y a de grand, de beau et de rationnel dans la
doctrine chrétienne. Les explications leur manquaient pour en
acquérir une connaissance complète ; mais ce qu'ils avaient lu
suffit pour émouvoir leurs cœurs et éclairer leurs esprits. Immé-
diatement, ils se mirent à pratiquer tout ce qu'ils pouvaient
connaître de la nouvelle religion, se prosternant tous les jours,
matin et soir, pour se livrer à la prière. Ayant lu quelque part
que, sur les sept jours, on doit en consacrer un tout entier au
culte de Dieu, les septième, quatorzième, vingt-unième, et
vingt-huitième jours de chaque mois, ils laissaient toute autre
affaire pour vaquer uniquement à la méditation, et, en ces jours,
observaient l'abstinence ; tout cela dans le plus grand secret, et
sans en parler à personne. On ignore pendant combien de temps
ils continuèrent ces exercices, mais la suite des événements porte
à croire que la plupart n'y furent pas longtemps fidèles.
Une semence précieuse avait été ainsi déposée dans le cœur de
Pieki, mais il sentait combien ces premières notions sur la reli-
gion étaient insuffisantes, et toutes ses pensées se portaient vers
la Chine, oii devaient se trouver les livres plus nombreux et plus
détaillés nécessaires pour compléter son instruction. Se procurer
ces livres était chose bien difficile et plusieurs années s'écou-
lèrent en tentatives infiructaeoses» U le se décourageait pas
-16 —
cependant, et ne manquait aucune occasion d*approfondir et de
discuter la doctrine chrétienne. Nous lisons, dans une des pre-
mières relations écrites par les chrétiens, qu*au commencement
de Tété de 1783, le 15 delà quatrième lune, après avoir séjourné
quelque temps à Ma-tsaî, dans la famille Tieng, à Toccasion de
l'anniversaire de la mort de sa sœur, Piek-i monta sur un bateau
avec les deux frères Tieng Iak-tsien et Tieng Iak-iong, pour se
rendre à la capitale. Pendant le trajet, leurs études philosophi-
ques habituelles furent le sujet de leurs conversations. Les dogmes
de Texistence et de Tunité de Dieu, de la création, de la spiri-
tualité et de immortalité de Tâme, des peines et des récompenses
dans le siècle futur, furent examinés et commentés tour à tour.
Les passagers, qui entendaient pour la première fois ces vérités
si belles et si consolantes, en étaient surpris et enchantés. Il est
très-probable que de semblables conférences se seront souvent
renouvelées, mais aucun autre détail ne nous a été conservé.
Dieu permit enfin la réalisation des vœux ardents de ces imes
droites qui cherchaient la vérité avec tant de zèle. Pendant l'hiver
de cette même année 1783, Ni Ton^-ouk-i fut nommé troisième
ambassadeur à la cour de Péking. Son filsSeng-houn-i, Tun des
amis intimes de Piek-i, devait raccompagner dans ce voyage.
Disons ici quelques mots de ce dernier qui, pendant plusieurs
années, va jouer un rôle important dans Thistoire de TÉglise
coréenne.
Ni Seng-houn-i, appelé aussi Tsa-siour-i, était de la noble
famille des Ni de P'ieog-t'sang. Ses ancêtres remplirent souvent
des charges importantes comme mandarins civils, et sa maison
jouissait d'une haute réputation. Il naquit en Tannée pieng-
tsa (1756). Dès Tàge de dix ans, sa capacité précoce s'était déjà
révélée, et à vingt ans il s*était fait un nom parmi les lettre.
Voulant marcher sur les traces des saints de son pays, il se lia
avec les hommes les plus célèbres par leur science et leurs vertus.
Il s'appliquait à régler ses mœurs autant qu'à se perfectionner
dans les lettres et les sciences. A l'âge de vingt-quatre ans, en
l'année kieng-tsa (1780), il obtint le degré de docteur, et sa
réputation augmentait tous les jours.
Piek-i fut comblé de joie en apprenant que Seng-houn-i devait
suivre son père dans l'ambassade de Péking. Il alla aussitôt le
visiter ; et voici, d'après les documents de l'époque, le discours
remarquable qu'il lui tint ; ^c Ton voyage à Péking est une occa-
« sion admirable que le Ciel nous fournit pour connaître la vraie
(( doctrine. Cette doctrine des vrais saints, ainsi que la vraie
— 17 —
a manière de servir TEropereur suprême , créateur de toutes
a choses, est au plus haut degré chez les Européens. Sans cette
(c doctrine nous ne pouvons rien. Sans elle on ne peut régler son
« cœur et son caractère. Sans elle, on ne peut approfondir les prin-
« cipes des choses. Sans elle, comment connaître les difTérents
« devoirs des rois et des peuples? Sans elle, point de règle fonda-
« damentale de la vie. Sans elle, la création du Ciel et de la terre,
(( les lois des pôles, le cours et les révolutions régulières des astres,
<K la distinction des bons et des mauvais esprits, Torigine et la fin
« de ce monde, Tunion de Tàme et du corps, la raison du bien
a et du mal, Tincarnation du Fils de Dieu pour la rémission des
« péchés, la récompense des bons dans le ciel et la punition des
(( méchants dans Tenfer, tout cela nous reste inconnu. » Â ces
paroles, Seng-oun -i qui ne connaissait pas encore les livres de reli-
gion, fut ému de surprise et d'admiration. Il demanda à voir
quelques-uns de ces livres, et ayant parcouru ceux que Piek-i
avait en sa possession, tout ravi de joie il demanda ce qu'il
devait faire. « Puisque tu vas à Péking, dit Piek-i, c'est une
« marque que le Dieu suprême a pitié de notre pays et veut le
a sauver. En arrivant, cours aussitôt au temple du Maître du
a ciel, confère avec les docteurs européens, interroge-les sur
« tout, approfondis avec eux la doctrine, informe-toi en détail de
« toutes les pratiques de la religion, et apporte-nous les livres
« nécessaires. La grande affaire de la vie et de la mort, la grande
« afTaire de Téternité est entre tes mains : va, et surtout n'agis
a pas légèrement. »
Ce discours de Piek-i nous le montre plus altéré de la soif de la
religion que de la soif de la science. La grâce de Dieu préparait son
cœur ; la grande affaire du salut devenait de plus en plus, pour lui,
la seule importante. Ses paroles pénétrèrent profondément dans
Tàme de Seng-houn-i. Il les reçut comme la parole du Maître, et
promit défaire tous ses efforts pour réaliser leurs communs désirs.
Seng-houn-i partit donc pour Péking dans les derniers mois
de Tannée 1783. Arrivé dans cette capitale, il se rendit à Téglise
du Midi (1), où il fut reçu par Tévéque Alexandre Tong auquel il
demanda à s'instruire. — C'était le célèbre Alexandre de Govéa,
Portugais, de Tordre de Saint-François, Tun des plus doctes et
des plus grands évêques dont peut se glorifier Téglise de Chine,
et Tun de ceux qui ont le plus travaillé à ramener les chrétiens
(i) 11 y avait alors dans Péking quaire églises, une à chacun des points
cardinaux. CeUe du midi était, et est encore, la cathédrale.
— 48 —
Chinois k la stricte observation des décrets du Saint-Siège con-
cernant les rites. — Les relations coréennes disent aussi que Seng-
houn-i vil à Péking l'Européen Sak Tek-t'so, âgé de plus de quatre-
vingt-dix ans, encore plein de santé et d*un extérieur très-affable,
et un jeune honome nommé Niang. Dans les quatre églises de la
ville se trouvaient environ soixante personnes. Seng-boun-i se
mit avec zèle à étudier la docrine chrétienne, et fut bientôt en
état de recevoir le baptême. Ce sacrement lui fut conféré avant
son départ, et comme on espérait qu'il serait la première pierre
de TÉglise coréenne, on lui donna le nom de Pierre. Voici com-
ment M. de Ventavon, missionnaire à Péking, écrivant en date
du 25 novembre 1784, annonçait à ses amis d'Europe cet heu-
reux événement :
<c Vous apprendrez sans doute avec consolation la conversion
d'une personne dont Dieu se servira peut-être pour éclairer des
lumières de l'Évangile, un royaume où l'on ne sache pas qu'au-
cun missionnaire ait jamais pénétré; c'est la Corée, presqu'île
située à TOrient de la Chine. Le roi de cette contrée envoie tous
les ans des ambassadeurs à l'empereur de la Chine dont il se
regarde comme vassal. Il n'y perd rien ; car s'il fait des présents
considérables à l'empereur, l'empereur lui en fait de plus consi-
dérables encore. Ces ambassadeurs coréens vinrent, sur la fin de
Tannée dernière, eux et leur suite, visiter notre église ; nous leur
donnâmes des livres de religion. Le fils d'un de ces deux sei-
gneurs, âgé de vingt-sept ans et très-bon lettré, les lut avec
empressement; il y vit la vérité, et, la grâce agissant sur son
cœur, il résolut d'embrasser la religion après s'en être instruit à
fond. Avant de l'admettre au baptême, nous lui flmes plusieurs
questions, auxquelles il satisfit parfaitement. Nous lui deman-
dâmes, entre autres choses, ce qu'il était résolu de faire, dans le
cas où le roi désapprouverait sa démarche, et voudrait le forcer à
renoncer à la foi ; il répondit, sans hésiter, qu'il souffrirait tous
les tourments et la mort plutôt que d'abandonner une religion
dont il avait clairement connu la vérité. Nous ne manquâmes pas
de lavertir que la pureté de la loi évangélique ne souffrait point
la pluralité des femmes. Il répliqua : je n'ai que mon épouse
légitime et je n'en aurai jamais d'autres. Enfin, avant son départ
pour retourner en Corée, du consentement de son père, il fut
admis au baptême que M. de Grammont lui administra, lui
donnant le nom de Pierre; son nom de famille est Ly (4). On le
(1) Ly est la prononciation chinoise du mot coréen Ni.
— le-
dit allié de la maison royale. Il déclara qu'à son retour il vou-
lait renoncer aux grandeurs humaines, et se retirer, avec sa
famille, dans une campagne pour vaquer uniquement à son
salut. Il nous promit de nous donner chaque année de ses nou-
velles. Les ambassadeurs promirent aussi de proposer à leur
souverain d'appeler des Européens dans ses États. De Péking
jusqu'à la capitale de Corée, le chemin par terre est d'environ
trois mois.
« Au reste, nous ne pouvons nous entretenir que par écrit avec
les Coréens. Leurs caractères et les caractères chinois sont les
mêmes, quant à la figure et à la signification ; s'il y a quelque
différence, elle est légère ; mais leur prononciation est tout à fait
différente. Les Coréens mettaient par écrit ce qu'ils voulaient
dire : en voyant les caractères, nous en comprenions le sens, et
ils comprenaient aussi tout de suite le sens de ceux que nous
leur écrivions en réponse (1)... »
Au printemps de l'année kap-tsin (1784), Pierre Seng-houn-i
rentra dans la capitale de la Corée, apportant des livres en grand
nombre, des croix, des images et quelques objets curieux qui lui
avaient été donnés à Péking. Il n'eut rien de plus pressé que
d'envoyer à Piek-i une partie de son trésor. Celui-ci comptait
les jours et attendait avec la plus vive impatience le retour de
l'ambassade. Dès qu'il eut reçu les livres envoyés par son ami, il
loua une maison retirée, et s'y enferma pour s'appliquer entière-
ment à la lecture et à la méditation. Il avait maintenant, entre
les mains, des preuves plus nombreuses de la vérité de la reli-
gion, des réfutations plus complètes des cultes superstitieux de
la Chine et de la Corée, des explications des sept sacrements,
des catéchismes, le commentaire des évangiles, la vie des saints
pour chaque jour, et des livres de prières. Avec cela, il pouvait
voir à peu près ce qu'est la religion, dans son ensemble et dans
ses détails. Aussi à mesure qu'il lisait, sentait-il une vie
nouvelle pénétrer dans son âme. Sa foi en Jésus-Christ gran-
dissait, et avec sa foi grandissait également le désir de faire con-
naître le don de Dieu à ses compatriotes. Après un certain
temps d'études, sortant de sa retraite, il alla trouver Seng-
houn-i et les deux frères Tieng, Iak-tsien et Iak-iong : « C'est
« vraiment une magnifique doctrine, leur dit-il, c'est la voie véri-
« table. Le grand Dieu du ciel a pitié des millions d'hommes de
< notre pays, et il veut que nous les fassions participer aux
(1) Nouvelles lettrée éà ai8. — T. H, p. 30.
— 20 —
« bienfaits de la Rédemption du inonde. C'est Tordre de Dieu.
a Nous ne pouvons pas être sourds à son appel. Il faut répandre
« la religion et évangéliser tout le monde. »
Pour sa part, il commença aussitôt à annoncer la bonne nou-
velle. Il s'adressa d'abord à quelques-uns de ses amis, de la classe
moyenne, distingués par leurs connaissances et leur bonne con-
duite. Plusieurs se rendirent presque immédiatement a sa parole
vive et pénétrante ; c'étaient entre autres Tsoi T'sang-hîen-i,
T'soiln-kin-i, etKimTsong-kio. Piek-i prêcha aussi la religion
à plusieurs nobles qui Tembrassërent. Fidèle k sa mission, il ne
se donnait pas de relâche; il allait de côté et d'autre annonçant
partout rËvangile. Ses succès firent assez de bruit pour éveiller
la susceptibilité des lettrés païens, qui comprenaient instinctive-
ment que la nouvelle doctrine sapait par la base leurs croyances
nationales. Plusieurs d'entre eux essayèrent tout d'abord de con-
vaincre d'erreur les prédicateurs de rÈvangile, et de les ramener
h la religion des lettrés. Le premier qui fit cette tentative fut Ni
Ka-hoan-i. Issu d'une famille distinguée, il comptait, parmi ses
ancêtres et ses parents, plusieurs docteurs fameux, et lui-même,
quoique jeune encore, avait déjà beaucoup de réputation. Appre-
nant la propagation rapide de la religion, il dit : ce C'est ici une
très-grande affaire. Quoique cette doctrine étrangère ne paraisse
pas déraisonnable, ce n'est pas cependant notre doctrine des let-
trés ; et puisque Piek-i veut par là changer le monde, je ne puis
rester immobile. J'irai donc et je le ramènerai dans la bonne
voie. » On fixa le jour de la conférence. Les amis des deux doc-
teurs et une foule de curieux se réunirent chez Piek-i pour
assister à cette discussion solennelle. Ka-hoan-i essaya tout
d'abord de faire revenir Piek-i de ce qu'il appelait ses erreurs.
Il se croyait sûr de la victoire, mais chacune de ses assertions était
relevée par son adversaire qui les réfutait article par article, et
qui, le poursuivant jusque dans les plus petits détails, détruisait
et réduisait en poudre tout l'édifice de ses raisonnements. En
vain s'épuisait-il à le relever, tous les coups de Piek-i frappaient
juste. Toujours d'accord avec lui-même, il n'avançait rien sans
le prouver. Sa parole claire et lucide, disent les relations
coréennes, portait partout la lumière; son argumentation était
brillante comme le soleil ; elle frappait comme le vent, et tran-
chait comme un sabre.
Les nombreux spectateurs de ce combat singulier jouirent
alors d'un beau spectacle. C'était un des coryphées de la vieille
école, un champion des ténébreuses doctrines chinoises, aux prises
— 21 —
avec un défenseur de la lumière évangélique. Mais celui-ci, appuyé
sur la vérité, demeurait inébranlable, tandis que l'autre, malgré
sa souplesse, était renversé et ne se relevait que pour retomber
encore. La foi chrétienne triomphait sur ce théâtre éminent.
Elle faisait la conquête d'un grand nombre d*âmes droites et
sincères, et fortifiait son empire dans les cœurs des néo-
phytes. Une journée ne suffit pas néanmoins pour faire rendre les
armes à Tadversaire de Piek-i. Les discussions furent reprises
pendant trois jours ; mais elles n'eurent pour résultat que de
montrer de plus en plus la beauté et la solidité de la nouvelle
doctrine. Alors Ka-hoan-i, entièrement vaincu, n'ayant plus
aucun subterfuge à mettre en avant, dit ces mémorables paroles :
« Cette doctrine est magnifique, elle est vraie ; mais elle attirera
« des malheurs à ses partisans. Que faire? » Il se retira, et,
depuis cette époque, n'ouvrit plus la bouche au sujet de la reli-
gion chrétienne, et ne s'en occupa aucunement.
Piek-i profita, pour faire de nouvelles conversions, de la gloire
qu'il venait d'acquérir, mais bientôt un nouvel adversaire,
apprenant les résultats de la fameuse conférence et les progrès
de la foi, voulut, lui aussi, entrer en lice avec ses défenseurs.
C'était Ni Kei-iang-i, non moins remarquable par son érudition
que par la haute position de sa famille. Piek-i, fort de la vérité
qu'il annonçait, n'était pas homme à éviter cette rencontre. Il
développa l'origine du ciel et de la terre, le bel ordre du monde
dans toutes ses parties, et les preuves de la Providence. Il expli-
qua la nature de Tâme humaine et de ses différentes facul-
tés, l'admirable harmonie des peines et des récompenses futures
avec les actes de chacun pendant sa vie : enfin il démontra que la
vérité de la religion chrétienne s'appuie sur des principes inatta-
quables. Kei-iang-i, ne pouvant soutenir la discussion, garda le
silence. Il semblait croire au fond du cœur, mais il ne pouvait se
décider à l'avouer franchement. Aussi, quand il se fut retiré,
Piek-i dit en parlant de ces deux docteurs : « Ces deux Ni ne
savent que répondre ; mais comme ils n'ont aucun désir de prati-
quer la religion, il n'y a rien à en espérer. »
Cependant Piek-i, afin de favoriser la propagation rapide de
l'Évangile et d'établir solidement la religion chrétienne dans son
pays, songeait à lui donner pour appuis quelques personnages
dont la science et la réputation pussent imposer le respect et
captiver les esprits. Ne comptant plus sur ceux dont il a été parlé
plus hauU il jeta les yeux sur la famile Kouen de lang-Keun,
qui, auparavant, avait manifesté de bonnes dispositions. Cette
— 22 —
famille, déjà dans les honneurs au temps des Korie, s'était,
lors du changement de dynastie, ralliée une des premières au
nouveau roi, et depuis, son crédit n'avait fait qu'augmenter.
Kouen Tsiel-sin-i, surnommé Nok-am, le promoteur des con-
férences de la pagode dont il a été question au commencement
de cette histoire, et Tun des plus célèbres docteurs du temps, en
était alors le chef. Il était Tainé de cinq frères, tous renommés
pour leur science et leur bonne conduite, parmi lesquels on dis-
tinguait surtout le troisième, Il-sin-i surnommé Tsik-am. Les
cinq frères Kouen avaient un grand nombre de disciples, venus
de toutes les parties du royaume. Piek-i pensa donc qu'il serait
très-utile de convertir ces savants et d'en faire les propagateurs
et les soutiens de la religion.
A la neuvième lune de cette même année kap-tsin (1784), il
se rendit dans leur maison à Kam-san, dans le district de lang-
Keun. Dès qu'il fut arrivé, les conférences sur la religion recom-
mencèrent, et bientôt la vérité brilla dans tout son jour. L'atné,
T'siel-sin-i, âgé d'environ cinquante ans, qui avait passé sa vie
à approfondir la philosophie et la morale des livres sacrés des
Chinois, hésita d'abord. Sans résister à la lumière de FËvangile,
il ne pouvait se décider à perdre en un instant tout le fruit des
immenses travaux qui avaient fait sa réputation. Ce ne fut qu'un
peu plus tard qu'il embrassa la religion, et fut baptisé sous le
nom d'Ambroise. Sa foi constante et sa sainte vie lui méritèrent
une belle couronne, comme nous le verrons dans la suite. Mais
le troisième frère Il-sin-i se convertit de suite, et bientôt sa fer-
veur extraordinaire, son zèle éclairé, justifièrent pleinement les
espérances de Piek-i. Non content de pratiquer lui-même, il se
mit à instruire tous les membres de sa famille et commença k
prêcher la foi à ses amis et connaissances, avec tout le succès
que lui assurait Tautorité de son nom, de sa science et de ses
vertus. Dieu bénit tellement ses efforts, que le district de lang-
Keun peut, à juste titre, être considéré comme le berceau de la
religion en Corée.
Ce fut vers ce temps que Pierre Seng-houni, qui avait reçu le
baptême à Péking, conféra lui-même ce sacrement à Piek-i et à
Il-sin-i. Le choix des noms de baptême ne se fit pas d'une ma-
nière indifférente. Ni Piek-i avait commencé l'œuvre de la con-
version de la Corée : il avait ainsi préparé les voies à la venue du
Sauveur. Il fut décidé qu'il s'appellerait Jean-Baptiste. Kouen
Il-sin-i, voulant se consacrer à la prédication de l'Evangile, prit
pour son patron saint François-Xavier, l'apôtre de l'Orient, afin
— 83 —
d'en faire son modèle et son protecteur. C'est sous ce nom que
nous le désignerons désormais.
Ces trois hommes, Pierre, Jean-Baptiste et François-Xavier
marchaient d'un pas égal dans la noble voie qu'ils s'étaient tra-
cée, et profitaient de toutes les occasions pour faire briller la
lumière de la foi aux yeux de leurs compatriotes. Jusqu'alors la
prédication de TËvangile s'était faite ouvertement et sans entraves,
mais déjà il était facile de prévoir que la vérité ne se répandrait pas
sans combats. Les contradictions commençaient h s'élever. Les
préjugés bien connus du gouvernement et du peuple coréens fai-
saient craindre de prochaines violences. Ces prévisions ne décou-
ragèrent pas nos trois prédicateurs. Ils continuèrent à annoncer
Jésus-Christ, et la foi fit de grands progrès. Xavier Kouen sur-
tout, soit par lui-même, soit par ses disciples, obtint des succès
prodigieux.
La prédication avait commencé à la capitale, et dans la
province attenante; mais bientôt la parole de vie fut portée dans
les autres parties de la Corée.
Il y avait alors dans la maison de Xavier Kouen un jeune
homme nommé Ni Tan-ouen-i ou encore Tson-i'siang-i. Il était
né dans le village de le-sa-ol, au district de T'ien-an, province
de T'siong-l'sieng, sur les limites de la grande et fertile plaine
de Naï-po, et appartenait à une honnête famille de cultivateurs.
Ayant reçu de la nature des talents peu ordinaires, il se livra
d'abord chez lui à Tétude des lettres, mais bientôt le désir de
s'instruire plus complètement fit naître dans son esprit la
pensée d'aller étudier auprès de quelque maître célèbre. Les
docteurs Kouen étaient alors en grande réputation. Tan-ouen-i
se rendit auprès d'eux et se fit leur disciple. Xavier Kouen fut
charmé du bon esprit et des belles qualités de son nouvel élève.
Il lui donnait ses soins, déjà depuis un certain temps, lorsqu'il
eut le bonheur de devenir chrétien. Aussitôt^ il fit connaître la
religion à Tan-ouen-i, s'appliquant à lui enseigner non seule-
ment les principaux articles de la foi, mais surtout les devoirs de
la vie chrétienne, et la manière de les remplir. Il réussit au delà
de toute espérance. Ni Tan-ouen-i fut baptisé sous le nom de
Louis de Gonzague, et reçut de son maitre la mission de retour-
ner dans son pays pour y prêcher à son tour. Il revint donc dans
sa province, et convertit en très-peu de temps sa famille, ses
proches, ses amis et une multitude de personnes que sa réputa-
tion de savoir et de vertu attirait de toutes parts. Ainsi furent
jetés les premiers fondements de la célèbre chrétienté du Nai-po,
— 84 -
qui a toujours été depuis une pépinière de fervents chrétiens et
d'illustres martyrs.
A Xavier Kouen devait aussi revenir la gloire d'établir sur des
bases solides, la chrétienté de la province de Tsien-la, dans la
partie méridionale du royaume, en convertissant Niou Hang-kem-i,
qui fut appelé Augustin au baptême. Augustin appartenait à une
des classes les moins élevées delà noblesse, mais son mérite per-
sonnel et sa grande fortune lui donnaient beaucoup d'influence.
Il habitait à T'so-nami, au district de Tsien-tsiou. Ayant
entendu parler de la nouvelle religion, il fut attiré parla réputa-
tion des hommes fameux qui l'embrassaient, et voulant examiner
les choses par lui-même, il vint dans la (amille Kouen. A peine
eut-il connu les principes de la religion chrétienne, que son
âme droite se rendit, et il voulut commencer de suite à la pra-
tiquer. De retour chez lui, il instruisit immédiatement sa nom-
breuse famille, et annonça aussi la bonne nouvelle k ses amis,
voisins et connaissances. Sa ferveur, son zèle et sa constance
peuvent le faire regarder comme la pierre angulaire des chré-
tientés des provinces méridionales. Vers cette même époque»
PaulTsi T'siong-i, demeurant aussi dans la province de Tsien-la,
au district de Tsin-sou, reçut la foi par le moyen deKim Pem-ou,
dont nous parlerons plus tard.
Dans les pays plus rapprochés de la capitale, nous devons
signaler la famille Tieng, comme ayant beaucoup contribué à la
propagation de l'Évangile. Cette famille, depuis longtemps célè-
bre, était originaire de Na -tsiou, et demeurait alors à Ma-tsai,
district de Koang-tsiou, province de Kieng-kei. C'est à elle qu'ap-
partenaient les deux frères Iak-tsien et Iak-iong, qui prirent part
aux premières conférences de Piek-i. Elle comptait encore plu-
sieurs autres membres respectés, qui secondèrent admirablement
à cette époque le mouvement religieux. Il faut aussi mentionner
la noble famille de Luc Hong, dit Nak-min-i. Les deux frères
étaient dans les charges publiques. Ils furent tous instruits et
baptisés, par Pierre Seng-houn-i.
Dans la classe moyenne, ceux qui travaillèrent le plus à
répandre la religion, dès le commencement, furent Mathias
T'soi, Sabas Tsi et Jean T'soi. Mathias T'soi In-kiun-i, d'une
famille d'interprètes, fut instruit par Piek-i. Sabas Tsi dit
Tsiang-hong-i, d'une famille de musiciens attachés à la cour,
se présenta lui-même pour se faire instruire. D'un naturel
simple, respectueux et diligent, après avoir bien étudié la reli-
gion, il s'appliqua avec fen^eur à aimer Dieu, et son unique désir
— 16 —
était de pouvoir mourir pour lui. Aus^ s'exposail^i) avee joie
aux dangers, aux privations et aux souffrances, Jean T'»oi« dil
Tsiang-hien-i, et plus connu par son surnom de Koan«i'slen«i,
appartenait lui aussi à une famille d'interprMes. CViaii un
homme actif et infatigable. Dès qu'il eut embrasst^ la iH)ligion,
il copia de sa main tous les livres qui en trai(aiont« et |>ar lh«
rendit d*immenses services. Sa réputation de copiste devint «i
grande, que tous les chrétiens qui désiraient des livreH. M*adraii-
saient à lui pour en obtenir. On lui attribue la traduction
coréenne dn livre chinois intitulé : Explication ihn Évanyihti
des dimanches et fêtes.
Pour bien comprendre cette diffusion rapide de la doctrine
chrétienne, il n'est pas inutile de se rappeler ce que nou» avonn
dit dans Tintroduction, sur la nature des relations hahltucllcM de
société dans ce pays. Les appartements des femmeH, c\\n h*M
nobles et les riches, se trouvant à rintéricnr et eniRtretment
séparés, les rapports entre hommes n*en sont que pluM libren et
plus multipliés. Le devant de chaque mmou, oli réidde habi-
tuellement le maître, est comme un salon de réception, toujours
ouvert, où tous, amis ou étrangers, connus ou inr^onnuK, peuvi^nl
entrer, s*asseoir, boire le thé, fumer, et prendre part Ii la eon-
versa tioo. Les Coréens, naturellement flâneurs et \mysàfA%^ mni
conUooellement par voies et par chemins. Ceux qui n'ont rieo k
faire chez eux, vont de salon en salon, en quête de nouvelk^,
S'ocaipaot peu on point de politique, ils parlent seieoee^ Uitén^
tnre, se communiquent le résultat de leurs éiuAt%^ mm\fi^fmi
leurs travaux littéraires, ete. Il est (aeile 4*imzf(,imr fJMUum la
do^riae chréiieoiie^ si étrauge et ai uouveiie pcrur t^t^ tti pfhMiH
par des dodears f« renoomiéift, dut (ny^ b mrumUt (luMi^M^;
et ombîea de j^ersousef «« yaikr^i «t ^m é^umAipmi ^sukr,
dis SM afipanliOfi es 0>rée.
Ostre eevx dosi fiwf «tms émtté k% mm^^ I^i^smm)^^ 4*441'
ire§ MOfdnrte^ txrr«IIK;reflit akir^ â iîui^ liritter ans ir^aiti i^.imn
déi^^siQrlMS îd. ^m§s'atp«wlMh<3Miftall^^ W}^
CHAPITRE m
Premières épreuves. — Rapports de TÉglise coréenne avec l'Évèque de Pèkmg.
Quelques jours avant sa mort, Notre-Seigneur Jésus-Christ a
dit : (( Si le grain de froment tombant en terre, ne meurt pas, il
demeure seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui
qui aime sa vie, la perdra, et celui qui hait sa vie, la garde pour
Téternité. » Ces paroles divines sont vraies pour tous les
hommes, partout et toujours. La foi de chaque chrétien ne
s'enracine et ne vit que par la mortification et la souffrance ; la
foi de chaque peuple ne s'enracine, ne grandit, ne se développe,
qu'arrosée du sang des martyrs.
La nouvelle Église de Corée allait bientôt en faire l'expé-
rience. Mais le Dieu miséricordieux qui proportionne Tépreuve à
notre faiblesse, ne permit tout d'abord qu'un commencement de
persécution, assez pour avertir les néophytes, et leur montrer ce
qu'ils devaient attendre, pas assez pour les décourager. Leur
nombre augmentait tous les jours, mais le nombre et la violence
de leurs ennemis augmentaient plus rapidement encore. Le roi
cependant n'avait jusqu'alors pris aucun parti, et l'affaire dont
nous allons parler semble avoir eu lieu sans sa coopération.
Au commencement de l'année eul-sa (1785), un an à peine
depuis que l'Évangile avait été introduit en Corée, le ministre des
crimes, Kira Hoa-tsin-i, voulut en arrêter les'progrès par quelque
coup d'éclat, de nature à jeter la terreur dans les esprits. N'osant
pas s'attaquer directement aux chefs bien connus des chrétiens,
il fit saisir et traduire à son tribunal Kim Pem-ou, nommé Tho-
mas au baptême.
Thomas, né à la capitale, appartenait à une des principales
familles d'interprètes. Appliqué aux études et ami de la science,
il s'était lié avec Ni Piek-i, et c'est par lui qu'il fut instruit de
la religion en 1784. Répondant aussitôt à l'appel de la grâce, il
se mit à pratiquer avec ferveur, instruisit et convertit, non-seule-
ment sa famille tout entière, mais encore un certain nombre de
ses amis, surtout dans la classe des interprètes.
Appelé devant le ministre des crimes, et sommé de renoncera
sa religion, Thomas, soutenu par la grâce divine, refusa avec
.J^^k^iL
— n —
consfjince d'apostasier. Il fut appliqué à diverses tortures : mais
il ne fléchit pas un seul instant. Xavier Kouen ayant appris ce
qui se passait, crut indigne de lui d'abandonner son fidèle core-
ligionnaire. Accompagné de plusieurs autres chrétiens, il se rendit
devant le ministre : « Tous, s'écria-t-il courageusement, tous
« nous professons la même religion que Kim Pem-ou. Nous vou-
« Ions partager le sort que vous lui réservez, d Le ministre ne
crut pas prudent d'attaquer des personnages aussi puissants et
aussi distingués. Il les fit renvoyer, sans les écouter, et n'en
continua pas moins de persécuter Thomas. Après divers sup-
plices, dont le détail n'est pas connu, ne pouvant triompher de
la foi et de la constance du chrétien, il le condamna à l'exil dans
la ville de Tan-iang, à l'extrémité orientale de la province de
T'siong-t'sieng. Dans le lieu de son exil, Thomas Kim continua
à pratiquer publiquement sa religion. II faisait à haute voix ses
prières, et instruisait tous ceux qui voulaient Tentendre. Son
courage et sa patience ne se démentirent pas un seul instant.
Il mourut des suites de ses blessures, quelques semaines après
son arrivée à Tan-iang, selon les uns, ou selon d'autres, deux
ans plus tard. Telle fut la fin du premier martyr qui, sur la
terre de Corée, donna sa vie pour Jésus-Christ.
Cette affaire n'eut pas d'autres suites. Mais elle était suffisante
pour montrer aux chrétiens qu'il faut non-seulement professer
l'Évangile de bouche, mais aussi être prêt, le cas échéant, à
signer de son sang sa profession de foi. Aussitôt la terreur se
repandit, surtout à la capitale et dans les environs. Le T'ai-
hak-saing (savant précepteur du roi) nommé Tsieng-siouk-i, fit
publier alors une circulaire violente contre les chrétiens, enga-
geant leufô parents et amis à rompre ouvertement et complète-
ment avec eux. Ce document, daté de la troisième lune, 1785,
est la première pièce publique connue, qui attaque officiellement
le christianisme. Plusieurs familles firent tous leurs efforts, par
prières et par menaces, pour obtenir l'apostasie de ceux de leurs
membres qui avaient embrassé la religion. Il y eut alors de glo-
rieuses confessions, mais il y eut aussi des défections déplora-
bles, même parmi ceux qui semblaient être les colonnes de la
nouvelle Église. Pierre Seng-houn-i et Jean-Baptiste Piek-i,
étaient désignés par la voix publique, comme les principaux
chefs et fauteurs du christianisme ; aussi, ceux de leurs parents
qui n'avaient pas embrassé la foi , épouvantés du supplice de
Thomas Pem-ou, mirent tout en œuvre pour les faire renoncer
k une religion qui allait attirer des malheurs sur eux et
— 88 -
sur leur famille. Ils ne réussirent que trop, dans leur funeste
dessein.
Le frère cadet de Seng-houn-i, appelé Tsi-houn-i, témoignait
surtout une haine violente contre la religion. Il employa tous les
moyens pour décourager son atné et le faire changer de résolu-
tion. Poussé à bout par ces persécutions domestiques qui se renou-
velaient tous les jours, Seng-houn-i finit par céder. Il brûla ses
livres de religion et fit un écrit pour se justifier devant le public
d'avoir été chrétien.
Le père de Piek-i, homme d'un naturel emporté, n'avait
jamais voulu entendre parler de la nouvelle doctrine. Il fit des
efforts inouïs pour arracher la foi du cœur de son fils. Ne pou-
vant y réussir, il tomba dans le désespoir, et, un jour, se passa
une corde autour du cou pour se donner la mort. Piek-i, ébranlé
h la vue de semblables scènes, sentait son courage faiblir. Tou-
tefois, il ne se rendait pas encore. Un chrétien, indigne de ce
nom, vint près de lui pour achever de le perdre. Il y employa
toutes l'es ruses, tous les mensonges imaginables, jusqu'à ce
qu'enfin, fatigué de vexations, trompé par l'apostat, troublé par
la vue et par les paroles de son père au désespoir, Piek-i céda.
Picculant devant une apostasie manifeste, il usa de mots à double
sens pour dissimuler sa foi. Son cœur avait défailli ; Dieu n'y
avait plus la première place, et Dieu le rejetait, car il est écrit :
celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas
digne de moi. Depuis ce temps, circonvenu par ses proches et
ses amis païens, il ne put avoir aucun rapport avec les chré-
tiens. Les relations coréennes racontent qu'il fut horriblement
persécuté par les remords. Il devint morne, silencieux, mélan-
colique. Jour et nuit il versait des larmes, et souvent on len-
tendait pousser des gémissements douloureux. Il ne pouvait plus
se livrer au sommeil, il ne se dépouillait même plus de ses habits.
S'il mangeait, c'était sans appétit, sans goût et sans profit pour
son corps. Peu à peu cependant, les agitations de sa conscience
se calmèrent ; les derniers efforts de la grâce se faisaient à peine
sentir. Sa santé se rétablit, et on dit môme que le désir des
dignités pénétra dans son cœur. Quoi qu'il en soit, il n'eut le
temps d'en posséder aucune. Au printemps de l'année pin-go
(178C), il tomba malade de la peste qui sévissait alors (le io-ping
des Chinois, espèce de typhus), et mourut à l'âge de trente-trois
ans, après huit jours de maladie. Il a été impossible de savoir
d'une manière certaine comment se passèrent ses derniers mo-
ments. On prétend que des chrétiens purent parvenir jusqa'àiaii
— 29 —
pour Texhorter au regret de son crime, mais cette tradition
n'est appuyée sur aucun document authentique.
Espérons néanmoins que Dieu aura fait miséricorde à celui
dont le zèle et les grandes qualités ont tant servi à introduire et
propager TËvangile en Corée, et qu'à Tinstant suprême, il lui
aura accordé la grâce du repentir.
Cependant la foi du petit troupeau, ébranlée un instant,
n'était point anéantie. Si la chrétienté était dans le deuil à Toc-
casion de Tapostasie de quelques-uns de ses membres, elle était
en même temps consolée par la constance du plus grand nombre
au milieu des persécutions domestiques, souvent plus difBciles à
supporter que celles des juges et des bourreaux. Les conversions
se multipliaient. Louis de Gonzague Tan-ouen-i, le disciple de
Xavier Kouen, continuait à prêcher TËvangile dans la plaine du
Naï-po. Ses grands talents, joints à un don particulier de captiver
les âmes, lui attiraient chaque jour de nouveaux auditeurs, et
bien peu résistaient à ses prédications. Aussi le nombre des
chrétiens augmentait considérablement dans cette province. Ce
n'étaient plus seulement des familles de nobles et de lettrés qui
embrassaient la foi ; les cultivateurs, les hommes de labeur, les
gens du bas peuple, les pauvres, recevaient, eux aussi, le don de
Jésus-Christ. Ils arrivaient de loin, en foule, pour entendre la
bonne nouvelle, et demeuraient souvent plusieurs jours, nourris
et logés par les chrétiens. Un de ces derniers, nommé Ouen
Tong-tsi, qui plus tard reçut la couronne du martyre, est resté
célèbre pour sa généreuse hospitalité. Il recueillait et traitait
chez lui un grand nombre des auditeurs de Louis de Gonzague,
et c'est alors que prit naissance ce dicton populaire : « On va
« chercher la science dans la maison de Ni Tan-ouen-i comme
a on va chercher la nourriture dans celle de Ouen Tong-tsi.
De son côté, François-Xavier Kouen, qui s'occupait toujours
très-activement à la prédication, sentit le besoin de se retirer
quelque temps dans la solitude. Il avait compris à l'école de l'Es-
prit-Saint qui fut en cela son seul maître, qu'avant tout il faut se
sanctifier soi-même, si l'on veut être utile aux autres. Dans ce
but, il forma la résolution de faire une retraite spirituelle en
règle, et pour exécuter plus facilement son dessein, il quitta
momentanément sa famille, et se retira secrètement dans une
pagode déserte située dans les montagnes Liong-Moun-Son. Un
seul de ses amis, Justin T'sio, dit Tong-^um-i, l'accompagnait.
Arrivés dans la pagode, ils conviaieit .éUPftMi ^ dire un seul
mol, peodAM tout le temps à» ta Ji||||||j^^ huit
— 30 —
jours entiers, uniquement occupés aux exercices spirituels que
leur suggéra le désir d'imiter Notre-Seigneur et ses saints. Une
pratique si conforme au véritable esprit du Christianisme leur
obtint certainement de Dieu des grâces abondantes pour eux et
pour ceux qu'ils instruisirent après leur retraite. L'année sui-
vante, tieng-mi (1787), les clameurs contre la religion se cal-
mèrent peu à peu, les contradictions furent moins vives, et plu-
sieurs de ceux qui avaient cédé à Forage, manifestèrent leur
repentir. Pierre Ni Seng-houn-i, entre autres, qui avait succombé
par faiblesse, revint de nouveau trouver François-Xavier Kouen
et les frères Tieng, Iak-iong et Iak-tsien. Ceux-ci le reçurent
k bras ouverts.
C'est vers cette époque que, pour favoriser la propagation de
TÉvangile, et confirmer dans la foi les néophytes, François-
Xavier Kouen, Pierre Ni, les frères Tieng et autres chrétiens
influents formèrent le dessein d'établir entre eux la hiérarchie
sacrée. Cette pensée, quelque étrange qu'elle semble, était néan-
moins bien naturelle. N'ayant pas le bonheur, comme les chré-
tiens de Chine leurs modèles, de posséder des pasteurs venus de
rOccident, les chrétiens de Corée comprenaient cependant très-
bien qu'une église ne peut pas subsister sans chef. Dans leur
ignorance sur la nature du sacerdoce, sur sa transmission par
une chaîne non interrompue qui remonte jusqu'au souverain Prêtre
Jésus-Christ, ils crurent ne pouvoir rien faire de mieux que de
se créer h eux-mêmes, des évêques et des prêtres.
Pierre Seng-houn-i avait vu à Péking la hiérarchie catholique
en action : Tévêque, les prêtres et les autres clercs inférieurs. 11
avait assisté aux saints mystères dans l'église de cette ville. Les
sacrements avaient été administrés en sa présence. Il rappela
tous ses souvenirs, et à l'aide des diverses explications qui se
trouvent dans les livres liturgiques ou dogmatiques à Tusage des
chrétiens, on arrêta un système complet d'organisation, et on
procéda de suite à l'élection des pasteurs.
François-Xavier Kouen, que sa position, sa science et sa vertu
mettaient au premier rang, fut nommé évêque. Pierre Ni Seng-
houn-i, Louis de Gonzague Ni Tan-ouen-i, Augustin Niou, Jean
T'soi Tsiang-hien-i et plusieurs autres, furent élus prêtres. On
ignore s'il y eut quelque cérémonie, ressemblant h une consé-
cration ou ordination. Chacun se rendit immédiatement à son
poste, et ils commencèrent une sorte d'administration des chré-
tiens, prêchant, baptisant, confessant, donnant la confirmation,
célébrant les saints mystères, et distribuant la communion aux
.. ^'.1-.. ..». .
— 31 —
fidèles. Ces sacrements sont les seuls que nous trouvions men-
tionnés dans les mémoires du temps. Le baptême donné par ces
pasteurs était évidemment valide, et conférait la grâce de la régé-
nération. Les autres sacrements qu'ils administraient étaient évi-
demment nuls. Néanmoins, il est certain que leur ministère
réchauffa partout la ferveur, et donna un nouvel élan à la propa-
gation de la foi dans tout le royaume. On parle encore de Ten-
thousiasme des chrétiens, de leur sainte ardeur pour assister aux
cérémonies et pour recevoir les sacrements. La grand'mère du
célèbre martyr André Kim, le premier prêtre indigène de la
Corée, a raconté que Louis de Gonzague Ni, son oncle, par qui
elle avait été baptisée, se servait d'un calice d'or pour célébrer le
sacrifice. Les ornements sacrés étaient confectionnés avec de
riches soieries de Chine. Ils n'avaient pas la forme de nos cha-
subles, mais ils étaient semblables à ceux dont les Coréens font
usage dans leurs sacrifices. Les prêtres portaient le bonnet usité
en Chine, dans les cérémonies du culte catholique. Pour entendre
les confessions des fidèles, ils se plaçaient sur un siège élevé sur
une estrade, et les pénitents se tenaient debout devant eux. Les
pénitences ordinaires étaient des aumônes, et pour les fautes les
plus graves, le prêtre frappait lui-même le coupable sur les
jambes avec une verge. Accoutumés, selon les lois de Tétiquetle
coréenne, à fuir la vue des femmes de condition, les prêtres refu-
sèrent d'abord de les confesser; mais les instances furent si vives
qu'il fallut y consentir. Ils ne faisaient pas la visite des chrétientés,
mais on venait auprès d'eux leur demander les sacrements. Ils
voyageaient à pied, et s'excitaient toujours h éviter le faste et
l'orgueil.
A la capHale, Jean Tsoi Koan-f sien-i loua une maison pour
l'administration des sacrements. Plein d'activité et doué d'une
grande pénétration d'esprit, il réglait toutes les affaires, recevant
les prêtres et préparant les chrétiens. Jour et nuit, il était occupé
k ce ministère, sans redouter ni les embarras ni les fatigues; il
était comme le catéchiste général de la chrétienté. Son père,
quoique ne pratiquant pas la religion, était loin de s'opposer aux
nombreuses réunions qui se faisaient chez lui; il les protégeait,
au contraire, de tout son pouvoir.
Ce clergé coréen improvisé continua ainsi ses fonctions pen-
dant près de deux ans, avec de grands succès et dans une par-
faite bonne foi. Mais en Tannée kei-iou (1789), certains passages
des livres de religion, examinés plus minutieusement, firent
naître dans l'esprit des prêtres et de l'évéque des doutes sérieux
— 32 —
sur la validité de leur élection et de leur ministère. IlscoDcIurent
qu'il fallait de suite renoncer à toute administration comme à
une entreprise téméraire, et prirent la résolution d'écrire à
révêque de Pékin pour le consulter à ce sujet. Après s'être ainsi
avancés devant toute la chrétienté, il dut leur en coûter beau-
coup, pour abandonner immédiatement leur position, au risque
de s'exposer à la risée publique. Mais leurs intentions étaient
droites, leur foi sincère, et ils ne voulurent, sous aucun prétexte,
s'exposer à profaner les choses saintes. Ils reprirent donc immé-
diatement leur place parmi les simples fidèles, et ne s'occupèrent
plus qu'à instruire les nouveaux chrétiens, et à prêcher la foi
aux Gentils.
La lettre consultative à Tévêque'de Péking ayant été rédigée
par Pierre Seng-houn-i et François-Xavier Kouen, on rechercha
les moyens de la faire parvenir sûrement. L'ambassade annuelle
offrait une occasion naturelle. Mais il fallait trouver un homme
capable et dévoué qui voulût accepter la périlleuse mission d'éta-
blir des relations nécessairement secrètes, avec l'Église de Chine.
11 n'y avait pas de chrétien dans l'ambassade : il fallait y en faire
entrer un à l'insu des païens. On jeta les yeux sur le catéchumène
Paul loun lou-ir-i, pour ce rôle important. Paul loun descen-
dait d'une famille noble du district de Nie-tsiou. 11 avait été
disciple des Kouen, et François-Xavier l'avait instruit des vérités
de la religion. Son caractère doux et affable et sa grande
discrétion le rendaient propre à l'entreprise projetée. Il accepta
la mission qu'on lui confiait, se chargea de la lettre à Tévêque,
et déguisé en marchand, partit pour Péking à la dixième lune
de cette même année 1789.
La route de Séoul à Péking est de trois mille lys, plus de trois
cents lieues. Ce long voyage, fait pendant l'hiver, dans un pays
étranger, est très-pénible et offre des dangers véritables. Il n'est
pas rare de voir plusieurs personnes de Tarabassade succomber
à la suite de maladies contractées en route. Les fatigues ordi-
naires étaient bien plus grandes encore pour Paul qui, appliqué
dès Tenfance à Télude, et habitué à une vie sédentaire, n'avait
aucune expérience des voyages, et se trouvait isolé au milieu de
compagnons inconnus, sans aucun appui humain. Il dut cepen-
dant faire la route à pied, comme tous ceux dont il siftiulait la
profession, et enfin, malgré mille difficultés, soutenu qu'il était
par la grâce toute-puissante de Dieu, il arriva heureusement à
Péking. Il se rendit aussitôt auprès de l'évêque, lui remit li
lettre dont il était porteur, et lui raconta dans le piiisfi;^
■JjJÉi
'Ét:'::é.4
— 33 —
détail tout ce qui s*était passé en Corée, les joies et les tribula-
tions de la chrétienté naissante. L'arrivée inattendue de Paul
causa une joie bien vive dans Téglise de Péking. La présence de
ce chrétien, venu d'un royaume oh jamais aucun prêtre n'avait
prêché le nom de Jésus-Christ, et expliquant de quelle manière
admirable la foi s'y était propagée, fut le plus doux des spec-
tacles pour les missionnaires et surtout pour 1 évêque, Mgr Govea,
qui se hàra d'écrire une lettre pastorale à ces nouvelles ouailles
que Dieu lui donnait.
Au printemps de Tannée kieng-sioul (1790), Paul reprit à la
suite de l'ambassade la route de sa patrie. Il avait reçu à Péking
les sacrements de Baptême, d'Eucharistie et de Confirmation (1).
Fortifié par ces secours célestes, il sut se tirer adroitement de
tous las mauvais pas, passa la frontière sans exciter de soupçon
et revint à la capitale, sans s'être attiré aucune fâcheuse affaire.
La réponse de Tévêque était écrite sur une pièce de soie, afin
que Paul pût la cacher plus aisément dans ses habits, et l'intro-
duire en Corée d'une manière plus sûre et plus facile. Elle était
adressée à Pierre Ni et à Xavier Kouen. Le prélat commençait
par exhorter les néophytes à rendre d'immortelles actions de
grâces au Dieu très-bon et très-grand, pour Tinestimable bienfait
de la vocation à la foi. 11 les excitait à la persévérance et à l'em-
ploi des moyens nécessaires pour conserver la grâce de l'Évan-
gile. Venait ensuite une exposition abrégée des dogmes et de la
morale chrétienne. Pierre et François-Xavier étaient repris pour
s'être ingérés témérairement dans le ministère sacerdotal. L'évê-
que leur expliquait qu'ils ne pouvaient nullement célébrer les
saints mystères et administrer les sacrements ,à l'exception du
baptême, parce qu'ils n'avaient pas reçu le sacrement de l'Ordre ;
mais qu'ils faisaient une action très-agréable à Dieu en instrui-
sant et encourageant les chrétiens, et en convertissant les infi-
dèles. Il les exhortait à persévérer dans cette conduite.
Cette réponse, attendue si longtemps, ne laissait plus aucun
doute. Elle fut reçue avec une entière soumission, et chacun se
félicita de la prudence qu'on avait eue d'interrompre les fonc-
tions du saint ministère.
Cependant, les chrétiens coréens avaient un grand désir de
(i) Panl fût baptisé à Péking par H. Raux, supérieur des missionnaires
Lazaristes français en Chine, le 5 février 1790. Le frère Pansi fût son parrain,
61 peignit ton portrait que l'on envoya à Saint-Lazare. — Nouv, lettres édif.,
tome V, p. M. — Ce frère, horloger et mécanicien habile^ est nommé Paris
tei4UMilMinient8. — Ami. de la Pn^. àe to Foi, tome X, p. i27.
. ■ 3
— 84-
recevoir les sacrements. Enflammés par les récits de Paul loun
qui leur parlait de églises qu'il avait vues à Péking, des mis-
sionnaires européens venus des extrémités de la terre pour pro-
pager rËvangile, des entretiens qu'il avait eus avec eux et des
sacrements qu il avait reçus, ils résolurent d'envoyer une nou-
velle lettre à Tévéque de Péking, pour le supplier instamment de
leur envoyer des prêtres qui pussent les instruire par la prédi-
cation, et les fortifier par 1 administration des sacrements. L'oc-
casion était favorable. Une ambassade extraordinaire allait partir
pour féliciter Tempereur Kien-long, qui célébrait, au mois de
septembre 1790, la quatre-vingtième année de son âge. Paul
loun reprit donc le chemin de la Chine. Il était accompagné,
daas ce second voyage, par un catéchumène nommé Ou, officier
du roi de Corée, chargé par ce prince de faire quelques em-
piètes à Péking. Nos deux députés arrivèrent sans accident, et
remirent à Tévêque la lettre de leui*s compatriotes.
Outre les instantes prières des néophytes pour obtenir un
pasteur, cette lettre contenait aussi plusieurs questions sur les
contrats de leur pays, sur les superstitions, sur le culte des
ancêtres, et sur quelques autres points difficiles. Après avoir pris
sur des matières de cette importance Tavis de missionnaires
savants et zélés, Tévèque répondit aux questions des Coréens,
leur promit de leur envoyer un prêtre, et leur fit connaître h
quelle époque et de quelle manière ce prêtre se présenterait à
la frontière, afin qu'ils pussent préparer et faciliter son entrée.
Le catéchumène Ou fut baptisé, et reçut le nom de Jean-Bap-
tiste. On lui remit un calice, un missel, une pierre sacrée, des
ornements, et tout ce qui était nécessaire pour la célébration du
saint sacrifice. Ou lui apprit aussi à faire du vin avec des raisins,
afin que tout fût prêt, à Tarrivée du missionnaire.
Paul et Jean-Baptiste repartirent de Péking au mois d'octobre.
Ils arrivèrent heureusement dans leur pays, et rendirent la lettre
de révêque et les objets qui leur avaient été confiés. L'Église
naissante tressaillit de joie, dans Tespérance de posséder bientôt
un prêtre, mais la décision sur les superstitions et le culte des
ancêtres fut, pour plusieurs, une pierre de scandale et une cause
d'apostasie.
Jusqu'alors les néophytes coréens, assidus aux observances
chrétiennes qu'ils connaissaient, n'en avaient pas moins continué
le culte superstitieux rendu aux parents défunts. L'ignorance et
la bonne foi pouvaient les excuser, mais dès ce moment toute
participation à de semblables pratiques, sacrifices, cérémonieSt
-85-
prostrations, etc., devenait impossible. L'Église leur déclarait
parla bouche de Tévêque de Péking que le culte des ancêtres est
contraire au culte de Dieu. Cette déclaration, rendue publique,
devait blesser à la prunelle de Tœil toutes les classes de la popu-
lation, car en Corée, la religion des lettrés ou le culte des ancê-
tres, est la religion de TËlat. Toute infraction à ce culte est
reçue avec une violente répulsion par l'opinion publique dans
le pays tout entier, et Tomission des cérémonies requises sévl^
rement punie. Ces usages traditionnels, dont Torigine remonte
très-haut, et qui ont été transmis fidèlement de génération en
génération, sont aux yeux de tous la base de la société, le
fondement de TËtat, le point d'appui de tous les rapports
naturels; et malheur à c^lui qui a Taudace de les attaquer,
même en paroles! Il était dès lors facile de prévoir Torage qui
allait éclater, et le parti que les ennemis des chrétiens allaient
tirer de leur conduite pour détruire et anéantir TÉglise nais-
sante.
Quelques chrétiens faibles en furent épouvantés, et cessèrent,
dès ce jour, de pratiquer la religion. Parmi eux, nous avons la
douleur de compter Pierre Ni Seng-houn-i, que la crainte avait
déjà fait tomber d'une manière si déplorable quelques années
auparavant. 11 se retira chez lui et n'eut plus aucun rapport
avec les chrétiens. Bien plus, cédant à l'ambition des dignités,
il obtint successivement divers emplois publics, ce qui, en ce
pay!4 comme en Chine, entraine nécessairement une participa-
tion fréquente au culte idolâirique. Désormais, nous ne le ver-
rons plus paraître que de loin en loin, poursuivi, malgré .sa
défection, par le mépris des païens eux-mêmes, et ne pou-
vant parvenir à se laver auprès d'eux du crime d'avoir intro-
duit la religion en Corée. C'est \h, aux yeux des gentils, une
espèce de péché originel qu'ils reprochent encore aujourd'hui à
ses descendants. Malgré cette seconde chute d'un chef influent,
lu foi des néophytes ne parait pas avoir été ébranlée, et le très-
grand nombre, soumis d*esprit et de cœur à la décision de
TEglise, continua à pratiquer avec ferveur, et renonça à tous les
actes superstitieux.
Xavier Kouen, resté seul des trois premiers fondateurs de la
chrétienté, redoubla de zèle pour raffermir, diriger et augmenter
le petit troupeau. Il fut en cela merveilleusement secondé par
Jean T'soi, surnommé Koan-tsien-i, âgé alors de trente et quel-
ques années. De leur côté, Louis de Gonzague au Nai-po, et
Augustia Nioa Haog-kem-i dans la province de Tsien-lat ne m
^
— 86 —
ff
décooragèrent point, et continuèrent à travai^er de toutes leurs
forces au progrès de TËvangile.
C'est dans cette année (1790) qu'eut lieu la conversion de
T'soi Pil-kong-i, appelé Thonaas au baptême. Thomas T'soi était
né à la capitale, d'une famille de la classe moyenne. Ses ancêtres
avaient été employés comme médecins par le gouvernement ;
mais à cette époque T^soi était réduit à une grande pauvreté,
parce qu'il n'avait aucun protecteur pour obtenir un emploi.
Son indigence Tavait même empêché de se marier. La franchise
et la générosité faisaient le fond de son caractère, aussi em-
brassa-t-il la religion aussitôt qu'il en entendit parler. Dès le
premier jour de sa conversion il montra une grande ferveur, ne
pensant qu'aux choses spirituelles, et oubliant même de subve-
nir aux nécessités du corps. Ce saint enthousiasme ne se refroidit
point avec le temps. Inaccessible à la crainte, il ne cessait de
prêcher publiquement le christianisme, et il lui arrivait quel-
quefois de s'arrêter dans les rues, au milieu de la foule, et de
s'écrier à haute voix : « Il faut nécessairement servir le grand
« Roi du ciel et, de la terre. Gomment ne pas servir le grand seî-
« gneur de toutes choses? » Aussi, quoiqu'il fût nouveau chré-
tien, il fut bientôt connu partout comme un des plus fervents.
Cette conversion, et un certain nombre d'autres sur les-
quelles nous n'avons malheureusement pas de détails, servirent
beaucoup à ranimer le courage des chrétiens de Corée, et à les
fortifier d'avance contre la persécution qui ne pouvait tarder
d'éclater.
CHAPITRE IV
Persécution de 179i. — Martyre de Paul loun et de Jacques Koacn.
Après le martyre de Thomas Kim Pem-ou, les clameurs des
ennemis de la religion s'étaient un peu calmées, mais leur haine
n'était pas éteinte. Ils tramaient toujours de nouveaux complots
pour perdre les chrétiens, et ils ne préparaient leurs batteries
dans le secret que pour les rendre plus formidables. Deux hom-
mes surtout se montraient les adversaires acharnés de rÊvan*
gile. C'étaient Hong Nak-an-i et Ni Kei-kieng-i. Le premier
avait, en 1787 et 1788, publié des lettres violentes contre les
chrétiens, et adressé une supplique au roi, pour obtenir un édit
de persécution. Le second, ami de Pierre Seng-houni et son
compagnon d'études, avait d'abord fait cause commune avec les
fidèles, mais s'était bientôt retiré, et, en 1788, était allé gros-
sir le parti de Hong Nak-an-i. Appliqués sans cesse à rechercher
tout ce qui pouvait favoriser leur projet, ces deux individus
épiaient la conduite et les paroles des chrétiens, et n'attendaient
qu'une occasion favorable pour exciter une persécution contre
eux. Cette occasion se présenta dans Tannée sin-haï (1791),
lorsque, à la mort de la mère de loun Tsi-t'siong-i, ce chrétien
refusa de faire les sacrifices accoutumés.
Paul loun Tsi-t'siong-i, appelé encore Ou-iong-i, descendait
d'une famille noble originaire de Tile de Hainam. Ses ancêtres
avaient souvent Ofxupé des places distinguées, et plusieurs
d'entre eux s'étaient fait un nom dans les lettres. Son père,
après s'être livré avec succès à l'étude de la médecine, était venu
s'établir au village de Tsang-kou-tong, district de Tsin-san,
province de Tsien-la. C'est là que naquit Paul loun en l'année
kei-mio (1759). Dès l'enfance, il se fît remarquer par son intelli-
gence et sa bonne conduite. 11 acquit rapidement une réputation
de science, qui grandit encore, lorsqu'en l'année kiei-mio (1783),
â l'âge de vingt-cinq ans, il obtint aux examens publics le grade
appelé tsin-sa (licencié). Pendant l'hiver de Tannée suivante,
ayant fait un voyage à la capitale, il trouva chez Thomas Kim
Pem-ou, deux livres de religion qu'il emporta et dont il prit
copie ; mais il ne pratiquait pas encore. Ce ne fut qu'environ
— 88 —
trois ans après, qu^insfruit par son cousin germain Tieng Iak-
fsien, sur tout Tensemble de la religion chrétienne, il Tenobrassa
définitivement et se mit avec ferveur à en remplir les devoirs.
Lorsqu'on commença à persécuter les chrétiens, il brûla, par
crainte, une partie de ses livres, mais n'en continua pas moins a
pratiquer la religion en secret. On ne voit pas qu'il ait eu beau-
coup de relations publiques avec les chrétiens, ni qu'il ait tra-
vaillé à la conversion des infidèles. La lettre de Tévéque de
Péking défendant les sacrifices et autres superstitions en llion-
neur des parents défunts, n'ébranla pas son courage. Il obéit
sur-le-champ, et brûla les tablettes, qui, selon la coutume du
pays, étaient conservées dans sa famille. Sur ces entrefaites,
dans l'été de l'année sin-haî (1791), sa mère, nommée Kouen,
vint h mourir.
La position était délicate. La nouvelle de cette mort allait atti-
rer chez Paul ses parents et amis, pour lui faire leurs compliments
de condoléance et pour assister aux sacrifices. Il devait violer sa
foi et renier son Dieu au moins extérieurement, ou bien être prêt
h affronter les reproches, les injures et les malédictions. Son
âme noble et droite ne balança pas sur le parti à prendre. Il
revêtit l'habit de deuil, pleura sincèrement sa mère, et fit tout
ce que peut suggérer, en pareille circonstance, une piété filiale
éclairée et bien entendue. Rien ne manquait à ce qu'exigent
l'amour d'un fils pour sa mère et les convenances extérieures,
seulement il n'y avait pas eu de sacrifices. Aussitôt les mur-
mures éclatèrent. On ne parla plus que de cet attentat jusqu'alors
inouï, surtout de la part d'un enfant noble. La nouvelle s'en
répandit au loin, et bientôt, signalé comme impie par tout ce
qu'il avait de plus cher, montré au doigt par ses voisins comme
un homme qui a renié tous les sentiments de la nature, injurié,
menacé d'être traduit comme rebelle à son roi, Paul se trouva
h peu près mis au ban de la société.
Mais rien ne put vaincre cette âme généreuse. Paul avait
pour soutien sa conscience calme qui ne lui reprochait aucun
crime. Il avait l'exemple du divin Sauveur, qui a été poursuivi
le premier, par les injures et les calomnies. II avait surtout la
grâce de son Dieu, grâce d'autant plus forte que l'épreuve était
plus terrible, et il persista dans sa courageuse profession de foi.
Cette nouvelle parvint aux oreilles de Hong Nak-an-i, et nulle
autre ne pouvait lui être plus agréable. II adressa aussitôt une
pétition au premier ministre T\sai, tout-puissant alors, ne
demandant rien moins que la peine capitale contre Paul. En
-39 -
même temps il écrivit au mandarin du district de Tsin-^ân,
nommé Sin Sa-ouen-i, pour le presser de km des perquisitions
et d'arrêter le coupable. Il parait que le ministre, de son côté,
donna des ordres analogues au gouverneur de la province. Le
mandarin de Tsin-san se rendit donc chez Paul. Une visite
domiciliaire chez un noble est, en Corée, une expédition très-
délicate et souvent dangereuse, mais le mandarin était trop
bien renseigné pour avoir rien à craindre. Il fut cependant un
peu interdit en trouvant dans la maison de Paul, la boite em-
ployée dans le pays pour enfermer les tablettes. La botte fut
ouverte, et se trouva vide (1). Aussitôt Sa-ouen-i donna Tordre
d'arrêter Paul loun Tsi-t'siong-i et son cousin Jacques Kouen-
Siang-ien-i (2), Tun fils, lautre neveu de la défunte. Comme ils
s'étaient retirés l'un à Koang-tsiou et l'autre à Han-sou, proba-
blement d'après quelque avis secret de l'arrivée du mandarin,
celui-ci emmena prisonnier, comme caution, l'oncle de Paul.
^ Jacques Kouen Siang-ien-i que. nous venons de nommer, appar-
tenait à une famille originaire d'An-tong, dans la province de
Kieng- siang, mais établie depuis quelqne temps dans le district de
Kong-tsiou. Sans être de la première noblesse, elle comptait
cependant parmi ses membres quelques personnages distingués.
Kouen se livrait à l'étude des lettres et de la morale, lorsqu'il fut
instruit de la religion par son cousin Paul. Il l'embrassa de suite,
et ne cessa plus de la pratiquer fidèlement. A la mort de sa
tante, mère de Paul, il imita la courageuse conduite de son cou-
sin. Comme lui, il ne fit aucun sacrifice. Il supporta avec lui les
reproches et les injures de ses parents et amis, et fut enveloppé
dans sa disgrâce, ou plutôt, partagea son bonheur.
Dès qu'ils connurent le mandat d'arrêt lancé contre eux, et
l'arrestation de l'oncle de Paul, ils partirent de compagnie, pour
se livrer eux-mêmes entre les mains du mandarin Sin Sa-ouen-i,
et faisant route nuit et jour, arrivèrent à la préfecture de Tsin-
san le soir du vingt-sixième jour de la onzième lune de l'année
sin-haï (1791). Les interrogatoires commencèrent de suite. Les
voici, tels qu'ils nous ont été racontés par Paul lui-même, dans
des notes qu'il écrivit en chinois, et qui furent plus tard tra-
(1) Il est strictement défendu aux chrétiens de conserver etd*exposer à la
Tiie celle botie de lableties, môme quand elle est vide. Mais, à colle époque,
le plus grand nombre des néophytes ne connaissaient pas bien cette prohi-
bition, et, les tablettes une fois détruites, ne voyaient aucun inconvéuient &
laisser la botte à sa place habituelle.
(2) Quelques relations donuent ù ce dernier le nom de Jean. Mais il nous
lemble certaîA 4o'U,niiy|kMMl| /«oqucs au baptême.
— 40 -
duites en coréen. Nous reproduisons intégralement ces documents
parce qu'ils sont les premiers de ce genre qui nous aient été
conservés, et parce quils feront comprendre, mieux que toute
explication, les idées du peuple coréen sur le culte des ancêtres,
et ses terribles préjugés contre la religion chrétienne.
« Vers le soir du vingt-sixième jour de la dixième lune (1791),
j'arrivai à la préfecture de Tsin-san, et aussitôt après le souper
je fus cité devant le mandarin. — En quel état te voisje, s*écria-
t-il, et comment en es-tu arrivé là? — Je ne comprends pas très-
bien ce que vous me demandez, lui répondis-je. — Je dis qu*il
circule contre toi des bruits très-graves. Se pourrait-il qu'ils
soient fondés? Est-il vrai que tu sois perdu dans des supersti-
tions? — Je ne suis nullement perdu dans des superstitions;
seulement, il est vrai que je professe la religion du Maître du ciel.
— Et n'est-ce pas là une superstition? — Non, c'est la véritable
voie. — S'il en est ainsi, tout ce qui s'est pratiqué depuis Pok-hei
jusqu'aux grands hommes de la dynastie Siong, tout est donc
mensonge? — Dans notre religion, parmi les commandements, se
trouve celui qui nous défend de juger et de condamner autrui.
Pour moi, je me contente de suivre la religion du Maître du ciel,
sans songer ni à critiquer personne^ ni à faire des comparaisons.
— Tu refuses d'offrir des sacrifices aux ancêtres ; mais l'ani-
mal Sei-rang ne fait-il pas lui-même preuve de reconnaissance
envers les auteurs de ses jours! Certains oiseaux savent aussi
faire les sacrifices; à plus forte raison, l'homme doit-il en agir
ainsi (1). N'as-tu pas lu le passage des livres de Confucius où il e^t
dit : Celui qui, pendant la vie de ses parents, les a servis selon
toutes les règles, qui, après leur mort, a fait leurs funérailles
selon toutes les règles, enfin offert les sacrifices selon les rites
prescrits, celui-là seulement peut dire qu'il a de la piété
filiale. — Tout cela, répondis-je, n'est pas écrit dans la religion
chrétienne. — Alors, le mandarin citant d'autres passages des
livres sacrées de Confucius, m'exhorta vivement à changer de con-
duite, et me dit en soupirant : — Quel dommage! Depuis tant de
générations la renommée de ta famille est allée en grandissant
jusqu'à toi; la voilà entièrement ruinée. Tu avais toi-même la
réputation d'un lettré plein de talent ; mais ton esprit manquant
de maturité et de réflexion, tu en es venu au point d'abandonner
le culte de tes pères. Si j'avais su plus tôt que tu agissais ainsi, je
serais allé de suite t'exhorter, te faire ouvrir les yeux, et je t'aurais
(1) Ancien proverbe[coréen fondé sans doute sur quelque histoire ftibuleilie»
— u —
empêché d'arriver à cette extrémité. Cependant, tout n'est pas
perdu. Il y a eu, par le passé, de grands hommes qui sont reve-
nus, après avoir été longtemps égarés par les doctrines de Fo et
de Lao-tse. Si donc, dès maintenant, tu songes à changer, tu
peux encore marcher sur leurs glorieuses traces. — S'il y avait
encore pour moi possibilité de changer, je Taurais fait tout d'a-
bord, et je ne serais pas venu jusqu'ici. — Il n'y a donc plus rien
à tenter pour t'amener à de meilleurs sentiments! Pour moi, je
ne veux ni décider ton sort, ni t'interroger minutieusement.
Arrivé devant le tribunal criminel, tu auras à rendre compte de
toute ta conduite. Ce corps que tu as reçu de tes parents, tu veux
donc follement lui faire souffrir les supplices et la mort? De
plus, tu es cause que ton oncle est emprisonné dans sa vieillesse ;
est-ce là remplir le devoir de la piété filiale? — Acquérir la vertu
en dépit des supplices et de la mort, est-ce manquer de piété filiale?
Aussitôt que j'ai appris l'incarcération de mon oncle, sans même
faire halte la nuit, je suis accouru me livrer entre vos mains;
n'est-ce pas là remplir les devoirs de la piété?
« Le mandarin ordonna alors de me traiter selon la loi, et aus-
sitôt on me passa au cou une lourde cangue, piris il me dit en
soupirant : — Dans quel accoutrement te voilà ! Mourir sous la
cangue et dans les fers, c'est mourir en criminel. — Il me fit con-
duire à la prison ; mais la chambre qui m'était destinée étant en
ruines, et n'ayant pas encore pu être restaurée, je fus déposé
dans une autre pièce. Ainsi se termina la journée.
« Le 27 se passa sans aucun incident remarquable. Le 28, à
l'heure du déjeuner, je vis entrer dans la prison mon cousin
Jacques Kouen. 11 venait de subir son interrogatoire. On lui
avait fait les mêmes questions, et il y avait répondu de la même
façon que moi. A midi, le mandarin fit appeler mon oncle; et,
après lui avoir adressé de longues condoléances : — Ne pouviez-
vous donc pas, lui dit-il, faire comme tel et tel, que vous connais-
sez, et empêcher ces jeunes gens de se livrer aux pratiques
mauvaises? — Mon oncle ne répondit pas un seul mot, sortit
du tribunal ; et fut, je crois, relâché à l'heure même. Vers la chute
du jour, nous fûmes cités de nouveau, mon cousin et moi; la
grande cangue nous fut enlevée et fut remplacée par la petite : —
Vous allez, rtous dit le mandarin, partir pour Tsien-tsiou,
résidence du Tsieng-min-si, gouverneur de la province. Mais
quelle conduite tenez-vous donc? ne pas suivre, avec la doc-
trine des lettrés, vi^<^ If^^^J^i^' ^^ s'attirer soi-même
des malheurs, qa'eiNi^HHI» •signifie? — Puis, regardant
- « -
mon cousin Kouen il lui dit : — Toi qui as vécu au milieu
de tous tes parents, as-tu répandu ces superstitions parmi eux?
— Nous gardâmes tous les deux le silence, et le mandarin ne
recevant pas de réponse, nous renvoya. Nous étions accompa-
gnés du prétorien préposé aux afTaircs criminelles, d'un satellite
et d'un geôlier. Us avaient reçu Tordre de nous faire partir sur
rheure, mais la nuit étant déjà venue quand nous sortîmes du
tribunal, il fut impossible de se mettre en route, et nous cou*
châmes chez le correspondant du canton (1).
« Le 29, au premier chant du coq, nous étions en route. Nous
fimes une première halte à Tauberge de Sin-keren pour déjeuner,
et plus tard une deuxième, à Kai-pa-hai, pour faire manger les
chevaux. A la chute du jour, après avoir passé près de l'hôtel de
voyage des dignitaires à Àn-tek, et franchi un petit monticule,
nous rencontrâmes les satellites du tribunal criminel qui venaient
nous chercher. De nombreux valets étaient sur pied et s'avan-
çaient en poussant de grandes clameurs, et en faisant un tel
vacarme, que notre prise ressemblait à celle d'insignes voleurs.
On nous conduisit à la préfecture, en dehors de la porte du sud,
et, comme les ténèbres étaient déjh complètes, et la nuit avancée,
on alluma des torches à notre droite et à notre gauche, et l'on
nous plaça près des gradins du tribunal. Le juge criminel nous
dit : quels sont vos noms et prénoms? — Nous les déclinons. —
Connaissez-vous le crime dont vous êtes accusé? — J'ignore ce
dont il est question. Notre gouverneur nous ayant envoyés au
juge, nous sommes venus sur son ordre, et contre toute attente,
nous avons été, en route, saisis comme des voleurs. — Quelles
sont vos occupations habituelles? — Je me livre à l'élude. — A
quelles études? — A Tétude de la religion? — En quel endroit
vous étiez-vous retirés chacun séparément? — J'ai été h Koang-
tsiou, répondis-je ; et moi à Han-sou, dit mon cousin Jacques
Kouen. Ayant appris, chacun de notre côté, l'ordre du manda-
rin, nous sommes revenus de suite, sans même faire halte la nuit,
pour nous livrer entre ses mains. — Nous répondîmes ainsi fran-
chement. Peu après, on passa au cou de chacun de nous une
grande cangue du poids de dix-huit livres; on nous attacha en
outre au cou une chaîne de fer, et par un croc en bois on nous
fixa la main droite contre le bord de la cangue.
« Le juge ayant donné l'ordre de nous emmener à la prison,
(I) On appelle ainsi le repr(?senlant que chaque mandarin inférieur, ou
m&ndarin d'un canlon, doit avoir à la capitale.
_4S-
00 nous y conduisit. Là, nous nous assîmes sur le planeber en
dehors de la porte. Puis, quand tout le monde se fut retiré, on
nous fit passer h la salle où se trouvaient les voleurs, et nous
fûmes bien obligés de prendre place parmi enx. Heureusement,
le geôlier vint bientôt après nous faire entrer dans la chambre
des gardiens. Cet appartement avait le désagrément d'être peu
éloigné de la prison des brigands, mais en revanche il était élevé
et le sol un peu chauffé. C'était comme une chambre ordinaire.
Nous y passâmes la nuit, tantôt étendus à terre et sommeillant,
tantôt assis. Le 30, li la pointe du jour, on nous fit encore chan-
ger d'habitation, et quand le jour fut tout à fait levé, on nous
conduisit à la prison du gouverneur, qui nous cita à sa barre
après midi, et nous fit subir Tinterrogatoire suivant : — Quel est
celui d'entre vous qui se nomme loun? et quel est celui qui s'ap-
pelle Kouen? — Chacun de nous répondit en déclarant son nom.
— Quelle est votre occupation ordinaire? — Dans ma jeunesse,
lui répondis-je, je me suis appliqué à la littérature afin de passer
les examens; depuis quelque temps, je me livre aux études qui
règlent le cœur et la conduite de l'homme. — Tu as étudié
les livres classiques des lettrés ? — Je les ai étudiés. — Si tu
veux régler ton cœur et ta conduite, nos livres sacrés ne suffisent-
ils pas. et pourquoi aller te perdre dans des superstitions? — Je
ne suis nullement perdu dans la superstition? — Et la religion
qu'on appelle du Maître du ciel, n'est-ce pas une superstition? —
Dieu est le père suprême, créateur du ciel, de la terre, des anges,
des hommes et de toutes les créatures ; son service se peut-il
appeler superstition? — Donne-moi un simple sommaire de cette
doctrine. — Le lieu où nous sommes convient pour examiner les
causes criminelles et non pour développer une doctrine. Ce que
nous pratiquons se réduit aux dix commandements et aux sept
vertus capitales. — De qui as-tu reçu tes livres? — Je pourrais
bien l'indiquer, mais quand on me prêta ces livres, la défense du
roi n'existait pas, et par suite, celui qui les prêtait n'était pas
coupable. Aujourd'hui qu'il y a défense rigoureuse, si je le dési-
gnais, il serait exposé, sans aucune culpabilité de sa part, à de
violents supplices; comment pourrais-je m'y résoudre? ce serait
enfreindre le précepte qui nous défend de nuire au prochain,
je ne puis donc le dénoncer. — Il n'en est pas ainsi; quand
même tu le déclarerais, cet homme qui t'a prêté ces livres avant
la prohibition, n'en deviendra certainement pas coupable. Ne sois
donc pas retenu par cette vaine crainte. Le roi ayant ordonné de
faire des informations exactes, si tu ne déclares rien, comment
— 44 —
pourrai-je faire un rapport? Ce serait enfreindre Tordre du roi,
ce qui, sans contredit, n'est pas permis. Déclare-le donc et
n'attends pas les tortures pour le faire.
a Je restai longtemps dans un silence complet, et, comme
mon cousin Jacques me pressait de répondre, je dis d^abord : —
G*est une chose qui date de loin et il m'est difficile de m'en bien
souvenir. — Puis j'ajoutai : dans Thiver de 1784, j'allai par
hazard chez Kim Pem-ou, de la classe moyenne, et y trouvant
ces livres, je les empruntai, les copiai et les renvoyai de suite à
leur propriétaire. Quand ensuite j'appris la prohibition du roi,
je brûlai ce qui était sur papier de Chine et lavai ce qui se trou-
vait sur papier coréen. Il y a déjà plusieurs années que les deux
traités des dix commandements et des sept vertus capitales ne
se trouvent plus chez moi. — L'ordre du roi porte que, s'il y a
des livres, on doit les brûler. Si donc tu en as quelque autre, il
est juste de le livrer de suite. — Le mandarin de mon district
a visité toute ma maison, et n'y a pas trouvé une seule page. —
Vous êtes coupables d'un péché que le ciel et la terre ne pour-
raient contenir, et l'ordre du roi portant qu'il faut examiner
les choses h fond, voici des questions auxquelles vous devez
répondre franchement, article par article. — Alors le gouverneur
fait déposer devant nous une liste de questions dont voici à peu
près le contenu. « Vous autres qui ne suivez pas la vraie voie et
ajoutez follement foi à des paroles trompeuses, vous infatuez le
monde, et débauchez le peuple, vous détruisez et faussez les re-
lations naturelles de l'homme. Déclarez donc quels livres vous
étudiez, et ceux avec qui vous le faites. Malgré une sévère défense,
vous osez vous livrer aune grande licence d'idées, et vous joignez
plus follement encore la pratique à la théorie. C'est une grande
impiété. Mais cette faute serait relativement légère. Il est dit dans
la dépêche du roi que vous ne faites plus les sacrifices. Ce n'est
pas tout : vous brûlez les tablettes et empêchez d'entrer chez
vous les visiteurs qui viennent payer leurs devoirs aux défunts.
Enfin vous ne rendez pas même à vos parents les honneurs de
la sépulture, et cela sans rougir et sans vouloir revenir à de
meilleurs sentiments. Celte conduite est digne de la brute. Livrez
de suite vos livres, et déclarez tous vos coreligionnaires. De plus,
on dit qu'il y a parmi vous des évêques qui vous dirigent en
secret, et répandent cette religion ; vous ne pouvez ne pas les
connaître, déclarez donc tout, sans rien déguiser. »
((Après avoir lu ce réquisitoire jusqu'au bout, je répondis:
—J'ai, il est vrai, omis les sacrifices, j'ai aussi détruit les tablettes,
.1
— 48 —
mais j'ai reçu les visiteurs qui venaient faire leurs condoléances,
et ne les ai pas empêchés d'entrer. J'ai aussi rendu k mon père
et à ma mère tous les honneurs de la sépulture. Pour les livres,
je viens d'expliquer ce qu'il en était; je n'en ai point à livrer. Je
n*ai pas non plus de compagnons à déclarer. Pour ce qui regarde
les évéques, ce nom même n'existe pas ici. En Europe, cette
dignité existe, et Ton dit qu'ils traitent les affaires de la religion.
Si vous voulez en demander, c'est en Europe qu'il faut le faire.
Enfin dans la religion, il n'y a pas de maître, ni de disciple, dans
le sens que l'on y attache ici. — Le gouverneur se tournant alors
alors Jacques Kouen : — Et toi, lui dit-il, quels livres as-tu
étudiés? — J'ai étudié le livre de la vraie notion de Dieu, et
celui des sept vertus capitales. — D'où les as-tu reçus? — Je les
ai lus avec mon cousin loun Tsi-t'siong-i qui les avait empruntés.
— Les as-tu aussi copiés? — Je ne l'ai pas fait. — As-tu omis
aussi les sacrifices? — Je les ai omis. — Et brûlé les tablettes?
— J'ai encore chez moi, les bottes que le mandarin a notées lors
de sa visite. — Le gouverneur l'interrogea ensuite sur sa parenté
avec divers personnages, et continua : — Un de tes parents, à la
capitale, a répandu le bruit que tu avais brûlé les tablettes, que
faut-il en croire? — Depuis que j'ai omis les sacrifices, mes
parents me regardent comme un ennemi, et me réprimandent en
disant : « Cet être-là en viendra sûrement à brûler les tablettes. »
Leurs paroles de blâme, en se répandant, ont fait du bruit, et c'est
ainsi qu'on a conclu sans doute que je les avais détruites (t). —
Le gouverneur s'adressantàmoidenouveaumedit : — Connais-tu
Hong Nak-ani? — Je le connais de nom, mais ne l'ai jamais vu.
— Hong Nak-ani et ses amis ont fait un rapport au ministre
contre vous, et celui-ci m'a envoyé des ordres. Telle est la cause
de toute cette affaire. Mais le bruit qui court que tu n'as pas en-
terré tes parents, doit avoir un fondement quelconque; comment
pourrait-on dire en l'air de telles paroles? — J'ignore vraiment
la cause de ces bruits. Au moment de l'enterrement, la peste était
dans ma maison, mes parents et amis ne vinrent pas, et ne pou-
vant avoir de rapports avec les étrangers, je fis toute la cérémonie
(1) En cet endroit, ainsi que dans les deux défenses écrites qui suivent, les
confesseurs afTectent de cacher le fait d'avoir brûlé les tablettes de leurs
ancêtres, avant de les enterrer. C'élc^t un acte passager de faiblesse, causé
sans doute, par un reste de respect mal entendu pour les préjugés de leur
nation. Plus loin, nous les verrons avouer courageusement quils les ont
brûlées, et aUer au supplice par suite de cet aveu. Ces passages du récit de
Paul, tout à son désavantage, montrent avec quelle loyauté et queUe exacti-
tude il raeonte œ qui s'est passé.
— 46 —
funèbre avec les hommes du village seulement. Est-ce de là que
ce bruit s'est répandu? Vraiment j'en ignore la cause. — Parmi
vous, il y a certainement des maîtres avec lesquels on discute et
que l'on interroge, qui sont-ils? — Dans la religion, comme je
l'ai déjà dit, il n'y a ni maître, ni disciple, comme on l'entend ici ;
à plus forte raison dans ce royaume, où personne n'a pu faire
autre chose que lire quelques livres, quel est celui qui oserait se
vanter d'avoir le mieux approfondi la doctrine et voudrait se donner
pour maître? — Quel être étonnant es-tu donc pour savoir sans
avoir appris? — Comme je connais quelques caractères, il me
suffit d'avoir ouvert un livre et de l'avoir lu. — Es-tu licencié tsin-
sa? — Je le suis. — En quelle année l'es-tu devenu? — Au
printemps de Tannée 1783. — Ensuite, après m'avoir interrogé
sur ma parenté avec diverses personnes ; il me dit : — On prétend
que dans votre religion, vous vous réjouissez des souffrances et
des supplices, et vous aimez à mourir sous le glaive; est-ce
croyable? — Désirer de vivre, et craindre la mort, est un sen-
timent commun à tous; comment pourrions-nous être comme
vous le dites?
« Nous fûmes renvoyés, et quand nous arrivâmes à la prison,
il faisait déjà nuit.
« Le l**** de la onzième lune, au point du jour, notre propre man-
darin nous appela, nous fit asseoir dans une espèce de vestibule,
et commanda à un prétorien de nous faire réciter les dix comman-
dements et les sept vertus capitales. Nous les récitâmes ; il prit nos
paroles par écrit et les envoya au gouverneur. Peu de temps après,
ce mandarin nous fil rappeler et, après quelques exhortations,
il nous dit : — • Ce que vous avez déclaré hier n'est pas la vérité et
ne suffit pas pour porter un jugement. Et puis, cette religion,
malgré ses dix commandements, ne renferme pas les rapports de
roi à sujet. C'est ce que l'on appelle une doctrine sans roi, ou qui
méconnaît le roi. — Il n'en est pas ainsi, lui répondis-je, le roi
est le père de tout le royaume, et le mandarin, le père de son
district; on doit donc leur rendre les devoirs de la piété; or, tout
cela est compris dans le quatrième commandement. — S'il en est
ainsi, il faut mettre des notes dans ce sens au quatrième comman^
dément, et le présenter annoté. La religion des Européens n'est à
nos yeux qu'une superstition. Mais, vous autres, si vous la suivez
parce que vous la croyez vraie, et parce que vous savez qu'elle
n'est pas semblable à celle de Fo (|ui méconnaît les parents et le
roi, quelle raison avez-vous de ne pas ériger les tablettes, et de
ne pas faire les sacrifices aux parents ? Quand même vous Q*af*
- 47 —
fririez pas de nourriture, vous avez sans doute quelque autre
moyen de témoigner voire piété filiale. Si tout cela existe parmi
vous, il faut rindiquer en détail. De plus, hier tu disais que le désir
de la vie, et la crainte de la mort, sont des sentiments communs
à tous; il est donc juste de réfléchir et, en faisant tes déclarations,
de mettre en avant des principes de fidélité au roi et de piété
filiale, afin de trouver par \h des moyens de te conserver la vie.
« Le mandarin de Lim-p'i, chargé d'examiner TafFaire, vint
aussi près de moi, et me paria d'un ton calme, et par manière
deconseil. Je lui répondis: — Tout ce que vous me dites entre dans
mes désirs, seulement je ne puis de vive voix tout expliquer
clairement. Si vous voulez me donner un prétorien et des pinceaux,
je ferai écrire le tout en détail. Alors il me fit passer dans un
autre appartement, avec ordre d'écrire une défense et de la
présenter. Je m'assis, et dictai ce qui suit.
« Pour la cause de Vaccusé loun. De bonne heure, je me
livrai au travail pour me préparer aux examens, dans la pensée de
remplir des charges publiques. Mes humbles désirs se bornaient
à tâcher de satisfaire aux devoirs de dévouement envers le roi,
de piété envers mes parents, et d'amitié envers mes frères. Au
printemps de Tannée kiei-mio (1783), j'obtins le diplôme de
licencié tsin-sa. L'année suivante, m'étant rendu pendant
Thiver à la capitale, j'allai par hasard chez Kim Pem-ou, de la
classe moyenne, au quartier Mieng-niei pang-kol. 11 y avait dans
cette maison deux livres intitulés, l'un : Véritables principes sur
e Slaitreduciel^ et l'autre : les sept Vertus capitales. En les par-
courant, j'y entrevis que le Maître du ciel est notre père commun,
créateur du ciel, de la terre, des anges, des hommes et de toutes
choses. C'est celui que les livres de Chine appellent Siang-tiei.
Entre le ciel et la terre l'homme naquit, et quoiqu'il reçoive de
ses parents la chair et le sang, au fond c'est Dieu qui les lui
donne. Une âme est unie à son corps, mais celui qui les a unis,
c'est encore Dieu. La base du dévouement au roi, c'est l'ordre de
Dieu, la base de la piété envers les parents, c'est aussi l'ordre de
Dieu. En comparant le tout avec la règle donnée dans les livres
sacrés de la Chine, de servir le Siang-tiei de tout cœur et avec le
plus grand soin, je crus y voir beaucoup de conformité. La
pratique est renfermée dans les dix commandements, et les sept
vertus capitales. Les dix commandements sont : 1» Adorer un
seul Dieu au-dessus de toutes choses. S** Ne pas prendre en vain
le nom de Dieu pour faire de faux serments. 3** Observer les jours
de féie. 4"" Honorer ses père et mère. (La glose dit que le roi étant
— 48 -
le père de tout le royaume, et les mandarins, pères des peuples
de leur district, il faut les honorer également.) 8"* Ne pas commettre
d'homicide. 6® Ne pas commettre Timpurelé. 7** Ne pas voler.
8^" Ne pas porter de faux témoignages. 9"" Ne pas désirer la femme
de son prochain. lO"" Ne pas désirer injustement le bien d^autrui.
Ces dix commandements se rapportent en somme à deux points
qui sont : aimer Dieu par-dessus toutes choses, et aimer tous les
hommes comme soi-même. Les sept vertus capitales sont:
r L'humilité, pour combattre Torgueil. i"" La charité, pour
combattre la jalousie. 3» La patience, pour combattre la colère.
4^ La générosité dans Taumône, pour combattre Tavarice. 5® La
tempérance, pour combattre la gourmandise. 6® La répression de
la concupiscence, pour combattre la luxure. 7^ L'assiduité au bien,
pour combattre la paresse. Tout ceci étant clair, précis et facile
pour aider à la pratique de la vertu, j'empruntai ces deux livres,
je les mis dans ma manche et, de retour chez moi, en province,
je les copiai.
a Au printemps de Tannée eul-sa (1785), je les renvoyai à
leur propriétaire. C'est seulement trois ans après, qu'ayant étudié
et médité ces livres, je me mis à les pratiquer sérieusement.
Deux ans plus tard, j'appris que cette doctrine était sévèrement
prohibée, je brûlai ou lavai ces volumes et ne les conservai pas
chez moi. Je n'ai donc appris la doctrine chrétienne de personne,
comme aussi je ne l'ai communiquée à personne. Mais, après
avoir une fois reconnu Dieu pour mon père, je ne pouvais me
dispenser de suivre ses ordres. Or, les tablettes en usage chez les
nobles, étant prohibées par la religion du Maître du ciel, puisque
je suis cette religion je ne pouvais faire autrement que de me
conformer à ce qu'elle prescrit. Le quatrième commandement
nous ordonnant d'honorer nos père et mère, si, par le fait, nos
parents étaient réellement dans ces tablettes, tout homme qui
professe la religion devrait les honorer. Mais ces tablettes sont faites
de bois. Elles n'ont avec moi aucun rapport de chair, de sang, ou
de vie. Elles n'ont eu aucune part aux labeurs de ma naissance et
démon éducation. L'âme de mon père ou de mon grand-père une
fois sortie de ce monde, ne peut plus rester attachée à ces objets
matériels. Or, la dénomination de père et de mère étant quelque
chose de si grand et de si vénérable, comment pourrais-je oser
prendre un objet fabriqué et arrangé par un ouvrier, en faire mon
père et ma mère, et l'appeler réellement ainsi ? Cela n'est pas fondé
sur la droite raison, aussi ma conscience n'a pu s'y soumettre; et
quand bien même je devrais, par là, selon vous, déroger à
— 4y —
Dôblcisse, je né veux pas me rendre coupable envers Dieu; i'ai
donc enterré mes tablettes sous le sol de ma maison. Le bruit
s'est répandu que je les avais brûlées, mais la religion ne nous
faisant point, à ce sujet, un précepte formel, j'ignore quelles
lèvres ont formulé Taccusation, et quelles oreilles Tont entendue.
<c Quant à Toffrande de vin et de nourriture aux morts ou à
leurs tablettes, c'est aussi une chose défendue par la religion du
Maître du ciel, et ceux qui la suivent doivent se conformer à ses
lois. En effet, lorsque le Créateur a disposé les différentes espèces
de créatures, il a voulu que les créatures matérielles usent de
choses matérielles, et les créatures immatérielles de choses im-
matérielles. C'est pourquoi la vertu est la nourriture de Tâme,
comme les aliments matériels sont celle du corps. Eût-on d'ex-
cellent vin et des mets délicieux, on ne pourrait en nourrir Tâme,
par la raison qu'un être immatériel ne peut être nourri de choses
matérielles. Les anciens ont dit : « On doit servir les morts de
même que quand ils étaient vivants, » et vous admettez que
c'est là une maxime fondamentale des livres de ce pays. Or,
puisque, pendant la vie, leur âme n'a jamais pu se nourrir de
vin et d'autres aliments, à plus forte raison ne le peut-elle pas
après la mort Quelque pieux que soit un homme envers ses
parents, il ne leur offre pas de nourriture pendant leur som-
meil, parce que le sommeil n'est pas un temps où l'on puisse
manger. De même et à plus forte raison, quand ils sont endormis
du long sommeil de la mort, leur offrir des aliments serait
une chose vaine et une pratique fausse. Or, comment un en-
fant pourrait-il se résoudre à honorer ses parents défunts par
des pratiques vaines et fausses? Ainsi, mettant de côté l'em-
ploi des aliments qui n'ont nul parfum véritable pour les
parents, s'appliquer de toutes ses forces à la pratique de la
vertu pour en faire parvenir les effets jusqu'à eux, et en même
temps, nourrir notre âme, voilà la vraie voie, la droite doctrine.
Et, je le répète, dussé-je en la professant déroger à ma
noblesse, je ne veux pas me rendre coupable envers Dieu. De
plus, considérez que le peuple qui n'érige pas les tablettes, n'est
pas pour cela en opposition avec le gouvernement, que les nobles
qnî, à cause de leur pauvreté, ne font pas tous les sacrifices selon
les règles, ne sont pas repris d'une manière sévère. Il me semble
donc, dans mon humble pensée, que ne pas ériger de tablettes
et ne pas offrir les sacrifices aux défunts, tout en étant chez moi.
la fidèle observation de la religion du Maître du ciel, n^est nolle-
«M» ima yidfttfoii des lois dutoyaonid. .. ,Wv>; i.r. .
cTJ
.50 —
« On m'accase encore de prohiber les condoléances après la
mort des parents. Faire et recevoir des visites de condoléance en
pareil cas, est un devoir d'humanité. Gomment un enfant bien
né pourrait-il s'y opposer? Si vous ne me croyez pas, il y a des
personnes qui sont venues me faire des visites de ce genre, vous
n'avez qu'à ordonner une information, et vous reconnaîtrez la
vérité de ce que je dis.
« On ajoute que je n'ai pas inhumé mes parents. La mort de
ma mère a eu lieu cette année h la cinquième lune, et j'ai fait les
cérémonies de Tenterrement le dernier jour de la huitième lune.
Quant à ce qui concerne la sépulture, le cercueil, les pleurs, les
habits de deuil, etc., la religion chrétienne nous recommande
de tout faire avec le plus grand soin. J'ai fait ces cérémonies et
choisi un lieu convenable, comme le font tous les autres. La
peste étant alors dans ma maison, je n'ai pu, il est vrai, me
mettre en rapport avec les étrangers, et mes parents et amis
n'ont pu tous assister au convoi, mais tous les gens du village,
grands et petits, y sont venus et y ont pris part. Ici encore vous
n'avez qu'à prendre des informations pour voir que les bruits
répandus sont faux et calomnieux. Ce mot : religion chrétienne,
est un instrument dont on se sert pour soulever tous les blâmes.
L'un en parle à l'autre, celui-ci à un troisième; un mensonge en
fait répandre un autre, et c'est ainsi que peu à peu on en est
venu jusqu'à dire que je refuse de recevoir les condoléances ha-
bituelles, que même je n'enterre pas mes parents. L'accusation
d'avoir brûlé mes tablettes, est aussi faite en l'air et sans preuve;
on s'en sert pour me charger et me charger encore. On prétend
de plus que je suis évéque des chrétiens. Dans tous les royaumes
d Europe il y a bien, il est vrai, la dignité d'évôque, mais on ne
la donne pas à des enfants ou novices, encore moins la donnerait-
on à moi qui ai vécu dans un lieu retiré, au fond d'une pro-
vince, qui n'ai rien vu ni entendu, qui seul, par le moyen de deux
ou trois volumes, ai travaillé à ma sanctification personnelle, qui
n'ai reçu de leçons de personne, et n'ai nulle part propagé cette
doclriric. Dire que je suis évêque, c'est par trop ridicule, et je
n'ai pas de réponse à faire. Né de parents nobles, ayant enfin à
pou près découvert l'origine du ciel et de l'homine, et les com-
mandements du dévouement au roi et de la piété filiale, mes
fiibes désirs se sont bornés à cultiver la vertu, et à tâcher de
servir Dieu convenablement. Hors de là, je n'ai plus rien à
exposer.
« Pour la cause de laccusi Kouen. Étant cousin germiili
— 61 —
de loon Tsi-tsiong-i par sa mère, et demeurant dans le voisi-
nage, j'ai vu chez lui, et je lui ai emprunté les livres intitulés :
Véritables principes sur Dieu et Traité des sept vertus capi-
tales. Il y a de cela nombre d'années. C'était avant que Tsi-
tsiong-i eût brûlé ou lavé ces livres, je ne les copiai pas et je ne
fis qu'en prendre lecture. J'ai, il est vrai, cessé d'offrir les sacri-
fices, mais je nai ni brûlé ni détruit les tablettes, les boites en
sont encore chez moi, et le mandarin de Tsin-san ayant tout noté
dans rinventaire qu'il a fait, il m'est inutile d'en parler davan-
tage. Depuis le moment où je commençai à pratiquer la religion,
tous mes proches me regardèrent d'un mauvais œil, et déversè-
rent sur moi toute sorte de bWme. Puis, voyant que je ne faisais
plus les sacrifices, ils dirent tous d'une voix : « Puisqu'il ne fait
plus les sacrifices, les tablettes deviennent inutiles, et assuré-
ment il finira par les brûler. » A cette parole jetée en l'air, cha-
cun ajouta encore et la répandit partout, et voilà pourquoi je
suis aujourd'hui prisonnier. Du reste, ayant perdu mon père
et ma mère de bonne heure, je n'ai pas eu lieu, depuis que je
pratique la religion, de faire les cérémonies d'enterrement de
mes parents. Hors delà, tout ce que je pourrais dire n'est pas
différent de ce qu'a déclaré Tsi-tsiong-i, et je n'ai rien de plus à
exposer.
« Par le moyen du prétorien, je fis présenter ces deux défenses
au mandarin de Lim-p'i. Il les lut attentivement, les mit dans sa
manche, et se rendit au tribunal criminel du gouverneur, don-
nant des ordres pour qu'on nous fit attendre à la porte.
Il était environ midi, et nous nous assîmes en attendant. Long-
temps après on nous appela, et le gouverneur dit d'abord à
Jacques Kouen : — As-tu vraiment conservé tes tablettes? Tout
à l'heure tu disais les avoir, et cependant le mandarin de Tsin-
san, dans son rapport, dit n'avoir vu que quatre boites vides et
pas de tablettes; qu'est-ce que cela? — Jacques répondit : —
Quand je vins de Tsin-san, près du gouverneur, on me dit qu'il
fallait tout déclarer, comme il était marqué dans le rapport du
mandarin. Craignant donc, si j'en disais trop, que le mandarin
ne fût lésé à cetle occasion, j'ai dit simplement au gouverneur
que les boites des tablettes étaient encore chez moi ; mais, par
le fait, mes tablelles n'y sont plus, je les ai enterrées. — Où
les as-tu enterrées? demanda le gouverneur. Jacques indiqua len-
droit, mais ajouta qu'un éboulcment ayant eu lieu depuis, on ne
pourrait pas sans doute retrouver la place. — Tu ne les as pas
tnterrées seuU j'imMMyr a eu un homme qui a creusé la
-^ sa ^
terre, il doit servir de témoin. — Gomme, dans cette affaire, je
craignais d'être vu de qui que ce fût, je n ai fait venir personne,
et je les ai enterrées de ma propre main. Le gouverneur s*adres-
sant à moi, me dit : — Et toi, comment as-tu agi? — J'ai tout
déclaré dans ma défense écrite, veuillez bien ne plus m'interroger.
^— As-lu enterré les tablettes entières, ou seulement après les
avoir brûlées? Selon que tu les auras brûlées, ou non, ta culpa-
bilité sera plus ou moins grave. En tous cas, il me suffira d'un
délai de peu de jours pour savoir ce qu'il en est, quel avantage
y auras-tu? — Je les ai brûlées, puis enterrées. — Si tu les as
honorées comme tes parents, passe encore de les enterrer, mais
les brûler! Cela peut-il jamais se faire? — Si j'avais cru que
c'étaient mes parents, comment aurais-je pu me résoudre à les
brûler? Mais sachant très-clairement qu'en ces tablettes il n'y a
rien de mes parents, je les ai brûlées. D'ailleurs, qu'on les en-
terre ou qu'on les brûle, elles retournent toujours en poussière;
il n'y a donc rien qui rende un de ces actes plus grave que l'autre.
Le gouverneur, après nous avoir ordonné de monter et de
nous asseoir sur la planche à supplices, nous fit signer notre
jugement et me dit : — Reconnais-tu être condamné justement
pour avoir brûlé les tablettes des défunts? — Si j'avais brûlé
quelque tablette, pensant que les parents y sont renfermés, les
supplices seraient justes; mais comme je l'ai fait, sachant très-
clairement qu'il n'y a là rien de mes parents, quelle faute
puis-je avoir commise? — Si tu étais en Europe, tes paroles
pourraient être justes, mais étant dans notre royaume, tu dois
être puni selon la loi. — Dans notre pays, après cinq générations,
tous, même les nobles, enterrent les tablettes, les punissez-vous
sévèrement pour cela? — D'après la décision des saints, cest à
ce terme de cinq générations que finissent pour Thomme les de-
voirs de parenté. A ces mots, le gouverneur ayant commandé de
me battre, je reçus dix coups. Le gouverneur dit ensuite : — Toi
qui es noble, ne souffres-tu pas dans ce supplice? — Comment
pourrais-je ne pas souffrir, puisque je suis de chair comme vous?
— N'as-tu pas de regret? — Comme la religion chrétienne n'or-
donne pas précisément de brûler une tablette, je pourrais, à la
rigueur, regretter de lavoir fait légèrement; hors de là, je n'ai
rien que je puisse regretter. Le gouverneur ordonne à un autre
valet de me battre, et l'on me donne encore dix coups. Puis le
gouverneur me dit : — Quand tu devrais mourir sous les coups,
ilfautque tu abandonnes cette religion? — Si je venais à renier
mon père suprême, vif ou mort, en quel lieu pourrais-je. jaBMâs
^5? ^
aller? — Si tes parents ou le roi te pressaient, ne te rendrais-tu
pas à leur voix? A cette question je ne fis pas de réponse. — Pour
toi, tu ne connais ni parents, ni roi. — Je connais très-bien et
parents et roi. »
Ici se termine le récit de Paul. On a remarqué qu'il ne répon-
dit point à Tavant' dernière question : ce ne fut nullement par
hésitation, mais pour ne pas blesser les usages de ce pays qui ne
permettent pas une réponse négative quand le roi est mis en
cause. Du reste, son silence fut très-bien compris des juges.
Aussi le gouverneur lui fit donner dix autres coups; ce qui fai-
sait les trente coups fixés par la loi.
Après cela, Paul et Jacques furent ramenés et renfermés dans
la prison. La nuit était déjà venue. A la suite de ces interroga-
toires, le gouverneur envoya son rapport au roi.
Le roi de Corée était alors Tsieng Tsiong. Il était âgé de
quarante ans, et il y avait quinze ans qu'il gouvernait le royaume.
L'histoire le représente comme un prince sage, modéré, prudent,
ami de la science et juste appréciateur du mérite de ses sujets. Il
reçut le rapport du gouverneur, mais il ne paraissait nullement
disposé à pousser les choses à Texlrémité. Cependant les enne-
mis de la religion chrétienne se montraient de plus en plus mena-
çants :. de tous côtés arrivaient des adresses au roi, des pétitions
aux ministres, demandant la punition des coupables et Textirpa-
tion de cette nouvelle doctrine, qui renversait tous les fonde-
ments de la société. Plus de trente pièces de ce genre parureni
du neuvième au douzième mois de cette année. Effrayé de ces
manifestations, le premier ministre Tsaï, quoique loin d'être per-
sonnellement hostile aux chrétiens, entra dans les vues de leur plus
violents accusateurs, et pressa le roi de condamner Paul loun et
Jacques Kouen à la peine capitale. Cette conduite surprit beau-
coup de monde, car le ministre appartenait au parti Nam-in,
aussi bien que les principaux d'entre les chrétiens, et de plus, il
était Hé parle sang ou l'amitié avec la plupart d'entre eux. Mais,
la crainte de perdre son crédit et peut-être sa dignité, le désir
de conserver sa fortune et celle de sa famille, le rendirent persé-
cuteur. Nous verrons plus tard que la justice de Dieu le punit,
dès cette vie, de sa lâcheté.
Cédant aux instances de son ministre, le roi consentit enfin à
signer le décret qui condamnait Paul loun et Jacques Kouen à
être décapités. Leurs têtes devaient être exposées en public pen-
dant cinq jours, afin d'effrayer les populations voisines, et de les
eiopècber de suivre la nouvelle religioDt hà dégret, revêtu de la
— M —
sanction royale, fut expédié au gouverneur de Tsîen-tsion. A la
réception de la sentence, les deux confesseurs furent aussitôt
conduits de la prison au lieu du supplice. Une foule immense de
païens et de chrétiens les suivait. Jacques, affaibli par les coups
qu'il avait reçus, se contenlait de prononcer de temps en temps
les noms de Jésus et de Marie. Paul, plus robuste, s'avançait
avec un air d'allégresse, allant à la mort comme à un festin,
préchant Jésus-Christ avec tant de dignité que, non-seulement
les chrétiens, mais les païens eux-mêmes étaient ravis d'admi-
ration.
Arrivés au lieu de Texécution, TofRcier qui présidait leur
demanda s'ils voulaient obéir au roi, rendre le culte ordinaire
aux tablettes de leurs ancêtres, et renoncer h la religion étran-
gère. Sur leur réponse négative, rofficier commanda à Paul
loun de lire la sentence de mort, confirmée par le roi, et écrite
sur une planche, suivant Tusage du royaume. Paul la prit aussi-
tôt et la lut à haute voix. Il pos«i ensuite sa lête sur un gros
billot, répéta plusieurs fois les saints noms de Jésus et de Marie,
et, avec le plus grand sang-froid, fit signe au bourreau de frapper.
Le bourreau lui trancha la tête d'un seul coup. Puis vint le tour
de Jacques, qui ne cessait, lui aussi, d'invoquer Jésus et Marie.
11 eut la tête tranchée immédiatement après son cousin. Il était
trois heures de l'après-midi, le treizième jour de la onzième lune
de l'année sin haï (8 décembre 1791). Paul loun était âgé de
trente-trois ans, et Jacques Kouen de quarante et un ans.
Le roi cependant s'était repenti d'avoir cédé aux instances de
son ministre. Il prévoyait que, d'après les mœurs et coutumes du
pays, ce premier acte deviendrait loi de l'Étal, et que dans la
suite on continuerait à mettre à mort ceux qui suivraient la reli-
gion nouvelle. Un couiTier extraordinaire fut envoyé en toute
hâte au gouverneur de Tsien-lsiou pour faire surseoir à l'exé-
cution. Mais il était trop tard; Paul loun et et Jacques Kouen
avaicDl déjà obtenu la couronne du martyre.
Comme le roi l'avait prévu, les ennemis de la religion s'ap-
puyèrent toujours depuis sur cette sentence, pour faire considé-
rer la condamnation à mort des chrétiens comme loi de l'État,
et la première exécution publique fut la principale et souvent
runi(|ne cause d'un grand nombre de celles qui suivirent. Les
corps des deux martyrs restèrent neuf jours sans sépulture. Pour
intimider les chrétiens, on plaça sur le lieu du supplice des
satellites chargés de les garder jour et nuit. Le neuvième jour,
les parents qui avaient obtenu du roi la permission de les eose-
— 5B —
velir, et leurs amis qui étaient venus à leurs funérailles, furent
(rès-étonnés de voir les deux corps sans aucune marque de cor-
ruption, vermeils et flexibles comme s'ils eussent été décapités
le jour même. Leur étonnement redoubla lorsqulls virent le
billot sur lequel ils avaient eu la tôle tranchée, et la planche oii la
sentence de mort était écrite, arrosés d*un sang liquide et aussi
fiais que s1l eut été versé un moment auparavant. Ces circons-
tances parurent d'autant plus surprenantes qu'au mois de décem-
bre, la rigueur excessive du froid, disent les Coréens, faisait
geler tous les liquides, dans les vases qui les renfermaient. Les
païens, pleins d'admiration, se récriaient contre Tinjustice des
juges et proclamaieut Tinnoccnce des deux confesseurs. Quel-
ques uns même, touchés du prodige qu'ils avaient examiné avec
soin, se convertirent. Les yeux baignés de larmes de joie, les
chrétiens bénissaient le Seigneur. Ils trempèrent un grand nom-
bre de mouchoirs dans le sang des martyrs, et en envoyèrent à
Tévêque de Péking quelques fragments, avec l'histoire cir-
constanciée de ce qui s'était passé. Les néophytes prétendent
qu'un homme abandonné des médecins et près de mourir fut
guéri, en un instant, après avoir bu de l'eau dans laquelle on
avait trempé la planche arrosée de sang. Ils rapportent aussi
que plusieurs moribonds, a qui l'on fit toucher un mouchoir teint
de ce même sang, furent guéris sur l'heure (1).
L'exemple de Paul et de Jacques eut une influence prodigieuse
sur les premiers chrétiens de Corée. Leurs noms sont demeurés
célèbres, et Paul surtout est, encore aujourd'hui, en grande véné-
ration parmi les fidèles. Il laissait une tille âgée de treize ans,
qui se retira momentanément dans la maison de Thomas Kim,
prétorien, ancien disciple de son père. Le jour, elle se cachait
dans le jardin, et la nuit elle venait dans la maison. Plus tard
elle put être mariée, selon sa condition, dans la famille des Song,
à Sout-pang-i, district de Kong-tsiou. Sa mère la suivit chez
son mari, et continua, dit-on, à pratiquer la religion. Depuis
cette époque les chrétiens n'ont plus eu de rapport avec cette
famille.
Quelques jours après le supplice de Paul loun et de Jacques
Kouen, le gouvernement coréen fit afficher leur sentence et la
nouvelle de leur mort, dans toutes les villes et tous les villages,
afin d'elfrayer le peuple et d'empêcher de nouvelles conversions.
Mais Dieu se plait à déjouer les plans de ses ennemis. Cette
(t) Nouvelles lettres édifimUs. — Paris, 1890. — Tome Y, p. 174.
-^«tJik»;
piiblicatioii ofBddlle donna un très-grand retenUasement ai
ces des deux confesseurs, fit connaître la religion chrétie
nombre d*hommes qui en ignoraient même le nom, et cent
beaucoup k la propagation de TËvangile. Aujourd'hui o
toujours, en C!orée comme dans le reste du monde, cette |
est toujours vraie : Sanguis martyrum semen christiatu
Le sang des martyrs est une semence de chrétiens.
CHAPITRE V
Suite de la persécution. — Défection de quelques chrétiens influents.
Martyre de Pierre Ouen.
Pendant que la religion chrétienne était si glorieusement
défendue devant le premier tribunal de la partie méridionale du
royaume, plusieurs autres chrétiens étaient aussi appelés à con-
fesser leur foi, à la capitale et dans les provinces voisines.
François Xavier Kouen Il-sin-i n'avait pas été inquiété en
4785, malgré son courage et ses réclamations publiques. Mais
en 4794, il ne put échapper plus longtemps à l'envie de ses
ennemis. Tous savaient très-bien quelle grande influence exer-
çaient pour la propagation de la nouvelle doctrine, son nom, sa
science et ses continuels efforts. Aussi, à l'occasion de l'affaire de
Tsin-san, Hong Nak-an-i, Mok Man-tsiong-i, et plusieurs
autres, présentèrent-ils une accusation contre lui, le désignant
comme le principal chef et fauteur de la religion chrétienne.
François-Xavier fut donc arrêté et traduit devant le tribunal des
crimes, à la onzième lune de cette même année. Ne pouvant pas
obtenir sa rétractation, les mandarins le mirent plusieurs fois à
la torture, et employèrent pour vaincre sa persévérance, des
tourments extraordinaires. Mais Xavier resta ferme. Il fît
clairement sa profession de foi sous le fer et le fouet des bourreaux :
a II est impossible, disait-il, de ne pas servir le grand Dieu,
créateur du ciel, de la terre, des anges et des hommes. Pour
rien au monde je ne puis le renier, et plutôt que de manquer à
mes devoirs envers lui, je préfère subir la mort. » Les supplices
eurent bientôt réduit son corps à un état affreux. Cependant, le
roi qui connaissait Xavier Il-sini, et avait une grande estime
pour ses belles qualités, ne pouvait, malgré les réclamations des
ennemis du nom chrétien, se résoudre k signer sa sentence de
mort. Il désirait toutefois le faire changer de sentiments, et com-
manda d'employer tous les moyens imaginables pour le gagner.
D'après ses ordres, un nouvel assaut, plus dangereux que les
précédents, fut livré au confesseur. Les caresses, les flatteries,
les promesses, les insinuations, furent successivement mises en
œuvre, avec toutes les ressources que l'amitié et la compassion
— 68-
peuvent suggérer ; mais sans résultat. On revint alors aux sup-
plices et aux lorturcs, et le généreux conresseur triompha de la
souffrance, comme il avait triomphé des perfides caresses de l'en-
nemi. De guerre lasse, le roi, qui ne pouvait se décider h Taire
mourir Xavier, le condamna à Tcxil dans l'Ile Tsiei-lsiou (Qucl-
paerl), et le gouverneur de cette ile reçut Tordre de mettre son
prisonnier à la question, trois fois par mois, jusqu*au moment où
il ferait sa soumission.
Xavier Kouen restait donc victorieux de ces premiers et
terribles assauts de Tenfer. Sa foi était intacte. Il sortit de prison,
et comme Tétat de ses blessures donnait de Tinquiétude, on lui
permit de demeurer quelques jours à la capitale, avant de partir
pour le lieu de son exil. Il alla se loger dans la maison de Ni
loun-ha. Là, occupé à soigner ses blessures et à se disposera
son long voyage, il ne s'attendait guère, pas assez peut-être, à
nue dernière et plus violente tentation qui allait encore Tassaillir.
A rinstigation du roi, quelques fonctionnaires du tribunal des
crimes vinrent lui représenter que sa vieille mère, alors âgée
de quatre-vingts ans, ne pouvait plus vivre longtemps. Une fois
rendu à Tsiei-tsiou, au delà de la mer, comment pourrait-il sup-
porter le remords de Tavoir laissée seule, et de Tavoir privée
de la présence de son fils à ses derniers moments? On insista sur
ce tableau déchirant, et sans lui parler d'apostasie, ce qu'il re-
poussait toujours avec indignation, on rengagea seulement à faire
au roi une léii^ère soumission, afin dobtenir une commutation
de peine, et d'être exilé en un lieu moins éloigné. Xaxier vi-
vement ému à celte pensée, se sentit faiblir. Les uns disent
qu'il fit de la main un signe de soumission. D'autres prétendent
qu'un des assistants, le voyant chanceler, se hâta de faire ce
signe en son nom. Une troisième version rapporte qu'il écrivit la
phrase incomplète et amphibologique suivante : « La doctrine
des Européens très-différente, la doctrine de Confucius et de
Meng-tsc, mauvaise et fausse. » On lui fit remarquer qu'il
manquait, au milieu de la phrase, un caractère nécessaire pour la
compicterella rendre intelligible. Xavier auraitrépondu: «Laissez-
•nioi tranquille, faites ce que vous voudrez. » On ajouta immé-
diatement un caractère, de façon adonner à la phrase le sens que
voici : « La doctrine des Européens est très-différente de la doctrine
de Confucius et de Meng-tsc: elle est mauvaise et fausse.» Quoi qu'il
en soit, un exprès fut envoyé au roi pour lui annoncer la sou-
mission de Xavier. Le lieu de son exil fut immédiatement changé,
et il eut ordre de se rendre à la ville de Niei-sau. U^^las! il n'eut
— sa-
pas même le temps d*y arriver. Il s'était à peine mis en route
qu'une maladie, causée par ses blessures, Tobligea de s'arréler en
chemin, et il mourut dans une hôtellerie.
Nous voudrions pouvoir déchirer de notre histoire, cette page
que la vérité nous a forcé d'écrire. Cet homme que nous avons vu
si grand dans sa vie, si grand au milieu des supplices, flétrissant
ainsi ses derniers moments par une lâche faiblesse, quel spectacle !
mais aussi quelle leçon ! Sans doute, le peu de précision des do-
cuments ne nous permet pas d'apprécier exactement la portée de
son acte de soumission, et de le qualifier d'apostasie ouverte,
mnis au lieu de raconter un triomphe, nous devons rester le cœur
triste, en face d'un doute insoluble. Heureux, si après avoir
refusé la couronne du martyre, que les anges tenaient déjà sus-
pendue sur sa tôle, Xavier Kouen a pu, par un acte de sincère
repentir, trouver grâce devant le Dieu dont il avait propagé le
culte et prêché la gloire, avec tant de zèle et de succès. C'est le
second exemple que nous rencontrons, de chutes causées par un
amour trop naturel pour les parents. Nous en trouverons d'autres.
La piété filiale est un devoir sacré, sans aucun doute; mais il y a
pour rhomme d'autres devoirs plus sacrés encore, et parmi les
premiers néophytes coréens, un grand nombre ne le savaient pas
assez.
Pierre Ni Seng-houn-i que nous avons vu se retirer si hon-
teusement avant le combat, était alors mandarin de la ville de
Pieng-t'aik. Malgré sa défection bien connue du public, Hong
Nak-an-i et ses partisans présentèrent à la cour une requête,
dans laquelle ils le signalaient comme chef des chrétiens, ajoutant
qu'on l'avait vu, à la préfecture, lire des livres de celle secle. Ils
demandaient qu'il fût traduit devant les tribunaux et jugé selon
les lois. On l'accusait aussi de ne pas faire les prostrations d'usage
au temple de Confucius. Les faits ne purent être prouvés, et
Seng-houn-i, de son côté, au lieu de confesser ouvertement la foi,
publia une lettre pour se disculper de ce qu'il appelait une
calomnie.
Dan» cette requête de Hong Nak-an-i contre Pierre Ni, on lit
la phrase suivante: «Parmi les dignitaires du royaume et les
personnages les plus importants, déjà sept ou huit sur dix ont
embrassé cette doctrine. Où arriverons-nous donc? » L'exagé-
ration de ces paroles est manifeste, mais elles montrent bien
qu'à cette époque, la religion chrétienne s'était grandement pro-
pagée en Corée, et que ses ennemis craignaient de la voir envahir
bientôt tout le royaume. Le gouvernement effrayé faisait faire
— 60 —
partout des perquisitions. Sur la proposition de Rim Sang-tsip-i;
ministre des crimes, le roi ordonna que ceux qui ne livreraient
pas leurs livres de religion dans l'espace de vingt jours, seraient
poursuivis selon la rigueur des lois. Dans une autre ordonnance
royale du 9 de la onzième lune, quatre jours avant le martyre de
Paul loun et Jacques Kouen, il était dit que dans le procès des
deux cousins, il ne s'agissait pas d'une question de funérailles,
mais que les deux nobles avaient été mis en jugement, pour avoir
osé porter la main sur les tablettes de leurs ancêtres. Si Ton
supportait un tel crime, que ne devrait-on pas supporter? Le roi
ordonnait ensuite d'abaisser le rang de la préfecture de Tsin-san,
où le mal avait pris naissance, et de la mettre au-dessous des
cinquante-cinq autres préfectures de la province de Tsien-la. Le
mandarin de cette préfecture devait être cassé, pour n'avoir pas
pris lui-même, à temps, Tinitiative de punir les coupables. 11
fallait inviter les lettrés de tout le royaume à étudier plus à fond
les vrais principes dans les livres classiques. Dans les examens de
chaque province qui allaient avoir lieu, on devait faire un choix
plus consciencieux des candidats, et éliminer avec soin les indi-
vidus suspects. Enfin tous les fonctionnaires étaient excités à
déployer le plus de zèle possible pour anéantir la nouvelle doctrine.
On comprend, dès lors, combien nombreuses furent les arres-
tations.
Nous avons raconté plus haut la conversion de Thomas Tsoi
Pil-kong-i, cet homme courageux qui ne cessait de prêcher la foi,
dans les rues et sur les places publiques. Il était trop connu pour
échapper. Traduit devant le tribunal, et interrogé sur sa religion,
il répondit hardiment : «Tout homme doit suivre la loi du Maître
du ciel, et pour moi, je suis disposé à en remplir toujours les
devoirs. Les supplices auxquels il fut soumis après cette réponse
ne rébranlèrent pas. D'une voix toujours égale, il ne cessait
de répéter la même profession de foi, parlant avec une simplicité,
une franchise, et une conviction telles que tous les spectateurs en
étaient dans Tadrairation. Le roi partagea lui-même ce sentiment,
et touché de pitié pour Pil-kong-i, voulut lui conserver la vie.
Dans ce but, il ordonna de faire tous les efforts possibles pour
obtenir de lui, par douceur, quelques paroles de soumission. On
s'appliqua donc à séduire Thomas. Ruses, caresses, promesses
de fortune, tout fut employé, mais tout fut inutile. Sur les ordres
du roi, le vieux père et le frère de Thomas furent appelés, et par
leurs larmes et leurs supplications essayèrent d'émouvoir ce cœur
généreux. Thomas fut vivement impressionné; tous les sentiments
— Bi-
de la nature se «révoltaient dans son âme. Il ne se rendit pas
néanmoins, et ne cessa de répéter que, malgré tout, il ne pouvait
se résoudre à renier Dieu, son vrai roi et son vrai père.
Cette dernière tentative ayant échoué, il ne restait plus qu'à
prononcer le jugement selon la rigueur des lois. Plusieurs fois le
ministre des crimes demanda l'assentiment du roi, mais il ne put
jamais l'obtenir. Â la fin, le ministre touché lui-même de com-
passion, annonça au roi que Pil-kong-i avait fait une soumission
telle quelle, et le prince aussitôt, louant beaucoup son bon esprit
et son obéissance, lui fit donner une belle place, de celles que
peuvent remplir les familles de médecin. Dans une autre cir-
constance, il se fécilita encore d'avoir ramené Pil-kong-i à de
meilleurs sentiments. Celui-ci avait-il réellement cédé à la
crainte, comme quelques-uns le prétendent? ou bien avait-il eu
seulement la faiblesse de ne pas protester de suite et avec éner-
gie, contre les paroles qu'on lui prêtait faussement? Nous l'igno-
rons. Quoi qu'il en soit, il pleura amèrement sa faute, reprit sa
première ferveur, et s'appliqua avec plus de zèle que jamais à
tous ses devoirs de chrétien. Nous retrouverons un jour son nom
dans la liste des martyrs.
Un grand nombre d'autres chrétiens arrêtés, vers la même
époque, se délivrèrent de la persécution par l'apostasie. Nous
pouvons citer parmi les principaux : Tsoi Il-tsiel-i, Tsieng In-
hiek-i. Son Kieng-ioun-i, Sang Tak-nioun-i, T'soi In-kir-i, T'soi
Pil-tie-i, etc., qui tous eurent plus lard le bonheur de souffrir le
martyre.
Dans le Nai-po, nous rencontrons les mêmes exemples de
faiblesse. Au district de Koang-tsiou, apostasie de Marcellin
T'soi et de ses nombreux compagnons d'emprisonnement; au
district de Hong-tsiou, apostasie de la famille de Seng-hoa; au
district de Tang-tsin, apostasie de François Pai et de beaucoup
d'autres. Marcellin T'soi et François Pai, lavèrent plus tard cette
faute dans leur sang. Enfin la défection la plus triste, la plus
humiliante pour les chrétientés du Nai-po, fut celle de leur apôtre,
Louis de Gonzague Ni Tan-ouen-i. Connu de tous, païens et
chrétiens, il ne put longtemps éviter les embûches des persé-
cuteurs. Il fut pris et enfermé à Kong-tsiou. Nous ne connaissons
pas les supplices qu*il eut à supporter ; mais il parait certain
qu'il se laissa ébranler. Une lettre du gouverneur de Kong-tsiou,
Pak Tsong-ak-i, du 2 de la douzième lune, annonça au roi la
soumission de Tan-ouen-i. « Il a apostasie, dit ce document, de la
manière la plus formelle, a témoigné sa douleur de s'être laissé
entraîner dans une mauvaise doctrine môlée de magie, et' s'est
engagé avec serment à aller dissuader tous ceux qu'il avait en-
doctrinas, afin de les ramener dans la voie véritable. » Le roi
répondit par un ordre de ne relâcher le coupable qu'après un
retour positif et complet, car sa conversion était bien récente.
Toutefois il fut mis en liberté, le 5 de cette même lune, et put
retourner chez lui. Le rapport du gouverneur de Hong-tsiou est
évidemment empreint d'une monstrueuse exagération. Quels
qu'aient pu être les torts de Louis, sa faiblesse n'a pu aller jusqu'à
s'engager par serment à faire apostasier les chrétiens. La meilleure
preuve, c'est qu'aussitôt mis en liberté, il recommença à pratiquer
tous les devoirs de la religion. Mais comme il était trop connu
dans le Nai-po, il prit le parti d'émigrer pour être moins exposé à
de nouveaux périls. Dans la nuit du dernier jour de cette année
(1791), il fit ses adieux à son frère aine. Non-seulement plus de
trente familles de sa parenté qui habitaient en ce lieu, mais
encore tous les habitants du village, composé de plus de trois
cents maisons, s'étaient réunis autour de lui. C'était lui qui leur
avait fait connaître Jésus-Christ, lui qui les avait convertis et
baptisés ; aussi semblait-il que chacun perdit un père, un frère,
un ami. Son départ fut une scène déchirante. Il alla s'établir au
district de Hong-san, et recommença à travailler à la prédication
de TEvan^ile, quoique avec beaucoup moins d'éclat et de
publicité. Nous aurons plus tard le bonheur de raconter son
martyre.
Dieu, qui avait, dans ses secrets desseins, permis tant de
chutes, ne voulut pas cependant que les ennemis de son nom
pussent se flatter d'un triomphe coraj^let. De grands et glorieux
exemples de fidélité vinrent consoler l'Eglise naissante de Corée.
Dans le district de Mien-tsien, où les arrestations avaient été très-
nombreuses, Laurent Pak, voyant leschrétiens emprisonnés depuis
plusieurs mois, avait eu le courage d'aller souvent les consoler
dans leurs cachots. Un jour, pendant que les prisonniers pre-
naient leur repas du matin, il alla frapper à la porte du manda-
rin, entra hardiment, et, se tenant debout en face de ce magis-
trat, s'écria : « Battre avec violence des hommes innocents, les
(( tenir en prison pendant des mois entiers, n'est-ce ])as là un
« crime horrible? » Le mandarin, en colère, demanda quel était
cet homme. On lui répondit que c'était un habitant de Hong-
tsiou, frère de Pak ll-lenk-i, alors en prison pour cause de reli-
gion. Laurent fut saisi aussitôt. On lui passa une lourde canguc
au cou et on le battit violemment. Loin de se laisser ébranler,
\
— 83 -
« cette cangue de bois est trop légère, disait-il au mandarin,
(( faites-m'en mettre une de fer. » La position du mandarin
devenait difficile : toute la ville était en émoi et les murmures
commençaient h se faire entendre, car Laurent Pak était très-
populaire. N osant pas le condamner, il s'en débarrassa en l'en-
voyant ailleurs. Laurent comparut successivement devant les
tribunaux criminels deHai-mi et de Hongtsiou. Dans ce dernier,
il fut soumis à une cruelle flagellation, mais son courage ne se
démentit pas. Il y avait un mois et quelques jours qu'il était
emprisonné, lorsqu'une dépèche de la cour arriva ordonnant de
le relâcher.
Kim Pié, Taïeul du premier prêtre indigène de la Corée, le
vénérable André Kim , montra la même constance devant les
juges ; néanmoins , il ne put pas obtenir la couronne du
martyre.
Pierre Ouen Si-tsiang-i fut plus heureux. Il était oinginaire du
village de Eug-tsieni, au district de Hong-tsiou, et descendait
d'une famille honnête et jouissant d'une belle fortune. La vio-
lence sauvage de son caractère, l'avait fait surnommer le Tigre.
En 1788 ou 1789, il était âgé de plus de cinquante-cinq ans,
lorsqu'il entendit parler de la religion chrétienne. Par une grâce
extraordinaire de Dieu, il se convertit à l'instant, mais sans en
parler h personne, et un jour il quitta sa maison, en disant : « J'ai
vécu inuiilemenl plus de cinquante années, quand je reviendrai,
on saura la cause de mon départ. Soyez sans inquiétude et sur-
tout ne m'attendez pas. )> Il partit à l'instant, et, pondant plus
d'un an, on ne put en avoir aucune nouvelle. Enfin, Pierre ayant
reparu, ses parents et ses amis accoururent près de lui, lui fai-
sant mille questions, auxquelles il répondit en souriant : « Pen-
dant plus de cinquante ans, j'ai failli bien des fois mourir, mais
maintenant j'ai une médecine qui assure la vie pour des mil-
liers d'années, je vous expliquerai cela demain. )> Le lendemain,
en effet, il réunit tous ses parents, et se mit à leur développer
l'origine et la fin de ce monde, l'existence d'un Dieu créateur et
conservateur de toutes choses, le péché originel, l'Incarnation,
les commandements de Dieu, le ciel et l'enfer, enfin, tout ce
qu'il savait de la religion chrétienne. « Voila, ajouta-t-il, pour
quiconque a bonne volonté, le moyen de vivre éternellement. 0
vous tous, recevez mes paroles comme mes vœux testamentaires,
et embrassez comme moi cette religion divine. » La grâce accom-
pagnait ses paroles, tous promirent de se metti*e, dès ce jour, au
service du grand roi et père commun de tous les hommes.
— 84--
Mais ee qui, plus que tous les discours, donnait à Pierre une
force convertissante, c'était son bon exemple, c'était le triomphe
qu'il avait remporté sur lui-même. Lorsqu'il revint chez lui, il
avait tout à fait dompté son caractère, et montrait dans les
diverses circonstances de la vie une inaltérable douceur. On
admirait aussi son zèle ardent pour soulager les pauvres en leur
faisant part de ses biens, et pour exhorter les païens de sa con-
naissance dont il convertit plus de trente familles. Sa ferveur
était si grande que, même en présence des païens, il accomplis-
sait toujours ses exercices religieux. Environ deux ans après sa
conversion, le bruit que sa famille était tout entière chrétienne,
arriva jusqu'aux oreilles du mandarin. Celui-ci envoya des satelli-
tes pour saisir un cousin de Pierre nommé Jacques; mais, sur Tavis
de ses amis, Jacques avait pris la fuite. Les satellites s'adressè-
rent à Pierre : « Où est allé votre cousin ? — Il s'est caché par
crainte de la mort; comment voulez-vous que je sache où il est?
— Nous avons ordre du mandarin de l'arrêter comme chré-
tien; mais, puisqu'il n'est pas ici, nous allons vous prendre
çn sa place. - Soit, » répondit Pierre, et aussitôt il fut pris et
conduit au prétoire devant un ofBcier subalterne qui lui dit : a Où
est allé votre cousin? — Je l'ignore. — On dit que votre cousin
pratique la religion chrétienne; la pratiquez-vous aussi? — Je la
pratique. — Promettez de ne plus la pratiquer, reniez Dieu, et
j'avertirai le mandarin que tous ces bruits sont une pure calom-
nie, vous serez relâché de suite. — Je ne puis renier Dieu. » On
l'enferma dans une chambre, et pendant plusieurs jours on ne
cessa de le presser d'apostasier. Mais Pierre s'y refusant toujours,
l'officier en colère l'envoya au mandarin. « Est-il vrai, lui dit ce
magistrat, que tu suis la religion du Maître du ciel? — Cela est
vrai. — Renie ton Dieu, dénonce tes complices, et dis-moi que
lu ne la suivras plus, je te relâcherai aussitôt, — Renier Dieu!
jamais! Je ne puis non plus dénoncer d'autres chrétiens. — Ne
veux-tu pas dénoncer tes complices et déclarer les livres que
tu as chez toi? — Cela m'est impossible. » Le mandarin fu-
rieux lui fit subir le supplice de Técarlement des os, et le fit
battre de soixante-dix coups de la planche à voleurs. Mais
Pierre souffrait tout patiemment, ne cessant d'exposer la vraie
doctrine, sur Dieu, sur les devoirs de l'homme envers Dieu et
les parents, sur la vanité des superstitions païennes, etc.. Ren-
voyé à la prison , il comparut encore le lendemain , et aux
mêmes questions du juge, fit les mêmes réponses.
Il subit de nouveau le supplice de l'écartement des os et fut
— 68 —
frappé, plus cruellement que la veille, avec la planche à voleurs.
Ses chairs étaient en lanobeaux, ses deux épaules brisées, et
les os du dos, tout meurtris, restaient à nu. C'est dans ce
triste état qu'on le reconduisit à la prison. Malgré ses souf-
frances, son visage respirait le contentement et la joie. Il se mit
à prêcher les geôliers, prétoriens et satellites, et peu de jours
après, un chrétien étant venu le voir à la prison, il reçut de lui
le baptême, car jusqu'à ce moment, il n'était que catéchumène.
Cependant le mandarin ayant fait un rapport au gouverneur de
la province, en reçut Tordre de faire mourir Pierre sous les
coups. Au troisième interrogatoire devant le juge criminel, on
déploya un appareil formidable, et un grand nombre de satel-
lites furent placés autour du confesseur pour Teffrayer. Le juge
lui dit : « Le désir de te sauver la vie m'a fait employer tous les
moyens pour te faire revenir à de meilleurs sentiments; mais
comme tu ne voulais rien écouter et que tu t*obstinais à désirer
la mort, j'ai averti le gouverneur, et j'en ai reçu Tordre de te
faire périr sous les coups; sache donc que cette fois tu vas
mourir. » Pierre répondit : « c'est mon vœu le plus ardent. » A ces
mots, on serra ses liens, et on commença à lui faire subir des
tortures affreuses qui durèrent tout le jour. Pierre les supporta
courageusement, mais il eut le corps tellement broyé qu'il ne
pouvait plus faire usage de ses membres. On dut l'emporter à
la prison, et lui faire mettre dans la bouche les aliments qu'il ne
pouvait plus prendre lui-même.
Enfin le juge criminel et le mandarin réunis, firent un der-
nier effort pour le gagner, en lui parlant de ses enfants, qui sans
cesse l'attendaient et l'appelaient, ce Ceci me touche vivement,
répondit Pierre, mais c'est Dieu lui-même qui m'appelle, com-
ment pourrais-je ne pas répondre à sa voix? » Alors ils lui firent
donner le régal ordinaire des condamnés à mort. Puis on se mit
à le battre avec plus de rage qu'auparavant, de manière à le tuer
aussi vite que possible. Mais il ne mourait pas. Le mandarin,
les satellites et les bourreaux, épuisés de fatigue, se dirent alors :
(c ce coupable ne sent pas les coups, il n'y a pas moyen d'en finir. »
— « Je sens les coups, répondit Pierre, mais Dieu est là qui me
parle et me fortifie lui-même. » En entendant ces paroles, le man-
darin dit : a Ce coquin-là a sans doute le diable à ses ordres, »
et il fit frapper plus fort, mais inutilement. A la fin, désespérant
de le tuer ainsi, le mandarin commanda de le lier et de l'exposer
couvert d'eau au froid de la nuit, pour le faire geler. Pierre fut
donc attaché avec une grosse corde et on lui versa de Teau sur
— 68 —
tout le corps. Bientôt, il fut entièrement couvert de glace. Dans
ce supplice, il ne pensait qu'à la passion du Sauveur, et répétait :
« 0 Jésus flagellé pour moi par tout le corps, et couronné d'é-
« piues pourmon salut, voyez la glace dont mon corps est couvert,
« pour rhonneur de votre nom ; » puis il offrait sa vie à Dieu
avec action de grâces. Au second chant du coq, il rendit le der-
nier soupir. C'était le 17 de la douzième lune de Tannée im-tsa
(janvier 1793). Pierre avait alors soixante et un ans.
Vers cette époque, la persécution diminua beaucoup d'activité
et de rigueur, surtout à la capitale. Le roi, d'un caractère natu-
rellement modéré, répugnait aux mesures de violence. Il préfé-
rait voir employer auprès des chrétiens les caresses, les pro-
messes, les séductions de tout genre, et trop souvent ce système
réussit à amener des apostasies, surtout parmi les nobles. Dans
les provinces, les choses étaient abandonnées à peu près à l'arbi-
traire des gouverneurs, qui poursuivaient les chrétiens ou les
laissaient en paix, selon leurs caprices ou leurs préventions per-
sonnelles. Aussi, tandis que quelques chrétientés jouissaient
d'une liberté presque complète, dans d'autres, comme le Nai-
po, les néophytes furent toujours poursuivis et maltraités.
En 1794, nous trouvons une nouvelle persécution à Hong-tsiou,
sans pouvoir en préciser la violence et l'étendue. Paul Pak
Hieng-hoa, eut alors le malheur d'apostasier. Nous le verrons
réparer glorieusement cette faute en 1827. Paul Hoang, qui
n'obtint la couronne du martyre qu'en 1813, fut plus généreux.
Il était né à Tsié-oun-i, au district de Tsieng-iang, et depuis
longtemps pratiquait la religion avec ferveur, lorsqu'il fut arrêté
et conduit devant le mandarin. « Renie ton Dieu , lui dit
celui-ci, injurie-le, et je te permets de te retirer. — Injurier
Dieu! répondit Paul, c'est ce que les animaux eux-mêmes ne
pourraient faire. Comment l'homme qui a une âme spirituelle
i'oserait-il? » Il fut battu violemment avec la planche à voleurs,
mais ne faiblit pas un seul instant et, après une longue flagel-
lation, fut reporté mourant à la prison. Les soins que lui don-
nèrent les autres prisonniers le firent cependant revenir à la
vie. Le mandarin, étonné d'apprendre qu'il n'était pas mort, le
condamna à exercer l'emploi de bourreau-fusiigateur. Trois
mois après Paul fut relâché. Des douze chrétiens arrêtés avec
lui, il paraît que pas un n'eut le courage de l'imiter. Tous se
tirèrent d'embarras par des paroles d'apostasie.
On parle aussi de quelques actes de persécution dans d'autres
endroits. Mais ce n'étaient probablement que des vexations
— 67 —
locales, de peu d'importance, et Ton n'en a conservé qu'un vague
souvenir.
Telle fut la première persécution qu*eut à subir l'Église de
Corée, tel fut le baptême de sang et de larmes qui consacra
cette chrétienté naissante. Quand on songe que, par une dispo-
sition particulière de Dieu, unique peut-être dans Thistoire du
christianisme, cette Église avait été fondée, croissait et se forti-
fiait sans le secours d'aucun pasteur, le courage de ses martyrs,
la constance de ses confesseurs, la persévérance de ses enfants,
son existence même, deviennent un éclatant prodige.
Sans doute tous ne surent pas confesser leur foi. Les premiers
convertis, les plus célèbres propagateurs de TÉvangile, nous ont
attristés du spectacle de leur lâcheté. En punition peut-être de
quelque secret orgueil causé par le succès de leur parole, ils
sont tombés, et en ont entraîné beaucoup dans leur chute. Mais
ce n'est pas la défection de quelques-uns qui doit nous surpren-
dre, ce qui est vraiment étonnant, ce qui montre une œuvre
manifestement divine, c'est que tous n'aient pas apostasie. Ils
n'avaient qu'une connaissance bien incomplète de la religion ;
ils n'avaient pas d'autres maîtres que les quelques livres chinois
introduits en cachette, possédés seulement par les plus instruits;
et surtout, ils n'avaient pas le secours des sacrements. Nous
voyons tous les jours ce que sont, même avec ce secours surnatu-
rel, tant de chrétiens qui les reçoivent souvent. Qu'auraient dû
être ces pauvres néophytes qui en savaient h peine le nom !
Et cependant, par l'unique puissance de la grâce de Dieu, nous
comptons, parmi ces néophytes, des martyrs, des confesseurs,
des prédicateurs zélés de l'Evangile. Dix ans après le baptême
de Pierre Ni à Péking, nous trouvons, malgré la persécution,
malgré la défection coup sur coup des plus illustres chefs, plus
de quatre mille chrétiens en Corée. Nous rencontrons chez eux
la pratique des plus grandes vertus, la charité envers le pro-
chain, la mortification, la chasteté, toutes choses si inconnues
des païens et si inexplicables pour eux. Oui, le doigt de Dieu
est là .
Une paix relative suivit l'apaisement de la persécution. La
chrétienté en profita pour se resserrer, se raffermir dans le
silence et la prière, et même faire de nouvelles conquêtes. Les
chefs éminents avaient disparu. Il restait à la vérité Ambroise
Kouen, frère aîné de Xavier, et l'illustre famille des Tieng, mais
— 68 r-
par caractère, ils se mélaieni peu des affaires de la chrétienté, et
on ne voit pas qu'ils Taient jamais dirigée. Ceux que nous trou-
vons alors k la tête sont : Jean T'soi Koan-tsien-i, etMathias T'soi
In-kir-i, hommes zélés et capables, de la classe moyenne. Ils
n'avaient pour eux ni la renommée, ni la grande naissance de
leurs prédécesseurs, mais le progrès de la religion n'en souffrit
nullement, et quoique moins frappant aux yeux des païens, fut
plus réel et plus solide. On dirait que la Providence, après s'être
servie de ces savants et de ces nobles, pour produire le premier
ébranlement, les laissa disparaître presque aussitôt, pour mon-
trer que rËvangile n'a pas besoin d'eux, et faire comprendre aux
Coréens qu'il ne s'agissait pas d'une de ces sectes philosophiques
auxquelles le nom, la position et la science des adeptes donnent
pendant quelques jours une vie factice, et qui meurent avec leurs
fondateurs. Non multi sapientes secundum camem^ non multi
nobiks ut non evcumetur cnuc Christi, Peu de savants
selon la chair, peu de grands, peu de nobles, afin que ne soit
pas oubliée et réduite à rien la croix du Christ. — I Cor. i, 17.
Voici le portrait que tracent de Jean T'soi les relations
coréennes. Le chef catéchiste Jean T'soi fut un des premiers à
embrasser la religion. C'était un homme calme, prudent, éclairé,
au cœur généreux et résolu. Il expliquait la vérité avec précision
et douceur. Sa parole était sans apprêt, et cependant tous l'écou-
taient avec satisfaction et grand profit pour leurs âmes. L'humi-
lité, la résignation à la volonté de Dieu, lui étaient comme natu-
relles, et, quoiqu'il n'y eût rien d'extraordinaire dans sa conduite,
jamais homme ne fut plus estimé et plus aimé des chrétiens.
Le premier soin de Jean Tsoi et de ses compagnons fut de
chercher à obtenir un prêtre. Les difficultés nées de la persécu-
tion étaient presque aplanies, et le désir des fidèles de posséder
le ministre de Dieu, était plus ardent que jamais. 11 fut donc
décidé que Paul loun lou-ir-i, qui avait déjà fait deux fois le
voyage de Péking, se mettrait à la tête de l'expédition, et que
Sabas Tsi Tsiang-hong-i l'accompagnerait avec quelques autres.
Pendant leur absence, on devait préparer une maison, k la capi-
tale, pour y recevoir le prêtre, et la garde de cette maison devait
être confiée à Mathias T'soi In-kir-i.
Les courageux députés partirent donc, k la suite de l'ambas-
sade, vers la fin de l'année 1793. Dieu les protégea dans le che-
min, et ils arrivèrent heureusement au terme de leur voyage.
LIVRE II
Depuis l'entrée da P. TSIOU en Corée,
Jusqu'à son i^lorienx martyre.
I9e4t<1801.
CHAPITRE !«'
Entrée du P. Tsiou en Corée. ^ Martyre de ses introducteurs.
Travaux du P. Tsiou.
Nous avons vu qu'en 4790, Tévéque de Péking avait promis
aux députés de TEglise coréenne, Paul loun et Jean-Baptiste Ou
de leur envoyer bientôt un pasteur. Il leur tint parole, et au
mois de février 1791, Jean dos Remedios, prêtre séculier de
Macao, nommé par lui missionnaire de Corée, partit de Péking.
Tous les ans, lorsqueFambassade coréenne rentre dans lé royaume,
une foire a lieu sur les frontières de la Chine et de la Corée, et
un grand nombre de marchands des deux nations s'y rendent
pour faire le commerce. Il avait été convenu avec les envoyés
coréens que le prêtre viendrait à la foire de cette année. Des
chrétiens coréens, qu'on reconnaîtrait à certains signes, s'y
trouveraient aussi, pour le recevoir et pour Tintroduire dans leur
pays. Après vingt jours de marche, Jean dos Remedios arriva sur
les frontières de la Corée, mais les chrétiens coréens, empêchés
par la persécution si violente alors, ne parurent pas. Dix jours
s'écoulèrent, la foire se termina, l'ambassade rentra en Corée, et
le zélé missionnaire, plein de douleur de l'insuccès de son entre-
prise, fut obligé de revenir à Péking, avec les Chinois qui l'ac-
compagnaient.
Après avoir envoyé le P. dos Remedios en Corée, l'évêque
Govea écrivit au pape Pie VI, pour lui annoncer la nouvelle du
merveilleux établissement de TEglise dans ce pays. Sa lettre ar-
riva à Rome en 1792. De grandes douleurs afOigeaient alors
le souverain Pontife, et ce fut au milieu des angoisses de cette
terrible époque, qu'il apprit qu'à l'extrémité de l'Orient, de
— 70 —
nouveaux fils étaient nés à la sainte Eglise Romaine, et que
Notre Seigneur Jésus-Christ avait déjà des ténioins, dans une
contrée où jusqu'alors son nom n'avait pas été prêché. En lisant
cette lettre, le vicaire de Jésus-Christ versa des larmes de joie,
et du fond de son âme donna une première bénédiction h cette
église naissante. Le cardinal Antonelli répondit à Tévëque de
Péking: «Notre excellent Souverain Pontife a lu avec la plus
grande avidité l'histoire que vous avez tracée de ce très-heureux
événement. Il en a répandu des larmes bien douces et a éprouvé
un plaisir ineffable de pouvoir offrir à Dieu ces prémices de con-
trées si éloignées. » Plus loin, il ajoutait : a Sa Sainteté aime avec
une tendresse toute paternelle ces nouveaux enfants, ces illustres
athlètes de Jésus- Christ. Elle désire leur accorder toute sorte de
biens spirituels. Quoique absente de corps, elle les voit des yeux
de Tesprit, les embrasse tendrement, et leur donne de tout son
cœur la bénédiction apostolique. » Enfin il annonçait h Tévéquede
Péking, que le Pape, pasteur de TEglise universelle, confiait à
ses soins et à sa direction cette nouvelle église, fille de celle de
Péking.
Après le retour du P. dos Remedios, Févêque fut trois années
entières sans aucune nouvelle de Corée. Ce silence prolongé
était de mauvais augure. D'ailleurs, quelques mots prononcés
par des personnes de la suite de l'ambassade, en 1792, lui
avaient fait soupçonner qu'on persécutait les chrétiens, et
comprendre pourquoi aucun d'eux n'était venu au rendez-vous
recevoir le prêtre. Ce ne fut qu'un an plus tard, h l'arrivée de
Paul loun et de Sabas Tsi, qu'il put connaître tous les détails de
cette première persécution. Il était évident qu'il fallait à tout
prix, et le plus tôt possible, porter secours à cette Eglise désolée.
L'évêque le comprit, et conféra aussitôt avec les courriers, sur
les moyens de faire parvenir un prêtre dans leur patrie. Jean dos
Remedios, le premier missionnaire désigné, était mort. Pour le
remplacer, l'évéque jeta les yeux sur un jeune prêtre chinois, les
prémices du séminaire épiscopal de Péking. Il se nommait Jacques
Tsiou, et était originaire de la grande ville de Sou-Tcheou, dans
la province de Kiang-nam. Les Portugais l'ont toujours désigné
sous le nom de P. Jacques Vellozo. Il n'avait alors que vingt-
quatre ans; mais sa grande piété, son habileté dans la littérature
chinoise et dans les sciences ecclésiastiques, sa physionomie'assez
semblable à celle des Coréens, décidèrent l'évéque de Péking à le
choisir, pour celte belle et périlleuse mission.
Le P. Jacques Tsiou, muni de tous les pouvoirs ordinaires
— Tl —
et extraordinaires, pour exercer le 'ministère apostolique, partit
donc de Péking, au mois de février 1794. Après vingt jours de
marche, il arriva aux frontières de la Corée. Des chrétiens
l'attendaient afin de l'introduire et de le conduire jusqu'à la
capitale; mais comme la surveillance était alors très-sévère, par
suite des ordres donnés pendant la persécution, il fut convenu
que la tentative serait différée jusqu'au mois de décembre. En
attendant 1 époque fixée, le missionnaire visita les chrétientés de
la Tartarie, voisines de la Corée, comme Tévéque de Péking lui en
avait donné la commission, dans le cas où il ne pourrait pas
pénétrer immédiatement en Corée.
Au mois de décembre, le P. Tsiou revint à Pien-men, où
Sabas Tsi et d'autres chrétiens s'étaient rendus, pour lui servir
de guides. Le prêtre changea ses habits, arrangea ses cheveux à
la Coréenne; et, vers le milieu de la nuit du 23 décembre 1794,
franchit le fleuve Apno, la terrible barrière qui le séparait de la
Corée. D'autres chrétiens l'attendaient sur la rive coréenne du
fleuve, à Ei-tsiou, vis-à-vis Pien-men, et le conduisirent jusqu'à
la capitale, où il parvint au commencement de l'année 1795. Son
arrivée causa une joie et une consolation inexprimables aux
chrétiens qui le reçurent comme un ange descendu du ciel.
Le P. Tsiou fut logé dans la maison préparée par Mathias
T'soi au quartier nord de la ville. Il commença parfaire préparer
tout ce qui était nécessaire pour la célébration du saint sacrifice,
et se livra tout entier à Tétude de la .langue coréenne, afin de
pouvoir, le plus tôt possible, exercer le saint ministère. Le jour
du Samedi-Saint, il baptisa plusieurs adultes, suppléa les céré-
monies de ce sacrement, à quelques autres, et reçut un certain
nombre de confessions par écrit. Enfin, le jour de Pâques, il eut
pour la première fois, en Corée, le bonheur de célébrer la sainte
messe et de donner la communion aux personnes qu'il avait
confessées la veille.
Tout alla bien jusqu'au mois de juin. Les chrétiens, au comble
de leurs vœux, voulaient tous voir le prêtre, et recevoir les
sacrements. Bientôt lafQuence fut extrême. Le P. Tsiou, peu
au courant des coutumes du pays, recevait facilement tous ceux
qui se présentaient, et nul ne songeait à prendre les précautions
exigées par la prudence. Sur ces entrefaites, un bachelier nommé
Han leng-ik-i, de famille noble, qui n'était chrétien que depuis
quelques mois et n'avait qu'une foi peu solide, parvint à se faire
introduire auprès du prêtre. Cette entrevue fit naître dans son
cœur un dessein pervers. Il alla trouver le frère de Ni Piek-î,
— 7« ^
ennemi déclaré de la religion, et alors en faveur à la cour. Il lui
apprit qu'un prêtre chrétien, chinois de nation, résidait dans la
capitale, lui fit connaître la maison où il était caché, et lui donna
son signalement. Le premier ministre et le roi lui-même furent
bientôt informés de tout. Ordre fut donné au grand juge criminel
T'sio Kiou-tsin-i, d'envoyer à Tinstant des satellites, pour se
saisir sans bruit de l'étranger. C'était le 27 juin. Heureusement,
les chrétiens, qui se défiaient un peu du traître, avaient épié ses
démarches, et avaient pu connaître à temps ses dénonciations, et
les ordres de la cour. Le P. Tsiou, averti, s'était de suite réfugié
chez un autre chrétien. Mathias Tsoi resta seul pour garder la
maison menacée. Il eut pu chercher son salut dans la fuite, mais
afin de mettre entièrement le prêtre en sûreté, il conçut la
généreuse résolution de se faire passer pour le Chinois qu'on
cherchait. Comme il était d'une famille d'interprètes, et parlait le
chinois, il espérait de cette manière réussir plus facilement dans
son dessein. Il se coupa donc les cheveux pour mieux contrefaire
l'étranger, et attendit paisiblement l'arrivée des satellites. Ceux-
ci arrivés à la maison, se précipitèrent sur lui, en criant : « Où est
le Chinois? — C'est moi,» répondit Mathias avec calme. Il fut
aussitôt saisi et traîné devant le juge. Maison ne tarda pas à
s'apercevoir de la méprise. Le prêtre chinois avait été signalé
comme portant une barbe assez bien fournie, et Mathias en
était dépourvu. On se mit donc de nouveau à la recherche du
prêtre, et il n'eût probablement pas échappé longtemps aux pour-
suites, si le roi, qui craignait de faire souffrir beaucoup d'inno-
cents, n'eût ordonné de procéder dans celte affaire avec plus de
modération.
Cependant Paul loun et Sabas Tsi, les deux introducteurs du
P. Tsiou, avaient aussi été pris le même jour, et réunis à
Mathias T'soi. La nuit même de leur arrestation ils furent con-
duits devant le tribunal. Leur fermeté et la sagesse de leurs
paroles déconcertèrent les juges. Des professions de foi claires
et généreuses étaient la seule réponse qu'ils faisaient à toutes
les questions sur le prêtre étranger, sur son arrivée et sur son
séjour dans la capitale. Pour leur arracher des aveux compro-
mettants, on les mit plusieurs fois h la torture, on les accabla de
coups, on leur disloqua les bras et les jambes, on leur écrasa les
genoux, mais rien ne put faire fléchir leur courage ou lasser leur
patience. Une joie céleste inondait leurs cœurs et se répandait
jusque sur leurs visages. Enfin le roi, cédant aux réclamations
multipliées des ennemis de la religion, signa leur arrêt de mort*
I
— 73 —
La sentence fut exécutée cette nuit-là même dans la prison, et les
corps des martyrs furent jetés dans le fleuve. C*était le 12 de la
cinquième lune (28 juin 1795). Sabas Tsi était âgé de vingt-
neuf ans, Paul loun avait trente-six ans, et Mathias T'soi trente
et un ans.
Telle fut la récompense magnifique que Dieu donna à ces
trois généreux chrétiens qui avaient, au péril de leur vie, intro-
duit un prêtre en Corée, et qui, par leur piété, méritèrent ce
bel éloge de Tévéque de Péking. « L*Ëglise de Péking et
moi, écrivait-il en 1797, avons été témoins de la piété et de
la dévotion de Paul loun dans les deux voyages qu'il fit à Péking
en 1790. Il y reçut'les sacrements de Confirmation, de Péni-
tence et d'Eucharistie, avec une ferveur si frappante, que plu-
sieurs de nos chrétiens ne purent retenir leurs larmes, dans la
joie et Tadmiration qu'ils éprouvaient de trouver chez ce néo-
phyte, la modestie, les paroles, les vertus exemplaires d'un vieux
chrétien consommé dans la pratique de l'Évangile. En 1793,
nous fûmes aussi témoins de la piété de Sabas Tsi, pendant les
quarante jours qu'il passa à Péking. Les fidèles de cette ville
furent édifiés de sa dévotion, de sa grande ferveur, et de Teffu-
sion de larmes avec lesquelles il reçut les sacrements de Con-
firmation, de Pénitence et d'Eucharistie. Quant à Mathias T'soi,
nous n'avons pas été témoins oculaires de sa foi, parce qu'il
n'est pas venu à Péking, mais j'ai appris par le missionnaire de
Corée, que ce chrétien a été un des premiers catéchistes, et qu'il
s'est distingué par sa ferveur, sa piété et son zèle à étendre la
gloire de Dieu (1). »
Cinq autres chrétiens avaient été arrêtés avec nos trois mar-
tyrs, et accusés comme eux de s'être faits les introducteurs du
prêtre étranger dans la Corée; mais ils soutinrent, avec raison,*
qu'ils n'avaient pris aucune part à son entrée dans le royaume.
On voulut les faire apostasier. Ils s'y refusèrent, et confessèrent
leur foi au milieu des plus cruels supplices. Après quinze jours
de tortures, ils furent mis en liberté, et s'en allèrent joyeux,
louant et bénissant Dieu. Quant au dénonciateur Han Ieng<ik-i,
il ne recueillit aucun profit de sa trahison. Â l'automne de cette
même année, il mourut misérablement, loin de sa famille et de
sa maison. On dit qu'à Theure de sa mort, il ne cessait de gémir
et de verser des larmes. Puisse-t-il, par un sincère repentir,
avoir obtenu de Dieu, le pardon de son crime!
(1) Nouvelles LeiWee édif. T. 5.
— 74 —
Pendant qu'on mettait à mort ceux qui l'avaient introduit en
Corée, et qu'on faisait de tous côtés des recherches pour le sai-
sir, le P. Tsiou était caché dans le bûcher d'une femme chré-
tienne. Cette néophyte courageuse, qui exposait ainsi sa vie pour
le sauver, se nommait Colombe Kang Oan-siouk-i. Comme elle
a joué un grand rôle dans l'histoire de la chrétienté à cette
époque, nous allons raconter sa vie avec quelque détail. Elle
était née dans le Nai-po, d'une famille païenne de demi-nobles,
ou, selon l'expression coréenne, de nobles bâtards. On nomme
ainsi les familles issues d'une mésalliance. Dès son enfance,
Colombe montra une pénétration d'esprit remarquable, jointe
à un cœur droit, ferme et courageux. Elle ne se permettait point
d'actions mauvaises, et supportait avec beaucoup de patience
le caractère acariâtre de sa mère. Son âme élevée aspirait déjà
à quelque chose de grand. Elle s'appliquait à pratiquer les
maximes de la religion de Fo, et avait même formé, dit-on, le
dessein de quitter le monde, pour se livrer toute entière aux
exercices religieux de celle secte.
Colombe fut mariée à un demi-noble du district de Tek-san,
nommé Hong Tsi-ieng-i, qui avait perdu sa première femme.
C'était un homme d'une simplicité extrême, entièrement dépourvu
des qualités de l'intelligence, avec lequel Colombe avait bien de
la peine à vivre en bonne harmonie, et qui lui causait beaucoup
de chagrins. Elle faisait néanmoins tous ses efforts pour lui être
agréable, et par ses prévenances et sa douceur, elle sut gagner
laffection de sa belle-mère dont le caractère était assez difficile.
Colombe était mariée depuis quelque temps, quand pour la pre-
mière fois elle entendit un parent de son mari, nommé Paul,
parler de la religion du Maître du ciel. Ce mot la frappa. « Le
• « Maître du Ciel, se dit-elle, ce doit être le maître du ciel et
(( de la terre. Le nom de cette religion est juste, et sa doctrine
(( doit être vraie. » Elle demanda des livres, et en les lisant,
son cœur comprit la grandeur et la beauté de la vérité évangé-
lique. Elle s'attacha à la religion par toutes les puissances de
son âme et, dès ses premiers pas dans la vie chrétienne, aspira
aux vertus héroïques. Son assiduité h remplir tous ses devoirs,
sa ferveur, sa mortification étaient admirables. Elle s'appliqua
aussitôt à convertir sa maison, ses parents et ses amis; et son
zèle s'étendit jusqu'aux villages voisins. Son mari fut le princi-
pal objet de sa sollicitude. Quand elle l'exhortait à se faire chré-
tien, il disait : « C'est vrai, c'est vrai, » mais quand ensuite les
ennemis de la religion la décriaient, il remuait la tële en signe
— T6 —
d*approbation, et accordait pleine créance à leurs paroles. Si sa
femme le réprimandait, il versait* des larmes et regrettait ses
torts, puis si de mauvais amis revenaient le voir, il agissait
comme auparavant. Colombe, malgré tous ses efforts, n'abou-
tissait à rien, et elle vit bien qu'elle ne pourrait jamais parvenir
à lui faire pratiquer sérieusement la religion.
Elle s'appliqua aussi à convertir sa belle-mère. Cette dernière
commença à servir Dieu et à réciter les prières chrétiennes, mais
elle ne pouvait se résoudre à abandonner le culte des ancêtres.
Colombe lexhortait sans cesse, et surtout adressait à Dieu de
ferventes prières, pour obtenir sa conversion entière. Ses prières
furent enfin exaucées. Un jour que la belle-mère balayait la salle
des ancêtres, un fracas horrible se fit entendre tout à coup, les
poutres et les colonnes de la chambre étaient ébranlées. Saisie
de frayeur à ce bruit étrange, dont il était impossible de décou-
vrir la cause, cette femme courut se jeter entre les bras de sa
bru et abjura ses vaines superstitions. Après cette victoire.
Colombe convertit encore son père et sa mère, qui moururent
tous deux d'une manière édifiante.
En 1791, lorsque la persécution éclata. Colombe secourut les
confesseurs de la foi, préparant leur nourriture et la leur por-
tant dans les prisons. Elle fut arrêtée et conduite devant le gou-
verneur de Hong-tsiou. Nous ignorons les détails de son interro-
gatoire, mais il parait qu'elle fut remise en liberté sans avoir eu
de tourments à endurer, et sans avoir prononcé une seule parole
d'apostasie. Peu de temps après, elle se sépara de son mari auquel
elle confia le soin de ses terres, et accompagnée de sa belle-mère,
de sa fille et de Philippe Hong, fils que son mari avait eu d'un
premier mariage, elle vint résider à la capitale. Le motif qui la
portait à agir de la sorte ne nous est pas bien connu. Les uns
disent que ce fut le désir de vivre dans la continence ; d'autres
assurent qu'elle cherchait seulement à se trouver au milieu de
chrétiens plus fervents; enfin, d'après la sentence rendue plus tard
contre elle, elle aurait été chassée par son mari lui-même. Celui-
ci, en effet, effrayé par la persécution, et n'ayant nulle envie de
pratiquer la religion, aura pu lui ordonner de se retirer de chez
lui. Cette dernière explication est beaucoup plus probable.
Colombe était donc à la capitale, lorsque le P. Tsiou y
arriva. Elle avait même aidé Sabas Tsi et ses compagnons dans
leur périlleuse entreprise. Le prêtre la distingua bien vite entre
toutes les chrétiennes qu'il put voir. Ravi de joie de trouver, dès
son arrivée, une auxiliaire si dévouée, il la baptisa et lui donna
— 76 —
la fonction de catéchiste chargée de tout ce qui concernait Vins
truction des femmes, emploi ^dont elle s*acquitta avec autant
d'activité que d'intelligence. Lorsque le missionnaire fut trahi
et poursuivi par les satellites, Colombe, avertie à temps, conçut
la généreuse pensée de le sauver. Elle le cacha dans le bûcher de
sa maison, et Ty nourrit pendant trois moisi Tinsu de tous, et
même de sa belle-mère et de son fils Philippe. Elle était cepen-
dant très-afQigée de ne pouvoir offrir au prêtre un asile plus
commode, mais elle n'osait pas se confiera sa belle-mère, qu'elle
voyait bien éloignée de ses généreuses dispositions. Elle entre-
prit cependant de toucher son cœur. Elle se mit à pleurer et à
gémir presque continuellement : elle ne mangeait et ne dormait
presque plus. Sa belle-mère, craignant de la perdre, voulut savoir
la cause de son chagrin. Colombe lui dit : a Le prêtre est venu
<x ici, au péril de sa vie, pour sauver nos âmes, et nous n'avons
« rien fait pour reconnaître ses bienfaits, et il est aujourd'hui
a sans asile. A moins d'être de pierre ou de bois, comment ne
« serais-je pas vivement affligée à cette pensée? Je vais donc
a m'babiller en homme, et parcourir le pays pour tâcher de le
« trouver et de le secourir. — La belle-mère répondit en pleu-
« rant : Si vous agissez ainsi, qui aurai-je pour appui! Je
« vous suivrai donc et je mourrai avec vous. — Vénérable mère,
« reprit Colombe, je suis bien consolée de voir à quel degré de
« vertu vous êtes arrivée. Je ne craindrais certainement pas
« d'exposer ma vie pour sauver le missionnaire, mais dans des
« circonstances si difficiles, nous ne pourrions pas le trouver, et
« nous nous exposerions inutilement. Le Seigneur du ciel qui
« sait tout, et qui pénètre le cœur des hommes, voit notre bonne
a volonté, et il permettra peut-être que le Père vienne près de
« nous. S'il se présentait, oseriez-vous le recevoir? Si vous me
« donnez l'assurance de votre consentement, votre fille aura
(( aussitôt Tàme en paix. Elle reprendra sa joie première, et
« s'acquittera envers vous jusqu'à la mort des devoirs de la
t piété filiale. — La mère répondit : Je ne veux pas me
« séparer de vous, faites tout ce que vous voudrez. » — Aussi-
tôt Colombe tressaillant de joie courut à la cachette du prêtre, et
l'introduisit dans la salle d'honneur. Ce fut Ih que le P. Tsiou,
protégé par l'usage coréen qui interdit aux étrangers rentrée
des maisons nobles, fit sa résidence habituelle pendant trois ans.
Au mois de septembre 1796, le P. Tsiou écrivit à l'évêque
de Péking, pour lui faire connaître sa position et Tétat de la
chrétienté coréenne. Les continuelles perquisitions de la police,
— 77 —
et le redoublement de surveillance, surtout aux frontières, ne
lui avaient pas permis de le faire Tannée précédente. Thomas
Hoang Sim-i, né a Siong-meri, au district de Tek-san, et l'un
de ceux qui avaient attendu le prêtre sur la frontière en 1798,
fut choisi pour courrier. Il dut acheter à prix d'argent une place
de domestique auprès d'un des membres de l'ambassade. Ayant
caché soigneusement dans ses habits les deux morceaux de soie
sur lesquels étaient écrites la lettre latine du P. Tsiou, et la
lettre des chrétiens en caractères chinois, il se mit en route, et,
le 28 janvier 1797, arriva à Péking. L'évéque Govea passa de
Textréme inquiétude à la joie la plus vive, en lisant les lettres du
missionnaire et des chrétiens. Dans sa lettre, le prêtre parlait
des moyens de procurer la paix à TÉglise coréenne. Le meilleur
à ses yeux eût été de demander à la cour de Portugal, un ambas-
sadeur qui viendrait saluer le roi de Corée, et faire alliance avec
lui. Avec cet ambassadeur, on eût envoyé des prêtres savants
dans les mathématiques et dansja médecine, qui auraient pu
s'établir dans le pays, et que le gouvernement coréen eût traité
favorablement, par égard pour le roi de Portugal. Nous ignorons
si la demande de cette ambassade fut faite. Ce qui est certain,
c'est que jamais personne ne fut envoyé.
Aussitôt que le P. Tsiou connut suffisamment la langue
coréenne et les usages du pays, il s'occupa de l'administration
des chrétiens, mais avec les plus grandes précautions. Lorsqu'il
sortait. Colombe seule savait où il allait. On cachait soigneuse-
ment toutes ses démarches ; il n'avait de rapport qu'avec les
chrétiens les plus sûrs, et le plus grand nombre, surtout dans
les provinces, soupçonnaient à peine qu'il y eût un prêtre en
Corée. Il ne se montrait même pas à tous les membres des
familles qui le recevaient, et plusieurs fois des serviteurs même
chrétiens purent seulement deviner sa présence, qui n'était publi-
quement avouée de personne. L'extrait suivant d'une lettre écrite
par un chrétien de l'époque, va nous donner une idée de la
rigueur avec laquelle le secret était gardé.
L'auteur de celte lettre est Pierre Sin Tai-po, martyrisé
en 1839. Il l'écrivit dans sa prison en 1838, sur un ordre de
M. Chastan, qui recueillait ayec soin tous les souvenirs des
vieillards concernant les premiers temps du christianisme en
Corée. Jean Ni le-tsin-i, dont il est ici question, est le même
que nous verrons plus tard renouer les communications avec
Péking.
« Mon parent Jean Ni le-tsin-i et moi, étions chrétiens depuis
— 78 —
cinq ans, mais assez peu fervents. Nous désirions vivement voir
le prêtre, et depuis longtemps je fatiguais de questions un chré-
tien de mes amis, fonctionnaire public. Une nuit, je couchai
chez lui, et le matin, en réponse à mes instances, il se leva, tira
de son armoire une paire de bas d'enfants, et me donna ces bas
en me disant de les chausser. Les ayant regardés, il me parut*
qu'un enfant lui-même ne pouvait les mettre, et tout étonné je
dis : « Ceci est une mauvaise plaisanterie. Pourquoi engagez-
vous une grande personne à mettre des bas d'enfant? » — II me
répondit : « La religion étant très-équitable, il n'y a, vis-à-vis
d'elle, ni grands ni petits, ni nobles ni roturiers. C'est à peu près
comme ces bas qui, souples et élastiques, vont aux grands pieds
comme aux petits. Dans la religion, avec de la ferveur, on peut
voir le prêtre, comme ces bas avec un peu d'efforts chaussent
bien, même un grand pied, d En effet, je parvins à les mettre.
C'étaient des bas venus d'Europe qui, travaillés avec de la laine,
s'élargissaient autant qu'on voulait. Je multipliai mes questions,
mais inutilement, je n'obtins pas un mot de plus. Je revins dix
jours plus tard, j'interrogeai d'autres chrétiens, j'envoyai Jean
Ni à son tour. Partout silence absolu. En somme, Jean Ni et moi
fîmes successivement sept ou huit voyages à la capitale, dont
notre demeure était éloignée de cent quarante lys, et toujours
sans succès. Jean Ni laissa môme sa famille pour venir se fixer à
Séoul afin de saisir plus facilement une occasion favorable...
Malgré tout, nous n'eûmes jamais la consolation de voir le
prêtre. La nouvelle de sa mort nous arriva plus tard, et ne fil
qu'augmenter nos regrets. »
Combien d'autres démarches analogues durent être faites,
dans le même temps, par un grand nombre d'âmes qui avaient
faim et soif des grâces de Dieu ! et quelle leçon pour tant de chré-
tiens qui, vivant au milieu des secours de la religion songent si
peu à en profiler! Nous ne devons pas cependant blâmer comme
exagérées, ces précautions si sévères. La présence du prêtre en
Corée était connue du gouvernement, les recherches étaient con-
tinuelles, les arrestations se succédaient tous les jours. Pou-
vait-on prendre trop de soin pour conserver l'unique pasteur,
sur la tête duquel semblait reposer le salut de tout le troupeau.
Le P. Tsiou étant environné d'un tel mystère, il ne faut pas
s'étonner que la tradition coréenne ne nous apprenne presque
rien sur ses travaux apostoliques. On sait seulement qu'à la
capitale il allait quelquefois chez Augustin Tieng lak-tsiong,
chez Alexandre Hoang Sa-ieng-i et chez Antoine Hong An-tang.
-79 —
Il visita aussi plusieurs fois le palais lang-tsiei-kong ou Piei-
koDg, et probablement y séjourna quelque temps. Ce palais
appartenait à un frère bâtard du roi nommé Ni In ou Il-oang-
sou, dont le fils Tarn avait été mis à mort, comme coupable de
conspiration. Les grands eussent voulu aussi qu*on flt mourir le
père, mais le roi ne Tavait pas permis, et s*était contenté de
l'exiler dans File de Kang-hoa. Il n'était resté dans son palais
Piei-kong que deux femmes, l'épouse du prince exilé, et sa belle-
fille, veuve de Tam. Une chrétienne, ayant pitié de leur infor-
tune, leur parla de religion vers Tannée 1791 ou 1792. Le mal-
heur avait préparé leurs âmes, elles se convertirent, mais
personne n'osait avoir de rapport avec elles sous le prétexte
que cela pourrait attirer de fâcheuses affaires. Seule, la géné-
reuse Colombe n'eut pas cette crainte ; elle alla voir les deux
princesses, conduisit même le prêtre chez elles, et leur fit rece-
voir les sacrements. La femme de Ni In s'appelait Marie Song,
et sa belle-fille Marie Sin. Elles devinrent toutes deux très-fer-
ventes, convertirent plusieurs de leurs esclaves, et s'agrégèrent
à la confrérie Mieng-to, ou de l'instruction chrétienne. Elles
étaient heureuses de recevoir le prêtre dans leur palais. Lors-
qu'il s'y trouvait, il était caché dans une chambre séparée, atte-
nante à la maison de Hong An-tang, et communiquant avec cette
dernière par un trou secrètement pratiqué dans la muraille. Le
prince exilé eut connaissance de ce qui se passait dans son
palais, et n'y mit aucun^obstacle. Cependant lui-même ne se fit
jamais chrétien.
Le P. Tsiou fit aussi plusieurs tournées dans les provinces.
Il alla au district de Nie-tsiou, dans la famille du martyr Paul
loun, son introducteur. Il résida quelque temps chez Augustin
Niou Hang-kem-i, àTso-nam-i, district deTsien-isiou, province
de Tsien-la. On sait aussi qu'il passa dans les districts de Ko-san,
Nam-po, Kong-tsiou, On-iang, et dans le Nai-po. Mais à quelle
époque précise fit-il ces différentes excursions? avec quel succès?
nous l'ignorons. Les mémoires du temps ne nous ont laissé aucun
détail. Ce qui est certain, c'est que la plupart des fidèles ne
purent alors participer à la réception des sacrements, à cause
du secret inviolable qui devait partout protéger le missionnaire,
et des autres difficultés de tout genre, causées par la persécution.
Les chrétiens sont du reste unanimes à faire l'éloge du P. Tsiou.
Ils nous le représentent infatigable au travail , se réservant
à peine le temps nécessaire pour manger et pour dormir. La nuit,
il exerçait le saint ministère; le jour, il tlraduisait des livres oiji
- 80 —
en composait de nouveaux. Il jeûnait, se mortifiait et se sacri-
fiait tout entier à son devoir. 11 semble même que Dieu voulut
rehausser par des miracles 1 éclat des vertus de son serviteur.
Une tradition respectable rapporte qu'un jour, pendant son séjour
à la capitale, un incendie éclata au quartier T'sang-kol. Le feu
durait depuis vingt-quatre heures, lorsque le prêtre, désolé de
ses affreux ravages, et ne pouvant aller lui-même sur les lieux,
envoya le jeune Song, fils de Philippe Song, avec ordre de jeter
de l'eau bénite sur les flammes. Le jeune homme s'acquitta de la
commission, pendant que le P. Tsiou demeurait en prière, et
presque aussitôt le vent changea, et poussa les flammes du côté
où il ne restait plus que des ruines.
La prudence du prêtre, disent les relations coréennes, ses
talents, son zèle, ses vertus, le mettaient au-dessus du commun
des hommes. Il était environné de dangers; néanmoins, sem-
blable au Koue (1) dont on a réussi à cacher les angles, en Ten-
vironnant de cent pointes différentes, il sut, à force de précau-
tions et d'expédients, se sauver de tous les mauvais pas. Lorsqu'il
entra en Corée, la sainte religion du Maître du ciel ne faisait
encore que de naître. L'éclat de sa doctrine était comme voilé par
la grande ignorance des chrétiens. Pour remédier à ces maux, il
ne se contenta pas de composer des livres, et de répandre lui-
même rinstruclion, mais il corrigea les abus, d'une main ferme et
sage, et parvint à faire observer fidèlement par tous les prati-
ques de la foi. Il institua, sur le modèle d'une association sem-
blable depuis longtemps établie à Péking, le Mieng-to ou con-
frérie de rinslruction chrétienne, que nous avons mentionnée plus
haut. Le but des associés était de s'encourager et de s'aider mu-
tuellement, d'abord à acquérir eux- nêmes une connaissance ap-
profondie de la religion, et ensuite à la répandre parmi leurs
amis chrétiens et païens. Augustin Tieng Iak-tsiong fut établi
président de celle confrérie. Le P. Ts'ou désigna ensuite les
lieux de la ville où devaient se tenir les assemblées, nomma les
chefs qui devaient y présider, statua que 1rs hommes y assiste-
raient séparés des femmes, en un mot, il régla lout avec poids et
mesure . Echauffés par son zèle, tous les confrères s'empressaient de
venir recevoir le billet que les chefs distribuaient mois par mois,
à chacun des membres, leur assignant pour patron un des saints
honorés parTÉglise durant ce mois; c'est ce qu'on appelait le
(1) Le Koue est une tranche d'ivoire avec laquelle on représente les man-
darins des anciennes dynasties.
— 81 —
billet du patron. Cette pratique se répandit peu à peu dans tout
le royaume, et produisit des fruits merveilleux.
Dans tous ses efforts, le prêtre était très-efficacement secondé
par Colombe Kang. A l'intérieur de sa maison, elle prenait soin
du prêtre, et lui fournissait tout ce qui lui était nécessaire ; à
Textérieur, elle était mêlée à toutes les affaires importantes, et
Dieu bénissait ses entreprises en les faisant toujours réussir.
Comme elle joignait à une instruction solide, une grande facilité
d'élocution, elle convertit beaucoup de personnes de son sexe,
parmi lesquelles un certain nombre de femmes de la plus haute
noblesse. La loi du royaume n'infligeant aucun supplice aux
femmes nobles, hors le cas de rébellion, ces néophytes ne s'in-
quiétaient pas de la prohibition du gouvernement.
Colombe réunissait aussi un grand nombre de jeunes filles et
les instruisait solidement. Elle fut aidée dans cette bonne œuvre
par la vierge Agathe loun, qui s'était retirée auprès d'elle et dont
nous parlerons plus tard. Ces jeunes filles, après leur mariage,
devenaient autant d'apôtres zélés , prêchaient la foi chrétienne
dans leurs nouvelles familles, et souvent convertissaient leurs
parents et connaissances. Douée d'une énergie et d*une activité
extraordinaire, aidée par une grâce particuière d'en haut. Co-
lombe animait et dirigeait toutes les œuvres de charité. Tous
les chrétiens l'aimaient et l'admiraient, a Elle exhortait tout
le monde, disent-ils, avec autant de fermeté que de prudence,
et disposait, pour ainsi dire, de tous à son gré. Quoiqu'il y
eût, parmi les hommes, beaucoup de chrétiens fervents, tous
subissaient volontiers son influence, et se conformaient à ses
vues avec la même précision que le son d'une cloche suit le coup
du marteau. Elle gagnait les cœurs par son ardente charité,
comme le feu embrase la paille. Dans les affaires compliquées
et les grandes difficultés, elle tranchait avec la même dextérité
qu'une main sûre coupe et divise une touffe de racines entrela-
cées. 7) Aussi doit-on, en toute justice, lui attribuer une grande
partie des progrès que fit la religion à cette époque. Ces pro-
grès furent très-considérables, et nous pouvons les résumer
en un mot. Avant l'arrivée du P. Tsiou, les chrétiens de Corée
étaient environ quatre mille ; quelques années après, leur chiffre
s'élevait à dix mille.
d
Veraécutions partielles. — Martyre de >'i Tokei, de François Pak, tlc...-
Hort da roi.
#.. i
Nous venons de résumer la peu queVoD cannait des Irani^
apostoliques du P. Tsiou pendant son séjour de six ans eu Cuit.
Avant de raconter le glorieux triomphe qui couronna la vie dee|
saint missionnaire, il nous faut faire connailre les nomselki
actes des confesseurs et des martyrs qui rendirent témoignage J
Jésus-Christ, pendant cette période. j
La mopt des trois introducteurs du prêtre étranger n'avait ptl
lait entièrement cesser la persécution. Les ennemis de la relij^
;jollicitaient vivement le roi d'ordonner de nouvelles poursniiei
contre les chrétiens, et ce prince, malgré sa modération, se rnl
obligé de donner quelque satisfaction à leurs rancunes. Tiol
lak-iong, qui avait une position élevée à la cour, fut disgracié!
envoyé comme surveillant des portes, à Kim-lseng. Il avait dfl
apostasie une fois, et ]ors<iu'il fut arrivé dans son gouvememeN
il eut la lâcheté de tourmenter quelques ciiréliens, pour mieuiM
laver du crime d'être chrétien lui-même. Poursuivi malgi^ VtA
cela par ses adversaires, il tinit par présenter au roi u ne adresa
dans laquelle sa défection était clairemenl exprimée, ce qui \4
permit de respirer un peu. ;
Pierre Seng-houo-i avait depuis longtemps abandonné Ù
religion, et fait cooDaîtrc son apostasie par un écrit public. Ilf^
tiéaumoins envoyé en exil à Niei-san, où il demeura une ann^
Là, il publia encore une apologie de sa conduite, protestuf
qu'il avait rompu avec les chrétiens, et renié leur docirinaï
mais il était si méprisé k cause de sa faiblesse, que personacll^
voulut ajouter foi à ses paroles. Ni Ka-hoau-i lui-même, chef ^
parti Nam-in, ancien ministre des travaux publics, fut mm
disgracié et nommé mandarin de la ville de T'siong-tsiou. G'C6t
celui que nous avons vu, dans les premières années de l'é*-
hlisscmentdela religion en Corée, entrer en conférence avec Piek-i,
reconnaître la vérité de la religion, mais refuser de se convertir.
Jamais Ni Ka-hoan-i ne fut du nombre des fidèles. Au contraire,
il s'était fait leur persécuteur, lorsqu'il était mandarin h Kang-4i<M,
— 83 -
, dans son nouveau gouvernement de T*siong-tsiou, il suivit la
(me ligne de conduite. On raconte qu'il choisissait les jours
abstinence des chrétiens, pour réunir chez lui les lettrés, et
i*il leur faisait servir de la viande, afin de reconnaître s'ils
ntiquaieni on non la religion. Les trois villes, que nous venons
t nommer, Kim-tseng, Niei-san et T'siong-tsiou, avaient été,
fec intenlion, choisies pour la résidence de ces dignitaires dis-
pndés. On savait que les chrétiens y étaient comparativement
irt nombreux, et on voulait les effrayer et mettre obstacle à la
iiversion des gentils.
La disgrâce de ces trois hommes influents, dont deux apostats
tan païen, montre bien clairement que les ennemis des chré-
iois voulaient, non-seulement détruire la nouvelle religion, mais
■ni abattre le parti Nam-in, dans la personne de ses principaux
keb. Quant à la conduite du roi, en cette circonstance, elle
tott est expliquée comme il suit, dans les mémoires du martyr
Mnandre Hoang.
^ c Lefen roi, dit-il, n'était pas sans craintes du côté de la Chine.
présence d*un prêtre de cette nation en Corée, pouvait lui
des difficultés avec la cour de Péking, difficultés d'autant
graves qu'il lui eût été impossible de prétexter son ipo-
du fait, puisque des preuves certaines en avaient été don-
liis devant les tribunaux. D'un autre côté, il répugnait, par
Éiactère, aux mesures violentes. Jamais il n'avait voulu con-
^Mirà une persécution générale, et ce n'était qu'à force d'ins-
hMes qu'on lui avait arraché, dans quelques cas particuliers, la
Ignature des sentences de mort. 11 eût désiré se débarrasser
jus bruit du prêtre, et amener les chrétiens à l'apostasie par
hn séductions ou les menaces, plutôt que par les supplices. 11
lânèlait très-bien d'ailleurs les haines politiques qui, chez ses
phiaistres, se déguisaient sous l'apparence de zèle pour la reli-
pM saUonale, mais il n'avait pas la force d'y résister, et le plus
Ifeaveat fermait les yeux sur les excès commis en son nom contre
hi chrétiens, par les différents mandarins des provinces. La
phpart de ceux-ci, se sentant appuyés à la cour, donnèrent libre
Ivrière à leur rapacité et à leurs rancunes. »
Une de leurs premières victimes fut Thomas Kim, connu
liM sous le nom de Kim P'ong-heu, (c'est-à-dire : chef de canton
la collecteur d'impôts). Né dans la province de T'siong-t'sieng,
Il district de T'sieng-iang, d'une famille du peuple, il avait reçu
(adqne instruction. Son caractère droit et ferme lui avait attiré
'estime de ses concitoyens, et c'est sur la demande du peuple
— 84 —
qu'il avait été fait chef de canton. Devenu chrétien, il continua
Texercice de sa charge. Il pratiquait avec ferveur la religion, se
livrait avec assiduité à la prière et aux lectures pieuses, instrui-
sait avec soin sa famille et vivait en parfaite hai*monie avec tout
le monde. En Tannée pieng-tsin (1796), il fut arrêté et conduit
à la préfecture de T'sieng-iang oii il eut à supporter les plus
violents supplices. On en vint jusqu'à lui brûler de la feuille
d'armoise sèche sur l'anus, mais rien ne put lui faire renier sa
foi. On fit rougir au feu un soc de charrue, et on lui ordonna de
quitter sa chaussure et de marcher dessus. 11 allait obéir, quand
on l'arrêta en disant qu'il était fou ; c'était la sain te folie de la croix.
Thomas fut condamné à mort. Trois jours avant l'exécution, on
lui barbouilla le visage avec de la chaux, et on lui fit faire trois
fois le tour du marché au son du tambour. Sur ces entrefaites,
le mandarin de T'sieng-iang ayant été cassé, l'affaire fut différée
jusqu'à l'arrivée de son successeur, malgré les instances de
Thomas qui demandait l'exécution de la sentence. Le nouveau
mandarin, après avoir examiné les pièces du procès, fit sortir de
prison le confesseur, en le plaçant sous caution dans la maison
d'un particulier, et quelques jours après, lui fit ordonner de
sortir du territoire de sa préfecture. Thomas, désolé de n'avoir
pu obtenir la couronne du martyre, s'en alla en gémissant, et
répétant à tous, qu'il n'avait pas eu de bonheur, et que désor-
mais, pays, maison, famille, n'étaient plus rien pour lui.
Il habita successivement dans les districts de Pou-ie, de Keum-
san et de Ko-san, s'appliquant à l'instruction des chrétiens, et
vivant dans un dénûment complet de toutes choses. Si les fidèles
lui donnaient des habits ou des souliers neufs, il disait que les
beaux habits entretiennent l'orgueil, et changeait de vêtements
avec le premier pauvre qu'il rencontrait. II ne faisait souvent
qu'un repas par jour, et sa nourriture était des plus grossières.
En Tannée 1801, la persécution étant devenue plus violente,
Thomas conduisit sa famille dans les montagnes : « Attendez là,
dit-il. Tordre de la Providence. Pour moi, j ai toujours dans le
cœur le regret de n'avoir pas souffert le martyre. L'occasion est
belle, je vais me livrer. » On lui représenta que sans lui, toute sa
famille mourrait de faim, et que,1^d'ailleurs, lui aussi devait
attendre Tordre de Dieu. Ce fut à grand'peine qu'on parvint à
le retenir. Il conservait toujours Tespoir d'obtenir la grâce du
martyre, mais Dieu exauça ses vœux d'une autre manière. Quel-
ques jours après, à la septième lune de cette même année 1801,
il tomba malade à Han-ko-ki, au district de Liong-tam. La veille
— 85 —
de sa mort, il prédit qu'il mourrait le lendemain. Le moment
étant venu, il se fit porter dans la cour de la maison qu'il habi-
tait, s'agenouilla, et dans cette humble posture, rendit paisible-
ment le dernier soupir.
Tousles chrétiens, cependant, ne montraient pas un aussi grand
courage. En 1797, Luc Hong Nak-min-i, qui avait une dignité
assez élevée à la cour, fut chargé d'office de présenter un rapport
au roi sur les affaires de la religion. Il fut assez faible pour le
rédiger en termes ambigus, et sans se prononcer ni pour ni
contre, mais il n'eut pas lieu de se féliciter de sa lâcheté. Le roi,
qui le connaissait comme chrétien, lui reprocha son peu de droi-
ture et de franchise, ajoutant qu'un dignitaire public doit tou-
jours parler au prince selon sa pensée. Au lieu de recevoir
ces paroles comme un avertissement de Dieu , Luc Hong ,
dans sa réponse, en vint jusqu'à répéter au roi les odieuses
calomnies répandues contre la religion, et à le prier de pour-
suivre les chrétiens. Le roi fut très-mécontent, et dans la suite,
ne manqua pas une occasion de faire sentir à l'apostat son
déplaisir et son mépris. Nous verrons plus tard que Luc eut le
bonheur d'obtenir de Dieu son pardon et la grâce du martyre.
En cette même année 1797, Han long-hoa, gouverneur de la
province de T'siong-t'sieng, résidant à Kong-tsiou, donna ordre
à tous les mandarins de sa province d'emprisonner les chrétiens
et d'anéantir à tout prix leur religion. Cette mesure violente
donna lieu à de nombreuses arrestations, mais Dieu seul aujour-
d'hui sait le nom de ceux qui souffrirent alors pour sa gloire. Les
mémoires du temps ne nous ont conservé le nom et l'histoire
que d un de ces martyrs, celui qui est resté le plus célèbre, Paul
Ni To-kei.
Paul, né dans le district de Tsien-iang, province de T'siong-
t'sieng, n'avait pas étudié les lettres, mais à l'école de l'Es-
prit-Saint, il avait appris l'amour de Dieu et la pratique sin-
cère des vertus chrétiennes. Sa petite fortune fut, par lui, em-
ployée toute entière à la conversion des païens. Son zèle ayant
attiré sur lui l'attention des ennemis (Te notre sainte religion, il
dut cinq ou six fois changer de résidence, et chacun des lieux où
il se retira, devint bientôt une fervente chrétienté. Enfin il s'éta-
blit dans une fabrique de poteries, du district de Tieng-san, et y
vécut d'un petit commerce. Or, tous ceux qui l'entouraient étaient
païens; il s'appliqua à leur faire connaître le vrai Dieu, et y
réussit si bien, qu'en peu de temps, tout le village fut converti.
Quand parut l'ordre du gouverneur, un païen nommé Kim, qui
— 86-
vivait dans le voisinage, menaça Paul de le dénoncer comme chef
des chrétiens. Sa femme, effrayée, l'engageait à fuir, mais il
refusa, dans la crainte d'aller contre la volonté de Dieu et de
scandaliser les néophytes qui avaient mis en lui leur confiance.
Seulement, il cacha ses livres et ses objets de religion, et attendit.
Le huitième jour de la sixième lune (1797), il était chez lui
occupé à son travail, quand tout à coup des hommes armés se
présentèrent, demandant à travers la haie de son jardin, s'il était
à la maison, a J'y suis, répondit-il, qui m'appelle? » Aussitôt il
sortit au-devant d'eux, les introduisit dans sa maison, les fit
asseoir, et s'informa du motif qui les animait. « Nous sommes,
dirent-ils, des gens du prétoire, occupés à rechercher un esclave
de la préfecture qui s'est enfui. Ayant appris que tu as un calen-
drier, nous avons voulu levoir pour faciliter nos perquisitions.»
Le calendrier chinois dont on fait usage en Corée, contient des
paroles superstitieuses pour retrouver les objets perdus. Paul
répondit : « J'ai bien un calendrier, mais il n'indique que la suite
du temps ; » et il l'apporta. « Lis pour moi, dit le chef des satel-
lites. — Je ne sais pas lire les caractères chinois. — Tu ne sais
donc lire que les livres de la religion du Maître du ciel? » Et, sans
attendre de réponse, il donna ordre de l'arrêter. Aussitôt une
dizaine d'hommes se jetèrent sur lui et le garrottèrent étroite-
ment. On fouilla la maison, où Ton découvrit un crucifix et
quelques livres. On l'entraîna dans un bois voisin, et pendant
qu'on le frappait de verges, le chef l'interrogeait, pour appren-
dre de lui la retraite du prêtre et l'obliger à dénoncer les chré-
tiens, mais ce fut en vain.
La nuit venue, on le conduisit, ainsi que d'autres chrétiens
pris avec lui, dans une pauvre auberge, dont le maître, touché
de compassion, obtint qu'on relâchât leurs liens qui les faisaient
beaucoup souffrir ; mais arrivés à la ville, lui et ses compagnons
de souffrances, furent chargés de fers.
Après avoir examiné le crucifix et les livres, le mandarin fit
comparaître les prisonniers et interrogea d'abord Paul : a Quelle
est ta demeure? — J'ai demeuré d'abord à Tieng-iang, j'habite
maintenant Tieng-san. — Qui t'a instruit et quels sont les dis-
ciples? — Je n'ai ni maîtres ni disciples. — Tu es un être digne
de mort. Si tu n'as ni maîtres ni disciples, d'où viennent ces
livres et cette image? » Paul ne répondit rien. On le reconduisit
en prison les mains et les pieds enchaînés, et la cangue au cou.
Ses compagnons firent ce que voulut le mandarin, à l'exception
d'un seul qui fut aussi mis en prison.
— 87 —
Le lendemain, le mandarin les menaça de les faire conduire
tous deux au marché qui se tenait à six lys (environ trois quarts
de lieue) de la ville, et de les exposer à tous les outrages de la
multitude. *r- « G*est pour la cause de Jésus^Ghrist , répondit
Paul, nous ne pourrons jamais assez reconnaître un pareil hon*
neur. -^ La doctrine de Gonfucius, dit le mandarin, ou bien
celle de Meng-tse, ou bien celle de Fo, sont véritables. Pour
vous, refusant de vous en instruire, oii êtes-vous allés chercher
cette fausse doctrine que vous suivez, et pourquoi voulez*vous
en infester tout le pays ? Votre secte ne connaît ni roi, ni pa-
rents ; vous vous livrez aux plus monstrueux penchants, et vous
suivez cette doctrine, malgré la défense du roi. G*est là un grand
désordre, et vous êtes dignes de mort. »
<( Ignorant comme je suis, répondit Paul, je ne connais pas la
doctrine de Gonfucius ni celle de Meng-tse qui sont réservées aux
seuls lettrés. Gelle de Fo ne regarde que les bonzes. Mais la
religion chrétienne est faite pour tous les hommes; votre servi-
teur va vous en dire quelque chose. Au commencement Dieu seul
existait; c'est lui qui a créé tout ce qui existe. Après la création,
il y eut des époux et des familles, puis des rois et des sujets.
Fo, Gonfucius, Meng-tse, les rois et les sujets, sont postérieurs
à la création du ciel et de la terre. Dieu est le vrai roi du
ciel et de la terre, le maître et le conservateur de toutes
choses, le vrai père de tous les peuples, la source véritable de
la piété filiale et de la fidélité aux princes. La piété filiale
et la fidélité aux princes sont ordonnées par le quatrième des
dix commandements. Pourquoi donc nous reprocher si injuste-
ment de ne connaître ni les parents ni le roi ? » — « S'il en était
ainsi, reprit le mandarin, le roi, la cour et les mandarins le
sauraient, et c'est d'eux que le peuple l'apprendrait ; au con-
traire, ils prohibent votre religion parce qu'elle porterait mal-
heur à la Corée. Et vous, peuple stupide,qui refusez d'obéir et de
dénoncer vos maîtres, vous méritez la mort. » — « Mourir pour
Dieu, dit Paul, c'est assurer à son âme une gloire éternelle. »
On les fit alors sortir du tribunal. Les satellites les accablaient
d'injures, en leur donnant des soufflets ou des coups de pied, les
couvrant de crachats, ou pesant de tout leur poids sur les can-
gués des confesseurs. Les uns disaient : « Aujourd'hui, après vous
avoir fait faire le tour du marché, on vous tuera. — Ces coquins-là
vont monter au ciel, » s'écriaient les autres. Enfin, on leur bar-
bouilla la figure avec de la chaux ; on leur attacha une inscrip-
tion sur la tête, et, sur le dos« mi énorme tambour. Le manda-
— 88 -
rin monta à cheval, et, à coups de fouet, on força les deux
confesseurs h courir devant lui jusqu'au marché. Pendant le
trajet, une foule considérable se pressait sur leur passage, atti-
rée par les cris des satellites, et les coups redoublés du tambour.
11 était environ neuf heures du matin. Lorsqu'ils furent arrivés,
le mandarin prit la parole : « Ces deux misérables, dit-il, sont
chrétiens, et leur crime est celui des rebelles. Ils ne servent pas
le roi, ne respectent pas leurs parents, et enfreignent la loi
naturelle. Lorsqu'ils auront fait le tour du marché, on les fera
mourir. » Il leur fait ensuite donner dix coups de planche, en
leur commandant d'apostasier. — « J'ai déjà répondu à toutes
« vos accusations, dit Paul, je n'ai rien à ajouter. » On lui
frappa les côtés avec la pointe de plusieurs bâtons à la fois, en
répétant le même ordre. « Quand je devrais mourir dix mille fois,
reprit le courageux chrétien, je ne puis apostasier. » — Le
peuple admirait sa fermeté et disait: «Certainement, celui-là
n'abjurera point. » Il était sept heures du soir, lorsqu'on les
reporta en prison, après un supplice de plus de douze heures.
Les satellites essayèrent encore d'ébranler Paul, en lui représen-
tant que, s'il n'obéissait au mandarin, il ne pouvait éviter la
mort. Il se contenta de répondre qu'il le savait bien. <c Quel rebelle
obstiné! » disaient les soldats avec dépit.
Quatre jours après, le geôlier vint les prévenir que le manda-
rin avait ordonné pour le lendemain un grand repas sur la
place publique. Les apostats devaient y prendre part avec lui;
les confesseurs, au contraire, s'ils persistaient dans leur résolu-
lion, devaient être mis à mort. Le compagnon de Paul ne com-
prenant pas bien ces paroles, croyait que la paix serait peut-être
rendue aux fidèles. « Il n'en est rien, dit celui-ci. Ne nous
laissons pas aller à un vain espoir, qui nous rendrait les sup-
plices plus pénibles. Pour moi, je veux demeurer en prison, et
si le mandarin m'obligeait à en sortir, loin de fuir, je resterais
dans la ville. » — Son compagnon, saisi de crainte, se cachait
la tête entre les mains, et gardait le silence. « Qu'as -tu?
demanda Paul. — Vraiment, je ne sais comment supporter les
supplices; que faire? — Il est vrai que, moi aussi, je souffre
beaucoup, et comme je suis plus vieux que toi, mon âge me rend
les tortures encore plus pénibles; mais le ciel s'achète t-il à vil
prix? Les souffrances sont la monnaie avec laquelle on achète le
bonheur éternel. Prends courage cl souffre encore quelques
instants. »
Le lendemain, on les conduisit sur la place du marché. £à
— 89 —
s'élevait une grande tente, et, sous cette tente, le tribunal du
mandarin, environné de plusieurs sièges, où prirent place les
apostats revêtus de beaux habits. Le festin commença, pendant
que les deux prisonniers se tenaient au lieu du supplice. Le
mandarin leur dit : «Le vrai paradis c'est d'avoir ici-bas une bonne
nourriture, une belle musique et tout ce que Ton souhaite. Vous
qui voulez monter au ciel, comment ferez-vous pour en escalader
les trente-trois étages? Abjurez et vous serez traités comme
ceux-ci ; sinon, je vous déférerai au grand tribunal, et vous
serez mis à mort. — J'ai déjà répondu, dit Paul, mais j'ajou-
terai encore une parole : Dieu est le seul maître de tout, de la
vie et de la mort ; comment pourrais-je le renier? » -- Mais
son compagnon, moins courageux, n'osa résister au juge, et eut
la faiblesse de faire un signe d'apostasie. Encouragé par ce suc-
cès, le mandarin dit alors : « Allons ! toi aussi, injurie le maître
du ciel. — « Quand le roi porte une loi, reprit Paul, on la trans-
met au peuple, et vous, loin de la violer, vous veillez à son
exécution. Comment donc, aujourd'hui, osez-vous ordonner
au peuple de maudire son véritable père? Chez nous, on n'a
pas coutume de maudire ses parents, » — Le mandarin , en
colère, ordonna de brûler les livres saisis chez Paul, et de faire
circuler le crucifix dans le marché, en disant : « Cet homme fait
son Dieu de celui que vous voyez ; n'est-ce pas aftreux? » — 11
était alors midi. Tout à coup, le temps devient sombre, le ton-
nerre gronde, le vent, soufflant avec violence, enlève la tente et
renverse presque le mandarin. Les apostats qui se réjouissaient
et faisaient bonne chère, sont effrayés et prennent la fuite. Le
peuple s'émeut, et dit qu'on ferait bien de relâcher le chrétien.
Mais le mandarin, furieux de ce contre-temps, fait frapper de
nouveau le confesseur. Ce ne fut que vers le soir qu'on le recon-
duisit en prison, si épuisé qu'il tomba par terre, et qu'on fut
obligé de le porter; ce qui n'empêcha pas de le charger d'une
lourde cangue. Malgré tant de tortures, il était calme et ne ces-
sait de prier.
A l'automne, il subit un nouvel interrogatoire, et fut de nou-
veau frappé de la planche. Ceux qui le voyaient, disaient : « 11
mourra sous les coups. — Mourir sous les verges ou sous la
planche, disait Paul, tout vient de l'ordre de Dieu : qu'il soit
béni de tout! » Et il demandait sans cesse la grâce du martyre.
Il souffrait souvent de la faim, et ses vêtements s'étant usés,
le froid augmentait encore ses douleurs. Sa femme ramassa un
peu d'argent, et lui apporta du vin et de la viande ; il refusa
- 90 —
d'abord : a La sainte Vierge, disait-il, m ayant placé sur la
croix, il n'est pas convenable que je mange cela. J'ai bien
entendu dire que Jésus, sur la croix, n'avait eu que des souf-
frances, mais je n'ai pas vu qu'il ait pris rien de délicat. Moi
aussi, je suis sur la croix, je dois faire comme lui. » — Il dut
néanmoins céder à ses instances, et accepter ce soulagement.
Ordinairement assis ou couché, il pensait sans cesse à Dieu, et
en recevait d'abondantes consolations. Un jour, il entendit une
voix qui lui disait ces paroles de la Salutation angélique : « Le
Seigneur est avec vous; » et il se sentit tout rempli de joie. (Le
texte coréen donne à entendre, sans néanmoins le dire formelle-
ment, que c'était une voix miraculeuse.) Il semblait aussi avoir
reçu une intelligence surnaturelle, et goûtait la beauté des prières
chrétiennes mieux que les plus instruits. Pendant les plus grands
froids de l'hiver, ses blessures le faisaient beaucoup souffrir, et,
le jour de Noël, ayant subi un cruel interrogatoire, il fut pris
d'une fièvre brûlante : « Voyez, disait-il, le Seigneur, par une
faveur spéciale, afin que mon âme ne se refroidisse pas, me ré-
chauffe au moyen des coups. »
Après le nouvel an, il fut mis par trois fois à la question. La
troisième fois, le mandarin lui dit : « Si tu veux abjurer, je te
donnerai du riz, je ferai soigner tes plaies, et je te procurerai une
place de chef de canton qui suffira pour te remettre à l'aise. —
Il répondit : Quand vous me donneriez tout le district de Tieng-
san, je ne pourrais jamais renier Dieu. — Tu prétends, ajouta
le mandarin, que les chrétiens honorent leurs parents, mais
tes quatre enfants ne sont pas venus te voir une seule fois de-
puis que tu es en prison. A-t-on jamais vu des cœurs aussi déna-
turés?— Obéir à ses parents, répliqua Paul, n'est-ce pas les
honorer? Or, j'ai maintes fois recommandé à mes enfants de ne
pas venir près de moi, de peur que cela ne fût plus nuisible
qu'utile aux uns et aux autres : c'est cette défense qui les em-
pêche devenir. »
Pendant la cinquième lune, les satellites venaient souvent le
voir, et ne gardaient pas beaucoup la porte, semblant l'inviter
à s'enfuir : mais il ne voulut pas le faire. Lorsqu'on l'y enga-
geait, il répondait : « C'est le mandarin qui m'a fait mettre en
prison, je ne puis en sortir que sur son ordre. » Des chrétiens
vinrent le voir, et lui dirent que la conduite des satellites ne
pouvant qu'être dictée par le mandarin, il ne devait pas se faire
scrupule de s'enfuir. Il réfléchit un peu et répondit : « Si nous
nous laissons prendre aux pièges du démon, nous courons risque
— 91 ~
de perdre notre âme, avec tout ce qu'elle a pu acquérir de
mérites. Ma maison est si pauvre qu'il ne m*est pas difficile de
rester dans cette prison, où je suis en paix. Tout ce que les
miens font pour moi me fait peine. » — Puis il dit à sa femme :
« Tous ceux qui prient pour moi, s'ils le font pour me faire jouir
encore des choses de ce monde, doivent cesser leurs prières :
mais s'ils prient pour mon âme, pour mon éternité, pour que je
n'oublie pas les souffrances de Jésus-Christ et ses mérites ,
recommande-moi à eux, afin qu'ils prient sans cesse. J'espère
que c'est de la sorte que ma famille prie pour moi. Quant à ma
nourriture, apporte-moi, selon tes moyens, une écuelle de riz
par jour ou tous les deux jours, et quand tu *ne le pourras pas,
ne t'en inquiète nullement. Si je ne puis sortir d'ici, mon cada-
vre en sortira bien. Dorénavant, quand on te chargera de me
dire quelque chose, même de la part des chrétiens, si cela tend
à m'ébranler, ne me le rapporte pas : mon cœur pourrait être
faible. »
A partir de ce jour, quand sa femme venait lui apporter
quelque chose, il refusait de la voir, et se contentait de lui
adresser de loin quelques mots. Quelques jours après, le man-
darin lui dit : « Tu as été trompé : en Chine, Ni-Matou (1) a
séduit le peuple par sa science ; comment ne vois-tu pas que ce
sont des fourberies? — Ni-Matou, reprit Paul, est un homme
comme les autres; mais la doctrine qu'il a répandue en Chine
et ailleurs, n'est pas la sienne; c'est celle du grand Roi du
ciel et de la terre. Si l'on doit publier et écouter avec une
attention scrupuleuse les ordres des rois de la terre, à plus forte
raison les ordres de Dieu qui sont plus terribles, plus redouta-
bles et plus aimables en même temps que ceux des rois de ce
monde. Il est le Tout-Puissant, le Très-Haut ; il est dix mille fois
plus admirable que tous les princes. Quand il ordonne, comment
pourrait-on prêcher négligemment la religion, la recevoir froide-
ment, l'apprendre avec indifférence? Voilà pourquoi, soutenu par
la grâce, je dois supporter et je supporterai patiemment tous les
tourments, mais jamais je ne consentirai à l'apostasie. » — Le
mandarin le fit battre plus qu'à l'ordinaire, et le renvoya en
prison.
Deux jours après, c'est-à-dire le troisième jour de la sixième
lune, sa femme vint à la prison s'informer de son état, el des cho-
(1} (Test la manière dont les Coréens prononcent le mot chinois Ly Matoo,
nom du père Matthieu Ricci, le grand apôtre de la Chine au xvi' siècle.
— 92 —
ses dont il pouvait avoir besoin. — a Je ne souffre pas, dit-il, je
ne sens pas la faim ; j'ignore de combien de coups on m'a frappé.
Il me suffira d'avoir des provisions jusqu'au lOde ce mois. » — Il
ne s'expliqua pas davantage; mais il est facile de comprendre
qu'il avait reçu d'en haut la connaissance de son prochain martyre.
Le 8, le mandarin le fit amener et lui répéta les ordres qu'il
avait reçus de le faire mourir s'il persistait dans son refus d'apos-
tasier. « Depuis plusieurs années que je connais la religion, répon-
dit Paul, je sais qu'il est juste de mourir pour Dieu ; n'espérez
donc pas me voir l'abandonner. » — On le tortura et il fut recon-
duit en prison. Le lendemain, sa femme et trois ou quatre chré-
tiens étapt venus le trouver, il les pria de se retirer, de peur que
leur présence ne fit sur son cœur une impression qu'il redoutait.
Comme ils demeuraient, il insista. « Pourquoi ne faites-vous pas
ce que je vous dis? Si le Seigneur me soutient, les tourments les
plus cruels sont faciles à supporter; s'il m'abandonne, les moin-
dres souffrances sont insupportables. Si j'étais livré à ma propre
faiblesse, il me serait impossible de demeurer ferme ; mais Jésus
et Marie me soutenant, rien ne me fait peur. Je vous conjure de me
quitter. » — Ils se retirèrent alors, pour ne pas l'affliger.
Le 10, au matin, les satellites vinrent l'avertir que le jour de
sa mort était arrivé ; il tressaillit de joie, et son visage parut tout
rayonnant. — «C*estétonnant,disaientlesgensduprétoire, depuis
que cet homme est en prison, quand il n'est pas torturé il est
maigre, pâle et abattu ; les tourments au contraire semblent lui
rendre la vie, et aujourd'hui qu'on lui annonce sa mort, il semble
plus radieux que jamais » C'était l'anniversaire du jour oîi on lui
avait fait faire le tour du marché. On lui mit une petite cangue
et il s'avança vers la place, entouré de satellites qui portaient les
instruments de supplice, et suivi du mandarin. Celui-ci descendit
de cheval, et commanda de le torturer ; alors on le coucha à plat-
ventre, la tète assujettie par ses longs cheveux, et les deux bras
liés à une grosse pierre. On serra la cangue jusqu'à l'étouffer, et
plusieurs bourreaux le frappèrent avec un morceau de bois trian-
gulaire, sorte de hache dont chaque coup fait une plaie. Le man-
darin lui demanda de nouveau s'il ne voulait pas apostasier. Paul
épuisé ne put répondre. — Alors un satellite s'approcha et lui dit :
« Si tu veux abjurer, il est encore temps. » Le martyr ramassa
ce qui lui restaitde forces pour crier: «Jamais! » Ses lèvres étaient
noires et desséchées, à peine semblait-il lui rester un souffle
de vie. Quelques minutes après, il leva la tête, regarda le ciel,
et dit : Je vous salue Marie^ puis il retomba comme mort.
— 93 —
Cependant les païens disaient : « C'est à cause de lui que la
sécheresse nous désole, et que nous mourons de faim ; il faut
Tachever à coups de pied. » La foule se pressait autour de lui. Sa
femme voulut s'approcher pour le soulager ; les clameurs s'éle-
vèrent contre elle, et repoussée, maltraitée, battue, foulée aux
pieds, elle fut emportée évanouie. Paul ayant repris connaissance,
le mandarin le fit frapper pour la troisième fois. Ses jambes avaient
été cassées au-dessous du genou ; on voyait à nu les os brisés, et
la moelle coulait jusqu'à terre. Lorsqu'on le délia, il resta étendu
sans mouvement. Sans lui ôter sa cangue, on le jeta sur une natte,
et quatre satellites le rapportèrent à la prison, qui fut fermée avec
soin. Le mandarin dit : «Si quelqu'un lui donne seulement un verre
d'eau, je le fais mourir comme lui. » Pendant deux jours, le martyr
ne reçut aucun soulagement, et personne ne put savoir s'il
était mort ou vivant. Le d2, vers le soir, le mandarin dit à
ses gens : « Allez à la prison, tirez ce chrétien dehors, voyez son
visage, tàtez-lui le pouls, et s'il vit encore, achevez-le, et venez
m'en rendre compte. Les satellites exécutèrent cet ordre, et, à
coups de pierreset.de bâtons le mirent dans un tel état que, sauf
la paume des mains, aucune partie du corps n'était sans blessure ;
toutefois, il lui restait encore un souffle de vie. Les bourreaux le
dirent au mandarin, qui leur répondit en colère: « Si vous nel'ache-
vez pas, je vous fais tous assommer. » Ils retournèrent donc à la
prison, et, cette fois, ne mirent de bornes à leur fureur que lors-
que l'âme du martyr se fut envolée au ciel. Cependant le manda-
rin, craignant qu'il ne revint encore à la vie, fit continuer le sup-
plice sur le cadavre. Un des satellites lui appuya le bout de la
cangue sur la poitrine, et monta dessus; les côtes se brisèrent et
le sang coula à flots. Le corps n'avait plus forme humaine. On le
couvrit d'une natte, eton'le garda pendant la nuit. Le lendemain,
il fut enterré par ordre du mandarin ; mais sept ou huit jours
après, des chrétiens éloignés d'environ dix lieues, vinrent le pren-
dre pour l'ensevelir honorablement chez eux. Paul était âgé de
56 ans. Son martyre arriva l'an de Jésus-Christ 1798, le 12 de
la sixième lune. Pour consoler sa veuve, le geôlier lui dit : « Ne
vous affligez pas trop, car le 12, pendant la nuit, j'ai vu une
grande lumière environner le corps de votre mari. »
Vers le même temps, mais dans une autre province, Laurent
Pak donnait aux fidèles l'exemple du même courage et de la même
persévérance. Nous l'avons vu, pendant la persécution de 1791,
intervenir hardiment en faveur des chrétiens, et souffrir la flagel-
— 94 —
lation pour sa foi. En 1797, lorsque la persécution éclata de nou-
veau dans le district de Hong-tsiou, ordre fut donné aussitôt de
le saisir. Laurent, par une humble défiance de ses propres forces,
se cacha d*abord. Mais son jeune fils ayant été emmené captif à sa
place, sa mère lui dit : « maintenant tu ne peux te dispenser de te
livrer. » Il vit dans cette parole la volonté de Dieu, et, comptant
sur le secours d'en haut, se rendit de lui-même à la préfecture, le
19 de la huitième lune. Le mandarin lui reprocha de s'être enfui,
mais Laurent répondit : «J'étais parti avantque votre ordre neroe
fût parvenu. A la nouvelle que vous aviez fait saisir mon fils, et
sur Tordre de ma mère, je suis venu; de quoi s'agit-il? — Pour-
quoi, lui dit le mandarin, suis-tu une mauvaise doctrine, prohi-
bée par le roi et ses mandarins? — Je ne suis pas une mauvaise
doctrine, j'observe seulement les dix préceptes de la vraie reli-
gion, qui enseigne à adorer Dieu, créateur de toutes choses,
J'honore ce Dieu, puis le roi, les mandarins, mes parents et autres
supérieurs ; j'aime mes amis, mes bienfaiteurs et mes frères, et
tous les autres hommes. — Tu as des parents et des frères? On
dit aussi que tout ton village suit la religion chrétienne, dénonce-
moi tout exactement. — Je n'ai que ma mère et pas de frère
cadet; dans tout le village, je suis seul à pratiquer la reli-
gion. — Tu méconnais tes parents, le roi et ses mandarins, tu
abuses des femmes des autres, tu dissipes ton bien en futilités, et
ne fais pas les sacrifices aux parents; pourquoi violer ainsi tous
les principes naturels? » Puis, se tournant vers les satellites:
((Liez-moi cet homme, cria le mandarin, frappez-le et mettez-le à la
question. — (( Le quatrième précepte, répondit Laurent, nous
ordonne d'honorer nos parents, nos supérieurs, le roi et les man-
darins, etd'aimer nos frères et nos proches : ne sont-ce pas là les
vrais principes naturels? Mais les parents, après leur mort, ne
pouvant plus venir manger ce qu'on leur offre, nous ne leur
offrons pas de nourriture, car la vraie doctrine rejette les choses
vaines et ne s'attache qu'aux réalités. Du reste, nous faisons la
sépulture des morts selon toutes les règles et convenances. Le
sixième commandement nous défend toute espèce d'impuretés, et
le neuvième nous défend même de désirer la femme du prochain.
Le peu que j'ai, je remploie à soulager ceux qui sont nus ou dans
le besoin ; ce n'est pas là dissiper son bien en futilités. »
Le mandarin commanda de lui mettre la cangue, et dit : « Par
qui as-tu été instruit? qui a copié tes livres, et qui sont tes com-
plices? — J'ai été instruit par Tsi-hong-i, de la capitale, qui a
été décapilé pour la religion. C'est delui aussi que me viennent les
— 98 —
livres, il est juste que je meure Voudrais-tu par hasard mou-
rir comme Tsi-hong-i? Qu'y a-t-il donc de si beau à mourir? —
Dieu m'a comblé de bienfaits sans bornes, et mes péchés sont
sans nombre ; il est bien juste que je meure. — Quels péchés as-
tu commis? — Je n'ai pas observé dans leurintégritéles dix com-
mandements.» Le mandarin le fit reconduire alors à la prison. Les
geôliers, pour lui extorquer quelque argent, lui mirent les pieds
dans des entraves, le couchèrent sur des morceaux de tuile, et lui
firent souffrir toute espèce d'avanies. Laurent répondit qu'il était
disposé à mourir pour la justice, mais que s'il avait voulu donner
deTargent, il ne serafl pas venu jusqu'à la prison. Ces paroles
augmentèrent la rage des bourreaux, et il fut accablé de coups.
Au second interrogatoire, le mandarin le fit placer sur la plan-
che à tortures, puis flageller, puis tirailler avec des pinces. —
a T'obstineras-tu encore à méconnaître parents, roi et mandarins?
Brûle tes livres, croix, médailles et images, toutes ces choses-là
sont mauvaises. — Quand je devrais mourir, reprit Laurent,
comment pourrais-je brûler des livres si précieux? » Il ajouta
quelques mots sur rincarnation de Jésus-Christ, sur les mérites
de sa passion, sur sa résurrection, son ascension et son second avè-
nement, ce qui lui valut une volée de coups sur les jambes.
Il y avait trois mois qu'il portait la cangue, quand des chrétiens
de différents lieux, étant venus pour le voir, obtinrent du geôlier,
à prix d'argent, qu'elle lui fût enlevée dans la prison. Le troisième
interrogatoire, comme ensuite tous les autres, commença par des
menaces de mort. Puis le mandarin lui dit: «c Toi, enfant de la Corée,
pourquoi t'obstines-tu à faire ce que tous nos saints et hommes
célèbres n'ont jamais fait? Qu'as-lu à gagner en violant la loi du
royaume? Ta conduite n'est pas raisonnable. — Le roi, répondit
Ijiurent, peut bien être maître du corps, mais Dieu seul est maî-
tre de Tâme ; il a établi des récompenses et des peines après la
mort, et personne ne peut les éviter. S'il faut mourir, que m'im-
porte? Cette vie n'est-elle pas semblable à la rosée qui se dissipe.
La vie est un pèlerinage, la mort n'est qu'un retour vers la
patrie. »
Sept mois après, le quatrième interrogatoire officiel eut lieu, à
l'arrivée d'un nouveau mandarin. Celui-ci dit à Laurent : « Pour-
quoi, après d'aussi violents tourments, persistes-tu dans ton obs-
tination? Et puis, ta mère vivant encore, comment peux-tu vou-
loir mourir? décidément, tu es devenu insensé. — « La mort,
répondit le confesseur, est de toutes les misères de ce monde la
plus grande ; le désir de la vie et l'horreur de la mort sont des sen-
— 96 •-
tiraents communs à tous. Mais Dieu étant le premier père de tous les
hommes est le souverain maître de toutes choses, dussé-je mourir,
je ne le renierai pas. — Il n'y a rien à faire avec cet être-là, » dit
le mandarin, et il le fit battre cruellement, puis l'envoya à la
préfecture de Hai-mi .
Devant ce nouveau tribunal, aux mêmes accusations ridicules
du juge, Laurent fit les mêmes réponses; aux tortures de tout
genre, ilcontinuad'opposer une patience inflexible. — « Quel est
ce Dieu dont tu parles, disait le mandarin, oii est-il? que fait-il?
Peux-tu le connaître, toi, quand nos savants l'ignorent ? Si cette
doctrine était vraie, le roi, la cour etsesWndarins ne la sui-
vraient-ils pas? — Dieu est au ciel, d'où il fait connaître ses
ordres ; si vous les exécutez, il vous fera monter près de lui; si
vous lui résistez, il vous précipitera dans les enfers. C'est une
peine un milion de fois plus forte qu'on ne peut l'imaginer ici-
bas. Aucun être n'est en dehors de ses bienfaits; mais puisqu'une
pauvre créature telle que moi en a reçu plus que tous mes supé-
rieurs, dussé-je mourir, je ne le renierai pas. — Après ton supplice,
ta mère aussi sera mise à mort à cause de toi. — Après ma mort, ma
mère restera entre vos mains, mais elle aussi a été créée par Dieu,
Dieu pensera à elle. — Est-ce par crainte de l'enfer que tu agis
ainsi? — Oui, c'est par crainte de l'enfer ; mais, en tous cas,
je ne puis renoncer à mon Dieu. » Le juge le fit battre de quinze
coups de la grosse planche, puis reconduire en prison.
A l'interrogatoire suivant, Laurent développa avec plus
d'énergie la doctrine chrétienne sur le ciel et sur l'enfer. « Puis-
que vous voulez aujourd'hui même me mettre à mort et que vous
traitez ma religion de vaine superstition, je ne puis me taire.
Sachez-le donc : à la fin du monde, après l'anéantissement de tous
les royaumes,tous les hommes de tous les âges, grands et petits, rois
et peuples, seront réunis devant le Fils de Dieu, descendu du ciel
et porté sur les nues, et il jugera les hommes des temps passés
et présents. Les bons seront portés au ciel avec le Seigneur Jésus
et ses saints, et jouiront d'un bonheur dix millions de fois plus
grand que toutes les gloires et tous les plaisirs du monde. Les
méchants seront engloutis dans l'enfer, par la terre qui s'ouvrira
sous leurs pieds, et souffriront des peines dix millions de fois
plus fortes que les douleurs de ce monde, plongés dans un feu
ardent qui ne s'éteindra jamais. A ce moment-là , tout regret
sera tardif et inutile ; chacun recevra selon ses œuvres. Puisque
vous voulez me faire mourir, retournez maintenant mon corps,
et, me frappant sur la gorge, tuez-moi tout de suite. — Tu mour-
— 97 —
ras sous les coups du bâton des voleurs, » repartit le mandariD
qui le fit frapper de vingt coups. •
Au sixième interrogatoire, le mandarin s'écria : «C'est à cause
des scélëratsqui suivent cette mauvaise doctrine, que la famine
et la sécheresse sévissent dans le royaume, et que tout le peuple
va périr. Déclare les lieux oîi vous vous réunissez pour prati-
quer votre religion, fais connaître les chefs des chrétiens. On dit
qu'ils sont réunis dans les montagnes, dénonce tout. — Nous
n'avons pas de chefs ; que les chrétiens soient dans les mon-
tagnes, c'est ce que j'ignore ; si vous le savez, pourquoi le de-
mander? » Le mandarin furieux s'adresse à un bourreau : « Brise
les os de la jambe à ce coquin-là, et bats-le à mort pour qu'il
ne sorte pas d'ici. » Cet ordre fut aussitôt exécuté, puis on le
traîna h la prison .
Quelques jours après, le gouverneur de la province, dont le
mandarin avait demandé les ordres, répondit : a La doctrine des
Européens est sale, mauvaise et horrible : frappez ces gens-là sur
les jambes, et si, au quatorzième coup, ils ne se rendent pas,
défaites-vous-en en les tuant. » Lecture de cet édit fut faite à
Laurent en plein tribunal, au milieu de tous les instruments de
supplice. Puis le mandarin ajouta : « Ne désires-tu pas voir ta
mère? Qu'y a-t-il de si bon à mourir? — Mon désir de voir ma
mère est inexprimable ; mais, dussé-je mourir, je ne puis aposta-
sier. Faites ce que vous voudrez, je n'ai plus rien à dire. —
Mais les autres chrétiens ont obéi au roi. — J'ignore ce que
d'autres ont fait : je n'ai pas à scruter leurs actions. Je ne
réponds que de moi-môme. » Le mandarin lui fit infliger une hor-
rible torture. Pendant plusieurs mois, il fut tous les huit ou
dix jours ramené devant le mandarin et remis à la question. La
cruauté des satellites s'ingéniait à augmenter ses souffrances,
et plu3 d'une fois ils le laissèrent nu et meurtri dans la boue,
exposé la nuit entière au froid et à la pluie.
C'est vers cette époque, qu'il trouva le moyen d'écrire à sa
mère la lettre suivante : « A ma mère, moi Laurent, fils ingrat,
de ma prison, je vous adresse l'expression de mes sentiments.
J'avais toujours fait résolution d'être dévot envers Dieu, pieux
envers mes parents et mes frères, et d'accomplir les ordres de
Dieu dans toutes mes pensées, paroles et actions. Mais, hélas!
j'ai péché envers Dieu, et je n'ai pas rempli tous mes devoirs
envers mes parents et mes frères. N'ayant pu vaincre nos trois
ennemis (les trois concupiscences), mes péchés sont sans nombre.
Ma mère, pardonnez-moi mes désobéissances ; mon oncle, mon
— 98 —
frère, ma belle-sœur, pardonnez-moi de ne pas vous avoir mieux
traités, et priez Dieu de me remettre mes péchés et de sauver
mon âme ; par là Dieu vous remettra aussi tous vos péchés. Le
printemps et l'automne passent comme le cours des eaux, le
temps est comme Tétincelle qui jaillit du caillou sous les coups
du briquet ; il n'est pas long. Surtout soyez sur vos gardes, et
fidèles aux ordres de Dieu. Environ deux mois après mon arrivée
en prison, je cherchais ce que je devais faire pour obtenir la
grâce de Dieu. Un jour, pendant mon sommeil, j*entrevisla
croix de Jésus, qui me dit : Suis la croix. Cette vision était
un peu confuse, néanmoins je n'ai jamais pu Toublier. » Le 25 de
la deuxième lune de 1799, il écrivit encore : « Je suis inquiet en
pensant que ma mère,ma femme et mes enfants auront de la peine
à se conformer à Tordre de Dieu. Si vous vous y conformez bien,
je serai moi-même dans la joie. »
Cependant, Theure du triomphe approchait pour Laurent.
Deux jours après avoir écrit ces dernières lignes, à son quinzième
ou seizième interrogatoire, il fut frappé de nouveau de cinquante
coups de planche, et pour accélérer sa mort, le mandarin fit
verser de Teau sur lui, pendant qu'on le battait. C'est un raf-
finement de torture que Ton dit insupportable. Son corps
était dans un état affreux. Il avait reçu en tout plus de qua-
torze cents coups de planche ou de bâton, et depuis huit jours
entiers il n'avait pas pris une goutte d'eau. Le geôlier le crut
mon, et après lavoir emporté sur son dos à la prison, le dé-
pouilla de ses vêtements, lui lava le dos avec de Teau froide, et
le jeta dehors.
Laurent cependant n'était pas mort. Pendant la nuit, des
chrétiens purent pénétrer en secret auprès de lui et lui faire
prendre quelque nourriture, sans que le geôlier s'y opposât. Le
lendemain, 28 de la deuxième lune, nouvelle comparution devant
le mandarin, et nouvelle flagellation. Le juge, les bourreaux, les
spectateurs étaient stupéfaits de le voir vivant. On l'emporta
évanoui, sans connaissance et sans mouvement. Onze chrétiens
qui étaient alors enfermés dans la même prison, le virent quelques
heures après, se lever seul, déposer lui-même sa cangue, enlrer
dans la salle et se coucher. Le geôlier furieux accabla les chré-
tiens d'injures, croyant que ceux-ci l'avaient aidé. Mais Laurent
lui dit : « Je ne mourrai ni de faim, ni sous les coups, je serai
étranglé, w
Le lendemain, le juge ayant appris que Laurent respirait
encore, fit donner la bastonnade au geôlier, et le menaça de
— 99 --
le faire tuer lui-même. Celui-ci, aidé de son fils, revint
frapper le martyr, jusqu'à ce que le croyant mort, il tomba
de fatigue et s'endormit. Pendant qu'il dormait, les prisonniers
chrétiens s'approchèrent deLaurent,et quel ne fut pas leur étonne-
ment quand il se mit h causer tranquillement avec eux. Toutes ses
plaies étaient miraculeusement guéries, on n'en voyait pas même
la trace. Il dut sortir un instant, et le geôlier s'étant réveillé,
courut après lui, le saisit, et pour en finir avec ce qu'il croyait
être une puissance magique, l'étrangla avec une corde de paille.
Il était onze heures du matin, le 29 de la deuxième lune de l'an-
née kei-mi (1799).
Ainsi mourut, à l'âge d'environ trente ans, ce glorieux servi-
teur de Jésus-Christ. Pendant les dix-huit mois que dura son
martyre, chacun de ses jours fut marqué par quelque torture, cha-
cun de ses pas laissa des traces ensanglantées. Il semble impos-
sible qu'un corps humain puisse résister si longtemps aux sup-
plices. Mais Dieu, par des motifs dignes de sa sagesse et de sa
miséricorde, voulait donner un grand exemple, et, de fait, le lieu
où Laurent a souffert, est toujours demeuré une de nos plus fer-
ventes chrétientés. Son sang a été littéralement une semence de
chrétiens.
Laurent Pak avait trois amis intimes, nommés Jacques Ouen,
Pierre Tsieng et François Pang. La tradition rapporte que tous
les quatre, dans un élan de zèle peu éclairé, s'étaient promis
de se dénoncer mutuellement, afin d'être martyrisés ensemble.
Il ne parait pas cependant qu'ils l'aient fait ; mais Dieu, pour
récompenser leur bonne volonté, permit qu'ils tombassent entre
les mains des mandarins l'un après l'autre, à peu près à la même
époque, quoique dans des districts différents, et tous les quatre
eurent l'honneur de verser glorieusement leur sang pour la foi.
Nous recueillons ici ce que les mémoires du temps et les tradi-
tions locales nous ont conservé de leur histoire.
Il est très-probable qu'ils souffrirent dans cette même année
1799, et c'est la date que nous avons adoptée. Cependant le fait
n'est pas absolument certain, car les premiers chrétiens de Corée
qui prenaient un grand soin de marquer exactement le jour de la
mort des martyrs, afin de célébrer leur anniversaire, n'ont pas
observé la même exactitude dans la désignation des années, ce
qui cause quelquefois une certaine confusion dans la suite des
faits d'ailleurs les plus authentiques.
Jacques Ouen était le cousiD gemiaiii et Tataé de Pierre Ouen,
martyrisé en 1793. Ils vtvaieiilAiiiriHM Eug-trien-i,
J;..
— 100 —
district de Hong-tsiou, et tous deux furent en même temps ins-
truits delà religion. Jacques était doux, facile, droit et ouvert,et,
dans un si bon fonds, la foi fit promptement germer toutes sortes
de vertus. Dès qu'il fut chrétien, il fit serment de consacrer sa
fortune, qui était considérable, au soulagement des indigents, et
son occupation journalière fut de les chercher pour leur faire du
bien. Afin d'expier ses anciens péchés de gourmandise, il jeûnait
tous les vendredis. Son zèle à répandre la religion parmi les
païens le portait à aller les trouver de côté et d'autre pour les
prêcher. Non content de cela, les dimanches et jours de fêle
il faisait préparer des aliments en grande quantité, et invitait
tout le monde à y prendre part. Quand on était réuni il disait :
« C'est aujourd'hui le jour du Seigneur, il faut le célébrer avec une
sainte joie, et aussi remercier Dieu de ses dons en faisant part des
biens qu'ils nous a donnés. » De là il prenait occasion d'expliquer
divers articles de la religion.
Sa réputation se répandit bientôt et, en 1792, le mandarin
envoya des satellites pour le saisir. Mais il avait eu le temps de
se cacher, et réussit cette fois à se sauver. Lorsqu'il apprit le
martyre de son cousin,sa ferveur redoubla,et,regrettant de n'avoir
pas été martyr avec lui, il se dit : « Si je pratique ma religion
publiquement, le mandarin en aura bientôt vent, et me fera saisir.»
11 se mit donc à faire ses prières et exercices de dévotion au
milieu des païens, soit le jour, soit la nuit, pendant plusieurs
années; il alla même s'installer sur le grand chemin. Les satel-
lites le savaient et quelquefois même le voyaient, néanmoins il ne
fut pas inquiété.
Ayant appris l'entrée du P. Tsiou en Corée, il alla de suite
le trouver et témoigna le désir de recevoir les sacrements. Le
prêtre lui dit : « Tout homme qui a deux femmes est rejeté par
l'Église, sors de suite et ne te représente plus devant moi.» Jac-
ques sortit et, pendant trois jours et trois nuits, il ne fit que
pleurer et gémir sans vouloir prendre de nourriture. On alla
avertir le prêtre qui permit de le laisser entrer, et lui dit :
«Aussitôt après ton retour chasseras-tu ta concubine? Sur ta
promesse formelle je pourrai te donner les sacrements ; sinon, tu
ne pourras plus même me voir. » Jacques répondit : « En vérité,
j'ignorais qu'il fût défendu par la loi chrétienne d'avoir femme et
concubine ; vos ordres me le faisant connaître, je promets de
chasser de suite, à mon retour, ma concubine; veuillez mac-
corder les sacrements. » Il les reçut, et de retour chez lui, il dit
à cette femme : « Un chrétien ne peut pas avoir de concubine,
— 101 —
et une chrétienne ne peut pas être concubine. » Et sur-le-
champ il la répudia.
Une étroite amitié Tunissait à Laurent Pak ; ils se voyaient
mutuellement et s'excitaient sans cesse à la pratique des vertus et
au désir du martyre. Jacques avait ainsi passé plusieurs années,
lorsqu'en 1798. il fut saisi par les satellites de Tek-san, et con-
duit à la prison, oii il resta plus d'un mois sans qu'il fût question
de l'interroger. Pensant alors que c'était la faute des satellites, il
les pressa vivement de le faire comparaître devant le mandarin ou
de le mettre en liberté. Cité enfin au tribunal, à cette question
du mandarin : a Est-il vrai que tu pratiques la religion du Maître
du ciel? — Oui, répondit-il, je la pratique en effet, afin de servir
Dieu et de sauver mon âme. — Dénonce tes complices. — Il y
a, reprit-il, trois autres personnes animées comme moi du désir
de servir Dieu et de donner leur vie pour lui. » Jacques parla
ainsi, conformément à la promesse mutuelle que lui-même, Lau-
rent Pak, François Pang et Pierre Tsieng se seraient faite de se
dénoncer l'un l'autre, afin de souffrir ensemble le martyre. Tou-
tefois on ne voit pas que Jacques ait fait de dénonciation bien
positive. « Explique-ioi plus clairement. — Quand je devrais
mourir dix mille fois, je ne puis en dire davantage. » Le juge
alors le soumit aux divers supplices de Técartement des os, de
la puncture des bâtons et de la flagellation , mais inutilement.
Jacques fut ensuite transféré au tribunal criminel de Hong-
tsiou, où il développa à plusieurs reprises les vérités de la reli-
gion, et subit deux ou trois fois d'affreuses tortures. On le renvoya
à Tek-san, où il fut encore cruellement battu, et eut les jambes
entièrement brisées.
Enfin sur un ordre spécial du gouverneur, on l'expédia à
Tsieng-tsiou, chef-lieu militaire de la province. Le jour de son
départ, sa femme, ses enfants et quelques amis, le suivaient en
pleurant. Il les fit approcher et leur dit : « Lorsqu'il s'agit dn
senice de Dieu, et du salut de Tàme, il ne faut pas écouter l'af-
fection naturelle ; supportez bien toutes les peines et les souf-
frances, et nous nous retrouverons dans la joie, ar.prèsde Dieu et
de la bonne Vierge Marie. Votre présence ne peut que m'ébranler
et m'être très-nuisible. Ainsi donc, soyez raisonnables, et ne
vous montrez plus devant mes yeux. » Puis il les congédia. Son
ancienne concubine aussi lui envoya un exprès, demandant à le
voir une dernière fois, mais il refusa en disant : « Pourquoi vou-
loir me faire manquer la grande affaire? » Arrivé à Tsieng-tsiou,
il subit un interrogatoire. Le juge voulait le
Um, .1^
— 102 —
lui promettant la vie, mais Jacques répondit : « Il y a neuf ans
que je désire mourir martyr pour Dieu. » Le juge, en colère, lui
fit souffrir de cruelles tortures durant tout le jour. Le lendemain
on recommença, et ainsi de suite chaque jour, pendant près d'un
mois. Les verges, les bâtons et planches de supplice, Técartement
des os, tout fut mis en œuvre, jusqu'à ce qu'il mourut sous les
coups, le 13 de la troisième lune de Fan kei-mi (1799). Il avait
alors soixante-dix ans. Après sa mort, son corps parut enveloppé
d'une lumière extraordinaire. Une foule de païens furent témoins
du prodige, et près de cinquante familles se convertirent à cette
occasion.
Pierre Tsieng, né d'une famille honnête du district de Tek-san,
était, avant sa conversion, redouté de tous à cause de son carac-
tère violent et de sa force extraordinaire. Il eut le bonheur de se
faire chrétien et de recevoir le baptême des mains du P. Tsiou;
dès lors, il devint humble, doux et affable. On croit qu'il resta
quelque temps au service du prêtre. Plus tard, nommé catéchiste
dans le Naî-po, il se montra assidu à la prière et aux lectures
pieuses, s'occupant sans cesse à instruire et à exhorter ceux qui
lui étaient confiés. En l'année 1798 ou 1799, il fut pris et con-
duit à la ville de Tek-san, oii il eut à subir bien des interroga-
toires et des tortures ; il confessa Dieu généreusement, et signa
sa sentence sans laisser paraître sur son visage la moindre émo-
tion. Dans la prison, il encourageait les chrétiens ses compagnons
de captivité, et, le jour du supplice, quand on lui apporta le
repas des condamnés h mort, il les invita à le partager avec lui,
disant : « Pour la dernière fois, il faut manger avec actions de
grâces les aliments que Dieu a créés pour Thomme, et ensuite
nous irons au ciel jouir du bonheur éternel. » Il eut la tête tran-
chée. On croit qu'il avait alors de cinquante à soixante ans.
François Pang, né au village de le, district de Mien-tsien,
était pil-siang, c'est-à-dire intendant du gouverneur de la pro-
vince. On ignore entièrement de quelle manière et à quelle époque
il se convertit. 11 se distinguait par une ferveur extraordinaire, et
désirait vivement le martyre. En l'année 1798, il fut pris à
Hong-tsiou, et eut à subir, pendant six mois, des supplices fort
nombreux, dont les détails ne nous sont pas parvenus. On rap-
porte seulement qu'il y avait alors dans la prison deux autres
chrétiens comme lui condamnés à mort, qui, lorsqu'on leur
apporta, selon l'usage, le dernier repas des condamnés, se mirent
à verser des larmes ; mais François, d'un visage rayonnant de
joie, remercia Dieu et la vierge Marie, et dit à ses compagnons:
— 103 —
<c La création et la conservation sont des bienfaits de Dieu, mais
un si généreux traitement, de la part du mandarin, n'est-il pas
aussi un bienfait de la Providence; pourquoi êtes-vous tristes et
abattus? C'est là une tentation du démon. Si nous perdons une
aussi belle chance de gagner le ciel, quelle autre occasion atten-
drons-nous désormais? » Dieu rendit efficaces ses exhortations et
ses encouragements; ses deux compagnons, regrettant leur fai-
blesse, partagèrent bientôt la sainte joie de son cœur. Ils furent
tous trois martyrisés dans cette même ville de Hong-tsiou. On ne
sait pas si François mourut sous les coups ou fut étranglé. C'était
le 16 delà douzième lune. (Janvier 1799.)
A la suite de Laurent Pak et de ses trois amis, mentionnons un
autre martyr qui souffrit à la même époque et dans la même pro-
vince.
François Pai Koan-kiem-i, né au village de Tsin-mok, district
deTang-tsin, avait embrassé la religion dès qu'elle fut prêchée
par Piek-i. Arrêté une première fois en 1791, il eut, comme
nous lavons dit, la faiblesse d'apostasier devant le mandarin.
Mais bientôt après, touché d'un sincère repentir, il se remit à. ser-
vir Dieu avec ferveur. Obligé de quitter son district, il s'était
d'abord retiré dans celui de Sie-san. Plus lard, en compagnie
d'autres chrétiens, il vint s'établir à lang-tei, district de Mien-
tsien, et c'est là qu'en 1798, lui et ses compagnons préparèrent
un oratoire, dans l'espérance d'y recevoir le prêtre. Quelque temps
après, un apostat, nommé T'sio Hoa-tsin-i, les trahit près du
mandarin, et amena lui-même les satellites dans le village. Fran-
çois Pai fut arrêté, le 3 de la dixième lune, et conduit à Hong-
tsiou. On voulut le forcer à faire connaître les autres chrétiens et
à livrer ses livres de religion ; mais les plus violents supplices ne
purent lui arracher une dénonciation. Pendant plusieurs mois il
fut mis fréquemment à la question, puis on le transféra à Tsieng-
tsiou, chef-lieu militaire et criminel de la province, où il parta-
gea les souffrances de Jacques Ouen et des autres chrétiens pri-
sonniers. On n'a pas de détails sur les derniers mois qu'il passa
en prison. On sait seulement qu'il supporta les tortures avec une
patience héroïque. Toute sa chair était en lambeaux, ses mem-
bres brisés, et les os mis à nu. Il expira enfin sous les coups, à
l'âge d'environ soixante ans. La tradition de sa famille fixe la date
de son martyre au 13 de la douzième lune de l'année kei-mi
(1799).
C'est à cette même année, cn^apMioiiS, qu'il faut aussi rap-
— 104 —
porter le martyre de François Ni Po-hien-i et celui de Martin
In Eun-min-i, morts sous les coups, le 15 de la douzième
lune.
François descendait d'une famille honnête et riche de Hoang-
ma-sil, au district de Tek-san. Dès l'enfance, son caractère ferme
et quelque peu opiniâtre le faisait remarquer entre ses compa-
gnons. La mort de son père, qu'il perdit jeune encore, en le lais-
sant maître de ses volontés, fit qu'il lâcha la bride à toutes ses
passions, et devint si violent que personne ne pouvait le contenir.
Mais àTâge de vingt-quatre ans, instruit delareligion par Thomas
Hoang, il se convertit et arriva en très-peu de temps à tellement
se réformer et à si bien dompter son tempérament naturel, que
sa conduite calme et réglée fit bientôt Tédification de tous. Quoi-
qu'il n'eût lui-même aucun désir de se marier, il le fit néanmoins
pour obéir à sa mère.
De jour en jour sa ferveur augmentait, et il s'appliquait avec
zèle aux exercices de la pénitence et de la mortification. On dit
même qu'il quitta quelque temps son pays pour aller dans les
montagnes ; et là, vivant de légumes, il répétait: « Pour servir
Dieu et sauver son âme, il faudrait ou pratiquer la continence,
ou donner sa vie par le martyre; c'est le seul moyen de devenir un
véritable enfant de Dieu. »
Quand on commença à persécuter les chrétiens, François, loin
d'en concevoir aucune crainte, ne cessait d'exhorter sa famille, et
les chrétiens de son village. Il discourait chaque jour sur la passion
de Notre-Seigneur, et les engageait à ne pas laisser échapper une
aussi belleoccasiondeconfesserlafoi, et de gagner le ciel. Prévoyant
qu'il ne serait pas longtemps en paix, il fit un jour préparer une
grande quantité de vin ; « c'est, disait-il, pour faire une dernière
fête, et rt^galer toutle village, mais il faut le faire promptement. »
Deux jours après, les satellites se présentèrent en effet, et lui
demandèrent : « Es-tu chrétien ? — Non-seulement je le suis,
répondit-il, mais, de^^uis deux jours, j'attends que vous arriviez
pour méprendre. » Puis il traita les satellites libéralement, après
quoi, il fut an été et conduit au mandarin. « Es-tu chrétien, lui
demanda celui-ci, et dequelpays es-tu? — Je suis chrétien, et ori-
ginaire de Tek-san. — Quel a été ton précepteur, quels sont tes
complices, et quels livres as-tu en ta possession? - Mon maître
et mes coreligionnaires sont dans mon pays. Quant aux livres,
j'en ai bien quelques-uns, mais ils traitent tous de choses très-im-
portantes, et je ne puis vous les remettre. — Quelle est donc cette
chose si importante que tu ne puisses me montrer ces livres? —
— 108 —
Gomme ils parlent de Dieu, le souverain maître de toutes choses,
{'e ne puis inconsidérément vous les mettre entre les mains. »
^iqué de cette réponse, le mandarin le fit battre violemment, puis
reconduire à la prison.
Cependant, le juge criminel ayant reçu avis de cette affaire, et
ordonné de transférer François à sa ville natale, on le conduisit à
Haï-mi, [dont le mandarin gérait alors les deux préfectures. Ce
nouveau juge lui dit : « Pour quelle raison, abandonnant tes
parents et le tombeau de tes pères, vas-tut'établir à 500 lys dans
un autre district? Pourquoi aussi fais-tu ce que le roi défend, en
suivant celte détestable doctrine? » — François répondit : « Pour-
quoi qualifiez-vous si injurieusement une religion sainte, que le
roi et les mandarins ne connaissent pas? D'où les hommes tirent-
ils leur origine? Si c'est Dieu qui, au commencement, leur a donné
Tétre, comment ne pas honorer Celui qui est notre Père suprême
et notre grand Roi? — Le roi et les mandarins valent-ils moins
que toi, pour dire qu'ils sont dans l'ignorance ? Et puis, pourquoi
suivre une doctrine étrangère? Si elle était bonne, le roi et les
mandarins, qui te valent bien, la pratiqueraient. Tu n'es qu'un
grand rebelle qui méconnais les principes. » Puis, faisant appro-
cher les valets et préparer les divers instruments de supplice, il
répéta d'un ton de colère : « Dénonce tout sans déguisement ; » et
surson refus, lui fit infliger la punclure des bâtons. — «Partout, dit
François, il y a des maîtres etdes disciples, mais si je lesdénonçais,
vous les traiteriez comme moi ; dussé-je donc mourir moi-même,
je ne puis rien dire. » En vain les bourreaux, excités par le juge
furieux, redoublèrent de cruauté et lui firent subir plusieurs fois
récarlement des os ; François demeura ferme. « Non, cent mille
fois non, répétail-il, je ne veux rien dénoncer. » Pendant plus
d'une demi-journée, toutes les tortures imaginables furent mises
en œuvre, et bien des fois François perdit connaissance, mais
sans se laisser vaincre. A la fin, on le chargea d'une lourde can-
gue, et on le reconduisit k la prison. Quoique tout son corps ne
fût qu'une plaie, il avait le cœur content et joyeux, priait, exhor-
tait les autres prisonniers, et, selon son habitude, leur expliquait
le mystère de la passion de Jésus-Christ.
Au deuxième interrogatoire, le mandarin, quiavait déployé un
appareil de tortures effrayant, lui dit : « Celle fois, tu ne peux
échapper, dénonce donc tout et renie le Dieu des chrétiens. —
Pourquoi m'adressez-vous encore de telles paroles? répondit
François ; si un sujet renie son roi, lui impose-t-on des punitions,
ou lui donne-trOQ des récompenses? VM%^jM|dMy^JMjé parle
— 106 —
roi, traitez-moi selon la loi. » Stupéfait de tant de constance, le
mandarin fit son rapport au juge criminel, en demandant ce qu'il
y avait h faire. Celui-ci répondit de tuer François sous les coups,
s'il s'obstinait à ne rien dénoncer. Le confesseur fut donc mené de
nouveau au tribunal, et subit encore toute la série des supplices.
Enfin, ne pouvant rien gagner sur lui, le mandarin lui présenta
sa sentence, qu'il signa d'un air si satisfait, que tous les assistants
se regardaient, muets d'étonnement. Il fut reconduit à la prison
et dès le lendemain on lui servit Je repas des condamnés, qu'il
prit joyeusement ; puis, après lui avoir fait faire le tour du mar-
ché, on commença à le battre. Les bourreaux, ayant lié chacun
devant soi une natte grossière en guise de tablier, s'évertuèrent
longtemps à frapper; puis, comme leur victime tardait à rendre
le dernier soupir, ils le retournèrent sur le dos, lui enfoncèrent
leurs bâtons dans les parties naturelles, et l'achevèrent ainsi.
François avait alors vingt-sept ans. Quelques jours après, on
recueillit son corps, et tous les habitants du village purent cons-
tater de leurs propres yeux que sa figure était toute fraîche et
souriante. Plusieurs païens, dit-on, se convertirent à celte vue.
François eut un digne compagnon de son triomphe dans Martin
In Eun-min-i, jeune noble qui vivait à Tsiou-rai, district de
Tek-san. D'un caractère à la fois doux et ferme, Martin avait fait
d'assez bonnes études, et s'était lié avec le licencié Alexandre
Hoang, qui l'instruisit de la religion. A peine fut-il converti,
qu'il enferma les tablettes de ses ancêtres dans un vase, et les jeta
à l'eau. Ensuite, il gagna la capitale, où il fut baptisé par le
P. Tsiou. Il laissa près du prêtre son fils aîné, nommé Joseph,
et maria son second fils dans une famille qui avait alors beau-
coup de réputation parmi les chrétiens ; puis, abandonnant sa
maison et ses biens, il émigra au district de Kong-tsiou. Ses
parents païens ne pouvant comprendre la raison d'une aussi
étrange conduite, il laleurdéclara franchement, et leur développa
la religion, sans réussira gagner leurs cœurs. Arrêté par les satel-
lites du mandarin de Kong-tsiou, il déclara sans détour qu'il
était chrétien et voulait donner sa vie pour Dieu. Envoyée Tsieng-
tsiou, il y subit de si violentes tortures, qu'il fut mis hors d'état
de marcher. Renvoyé a Hai-mi tribunal criminel de son district
natal, il dut être transporté, de relais en relais, sur les chevaux du
gouvernement. Sa constance ne se démentit pas un seul instant,
et le juge, poussé à bout, le condamna a mourir, comme François,
sous les coups. On lui servit le repas d'usage, puis une vingtaine
de satellites le prirent et procédèrent à l'exécution de la sentence,
— 107 —
Pendant le supplice, Martin répéta plusieurs fois : « Oh ! oui, c'est
de bon cœur que je donne ma vie pour Dieu! » A la fin, un des
bourreaux, saisissant une énorme pierre, le frappa plusieurs fois
sur la poitrine. La mâchoire inférieure se détacha, les os de la poi-
trine furentbroyés, et le saint confesseur expira dans ce supplice, à
Tâge de soixante-trois ans.
Cependant, malgré ces exécutions et d'autres encore qni ensan-
glantèrent diverses chrétientés des provinces, on peut dire qu'il
n'y eut pas en Corée, pendant le règne de Tieng-tsong tai-oang,
de persécution officielle et générale. Comme nous l'avons déjà
remarqué, ce prince, d'un caractère assez modéré, ne voulait
point verser le sang. Il avait en grande estime quelques chrétiens
illustres du parti Nam-in, et sachant que beaucoup d'hommes
éminents embrassaient la nouvelle religion, il voulait examiner
les faits par lui-même, et avec calme. Plusieurs fois, il présida
en personne aux interrogatoires des chrétiens. Le martyr Pierre
Sin, cité plus haut, nousa conser>'é, dans ses lettres, un fragment
curieux d'un de ces interrogatoires, probablement celui que Tho-
mas T'soi Pil-kong-i eut à subir, à la troisième lune de Tannée
kei-mi (1799). En voici la traduction littérale.
Le roi. — Moi aussi, j'ai lu les livres de religion, mais comment
te semble cette doctrine, comparée à celle de Fo? — Le chrétien.
— La religion de Jésus-Christ ne doit pas être comparée à celle
de Fo. Le ciel, la terre, les hommes, tout ce qui est, n'existe que
par un bienfait de Dieu, et ne se conserve que par un autre bien-
fait, c'est-à-dire par l'Incarnation et la Rédemption de ce même
Dieu très-haut et très-grand, père et gouverneur de l'univers.
Comment oser mettre en comparaison avec cette religion une
doctrine dénuée de sens et de principes. Ici est la véritable voie,
la véritable science. — Mais comment, dit le roi, celui que tu
appelles très-bon et très-grand maître de toutes choses, a-t-il pu
venir dans ce monde, s'y incarner, et qui plus est, le sauver par la
mort infâme que les méchants lui ont fait subir? Cela est bien
difficile à croire. — Nous lisons dans l'histoire de la Chine,
reprit le chrétien, que le roi Seng-t'ang voyant tout son peuple
réduit à la mort par une sécheresse de sept années, ne put y res-
ter insensible. Il se coupa les ongles, se rasa les cheveux, se revê-
tit de paille, et se retira dans le désert de Sang-lin. Là il se mit
à pleurer et à faire pénitence, puis chantant une prière qu'il avait
composée, s'offrit lui-même en sacrifice et en victime. Sa prière
n'était pas achevée, qu'une pluie abondante tomba sur un espace
— 108 —
de plus de deux mille lys ; c'est depuis ce temps que le peuple,
dans sa reconnaissance. Ta appelé le saint roi (1).
«Or, combien plus grand est le bienfait de la Rédemption! Tous
les peuples anciens, présents, futurs, toutes les choses du monde
sont imprégnées de cette rédemption, et ne subsistent que par
elle. Voilà pourquoi, sire, je ne puis comprendre que vous trou-
viez ceci difficile à' croire. — Mais la doctrine de Fo, non plus,
ne doit pas être traitée légèrement. Le nom seul de Fo signifiant
celui qui sait et comprend tout, est un nom sans égal, comment
oserais-tu en parler avec mépris? — Si ce n'était ce nom, de quoi
eût-il pu se couvrir? Aussi l'a-t-il volé. Mais par le fait, ce roi
Siek-ka-ie, que vous appelez Fo, n'est qu*un homme, fils du roi
Tsieng-pou et de ladameMai-ia. Il a dit en montrant de la main
droite le ciel, et de la main gauche la terre : « Moi seul je suis
grand. » N'est-ce pas là un orgueil ridicule? Quelle vertu, quelle
sainteté a-t-il eu, pour que ce soit un crime de le mépriser? —
La vérité, reprit le roi, se soutient par elle-même, et chaque chose
à la fin tourne du vrai côté; nous verrons la suite. » Puis, sans
rien décider, il fit reconduire le chrétien à sa prison. Devant un
tribunal inférieur, ce confesseur aurait expié sa franchise par une
dure flagellation, peut-être même par le dernier supplice, mais
le roi rejeta les adresses des minisires qui voulaient le faire con-
damner à mort, et, quelque temps après, le fit relâcher.
Pendant Tété de cette même année 1799, le taisa Kan Sin-heu-
tso présenta une requête contre Ambroisc Kouen T'siel-sin-i et Au-
gustin Tieng Iak-tsiong, qu'il représentait comme les chefs et les
soutiens des chrétiens. Le roi se fâcha contre Fauteur de la requête,
le cassa de ra dignité, et défendit de donner suite à cette affaire.
Ces faits et plusieurs autres analogues donnaient à bien des
chrétiens Tespoir de faire triompher enfin la vérité. Malgré Top-
position secrète des ministres, et la cruauté de quelques gouver-
neurs de provinces, TEvangile se répandait parmi les païens; les
conversions se multipliaient, surtout à la capitale. Mais la mort
soudaine du roi laissa bientôt le champ libre aux persécuteurs.
Ce prince mourut d'une tumeur sur le dos. Un coup de lancette
donné à temps eût pu le sauver, mais une loi inflexible de l'éti-
quette coréenne défend de toucher le corps du roi, même en cas
de maladie, et pour le guérir. Cette tumeur dégénéra en une
large plaie, et il expira le 28 de la sixième lune de 1800, après
vingt-quatre ans de règne.
(1) Peul-ètrc s'agit-il de l'empereur Suen-vang, dont il est parlé dans le
Clii-king. — Duhaldc, tome III, p. 13.
CHAPITRE III.
Régence. — Persécution générale. — Martyre de Jean T'soi, d'Augustin Tieng,
de Louis de Gonzague Ni, etc....
La mort du roi Tieng-lsong tai-oang était un malheur pour
tout le royaume qui perdait en lui un prince sage, modéré, ami de
son peuple; mais pour les Nam-in et les chrétiens,c'élait un véri-
table coup de foudre. Ils voyaient disparaître tout à coup le der-
nier obstacle qui pouvait s'opposer à la rage de leurs ennemis.
Voici comment Alexandre Hoang, dans ses mémoires, nous décrit
la position respective des partis politiques en Corée, à cette
époque :
« Depuis longtemps les nobles étaient divisés en quatre partis
nommés No-ron, Sio-ron, Nam-in et Sio-pouk. Les deux princi-
paux étaient celui des No-ron et celui des Nam-in. Vers la fin du
dernier règne, ces partis s'étaient subdivisés en deux camps ou
deux fractions. On appelait Si-pai, ceux des divers partis qui
étaient sincèrement dévoués au roi et disposés à le seconder
dans ses vues. Ceux au contraire qui, attachés à leurs idées par-
ticulières, étaient toujours prêts à faire de l'opposition, étaient
nommés Piek-pai. Tous les ennemis les plus acharnés des chré-
tiens étaient Piek-pai. Les Nam-in Si-pai étaient en petit nombre.
C'est parmi eux que la religion se propagea d'abord, et quoique
plusieurs eussent renoncé à l'Évangile pour conserver leur vie et
leurs emplois, cependant ils n'étaient pas foncièrement hostiles
aux chrétiens. Les chefs des Nam-in Si-pai étaient Ni Ka-hoan-i,
Ni Seng-houn-i, Tieng Iak-iong, etc. La fraction des Nam-in
Piek-pai avait pour chefs Hong Hei-ho et Mok Man-tsiong. »
Le roi redoutait les Piek-pai qui étaient nombreux 'et puis-
sants, et dont les rangs se grossissaient tous les jours. Il favori-
sait au contraire les Nam-in Si-pai, lesquels étaient presque tous
des hommes d'un grand mérite. Ni Ka-hoan-i était le premier
lettré du royaume ; Tieng Iak-iong avait comme savant et comme
homme d'État des talents extraordinaires. Le roi les avait en par-
ticulière affection, et tous deux, avant 1795, furent souvent hono-
rés des plus hautes dignités. Les Piek-pai détestaient ces deux
hommes et leurs partisans, aussi, comme nous l'avons vu, se
servirent-ils du prétexte de la religion chrétienne pour les per*
— 410 -
dre, et réussirent-ils, après rentrée du P. Tsiou en Corée, aies
faire éloigner de la cour comme suspects. C'est alors qu'ils furent
privés de leurs fonctions et relégués dans des postes inférieurs.
Néanmoins le roi les protégea toujours, et repoussa toutes les
accusations portées contre eux.
Mais à la mort de ce prince, son fils et successeur étant trop
jeune pour gouverner lui-même, la régence fut dévolue de droit à
son aïeule Kim Tieng-sioun-i, seconde femme du père du feu roi.
Aussitôt elle prit en main la conduite des affaires et abaissa la
grille (c'est-à-dire le store en bambous derrière lequel elle devait
assister au conseil des ministres, car, quoique nommée par tous
grande reine et mère du peuple, elle ne pouvait, suivant les usa-
ges, être assise près des hommes). Tous ses parents appartenaient
au parti No-ron et Piek-pai, et avaient été éloignés des charges
publiques sous le règne précédent. Ils se préparèrent à profiter du
pouvoir absolu qui tombait inopinément entre leurs mains, et à
satisfaire leurs rancunes politiques et religieuses, en ruinant à la
fois le parti Nam-in et la religion chrétienne.
La tempête, toutefois, ne se déchaîna pas immédiatement. La
loi coréenne, par respect et par superstition, défend de s'occuper
d'affaires importantes avant Tenterrement du roi défunt. Or, le
temps marqué entre la mort et les obsèques de Tempereur de
Chine étant de sept mois, le roi de Corée, qui est son vassal, ne
doit attendre que cinq mois, tandis que pour les membres de la
haute noblesse Tintervalle est de trois mois. Pendant cinq mois
donc, on eut à accomplir tous les jours diverses cérémonies en pré-
sence du corps du défunt, et l'on ne put s'occuper que des
immenses préparatifs nécessaires pour lui donner la sépulture
selon toutes les règles.
Les cérémonies funèbres à peine terminées, vers la fin de la
onzième lune, la régente cassa tous les dignitaires du parti Si-pai,
et renvoya tous les ministres jusqu'alors en fonction. Ces derniers
furent remplacés par Ni Pieng-mo, Kim Kouen-tsiou et Sim
Oan-tsi, tous trois du parti No-ron. Ce brusque changement était
un coup d'État, car, d'après la loi coréenne, on ne peut pas ainsi
improviser des ministres à volonté. La dignité de ministre est à
vie, c'est-à-dire qu'ils conservent toujours le titre, même quand
ils ne sont plus en fonction, et ceux-là seuls peuvent être faits
ministres, par un simple décret royal, qui ont déjà rempli cette
charge. Pour en créer de nouveaux, il faut observer une foule de
règles, de cérémonies, de formalités longues et minutieuses, qui
demandent un temps considérable. Mais la régente ne tint nul
— m —
compte des lois et coutumes, et passa par-dessus tous ces obsta-
cles, pour avoir de suite sous la main des agents dévoués à son
parti. Quelques jours après parut, au nom du jeune roi et de la
régente, le décret impie qui prohibait la religion chrétienne dans
tout le royaume, mettait au ban de la loi tous ses adhérents,
ordonnait à tous les fonctionnaires publics de les saisir, et leur
donnait plein pouvoir de les juger sans miséricorde.
D'anciennes lettres, imprimées en Europe, portent qu'un
ministre eut alors le courage de défendre les chrétiens en plein
conseil, et qu'il reçut la palme du martyre en récompense de sa
généreuse apologie. Mais toutes nos recherches n'ont pu jusqu'à
ce Jour nous faire rencontrer des traces de ce fait, et nous ne
voyons pas de qui il pourrait être question.
Le décret de persécution était à peine publié que les arresta-
tions commencèrent. Le premier saisi fut Thomas T'^oi, le même
qui. Tannée précédente, avait soutenu avec tant de talent et de
courage la cause de TËvangile, devant le roi lui-même. Quelques
jours après, le 19 de la douzième lune, fêle de la Purification,
Pierre T'soi Pil-tiei-i, cousin germain de Thomas, fut pris à son
tour. Il était en prière, à l'aube du jour, avec quelques autres
chrétiens, dans une pharmacie qui donnait sur une des grandes
rues de la capitale. Des agents de police entendirent en passant
ces néophytes qui se frappaient la poitrine, et croyant reconnaî-
tre le bruit d'un jeu de cartes prohibé, enfoncèrent la fenêtre, se
précipitèrent dans Tappartement, fouillèrent toutes les personnes
présentes, et trouvèrent, non des cartes, mais un calendrier chré-
tien. Gomme aucun d'eux ne savait lire, ils le portèrent de suite à
des camarades plus instruits, et apprenant que c'était un écrit de
religion, revinrent en toute hâte saisir les délinquants. Tous
s'étaient enfuis, excepté Pierre T'soi et Etienne 0, qui furent
conduits au mandarin et enfermés dans la même prison que
Thomas T'soi.
Deux chrétiens nobles, du parti des Nam-in, furent pris dans
ces mêmes jours, l'un au district de lang-keun, et l'autre dans
la ville de Tsiong-tsiou . Le premier était ce même Justin Tsio
Tong-siem-i, que nous avons vu autrefois se livrer aux exercices
de la retraite spirituelle avec Xavier Kouen. Il fut de suite jeté en
prison. L'autre, nommé Ni Kei-ien-i, échappa à la prison par
l'apostasie et fut exilé.
Les perquisitions se multipliaient de toutes parts ; toutes les
maisons suspectes étaient fouillées par les satellites et souvent
dévastées ; l'efTroi se répandait parmi les chrétiens, lorsque, à la
— H2 —
fin de cette douzième lune, les fêtes du nouvel an coréen leur
procurèrent un sursis de quelques jours, et donnèrent à plu-
sieurs le temps de se mettre en sûreté, eux et leurs familles.
L'année qui commençait. Tannée sin-iou (1801), devait être à
jamais mémorable entre toutes pour ses désastres. Elle est
gravée en caractères de sang dans les annales de la Corée. C'est
alors surtout que cette Église naissante acquit droit de cité dans
l'Église catholique ; c'est alors surtout que la foi de Jésus-Christ
planta dans cette terre infidèle des racines que Tenfer ne saurait
arracher et que le temps ne fera jamais périr. Les fêtes du nouvel
an étaient à peine terminées lorsque le H de la première lune
fut publié, au nom de la régente, un nouveau décret dont voici le
texte :
« Le feu roi disait souvent que si l'on s'appliquait à faire briller
la droite doctrine, la doctrine perverse s'éteindrait d'elle-même.
Maintenant j'entends dire que la doctrine déréglée se maintient,
et que depuis la capitale jusque dans le fond des provinces, sur-
tout dans le Ho-tsiong, elle se répand de jour en jour davantage ;
comment pourrais-je ne pas en trembler? L'homme ne devient
vraiment homme que par l'observation des relations naturelles, et
un royaume ne trouve sa vie que dans Tinstruction et la vraie
doctrine. Or, la doctrine déréglée dont il est question ne recon-
naît ni parents, ni roi ; elle rejette tout principe, elle ravale
l'homme au rang des sauvages et des animaux. Le peuple igno-
rant s'en laisse pénétrer de plus en plus, et s'égare dans une
fausse voie; c'est un enfant qui court à la rivière et s'y perd.
Comment mon cœur ne serait-il pas touché? et comment pour-
rais-je ne pas prendre en pitié ces pauvres malheureux?
« Les gouverneurs et mandarins des villes doivent donc
ouvrir les yeux aux ignorants, faire en sorte que les adeptes de
cette religion nouvelle s'amendent sincèrement, et que ceux qui
ne la suivent pas soient fortement éclairés et avertis. Par là, nous
ne foulerons pas aux pieds les instructions que le feu roi s'est si
généreusement efforce de donner, et les lumières qu'il a fait bril-
ler. Après cette stricte prohibition, s'il y a encore des êtres qui
ne reviennent pas h résipiscence, il faut les poursuivre comme
rebelles. En conséquence, les mandarins de chaque district éta-
bliront, chacun dans toute l'étendue de sa juridiction, le système
des cinq maisons solidaires l'une de l'autre. Si parmi les cinq
maisons il y en a qui suivent la mauvaise doctrine, le chef pré-
posé à leur surveillance avertira le mandarin pour les faire cor-
riger. Après quoi, s'ils ne veulent pas encore changer, la loi est là;
— 113 —
qu'on les extermine de façon à n'en laisser aucun germe. Telle
esl notre volonté ; qu'elle soit connue et exécutée, tant dans la
ville capitale que dans les provinces. »
Cet édit sanglant n'était que Técho des cris de mort que pous-
saient de toutes parts les ennemis du nom chrétien, car pendant tout
le cours de la première et de la deuxième lune, on vit publier une
foule d'adresses au roi, de pétitions aux ministres, de circulaires
des nobles, etc., venues de tous les points du royaume. Nous en
avons sous les yeux une collection qui, bien que très-incomplète,
montre à quel point les esprits étaient montés, et prouve à elle
seule qu'aucune force humaine ne pouvait arrêter la persécu-
tion.
Comme il arrive toujours en pareille circonstance, l'enfer sus-
cita parmi les chrétiens eux-mêmes quelques traîtres qui vendirent
leurs fières. Entre ces .malheureux un surtout acquit une triste
célébrité par les désastres qu'il occasionna. C'était Kim le-sam-î,-
originaire du district de Ho-tsiong, dans la province de Tsiang-
tsien. Ses trois frères aines ayant quitté leur pays pour échapper
à la persécution, étaient venus s'établir à la capitale. le-sam-i les
y suivit. Mais bientôt il se perdit par la fréquentation des mau-
vaises compagnies et, malgré les avis de ses frères, tomba dans
les plus grands excès. Réduit à la misère, il extorqua d'abord
quelques aumônes à un chrétien de sa connaissance, originaire
de la même province, nommé Ni An-tsieng-i. Puis, celui-ci ne
pouvant ou ne voulant satisfaire à ses demandes, il lui voua une
haine acharnée.
Ni An-tsieng-i fréquentait les sacrements. Ie-sam-i,qui le
savait, se dit à lui-même : « Si le prêtre l'exhortait à faire l'au-
mône, il ne pourrait s'empêcher de la faire, e^s'il ne la fait pas,
c'est que le prêtre ne l'y pousse pas. » Afin de se venger du
prêtre, il s'en alla faire une déclaration aux chefs des satellites.
Ceux-ci qui, depuis l'entrée du prêtre en Corée, n'avaient encore
pu pénétrer les secrets des chrétiens, furent transportés de
joie et lui dirent : « Si l'affaire réussit, nous te ferons obtenir une
place grassement rétribuée. Tâche seulement de savoir ou est
maintenant cet homme. » Le prêtre restait k cette époque chez
Colombe Kang, et le-sara-i s'en doutait. 11 convint avec les
satellites d'un jour où ils pourraient venir chez lui, promettant
de leur faire savoir la retraite du prêtre. Mais il tomba grave-
ment malade, et son projet échoua. Le P. Tsiou, averti secrète-
ment, se retira ailleurs.
En vain Ni An-tsieng-i essaya de ramener cet infortuné en
— 114 —
lui donnant, à diverses reprises, des sommes assez considérables,
Kim le-sam-i, toujours plus avide, lié d'ailleurs par ses décla-
rations antécédentes, retourna à ses habitudes coupables, et
se mêla plus que jamais aux complots contre les chrétiens. Ce
fut lui qui, deux jours avant le second décret de la régente, con-
duisit les satellites chez le catéchiste en chef, Jean T'soi Koan-
tsien-i. Pour échapper à la persécution, Jean T'soi s'était d'abord
retiré chez d'autres chrétiens, mais une indisposition Tavait forcé
à revenir chez lui pour se soigner. Il fut saisi au milieu de la
nuit et jeté en prison. Peu après, il eut à subir un premier inter-
rogatoire, reçut treize coups de planche, et quoique étendu sans
mouvement sur le sol, retrouva assez de force pour expliquer
au juge les dix commandements de Dieu, et la vanité du culte des
ancêtres.
Beaucoup d'autres chrétiens furent arrêtés, surtout des gens
du peuple, des pauvres, des ignorants et des femmes. On eût dit
que le nouveau gouvernement n'osait pas s'attaquer de suite aux
personnes influentes par leur noblesse ou leur fortune.
Sur ces entrefaites, survint un très-fâcheux accident. Une
caisse qui renfermait des livres et des objets de religion, ainsi
que des lettres du P. Tsiou et d'autres objets compromettants,
avait été déposée dans une maison que Ton croyait sûre. Quand
parurent les nouveaux édits de persécution, le dépositaire effrayé
voulut la faire reporter au propriétaire, et par précaution l'enve-
loppa dans des branches de sapin, espérant que le tout passerait
pour du bois lié en fagot. Un chrétien nommé Thomas Im consen-
tit à s'en charger. Mais l'étrange forme de ce fardeau fit soup-
çonner à un agent de police que ce pourrait bien être de la
viande de bœuf tué en fraude. Il arrêta donc le porteur et le
conduisit jusqu'au'poste de la mairie. La caisse fut ouverte devant
le mandarin ; tout ce qu'elle contenait, livres, objets de religion
et lettres du prêtre, fut confisqué, et Thomas envoyé immédiate-
ment sous escorte au tribunal des voleurs. Ce fut de Thuile jetée
sur le feu, et Tagitation devint extrême. Ceci se passait le 19 de
la première lune. Cette caisse, au dire d'Alexandre Hoanget des
chrétiens de l'époque, appartenait h Augustin Tieng Iak-tsiong,
et le mandarin de la mairie le déclara ainsi dans son rapport au
grand juge criminel Ni lou-kieng-i. Celui-ci, soit qu'il conservât
des doutes, soit qu'il fût effrayé de la gravité de cette affaire, ne
fit pas de plus ample information pour le moment.
Dans les premiers jours de la deuxième lune, ce grand juge cri-
minel fut cassé et remplacé par Sin Tai-hien-i, qui, on ne sait dans
— m —
qu^U^ I^Q^e, relâcha immédiatement tous les apostats dont 1$
prison regorgeait, et ne garda enchaînés que quatre chrétiens
fidèles : Thomas T'soi, Pierre T'soi, Jean T'soi et Thomas Im.
Les uns disent qu'on voulait les faire périr sous les coups, d'au*
tre^ qu'on songeait à les envoyer en exil. En même temps, §iQ
Tai-hien-i fit cesser les arrestations ; mais les ennemis d^
la foi se concertèrent aussitôt, et, dans une adresse à Ici
régente, demandèrent qu'on traitât les chrétiens en rebelle^, et
que le grand juge fut puni comme eux pour leur avoir ipoptr^
trop d'indulgence. La régente furieuse destitua Sin Tai-^hien-i,
annula tous ses actes, ordonna de reprendre tous ceux qu'il avfdt
mis en liberté, et fit transférer les quatre chrétiens à la pri$09
du tribunal appelé Keum-pou.
D'après la loi coréenne, les dignitaires publics et les individus
accusés de lèse-majesté ou de rébellion sont seuls justiciable»
du Keum-pou. Le tribunal des voleurs ne s'occupe que des
délits contre la propriété. Pour les autres genres de délits, il y
a le tribunal des crimes, auquel sont amenables non-seulement
Ifs gens du peuple, mais tous les nobles qui n'exercent a\içunc
fonaion publique. Les chrétiens avaient jusqu'alors été envoyés
au tribunal des voleurs. Les transférer au Keum-pou, c'était les
accuser de rébellion afin de pouvoir les punir eu conséquence.
Tout d'abord, ainsi que nous l'avons remarqué, on n'avait
$aisi que des hommes du peuple ou de la classe moyenne. Le
parti nouvellement au pouvoir essayait ses forces. Bientôt il se
sentit assez puissant pour frapper un coup décisif, et le 9 delà
deuxième lune, un mandat d'arrêt fut lancé avec toutes les
formalités requises contre Ni Ka-hoan-i, ministre de second
ordre, Jean Tieng Iak-iong, dignitaire du quatrième degré, Pierre
Ni Seng-houn-i, ex-mandarin, et Luc Hong Naj^-min-i, haut
fonctionnaire. Ils furent tous les quatre conduits à la prison du
Keumi-pou. Le 11 de la même lune, Âmbroise Kouen T'siel-sin-i
et Augustin Tieng Iak-tsiong furent pris à leur toun Le 44,
François-Xaxier Hong Kio-man-i fut arrêté avec son fils Léon ;
mais ce dernier fut envoyé à la prison de Po-tsien, ville où sa
famille résidait.
On cherchait et on jetait en prison des néophytes de toutes
conditions et de tout âge. On fit même venir à la capitale, pour
y être jugés par le tribunal Keum-pou, les chrétiens détenus
dan^ 1^ villes de Nie-tsiou et de lang-keun. Les allées et venues
i» satellites dans tous les quartiers ne discontinuaient ni jour
ni nuit. Le Keum-pou, les deux divisions du tribunal des voleurs.
— 116 —
la prison du tribunal des crimes, tout regorgeait de prisonniers.
Des arrestations si nombreuses firent beaucoup de bruit dans la
ville. Chacun était épouvanté; les chrétiens surtout étaient
dans la consternation, et leur frayeur fut portée à son comble,
quand, le 24, on vit les satellites, en violation de tous les usages
du pays, ne plus épargner même les femmes nobles, forcer la
maison de Colombe Kang, et la saisir avec ses esclaves. Ce pre-
mier pas une fois fait, le même jour et les jours suivants, beau-
coup d'autres femmes nobles furent aussi jetées en prison.
La plupart de ces personnages importants ont été souvent
mentionnés dans cette histoire; nous ajoutons ici quelques mots
pour faire connaître les autres.
Ambroise Kouen T'siel-sin-i était le frère atné du célèbre
François-Xaxier et le chef de cette famille des Kouen, que Ni
Piek-i choisit pour établir solidement la religion dans ce pays.
Nous avons déjà dit quelle réputation de science et de vertu il
s*était acquise. Quand il entendit parler de la religion, il eut
d'abord peine à y croire, et ce ne fut qu'après avoir approfondi
avec précaution et prudence les divers points de doctrine, qu'il
se résolut à Tembrasser; mais une fois son parti pris, il ne se
démentitjamais. Près de ses parents il s'exerçait aux devoirs de
la piété filiale ; dans ses rapports de société, il savait par sa libé-
ralité et son dévouement gagner la confiance de tous, et tous
avaient pour lui le plus grand respect. L'autorité de son nom
attira beaucoup de païens à TÉvangile. « Puisque cet hororae-là
regarde la religion comme vraie, se disait-on, comment pourrions-
nous ne pas y croire ? » Cependant il ne faisait pas de propa-
gande directe, et ne se mêla jamais aux affaires de la chré-
tienté. 11 restait toujours chez lui occupé de ses études et de ses
pratiques religieuses, ne s'inquiétant en aucune manière des
injures dont on l'accablait dans des circulaires et écrits publics,
ni des calomnies dont on chercha souvent à le noircir au près du roi.
Entendant parler des actes d'apostasie que les supplices arra-
chaient aux chrétiens, il disait en soupirant: « Pauvres gens!
quel dommage! ils rendent par là inutiles les travaux de la moitié
de leur vie, et perdent la couronne due à leurs souffrances. » Pris
lui-même et conduit devant les juges, il fit une courageuse apolo-
gie de la religion et de ses pratiques. Dans les supplices, son
visage ne changea point et il répondit avec calme et tranquillité,
au point qu'un de ses ennemis les plus acharnés, que sa fonction
obligeait d'être présent quand on le mit à la question, disait en
sortant à ceux qu'il rencontrait : a Pendant les interrogatoires.
— 117 —
les autres coupables sont tout hors d'eux-mêmes, mais pour
Kouen T'siel-sin-i, il ressemble à un homme tranquillement assis
à un festin. »
Un des principaux compagnons de captivité d'Ambroise Kouen
était Augustin Tieng Iak-tsiong, descendant de Fillustre famille des
Tieng de Ma'tsai,dont nous avons souvent parlé, et Tun des frères
aines de Jean Tieng Iak-iong. D'un caractère droit, d'un esprit
sagaceet profond, il s'appliqua debonneheure aux études et obtint
dos succès dans les lettres. Il se plaisait dans la compagnie des
personnes graves et instruites, et devint l'ami du fameux Ni Ka-
hoan-i, et des plus célèbres lettrés alors existants. Regardant la
littérature des examens comme trop légère, il Tabandonna entiè-
rement et, par cela même, renonça d'avance aux dignités dont
l'accès lui était d'ailleurs si facile, afin de se livrer sans obstacle
aux recherches de philosophie et de morale. Pendant quelque
temps il s'appliqua à la doctrine de Lao-tse, pour obtenir l'im-
mortalité qu'elle promet à ses adeptes ; mais il reconnut bientôt
le vide et le ridicule de cette théorie. Il étudia aussi la médecine
et s'y acquit beaucoup de réputation.
Dès que la religion se répandit en Corée, il s'en fit instruire,
mais ne se rendit pas de suite. Il répétait souvent que Ni Piek-i
sortait de la vraie voie, et ce ne fut que quatre ou cinq ans plus
tard qu'il céda aux sollicitations de la grâce ; et reconnaissant
dans ses hésitations quelque chose de semblable à celles de saint
Augustin, il voulut prendre ce saint pour patron au baptême.
Devenu chrétien, il ne regarda plus en arrière et pratiqua sa
religion avec une ferveur et une persévérance au-dessus de tout
éloge. En 1791, l'exemple funeste donné par ses frères et tant
d'autres de ses amis qui apostasièrent misérablement, ne Tébranla
pas. 11 ne s'émut pas davantage des persécutions de sa famille.
Son père non-seulement avait refusé de pratiquer, mais encore
il décriait la religion et la prohibait sévèrement à ses enfants.
Augustin, tout en continuant de se montrer fils pieux et dévoué,
demeura fidèl